Jean-Marie Le Pen

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Jean-Marie Le Pen, né le 20 juin 1928 à La Trinité-sur-Mer (Morbihan) et décédé le 7 janvier 2025 à Garches (Hauts-de-Seine), était un homme politique français, fondateur et président (jusqu'en 2011) du Front national.

Jean-Marie Le Pen

Biographie

Un fils du peuple

Jean-Marie Le Pen est issu d’une modeste famille bretonne[1]. Son père, Jean (né en 1901), est un petit marin pêcheur, par ailleurs président de l’association des anciens combattants et conseiller municipal de La Trinité-sur-Mer, commune du Morbihan, où Jean-Marie voit le jour le 20 juin 1928, à trois heures du matin. Il pèse six kilos à sa naissance ! Sa mère, Anne-Marie, née Hervé, couturière de son état, vient d’une famille d’agriculteurs de Locmariaquer et du Bono. L’enfant, né Jean (comme son père), ne s’ajoutera son troisième prénom, Marie, qu’en 1955, dans l’espoir, dit-on, de complaire ainsi à l’électorat catholique, lui-même étant alors candidat à la députation. La jeunesse de l’enfant sera assombrie par le décès brutal en 1942 de son père, qui saute avec son bateau sur une mine que son chalut avait remontée. Le jeune garçon, âgé de 14 ans seulement, sera alors pupille de la nation.

Son parcours scolaire n’est guère brillant. Non que l’enfant manque d’intelligence, bien au contraire, mais il est indiscipliné, ce qui lui vaut son renvoi du collège jésuite Saint-François-Xavier de Vannes, puis, plus tard, du collège Jules Simon. Entre ces deux renvois, il aura fréquenté le lycée jésuite Dupuyde-Lôme de Lorient, qu’il aura dû quitter en raison de la réduction du nombre d’élèves, conséquence des réquisitions alimentaires allemandes. Néanmoins, il obtient son baccalauréat en 1947. Il se décide alors pour des études juridiques, et s’inscrit à la faculté de Droit de Paris. Il ne sera pas l’étudiant dont rêvent les professeurs. Tout d’abord, il ne se sent pas une vocation de juriste. Son choix d’études s’explique surtout par l’utilité passe-partout d’une formation juridique et par l’impossibilité pour lui d’entreprendre des études exigeant une réelle vocation, un fort investissement intellectuel et des dons scientifiques ou techniques, comme celles de médecine, de sciences (physiques, chimiques ou naturelles) ou de philosophie. Intelligent, cultivé, brillant, bien formé par ses maîtres du secondaire, Le Pen n’est cependant pas et ne deviendra jamais un intellectuel au sens que l’on donne à ce terme habituellement. Il obtiendra sa licence en droit, mais aura été un étudiant peu assidu. Beaucoup plus tard, il mènera à bien, en collaboration avec un certain Jean-Loup Vincent (un illustre inconnu), un travail de recherche intitulé « Le mouvement anarchiste en France depuis 1945 », qui lui vaudra d’être gratifié d’un diplôme d’études supérieures (DES) en sciences politiques, mais qui objectivement se présente sous la forme d’un mémoire dénué de toute vue originale sur le sujet et de réelle utilité pour la connaissance approfondie de celui-ci.

Etudiant syndicaliste

Étudiant peu assidu, Le Pen n’est pas pour autant un étudiant discret. Chez lui, le besoin d’action et d’engagement physique pré- vaudra toujours sur le goût de la réflexion et de l’étude. Séchant assez fréquemment les cours, il se montre, en revanche, très actif dans le syndicalisme, et, dès 1949, un an seulement après son inscription en faculté, il se fait élire président de l’Association corporative des Étudiants en Droit, la fameuse Corpo, dont il dirige, par ailleurs, le journal, La Basoche. Il doit son succès à son physique, taillé en force, à son entregent, à son culot sans limite et à ses dons oratoires. Il subjugue ses auditeurs[2]. En 1951, il représente la Corpo au congrès de la « Grande UNEF ». Comme la majorité des étudiants en droit de ce temps, il campe sur des positions conservatrices, anticommunistes, et se prononce contre l’idée de gauche d’un pré-salaire étudiant. Cependant, ses inclinations réactionnaires lui valent des ennemis, et ceux-ci, ne se laissant pas intimider par son coffre et sa prestance, finissent par marquer des points contre lui. Et, en 1951, un certain Michel Rocard, menant campagne contre lui, parvient, avec ses camarades, à lui faire perdre la présidence de la Corpo[3].

En ce début des années 1950, Le Pen n’a pas de convictions politiques définies. Il a une forte fibre nationaliste, mais sans affinités intellectuelles précises. Il oscille entre Barrès et Maurras, avec des penchants déroulédiens. Il côtoie les monarchistes[4], dont il vend à la criée le journal, Aspects de la France, mais il est loin d’être un maurrassien de stricte obédience, et il révèle même des penchants jacobins, admirant les soldats de l’An II en lutte contre l’Europe des rois, et l’œuvre de Napoléon, dont le centralisme absolu se présente comme le contraire de la décentralisation chère à l’Action française. Par ailleurs, son anticommunisme est instinctif et passionnel beaucoup plus que doctrinal. Le Pen est un homme d’instinct, d’intuition, de passion et d’action, non un doctrinaire ou un théoricien. S’il avait été adulte sous l’Occupation, il se serait probablement senti beaucoup plus proche de Doriot que de Déat. Cette prééminence de la passion, de la soif d’action et de la prégnance physique fera sa force dans la mesure où elle lui permettra d’incarner toutes les facettes — les plus opposées — du nationalisme français : monarchisme maurrassien, traditionalisme barrésien, jacobinisme, bonapartisme, attachement relatif au catholicisme, inclinations pétainistes et fascisantes. Pierre Sidos (d’un an et demi seulement son aîné) rêve, en cette seconde moitié du XXe siècle, d’une synthèse de tous ces aspects du nationalisme ; Le Pen, lui, de par sa personnalité, mais aussi grâce à l’aisance matérielle que lui donne l’héritage Lambert en 1976, l’opérera sans effort avec son Front national. Mais, en ces années 1950, il se cherche et ne se décide pas encore à entreprendre une carrière politique. Il est d’ailleurs accaparé par des soucis plus prosaïques et plus âpres. Sa bourse d’études ne lui suffit pas pour vivre, d’autant plus qu’il se perd en frasques et soirées de beuveries au Quartier latin[5]. Il multiplie les emplois provisoires.

L'Indochine

Sans perspective de carrière, et brûlant de s’engager, il se porte volontaire pour l’Indochine. Il satisfera ainsi sa soif d’action et son patriotisme. Ce besoin le démangeait depuis l’adolescence. Durant l’été 1944, il avait tenté d’intégrer les forces armées de la Résistance. Au cours de l’été 1944, il avait tenté d’intégrer les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI)[6], mais s’était vu récusé en raison de son jeune âge. Neuf ans plus tard, en novembre 1953, il se porte volontaire pour aller combattre en Indochine.

Engagé comme parachutiste, il effectue un stage de formation et d’entraînement de six mois à l’École d’application de l’Infanterie de Saint-Maixent, puis part pour le front. Il n’aura pas l’occasion de s’y distinguer, car il arrive après la chute de Diên Biên Phu, qui marque la fin de la guerre d’Indochine. Il sert comme sous-lieutenant au 1er Régiment étranger d’Infanterie[7], puis travaille à Caravelle, le journal du corps expéditionnaire[8].

De retour à Paris, il fait la connaissance, dans un bar, de Jean-Maurice Demarquet, de six ans son aîné, lui aussi ancien d’Indochine. Malgré une différence d’origine sociale[9], les deux hommes se découvrent une communauté de tempérament, de caractère, un goût commun de l’action, de l’aventure et du baroud, et partagent le même nationalisme et la même aversion à l’égard de la gauche et du communisme. Ils deviennent donc les meilleurs amis du monde. Ils décident de tenter leur chance en politique. Leur qualité d’« anciens d’Indo » va leur permettre d’apparaître dans l’agora. Ils s’ouvrent de leur ambition politique à Roger Delpey, président de l’association des anciens combattants d’Indochine, lequel les présente à son ami Pierre Poujade, chef d’Union et Fraternité Française (UFF), organe de campagne électorale de son Union de Défense des Commerçants et Artisans (UDCA), qui compte présenter des candidats aux législatives anticipées du 2 janvier 1956. Les deux amis rencontrent donc Poujade en décembre 1955. Ce dernier, heureux de trouver des candidats qui tranchent sur ses « marchands de saucisson », les inscrit comme candidat, l’un (Demarquet) dans le Finistère, l’autre (Le Pen) dans la 1ère circonscription de la Seine. La campagne de décembre 1955 lui permet de donner toute la mesure de son extraordinaire talent d’orateur, de son charisme et de son aptitude à électriser et entraîner les foules[10]. Certes, sa liste n’obtient que 7,8 % des voix (36 000), mais il est élu grâce au mode de scrutin proportionnel alors en vigueur[11].

Très vite, Le Pen se sépare de Poujade. Les problèmes de boutiquiers de ce dernier et de ses fidèles l’indiffèrent. Seuls l’intéressent les questions constitutionnelles et le problème algérien. Il critique les faiblesses de la IVe République, demande un exécutif fort capable de mener une politique cohérente et hardie sans devoir se heurter aux manœuvres parlementaires. Il préconise une action policière et judiciaire résolue contre les communistes et tous ceux qui sapent l’effort de guerre exigé par la lutte pour la défense de l’Algérie française. Il ne va cependant pas jusqu’à se prononcer en faveur d’un régime autoritaire et anti-démocratique. S’il soutient le ministère Mollet dans sa lutte contre le FLN, il critique cependant la gauche, suspectée d’accepter, à moyen terme, l’abandon de l’Algérie. Mendès France est sa tête de turc favorite, et il multiplie, contre lui, les critiques incisives, affirmant qu’il “cristallise” un certain nombre de « répulsions patriotiques, presque physiques ».

Un déçu de l'Algérie française

N’y tenant plus, il s’engage comme combattant en Algérie, en octobre 1956, avec l’accord de l’Assemblée et du président Coty. Il se signalera en participant au débarquement de force vive à Port Fouad, en Egypte, et à la bataille d’Alger. Il recevra la croix de la Valeur militaire, des mains du général Massu. A-t-il participé personnellement aux interrogatoires musclés de prisonniers FLN à la villa Susini ? Le doute demeure sur ce point. De retour en France dès janvier 1957, il est exclu de l’UFF par Poujade qui estime que son député parisien ne représente pas ses idées et a utilisé son mouvement comme un simple tremplin électoral. Le Pen siégera donc désormais comme non-inscrit. En cette même année 1957, il fonde, avec d’autres, le Front national des Combattants (FNC), dont il devient un des deux vice-présidents. En 1958, il soutient la candidature d’Ahmed Djebbour, un Algérien hostile au FLN, et qui est élu député d’Alger.

Lorsqu’éclate le putsch d’Alger, le 13 mai 1958, Le Pen sent qu’un changement de régime est imminent et pense que la cause de l’Algérie française va l’emporter. Avec Demarquet, il s’envole donc pour Alger, dans l’espoir de jouer un rôle important parmi les défenseurs insurgés de la présence française en Algérie. Mais le général Salan, qui redoute que les deux jeunes députés portent à incandescence les passions nationalistes des colons, les fait expulser. Lors des législatives des 23 et 30 novembre 1958, Le Pen pose sa candidature, toujours dans la Seine, mais, cette fois, dans la 3e circonscription. Il se présente comme candidat du Centre national des Indépendants et Paysans (CNIP), le parti de Pinay, et est élu. En 1959, il devient aussi membre du Sénat de la Communauté française, voué à la bonne coordination de la France et de ses États associés (ses colonies devenues à moitié indépendantes). Il est alors rapporteur du budget de la guerre à l’Assemblée nationale, et de la défense au Sénat de la Communauté. Il semble alors promis à une belle carrière politique, peut-être ministérielle (et pourquoi pas plus encore ?). Mais l’évolution politique du pays va démentir cette promesse. Nationaliste, et, comme tel, partisan d’un exécutif fort, Le Pen ne se réclamait cependant d’aucun courant politique particulier, moins encore de quelque doctrine, et ne se prononçait pas contre la démocratie républicaine, pourvu qu’elle ne fût pas faible, complaisante envers les éléments de subversion, et encline à se laisser dominer par une gauche glissant vers le communisme. Quoique nullement gaulliste, il s’était donc rallié à la Ve République, plus solide et apparemment plus patriote que la IVe, et portée au pouvoir grâce à la révolte des Français d’Algérie.

Or, les choses changent après 1960. Le 8 janvier 1961, De Gaulle fait admettre aux Français, par référendum, le droit à l’auto-détermination de l’Algérie. Le Pen, hostile à cette nouvelle orientation, prend ses distances avec le régime. Le 21 avril de la même année, les généraux Salan, Jouhaud, Challe et Zeller prennent le pouvoir à Alger, au nom de l’Algérie française. Le Pen se sent de leur côté, même s’il sait leur cause perdue. Désormais, il se situera clairement dans l’opposition de droite au pouvoir du général De Gaulle. Ce passage à l’opposition coïncide avec la fin provisoire de sa carrière politique sous les lambris des palais publics.

Le 10 octobre 1962, De Gaulle dissout l’Assemblée nationale à la suite de la motion de censure votée par celle-ci contre le ministère Pompidou. Aux législatives des 18 et 25 novembre, qui suivent, Le Pen, qui fait partie de la vaste coalition des partis d’opposition au pouvoir gaulliste, perd son siège de député. Commence alors pour lui une traversée du désert de plus de vingt ans. Durant cette période, il se consacrera à regrouper la droite nationale autour de lui afin de refaire d’elle une vraie force politique et de devenir une figure majeure de notre vie politique.

Il épouse sa compagne, Pierrette Lalanne, de sept ans sa cadette, le 29 juin 1960, à Paris. Cette union conforte son accession à la bourgeoisie : son épouse est la fille d’un négociant viticole des Landes. Le couple aura trois filles : Marie-Caroline (née en janvier 1960), Yann (née en novembre 1963) et Marine (née en août 1968). Le Pen renoue avec la vie professionnelle. Le temps des emplois précaires, difficiles et mal rémunérés, est révolu depuis sa vie d’officier et de député. En mars 1963, il fonde une société d’éditions de « documents sonores », suivant sa propre expression, essentiellement des chants historiques célèbres. Si le catalogue inclut les chants militaires de la Wehrmacht et de la Waffen SS, il compte aussi, parmi ses titres des chants révolutionnaires (Le temps des cerises, le chant de l’Internationale), des chants patriotiques (parmi lesquels, des chants israéliens) et des discours politiques célèbres et variés[12], contrairement à la légende suivant laquelle la SERP n’aurait édité que des textes et mélodies nationaux-socialistes. Le Pen crée cette entreprise avec l’aide de Philippe Marçais (spécialiste du monde arabe et ancien doyen de la faculté des lettres d’Alger), Léon Gautier et Pierre Durand. Après avoir connu des hauts et des bas, la SERP sera liquidée en mars 2000.

Au tout début des années 1960, Le Pen jouit d’une aisance assez belle pour fréquenter des gens en vue et s’offrir, en leur compagnie, quelques plaisirs coûteux : en 1961, il achète un bateau d’une vingtaine de mètres, sur lequel il navigue avec Éric Tabarly, Olivier de Kersauzon (déjà célèbres), et Jean-Louis Tixier-Vignancour. C’est sur ce dernier, précisément, qu’il s’appuie pour donner à la droite nationaliste le poids politique qui lui manque. Cet avocat renommé, ancien Camelot du Roi, ancien Croix de Feu, éphémère secrétaire général adjoint à l’Information en 1940, député sous les IIIe et IVe Républiques, défenseur des responsables de la Semaine des barricades (1960) et de Salan (1962), est une figure de la droite nationaliste. Le Pen voit en lui l’homme capable de sortir celle-ci du marasme et du ghetto où elle végète. Il l’aide à mettre sur pied son « Association pour le soutien de la candidature d’opposition nationale à la présidence de la République », composée d’une fédération de comités régionaux, bientôt appelés « Comités Tixier-Vignancour » en vue de l’élection présidentielle de décembre 1965. Bientôt, il dirige ceux-ci, avec le titre de secrétaire général, et, l’année suivante, il est directeur de campagne de Tixier. En mars 1965, il s’active pour présenter, partout où il le peut, des candidats tixiéristes lors des municipales Durant l’été de la même année, il monte la caravane de propagande de Tixier, qui va à la rencontre des Français, notamment sur les bords de mer, où les estivants sont nombreux. Après une période d’amitié réciproque (Tixier accepte d’être le parrain de la première fille de Le Pen), des différends opposent les deux hommes. Tixier joue la carte de la modération : il entend ratisser large afin d’accroître le nombre de ses électeurs, ce qui l’amène à non seulement grouper autour de lui les nationalistes de tout poil et les anciens des guerres coloniales, mais encore les hommes de la droite républicaine (essentiellement le CNIP de Pinay) et certains centristes hostiles au pouvoir “autoritaire” et “monarchique” de De Gaulle, et donc à tenir un langage consensuel, plus conservateur et libéral que réactionnaire. Il annonce même son intention de nommer à Matignon, s’il est élu, Gaston Monnerville, ce vieux notable radical guyanais et anti-gaulliste.

Le Pen, jeune, regimbe, fustige cette stratégie, qu’il juge stérile, et reproche à Tixier « l’eau tiède » de ses discours. La rupture interviendra à la suite de l’échec cuisant de Tixier-Vignancour, lors du premier tour de la présidentielle (5 décembre 1965) : 5,2 % des suffrages exprimés, et placé en quatrième position. Cette déception est un coup dur pour Le Pen. Sa traversée du désert semble devoir se prolonger. Aux législatives de juin 1968, il se présente vainement à Paris.

Jean-Marie Le Pen et le Front national

Les débuts du Front national

En fait, sa nouvelle naissance politique a lieu en 1972. Cette année-là, Le Pen décide de lancer sa propre formation politique. Cependant, l’initiative ne viendra pas de lui. Elle sera le fait d’Alain Robert, le principal responsable d’Ordre nouveau qui, conscient des limites de son parti, aspire à le constituer en fer de lance d’une formation plus large qui engloberait les multiples composantes de la droite nationaliste et dont il deviendrait l’homme fort. Robert jette alors son dévolu sur Le Pen, qui, en raison de sa longue période de militantisme, de son expérience politique (notamment de député), et de son absence d’attachement à un courant bien défini (il n’est ni nationaliste-révolutionnaire, ni fasciste, ni monarchiste, ni plébiscitaire) lui paraît l’homme idéal pour réaliser autour de lui l’union consensuelle, sans heurts ni risques de tensions, des diverses chapelles de « l’extrême droite ». Aussi, lorsqu’il lance le Front national pour l’Unité française[13], à la suite d’une réunion commune aux diverses formations nationalistes, tenue le jeudi 5 octobre 1972, il propose que Le Pen en assume la présidence, entouré de Pierre Bousquet, Roger Holeindre, Alain Jamet, Pierre Durand, François Brigneau, et, bien entendu, Alain Robert lui-même. La nouvelle formation, dont les statuts seront déposés en préfecture le 27 octobre suivant par Le Pen, Bousquet et Gaultier, comprend Ordre nouveau, la composante de loin dominante, des revenants de Jeune Nation, des rescapés de l’OAS et des représentants d’autres mouvements nationalistes.

Réaliste, Le Pen s’emploie à tempérer le projet politique d’Alain Robert, en particulier au plan économique. Il en assouplit le dirigisme et le corporatisme, et se prononce en faveur d’une réduction du secteur public. Ces mesures visent à séduire la clientèle de la droite libérale. Alain Robert s’accorde avec lui sur le choix de cette orientation, mais a du mal à l’imposer à ses militants d’Ordre nouveau et aux nationalistes-révolutionnaires de François Duprat.

Rapports conflictuels avec Ordre nouveau

Les relations entre les deux chefs vont se dégrader. Ambitieux, Le Pen aspire à devenir le seul chef du Front national et à faire de ce dernier un parti monolithique, et non une simple fédération de groupes nationalistes, ce qu’il est depuis sa création, fédération dominée par Ordre nouveau. De plus, contrairement à ce dernier, Le Pen souhaite présenter 400 candidats dans tout le pays, à l’occasion des législatives de mars 1973, ce qui peut sembler déraisonnable, eu égard aux effectifs et aux moyens financiers du FN. Et il espérait un score national de 3 % des voix, ce qui eût été un exploit pour une formation vieille de cinq mois seulement. Il devra se contenter de 105 candidats et d’un score national de 1,3 % des voix. Il aura tout de même la consolation de voir sa candidature à Paris récolter plus de 5 % des voix. Il ne désespère pas, loin de là, de faire du FN un grand parti unifié. Cela suppose la dilution d’Ordre nouveau dans le FN et la neutralisation d’Alain Robert. Cette annihilation d’Ordre nouveau est d’autant plus nécessaire que Le Pen pense que le Front national ne pourra progresser électoralement qu’à la condition de s’expurger totalement du fascisme d’Ordre nouveau, et d’opérer un rapprochement avec la droite modérée.

Les événements vont le servir. Le 28 juin 1973, Ordre nouveau est dissous à la suite de violents affrontements avec la Ligue communiste, au cours de la nuit du 21 en marge d’une meeting d’Ordre nouveau contre l’immigration sauvage attaqué par la Ligue. Ainsi disparaît, semble-t-il, l’obstacle principal à la satisfaction des ambitions de Le Pen. Néanmoins, Alain Robert ne se tient pas pour battu. Considérant que, désormais, les militants d’Ordre nouveau n’appartiennent plus qu’au Front national (leur adhésion à cette formation était jusqu’alors secondaire par rapport à l’autre), il exige pour eux la moitié des sièges du secrétariat de ce dernier. Par ailleurs, en octobre 1973, il lance un mensuel, Faire Front, qu’il présente comme le « journal du Front national ». Il pense que le nombre de militants d’ex-Ordre nouveau va jouer en sa faveur. Mais, en réalité, la dissolution qui vient de frapper Ordre nouveau le met, lui et ses fidèles, en position de faiblesse. Elle frappe d’illégalité son mouvement, ce qui n’est pas du plus heureux effet pour une stratégie de légalité républicaine et de rapprochement avec la droite modérée. Le Pen balaie d’un revers de main les prétentions d’Alain Robert, proprement insoutenables selon lui, compte tenu des circonstances. Dès septembre 1973, Le Pen démet Robert de ses fonctions de secrétaire général du FN, et le remplace par Dominique Chaboche, un nationaliste de sensibilité poujadiste hostile à Ordre nouveau. Il s’emploie, d’autre part, à épurer le secrétariat et les postes de responsabilité du FN des militants d’Ordre nouveau. Et il obtient des tribunaux l’interdiction pour Faire Front de se réclamer du Front national. Alain Robert fondera alors une formation politique rivale du FN, avec certaines figures nationalistes évincées elles aussi par Le Pen ou/et en désaccord avec sa stratégie, telles François Brigneau et Roland Gaucher. Ce seront les Comités Faire Front, puis le Parti des Forces nouvelles (PFN), fondé le 9 novembre 1974.

Délesté d’Ordre nouveau, le FN va-t-il devenir un parti nationaliste notabilisé, de type barrésien, ou sur le modèle de la Fédération républicaine de Louis Marin, sous la IIIe République ? Certes non. Le Pen comprend qu’une telle évolution le desservirait, incitant les nationalistes intransigeants à préférer au FN ses rivaux de Faire Front. Il lui faut les retenir. Il leur ménage donc une place au sein du FN, notamment en intégrant François Duprat au bureau politique du parti et en le chargeant de diriger sa campagne électorale lors de la présidentielle de mai 1974. Sur ce point, Duprat ne brillera pas, à moins dire : au soir du premier tour de la présidentielle, Le Pen n’obtient que 191 000 voix, soit 0,75 % des suffrages exprimés[14]. Il est vrai que cette présidentielle était intervenue dans des conditions particulières, bien avant l’échéance normale. Imposée par la mort du président Pompidou, à 62 ans, le 2 avril 1974, elle n’avait pas laissé aux partis le temps de se préparer et de briefer leurs candidats respectifs pour la course à l’Élysée. Et le FN, qui n’avait que deux ans d’existence, ne disposait que d’une organisation précaire, aux mains d’hommes inexpérimentés. Mais la campagne a au moins l’avantage de faire connaître Jean-Marie Le Pen, alors muni d’un bandeau noir à l’œil, au grand public.

L’intégration de Duprat à la direction du FN présente des inconvénients pour le président du FN. Intelligent, cultivé, d’une activité inlassable, ambitieux, convaincu de la justesse de ses idées, Duprat tend à devenir l’homme fort du parti et à lui imprimer l’orientation fascisante dont Le Pen avait entendu se débarrasser en en expulsant Ordre nouveau et Robert. Il venait de mettre les fascistes à la porte, Duprat les réintroduisait par la fenêtre. Néanmoins, Duprat se révélait un organisateur hors pair et un maître en relations publiques. Il n’avait pas son pareil pour négocier avec cette droite républicaine (alors au pouvoir) que Le Pen souhaitait séduire, et il avait ses entrées à Matignon, au quai d’Orsay et dans les services secrets (le SDECE et les Renseignements généraux) pour lesquels il travaillait discrètement. Il présente donc autant d’inconvénients que d’avantages, et Le Pen ne peut qu’éprouver ambivalence et indécision à son égard.

Des débuts difficiles

La mort tragique de Duprat, victime d’un attentat, le 18 mars 1978, dû sans doute aux services secrets (français ou étrangers), met fin à cette ambiguïté paralysante. Cet assassinat est inquiétant. Car, un an et demi plus tôt, dans la nuit du 1er au 2 novembre 1976, le chef du FN a été victime d’un attentat à la bombe ayant détruit l’immeuble où il résidait avec sa famille, ainsi que 12 immeubles voisins, acte criminel duquel il a miraculeusement réchappé, même si cet attentat semble plutôt lié à la succession Lambert dont Le Pen vient d’hériter. Mais cela permet au Menhir de reprendre pleinement en main son parti. En 1978, le FN dispose d’une organisation assez solide pour qu’il puisse se passer du savoir-faire de Duprat, indispensable cinq ans plus tôt. Il s’emploie donc à évincer les nationalistes-révolutionnaires des instances dirigeantes du FN (dont les rédacteurs du bimensuel Militant), où Duprat les avait introduits en nombre. Il les remplace par des militants du courant solidariste, chrétiens et résolument anti-communistes, tels Jean-Pierre Stirbois, qui deviendra vite secrétaire général du FN, et Michel Collinot. Avec eux, le FN, selon les objectifs de Le Pen, reste tout aussi nationaliste qu’auparavant, mais est moins sulfureux.

Les années 1970 finissantes ne sont pas une période faste pour Le Pen. En mars 1978, candidat dans la Ve circonscription de Paris (contre Frédéric-Dupont, candidat de la droite classique), il ne rassemble que 3,9 % des voix. Par ailleurs, à « l’extrême droite », le FN subit la concurrence, un moment victorieuse, du PFN, son rival, qui apparaît comme un parti plus moderne et plus dynamique, apte à séduire les jeunes nationalistes. Toutefois, ce danger sera très vite conjuré. En effet, après des débuts apparemment prometteurs, le PFN piétine, desservi par l’échec de sa tentative de rapprochement avec la droite républicaine et l’inexpérience de son jeune chef, Pascal Gauchon, et de ses militants. Et, après l’échec électoral de sa liste de l’Eurodroite, aux européennes de 1979, il connaît un déclin rapide. Beaucoup de ses membres, dont François Brigneau et Roland Gaucher, reviennent alors au FN. Le marasme de ce dernier est cependant tel que, lors de la présidentielle de 1981, Le Pen ne parvient pas à obtenir les 500 signatures d’élus nécessaires à la validation de sa candidature. Mais il va vite rebondir[15].

Le Front national va connaître un sérieux redressement après 1981. Aux cantonales des 14 et 21 mars 1982, il enregistre ses premiers succès locaux, ses candidats (présents dans une soixantaine de cantons) obtenant près de 10 % des voix en plusieurs secteurs (DreuxOuest et Dreux-Est, Grande-Synthe, Pont-deChéruy). Ce progrès est confirmé à l’occasion des municipales des 6 et 13 mars 1983, à l’issue desquelles le FN voit certains de ses membres accéder au conseil municipal de leur commune, et Le Pen lui-même intégrer celui de Paris, sa liste obtenant 11,3 % des voix dans le XXe arrondissement.

Premiers succès encourageants

Ces résultats sortent le parti de son isolement. Il est désormais en mesure de conclure des accords électoraux avec les formations de la droite “républicaine” (RPR et UDF). Et, à la faveur d’une municipale partielle à Dreux, le 4 septembre 1983, la liste menée par Stirbois dépasse les 16 % de voix et fusionne avec la liste RPR-UDF qui l’emporte au second tour, le 11 septembre. Pour la première fois, le FN va participer à un exécutif local.

Il importe de relever qu’en ce temps, le FN, bien qu’il n’ait nullement entrepris sa dédiabolisation, jouit, plus que le RN normalisé d’aujourd’hui, du souci d’équité dû à tout parti légal. Ainsi, lorsqu’en mai 1982, Le Pen écrit à François Mitterrand pour se plaindre du manque de visibilité du FN à la télévision, le président de la République demande à son ministre de la Communication, Georges Fillioud, de faire le nécessaire pour corriger ce défaut. L’heure n’est pas encore au « front républicain » et à la traque judiciaire au moindre manquement au politiquement correct, même s’il y a aussi d’arrière-pensées politiciennes chez Mitterrand qui, en aidant médiatiquement le FN, entend diviser et donc neutraliser les droites.

Quoique encore modeste, la montée du FN se précise. Candidat à une législative partielle dans le Morbihan, le 11 décembre 1983, Le Pen, bien que non élu, dépasse 12 % des voix (12,02 %) et atteint même 51 % des voix dans sa commune natale de La Trinité-sur-Mer. Le 13 février 1984, Le Pen est l’invité de L’Heure de Vérité, émission de très grande écoute sur Antenne 2 (aujourd’hui France 2). C’est un véritable triomphe. Moins d’une semaine après, le FN engrange près de 1000 adhésions chaque jour, alors qu’il n’en recevait que 15 jusqu’alors. Aux européennes du 17 juin 1984, la liste FN récolte 11 % des suffrages. Le Pen fait son entrée au Parlement européen, à la tête de dix eurodéputés, et il sera constamment réélu (en 1989, 1994, 1999, 2004, 2009, 2014) jusqu’à son retrait en 2019. Il préside alors le groupe des Droites européennes (GDE).

Une ascension irrésistible et des ennemis farouches

L’ascension de Le Pen semble irrésistible. Aussi devient-il un instrument stratégique pour les divers partis “républicains” de gauche et de droite. En défendant ses possibilités d’expression à la télévision, Mitterrand entend favoriser la poussée du FN pour réduire le poids électoral du RPR et de l’UDF. Ce souci l’amène, au printemps de 1985, à restaurer le mode de scrutin proportionnel pour les législatives qui lui permet aussi de limiter les pertes du parti socialiste en nombre de députés. La manœuvre ne réussira qu’à moitié. En particu- lier, elle manquera son objectif d’empêcher la défaite de la gauche. Mais elle aboutira à la limiter (la droite républicaine aurait obtenu un nombre de sièges plus important sans la concurrence lepéniste) et à faire entrer à l’Assemblée nationale 32 députés FN et 3 députés CNIP apparentés au Front, et formant avec eux le groupe parlemen- taire dit (déjà !) du « Rassemblement national ». Le Pen lui-même fait sa rentrée au Palais-Bourbon 24 ans après en être sorti. Mais toute médaille a son revers. Et, c’est à partir du moment où il s’impose comme une force politique non négligeable que le FN voit se mettre en place, contre lui, la stratégie commune aux divers partis “républicains”, visant à l’isoler, à proprement le dia- boliser, et donc, à l’enfermer dans un ghetto des pestiférés, porteurs de la peste brune, des fils et petits-fils de la « bête immonde », dont « le ventre est toujours fécond », des descendants de Vichy et des collaborateurs de la période 1940-1944. On ne saurait souligner assez l’aspect paradoxal mais très logique (comme il en va des grands paradoxes) de cette évolution : c’est au moment où il devient un grand parti, disposant d’un poids électoral important, d’une représentation parlementaire et d’élus municipaux, cantonaux, régionaux et européens, que le FN se voit fustigé à cor et à cri comme la résurgence maudite du fascisme, et est victime d’une ségrégation manifestée par le refus de toute discussion avec lui, et même par la persécution de certains de ses membres. Jusqu’en 1986, le FN était certes considéré comme un parti d’« extrême droite », mais la faiblesse relative de son poids électoral le mettait à l’abri des campagnes systématiques, intenses, très organisées et haineuses de ses ennemis. Le taxer de fasciste et le dédaigner suffisait. Il n’en ira plus de même désormais. Il sera considéré comme le plus grand danger que puisse courir la République. La gauche ne cessera (sauf en de rares occasions) d’en jouer en tentant de l’instrumentaliser contre la droite républicaine. Et c’est cette dernière qui donnera le signe de départ de la diabolisation de Le Pen et du FN. Dès le début de la nouvelle législature issue des élections de mars 1986, Chirac, président du RPR et nouveau Premier ministre, s’affaire à créer ce qu’il appelle lui-même un « cordon sanitaire » entre ses députés et ceux du FN/RN, leur interdisant tout contact avec eux. Ce cordon sanitaire deviendra vite la règle d’or du code de bonne conduite républicaine et l’un des principes cardinaux du politiquement correct. Droite et gauche se feront désormais un devoir impérieux de s’interdire tout accord, voire toute simple discussion, même anodine, avec le FN. Et plus celui-ci croîtra en force, plus les idées, sentiments et propos qui paraîtront s’écarter des sacro-saintes « valeurs de la République » seront de fait, puis de droit, prohibés, interdits, vilipendés, propres à attirer sur leurs auteurs ou leurs partisans les foudres de la justice et la répression sous toutes ses formes. Ainsi, plus la droite nationale croîtra dans l’opinion publique, l’électorat et la présence dans les assemblées électives, plus elle sera dénigrée, honnie et persécutée. Et la droite républicaine, littéralement tétanisée à l’idée de se voir taxée de connivence avec elle, reniera toutes ses convictions réactionnaires ou conservatrices et jurera ses grands dieux qu’elle partage toutes les valeurs et tous les principes de la gauche, dont ne la séparent, à l’écouter, que des différences de politique économique et de technique. Alors naîtra le fameux « arc républicain » (manifesté, lors des élections, par le « front républicain ») qui unit des gens animés par les mêmes convictions et porteurs des mêmes idées, l’alternance au pouvoir n’étant qu’un leurre. Cette similitude entre droite et gauche se trouvera renforcée par le fait que la droite adoptera les idées de la gauche, laquelle se convertira au libéralisme économique.

Le temps d'un nationalisme classique

La notoriété de Le Pen gagne l’étranger. Connu dans toute l’Europe, il l’est aussi ailleurs, et il s’emploie, d’ailleurs, à s’y faire connaître. En 1987, il rencontre le président américain Ronald Reagan, et réussit à se faire applaudir par le Congrès juif mondial devant lequel il défend la cause d’Israël dans un vibrant discours (ce qui, en l’occurrence, n’est pas à mettre à son crédit). Toutefois, sa tentative de séduction des Juifs est ruinée par son entretien journalistique du 13 septembre 1987 au cours duquel il qualifie la question des chambres à gaz de « point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale », donnant l’occasion à ses ennemis de le fustiger comme sympathisant hitlérien.

Entre les législatives de 1986 et la présidentielle de 1988, Le Pen adopte un discours droitier plutôt classique. Il se présente comme libéral en économie et fait l’éloge des politiques de Thatcher en Grande-Bretagne et de Reagan, aux Etats-Unis. Il critique la lourdeur, l’inefficacité et l’endettement de notre système de protection sociale. Il est anticommuniste. En matière de politique étrangère, il se montre réservé sur la construction européenne, pro-israélien, anti-arabe. Surtout, il tient un discours sécuritaire et très hostile à l’immigration, remettant en question le droit du sol. Globalement, sa stratégie se révèle plutôt payante, puisque, malgré les campagnes de ses adversaires, il arrive, à l’issue du premier tour de la présidentielle de 1988 (24 avril), en quatrième position, avec un score de près de 4 376 000 voix, soit 14,38 % des suffrages exprimés. Ce résultat met Chirac, candidat lui aussi, dans une situation cornélienne. Le père du « cordon sanitaire », qui s’était interdit tout rapprochement avec le leader du FN, se voit piteusement obligé de rencontrer secrètement ce dernier, afin d’obtenir de lui un appel à ses électeurs à se reporter sur lui au second tour, apport absolument nécessaire pour battre Mitterrand. Mais Le Pen, n’ayant nul intérêt à secourir un candidat qui a déplu aux Français comme Premier ministre, durant les deux années écoulées, et ne lui ayant montré jusque-là que mépris, ne donne aucune consigne de vote, le condamnant à la défaite, même s’il n’est pas sûr du tout que la défaite de Chirac eût été évitée si Le Pen avait explicitement appelé à le soutenir car il aurait alors probablement perdu des électeurs centristes.

Les législatives des 5 et 12 juin 1988 seront un net échec pour le FN, qui pâtit du retour au scrutin uninominal et majoritaire à deux tours : 9,6 % des voix au premier tour, 1,7 au second, et un seul élu[16]. Le Pen est battu par le socialiste Marius Masse dans la 8e circonscription des Bouches-du-Rhône. En revanche, Le Pen, lors de la présidentielle de 1995, confirme son succès de 1988 : 4e position, près de 4 571 000 voix, soit 15 % des suffrages exprimés.

Son électorat devient de plus en plus populaire, car il bénéficie largement de la désaffection des Français à l’égard des partis “républicains”, lesquels les ont tous déçus. Le Front national se substitue à eux dans leur cœur, et surtout dans leur colère. Il reste un parti protestataire. Désireux d’apparaître comme le parti des laissés-pour-compte du libéralisme économique, il se fait volontiers plébéien, voire populacier, et ce d’autant plus que la droite républicaine repousse ses avances. Ses ouvertures en direction du patronat sont vaines. Et ceux de ses proches issus de la « bonne société » (François Bachelot, Olivier d’Ormesson, François Porteu de La Morandière), quittent le FN les uns après les autres, de 1987 à 1998. Il se montre également sécuritaire. Naguère reaganien ou thatchérien, tenant de la politique de dénationalisations et de déréglementation de Chirac et Balladur, il devient plutôt dirigiste et défend le rôle de régulation économique de l’État et les services publics.

Et, soucieux d’accorder son programme de politique étrangère à son projet de société, il cesse ses flagorneries à l’égard des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, délaisse la cause israélienne, et fait presque l’éloge du régime autoritaire Baas de Saddam Hussein, qu’il défend contre les puissances occidentales lors de l’annexion du Koweït par l’Irak et la première Guerre du Golfe qui s’ensuit (1991). Avant l’éclatement de cette dernière, il rend même visite à Saddam Hussein, à Bagdad, en novembre 1990, et ramène 53 otages. En matière européenne, il défend la souveraineté française : il appelle à voter non au référendum sur le traité de Maastricht (20 septembre 1992) fondant l’Union européenne, puis au référendum relatif au Traité constitutionnel européen, prétendant créer une Europe fédérale (29 mai 2005).

Jean-Marie Le Pen lors de la campagne présidentielle de 2007

Politicien entendu

Dictées par le seul souci stratégique à court terme, ses fluctuations politiques (notamment en économie et en politique extérieure) le rendent relativement peu crédible aux observateurs attentifs de l’évolution du monde. Mais le gros de la population, peu au fait des grands enjeux et des subtilités politiques, le suit. Le Pen ne manque pas de duplicité, en cela proche de ces politiciens issus de l’establishment, qu’il affecte de dénigrer. Et ces derniers non plus. Ainsi, bien que Le Pen fustige sans arrêt la droite conservatrice des nantis et que cette dernière, en écho, clame haut et fort son refus de toute entente avec lui, des rapprochements entre les représentants de la première et ceux du FN ont lieu au niveau local ou régional. De sorte que le FN fait élire des conseillers départementaux et régionaux RPR ou UDF, et que ces deux partis lui renvoient l’ascenseur. Le Pen est lui-même élu au Conseil de la Région Île-de-France en 1986. En 1992 et 1998, il est élu au Conseil de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur[17]. Cette région devient l’une des terres les plus fertiles pour le FN. Lors des régionales de 1998, les listes FN y arrivent en deuxième position, avec 26,6 % des voix et 37 conseillers régionaux, soit le même nombre d’élus que pour la droite RPR-UDF.

Tandis que des conseillers de droite, menés par Christian Estrosi (qui a bien changé depuis !) recherchent une alliance avec le FN comme en 1986, des élus comme François Léotard s’y opposent, ce qui permet l’élection du socialiste Michel Vauzelle à la présidence du conseil régional. Battu lors des législatives de 1993 dans la 3e circonscription des Alpes-Maritimes, Le Pen a plus de chance aux européennes. Il sera élu député européen les 13 juin 2004, 7 juin 2009, et 25 mai 2014.

Le Pen voit son parti remporter des succès aux municipales. Celles de juin 1995 voient la conquête par le FN de Toulon, Orange, et Marignane. Et, un peu plus tard, en février 1997, Catherine Mégret devient maire de Vitrolles. Par la suite, le FN ne cessera d’ajouter des municipalités à son palmarès.

Personnalité incontournable et profondément atypique (encore qu’il ne méconnaisse pas, loin de là, nous l’avons vu, les jeux des politiciens classiques), Le Pen bouleverse le paysage politique français. La bipolarité traditionnelle droite/gauche est remise en question par l’irruption de cet homme hors du commun et de son parti. Les partis “républicains”, les médias, l’intelligentsia, l’École et ses annexes (syndicats et associations de parents d’élèves) s’affairent, avec tous leurs moyens, à présenter le premier comme un aspirant à la dictature, le second comme une résurgence des ligues d’extrême droite des années 1930, du fascisme et de Vichy. On étale à n’en plus finir l’antisémitisme et le racisme supposés de Le Pen, son passé de tortionnaire putatif pendant la guerre d’Algérie, ses liens amicaux avec d’anciens Waffen SS (Pierre Bousquet, Léon Gaultier) et autres collaborateurs notoires (Roland Gaucher, François Brigneau) qui l’ont aidé à lancer et diriger le Front national, sa personnalité jugée agressive, colérique, paranoïaque et mégalomane, les humiliations qu’il infligerait à ceux de ses proches en désaccord avec lui, sa prétendue vulgarité, son machisme, ses allusions salaces, et même sa cupidité, attestée par son héritage, dans des conditions réputées douteuses, d’une bonne partie de la fortune d’Hubert Lambert.

Les coups viennent parfois de ses très proches. Ainsi, Jean-Maurice Demarquet, meilleur ami de Le Pen depuis 1955, fréquemment invité à « rompre le pain » à sa table (suivant la propre expression de l’intéressé), fait paraître dans Le Monde du 16 octobre 1985, un article au vitriol en lequel il s’étale sans vergogne sur la psychologie, selon lui, pathologique du président du FN (qu’il traite de « grand mamamouchi paranoïaque ») et sur son « antisémitisme viscéral et morbide », et affirme qu’il a pratiqué la torture durant la guerre d’Algérie[18]. Deux ans plus tard, Pierrette Le Pen (née Lalanne) divorce de son mari[19]. Par vengeance, elle pose complaisamment nue (en soubrette faisant le ménage) dans le numéro de Playboy du 10 juin 1987. Elle s’est réconciliée depuis avec lui et vit même aujourd’hui, à 89 ans, dans une annexe du manoir de Montretout, preuve que le Menhir sait pardonner.

Cela dit, la plupart des attaques médiatiques dirigées contre le président du FN viennent de la gauche, quelquefois de centristes libéraux bon teint, comme Jean-Louis Servan-Schreiber. Le Pen, s’il attaque en justice ses contempteurs (avec des succès très inégaux), ne se fait pas un devoir de marcher sur des œufs et de se contenir pour éviter le scandale. Au contraire, il se plaît à provoquer et multiplie les “dérapages” verbaux volontaires. Outre l’affaire du « point de détail », évoquée plus haut, nous citerons l’expression « Durafour-crématoire », appliquée à un ministre, Michel Durafour, lors de l’université d’été du FN, au Cap d’Agde, le 2 septembre 1988[20], diverses déclarations désobligeantes sur les malades du sida (en 1987), des propos relatifs à l’Occupation allemande (dite « pas particulièrement inhumaine », nonobstant quelques “bavures”, en 2005), et des paroles salaces proférées à l’encontre d’Alain Juppé ou de certains de ses adversaires « à l’entrejambe mal lavé ».

Plus préjudiciables pour lui et le FN sont les révélations de ses relations avec les partis politiques (de droite surtout) qu’il vilipende en permanence, ainsi que certaines audaces sur le plan financier. En 1988, le FN lance une association de financement, COTELEC, conçue pour « promouvoir l’action et l’image de Jean-Marie Le Pen ». Cette structure accorde des prêts au FN et à ses candidats et lui reverse une partie de ses revenus. Ces pratiques et le mode de fonctionnement de cette association seront critiqués, notamment par la Cour des Comptes, en 2013 et 2014.

La volonté de Le Pen de modeler le FN suivant sa personnalité

Mais ce sont les scissions qui menacent surtout Le Pen. Jusqu’à l’extrême fin du XXe siècle, il est parvenu à les éviter, ou du moins à en sortir grand vainqueur. En 1973, il a évincé sans trop d’inconvénients Ordre nouveau, puis, entre 1974 et 1979, est sorti victorieux de la concurrence que prétendait lui faire le Parti des Forces nouvelles. Par la suite, il a su se débarrasser de la prédominance encombrante des nationalistes-révolutionnaires, qu’il avait d’abord utilisés. Enfin, il a relégué dans les limbes les solidaristes, rivaux des nationalistes-révolutionnaires. Il s’est efforcé de faire du FN un parti monolithique, indépendant des multiples chapelles de la droite nationaliste qu’il fédérait autant qu’il pouvait. Le FN, tel qu’il le concevait, devait être un parti sans références idéologiques définies, sans doctrine précise, mêlant toutes les sensibilités du nationalisme français, et apte à capter les revendications des déçus des autres formations politiques, celle de la gauche tout spécialement. Jean-Marie Le Pen est d’un caractère terrien. Il est beaucoup plus réceptif aux instincts profonds et aux réactions épidermiques du peuple, qu’il s’agisse du petit peuple ou du peuple au sens ethnique du terme, qu’aux idéologies. Intelligent, instruit, cultivé, même s’il n’est pas un intellectuel, il ne fait pas grand cas des intellectuels reconnus, sauf s’ils partagent peu ou prou ses idées et s’il juge que leur caution peut être bénéfique à son parti et à sa propre carrière. Il apparaît comme un nationaliste plébéien, proche du Français moyen, dont il ne doute pas qu’il partage ses convictions et ses sentiments, dès lors qu’il est libéré de la propagande omniprésente du politiquement correct et du conformisme intellectuel et moral ambiant. Il revendiquerait volontiers un « nationalisme populaire », comme Jean-Claude Martinez (un intellectuel pourtant), un de ses proches collaborateurs. Durant la campagne présidentielle de 1974, il s’était réclamé de ce qu’il appelait la « droite populaire ». S’il est sensible aux avantages, en termes d’image et de compétence, que son parti tire de la présence, parmi ses cadres, de produits des grandes écoles, il se méfie tout de même de ceux-ci, redoutant leur propension à faire de la direction du FN un groupe de notables, comme c’est le cas dans les formations politiques de la droite républicaine… et de la gauche. Il se défie de la possible influence bourgeoise des hommes issus du Club de l’Horloge, appelé « Club de la pendule », en manière de dérision, par son ami Jean-Claude Martinez.

Mais ce populisme a ses limites. S’il ne veut pas voir son parti colonisé par les fils et filles de grands bourgeois, les énarques et les polytechniciens, Le Pen n’entend pas, loin de là, en faire un rassemblement de prolos et de péquenots franchouillards, incultes, prompts à hurler leurs revendications de miséreux ou leur haine d’une société qui a fait d’eux sa lie. Utiliser et instrumentaliser les humbles, oui, les mettre au premier rang et leur confier les rênes de son parti, non. Le Pen conserve un mauvais souvenir, empreint de dédain, des petits commerçants et artisans qui constituaient autrefois le mouvement Poujade, et qui vouaient ce dernier à l’impuissance tapageuse. Le président du FN croit, sauf remarquables exceptions individuelles, en l’incapacité des hommes et des femmes du commun à devenir des responsables politiques crédibles. Il leur préfère des gens instruits, plus aptes, selon lui, à exercer des fonctions de direction et à évoluer dans les arcanes du milieu politique. Cependant, du temps s’écoulera avant que de tels hommes occupent des postes importants au FN. Au début, et pendant longtemps, celui-ci est animé par de vieux routiers de l’extrême droite française et d’anciens combattants (dont Le Pen lui-même), et ce n’est qu’à partir du milieu des années 1980, qu’y apparaîtront des Bruno Gollnisch et autres Jean-Claude Martinez, et des énarques comme Bruno Mégret et Jean-Yves Le Gallou.

Jean-Marie Le Pen souffre intérieurement de ne pas être admis dans la cour des grands, d’être tenu à l’écart par les caciques des grands « partis de gouvernement », même si, par ailleurs, cela fait aussi sa force. Il souffre également de voir que le FN est toujours présenté à l’opinion publique, par ses adversaires et l’intelligentsia, comme un ramassis de fachos et de pétainistes fondé par d’anciens Waffen SS. Il souffre de son image de soudard vétéran des guerres coloniales et de tortionnaire en Algérie. Il souffre enfin de ne pas être admis dans le monde. Aussi recherche-t-il l’amitié d’hommes d’affaires. Certains la lui accordent, comme Jean-Pierre Aubert ou Bernard d’Ormale. Mais ses approches de grands patrons resteront infructueuses.

La scission de 1998 : lourde de périls mais finalement conjurée

Les succès du FN vont être une source de difficultés pour son chef. Et ils vont provoquer une scission lourde de périls. Devenu un parti électoralement important, le FN séduit des nationalistes qui rêvent d’une droite nationale crédible, très différente des traditionnels groupes fascisants et impuissants, et dirigée par des hommes compétents décidés à conquérir légalement le pouvoir et prêts à l’exercer en appliquant une politique réaliste. Ces hommes sont des hauts fonctionnaires, énarques (Yvan Blot, Jean-Yves Le Gallou) ou polytechniciens (Bruno Mégret, Henry de Lesquen), membres du Club de l’Horloge, et qui s’accordent sur une politique nationaliste mais respectueuse des institutions démocratiques et économiquement libérale, hostile au socialisme (marxiste comme social-démocrate), atlantiste, européenne mais refusant une Europe fédérale, traditionaliste, conservatrice en matière de mœurs, et soucieuse de mettre un terme à la domination intellectuelle et morale de la gauche et du gauchisme, notamment par une vigoureuse réforme de l’enseignement à tous les niveaux. Au cours des années 1980, ils adhèrent au FN et y accèdent vite à des postes importants.

Bruno Mégret, adhérent à partir de 1987, dirige la campagne présidentielle de Le Pen l’année suivante, puis est nommé délégué général du parti, chargé de la formation, de la communication, des études et des manifestations des militants. Entouré d’hommes issus comme lui de la haute fonction publique, comme Jean-Yves Le Gallou, il exerce vite une influence considérable au FN, où il apparaît à une partie des cadres et des militants comme plus crédible et compétent que Le Pen. À la fin des années 1990, près de 50 % des militants seront plus mégrétistes que lepénistes. Mégret entraîne même à sa suite Marie-Caroline, la fille aînée de Le Pen et de vieux militants comme Daniel Simonpieri, Franck Timmermans et Philippe Olivier. Moins social et économiquement plus libéral que Le Pen, il s’oppose également à lui sur le plan de la stratégie à adopter pour conquérir le pouvoir, persuadé que cette ambition est réalisable à condition de nouer une alliance avec la droite républicaine, ce que refuse le chef du parti, à la fois pour ne pas se couper de son électorat populaire, et parce qu’il ne veut pas s’aligner sur celui en lequel il voit désormais un rival.

La tension entre les deux hommes monte encore lorsque, le 24 août 1998, Mégret critique la décision de Le Pen de confier la tête de la liste FN aux européennes de 1999 à sa seconde épouse. Le 9 décembre 1998, Le Pen démet Mégret, Le Gallou, Philippe Olivier et Timmermans de leurs fonctions, puis les exclut du FN le 23 décembre. Nécessaire du point de vue de Le Pen (son rival ralliait toujours plus de partisans au sein du parti), cette décision met en péril l’unité, voire l’existence même du FN. Mégret entraîne à sa suite 140 des 275 conseillers régionaux, et 62 secrétaires départementaux, soit, en tout, 60 % des cadres du parti. Tous fonderont le Mouvement national le 23 janvier 1999 à Marignane, qui deviendra en octobre de la même année le MNR, Mouvement national républicain. Le FN connaîtra pendant quelque temps des déboires consécutifs à cette scission. Aux européennes de juin 1999, sa liste n’obtiendra que 5,7% des voix[21].

Cependant, les inconvénients de la scission mégrétiste seront vite résorbés. Faute de charisme et d’emprise suffisante sur l’électorat populaire, Mégret verra son parti s’amenuiser jusqu’à devenir insignifiant, puis disparaître (il est dissous officiellement à l’été 2022). Les électeurs lui préféreront le FN, et les militants l’abandonneront peu à peu, beaucoup d’entre eux regagnant le bercail lepéniste, les autres créant des structures nouvelles, comme la Droite populaire, qui ne décolleront pas.

Le FN connaîtra d’autres scissions, le plus souvent dues aux pratiques jugées autocratiques ou empreintes de népotisme de Le Pen au sein du parti. Ainsi, le 23 février 2009, Carl Lang, ancien dirigeant du Front national de la Jeunesse (FNJ), ancien secrétaire général du parti, député européen et conseiller régional du Nord, fonde un Parti de la France, qui ne se développera pas, malgré l’adhésion de notables du FN, tels que Martial Bild, Bernard Antony et Martine Lehideux. En juin 2010, Jacques Bompard, maire d’Orange de 1995 à 2021[22], fonde une Ligue du Sud, très présente dans la région PACA, mais pas dans le reste du pays. Le Pen surmonte ses scissions, et son parti reste la seule grande formation de la droite nationale.

Le séisme de la présidentielle de 2002

Et l’élection présidentielle de 2002 va donner avec éclat la mesure de son poids politique et de celui de son parti. Au soir du premier tour de ce scrutin, le 21 avril 2002, Le Pen est, à la surprise générale, qualifié pour le second tour, avec, 16,86 % des suffrages exprimés, derrière Chirac (19,88 %) et devant Jospin, Premier ministre socialiste (16,18 %). C’est un véritable séisme, en France comme à l’étranger. Il n’accroîtra guère son score au second tour, n’obtenant que 17,79 % des voix, mais c’est le formidable impact du premier tour qui aura le plus grand retentissement. Il ne réitérera pas son exploit lors de la présidentielle de 2007, qui le verra tout de même en quatrième position au premier tour, avec 10,44% des voix.

Le Pen sera encore député européen (2004-2019) et conseiller régional en PACA (2010-2015). Devenu octogénaire, il se sent gratifié d’avoir fait de la droite nationaliste une force politique majeure et d’avoir triomphé de toutes les campagnes menées contre lui par ses nombreux adversaires, ainsi que d’avoir surmonté les scissions nées des ruptures de certains de ses lieutenants, tout particulièrement celle de Bruno Mégret.

Mais il comprend que son âge avancé l’oblige à préparer sa succession. Le 9 avril 2010, il annonce qu’il ne sollicitera pas le renouvellement de sa fonction de président du FN lors du prochain congrès du parti. Le congrès élira un nouveau chef. Mais Le Pen ne veut pas que ce parti, dont il se considère comme le véritable fondateur, et dont il a fait la fortune politique, tombe entre les mains de quelqu’un susceptible de lui imprimer une autre orientation que la sienne. Cette conscience d’avoir fait du FN une force politique considérable l’incite à le tenir pour son bien personnel, et à souhaiter qu’après son retrait, il revienne à un successeur issu de sa chair. Il jette donc son dévolu sur une de ses filles, Marine, la benjamine.

Cela ne va pas sans provoquer un profond malaise au sein du parti. Le successeur naturel de Le Pen semble, aux yeux de nombreux militants, voire de la grande majorité d’entre eux, devoir être Bruno Gollnisch, secrétaire général, d’une loyauté irréprochable envers son chef, et bien meilleur et fidèle représentants des idées de ce dernier et de la masse des adhérents que Marine Le Pen, soucieuse déjà de faire du FN une formation politique républicaine comme les autres. Le Pen sait parfaitement que Gollnisch est sur le fond comme sur la forme bien plus proche de lui et des militants que sa fille. Il y a chez lui, en l’occurrence, conflit entre le souci du maintien de sa ligne politique et celui de privilégier sa descendance familiale. Il va toutefois opter en faveur de sa fille, qu’il favorise de toutes les manières lors d’une campagne de succession qui ressemble dans les faits à une campagne de donation, tout étant mis en œuvre pour que Gollnisch perde, y compris les moyens les plus détestables. Le père et la fille sauront si bien manœuvrer au sein du parti — avec de plus le soutien actif des grands media qui invitent Marine Le Pen abondamment en première partie de soirée et jamais Bruno Gollnisch et en favorisant l’adhésion de nouveaux adhérents par Internet à 20 euros après chaque grande intervention télévisée de Marine Le Pen, ce qui bouleverse la donne et modifie fortement le corps électoral —, qu’à l’issue du congrès de Tours des 15 et 16 janvier 2011, la seconde sera élue présidente du FN par 67,65% des voix, alors qu’au départ, Gollnisch semblait devoir l’emporter et avait la faveur d’une majorité de militants à jour de cotisation.

Le Pen aura maintes fois l’occasion de regretter ce choix dicté par son inclination au népotisme, auquel il a sacrifié la fidélité à ses idées, qu’il avait pourtant défendues bec et ongles contre bien d’autres adversaires. Mais il ne l’a jamais regretté publiquement hélas. En 2015, il est suspendu, puis exclu du parti par sa fille pour avoir réitéré son expression de “détail” à propos des chambres à gaz le 2 avril 2015 lors d’une interview chez Jean-Jacques Bourdin et pour avoir accordé, une semaine plus tard, un grand entretien à Rivarol dans lequel il prenait notamment la défense du Maréchal Pétain. Le tribunal de Nanterre, qu’il a saisi, validera cette exclusion, tout en le maintenant dans sa fonction de président d’honneur. Cette dernière sera abolie par le congrès du parti de mars 2018, qui adopte les nouveaux statuts du parti, lequel devient Rassemblement national. Cependant, il ne peut se résoudre à un conflit irréversible avec sa fille, et il la soutient publiquement lors de la présidentielle de 2017 et à toutes les élections suivantes. Avec les Comités Jeanne[23], créés en 2016, il conclut des alliances électorales avec diverses formations telles que le Parti de la France, la Ligue du Sud, le SIEL et Civitas.[24]

Après avoir passé un mois à l’hôpital dans deux établissements différents pour des problèmes pulmonaires et une grande fatigue générale, il est transféré, début décembre 2024, dans un EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) à Garches dans les Hauts-de-Seine. Il y décède le 7 janvier 2025.

Mandats électifs

De 1956 à 1962 : député de la Seine (Groupe d'union et de fraternité française), siégeant sous l'étiquette du Centre national des indépendants. 1983 : conseiller du XXe arrondissement de Paris, En juin 1984, élu député européen, De mars 1986 à juin 1988 : député de Paris lors des élections législatives (scrutin de liste proportionnel à un tour), En mars 1992: élu conseiller régional de PACA, En juin 1994 réélu député européen, En mars 1998 : réélu conseiller régional de PACA, En juin 1999, réélu député européen, En juin 2004, il fut réélu au Parlement Européen.

Vie privée

Jean-Marie Le Pen a été marié deux fois, avec :

  • Pierrette Lalanne.
  • Jeanne-Marie Paschos, plus connue sous le nom de Jany Le Pen [1].


Publications

  • Le courant anarchiste en France depuis 1945, DES Sc.pol., université de Paris, 1971.
  • Les Français d'abord, Carrère-Lafon, 1984, 245 p.
  • La France est de retour, Carrère-Lafon, 1985, 301 p.
  • avec Jean-Pierre Gabriel et Pascal Gannat, L'Espoir, Albatros, 1989, 155 p.
  • Europe : discours et interventions, éd. Jean-Marc Brissaud, Paris, Groupe des droites européennes, 1989, 159 p.
  • Le Pen 90 : analyses et propositions, éd. Présent, 1991, 168 p.
  • Le Pen 91 : analyses et propositions, éd. Présent, 1992.
  • Le Contrat pour la France avec les Français, Paris, Presses bretonnes, 1995, 63 p.
  • J'ai vu juste : avertissements et analyses au service des Français, Éditions nationales, 1998, 140 p.
  • Lettres françaises ouvertes : Marie-France Garaud, Philippe de Villiers, Charles Pasqua…, Objectif France puis Godefroy de Bouillon, 1999, 165 p.

Mémoires

  • Mémoires : fils de la nation, t. I, éditions Muller, 2018, 450 p. — Prix 2019 des Lecteurs et Amis de Présent.
  • Mémoires : tribun du peuple, t. II, éditions Muller, 2019, 576 p.

Préfaces

  • Pierre Gérard, Droite et démocratie économique - doctrine économique et sociale du Front National, Editions Le National, 1978.
  • Pour la France. Programme du Front national, Albatros, 1986.

Bibliographie

  • Thierry Baudet, Indispensables frontières. Pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent la démocratie, préface de Pascal Bruckner, Éditions du Toucan, Paris, 2015. (Traduction de : De Aanval op de Natiestaat)
  • Francis Bergeron et Philippe Vilgier, De Le Pen à Le Pen : une histoire des nationaux et des nationalistes sous la Ve République, préf. François Brigneau, Éditions Dominique Martin Morin, 1986.
  • Yvan Blot, Mitterrand, Le Pen : Le Piège, Monaco/Paris, Éditions du Rocher, 2007, 285 p.
  • François Brigneau, La Haine anti-Le Pen, Publications F.B., coll. « Mes derniers cahiers », 1992, 80 p.
  • Yves Daoudal, La Face cachée de Le Pen, Éditions Godefroy de Bouillon, 2002, 124 p.
  • Olivier Guland, Le Pen, Mégret et les Juifs - L'obsession du « complot mondialiste », La Découverte, 2000.
  • Franz Schönhuber, Le Pen, l'indomptable : Un combat pour l'Europe des patries [trad. de Le Pen, der Rebell: Front National, Modell für Deutschland], Ploufragan, Les Presses bretonnes, 1998, 191 p.
  • Anaïs Voy-Gillis, L’Union européenne à l’épreuve des nationalismes, coll. Lignes de repères, Éditions du Rocher, Monaco, 2020.

Liens externes

  • Le Menhir - Jean-Marie Le Pen, juste un homme, site consacré à la vie de Jean-Marie Le Pen : [2].

Notes et références

  1. Le mot pen signifie en breton : « tête, chef ».
  2. Feu le cinéaste Claude Chabrol (1930-2010) reconnaîtra, plus tard, avoir été « copain comme cochon » avec lui et avoir été fasciné par « son côté fout la merde magnifique ».
  3. Laquelle en fait tout de même son président d’honneur
  4. Rappelons que la Ligue d’Action française fut dissoute en 1936, et que le journal du même nom fut interdit en 1944. La Restauration nationale, résurgence de la Ligue d’Action française, ne vit le jour qu’en 1955.
  5. Souvent ivre, il se signale par des esclandres sur la voie publique, qui lui valent d’être embarqué par la police. Un soir de 1951, soûl, il se prétend neveu de Maurice Petsche, homme politique en vue, et ministre des Finances et des Affaires économiques.
  6. Dirigées par les communistes.
  7. Commandé par Hélie de Saint-Marc.
  8. Il se lie alors d’amitié avec Alain Delon, engagé lui aussi en Indochine, à ce moment.
  9. Demarquet appartient à une famille bourgeoise des Basses-Alpes (Alpes de Haute-Provence) et est le petit-neveu d’André Honnorat, sénateur, puis ministre sous la IIIe République.
  10. Il clamera à Pierre Poujade, alors à ses côtés, durant un de ses meetings : « Pierre, je te présente mon peuple ! », désignant ainsi la foule de ses auditeurs enthousiastes.
  11. Contrairement à une croyance répandue, il n’est pas le benjamin de l’Assemblée nationale, le député communiste André Chène, né le 25 décembre 1928 à Montargis, étant son cadet de six mois et cinq jours.
  12. De personnages aussi différents que Mussolini, Hitler, Lénine, Trotsky, Blum, Pétain, Laval et diverses personnalités ecclésiastiques.
  13. A Paris, rue de Grenelle, dans la salle des Horticulteurs.
  14. Pour le second tour de cette présidentielle, Le Pen appelle ses électeurs à reporter leur suffrages sur Giscard d’Estaing, aux côtés duquel il a siégé à l’Assemblée nationale, de novembre 1958 à novembre 1962, parmi les députés du CNIP (Indépendants et Paysans).
  15. Paul-André Delorme, « Jean-Marie Le Pen, colosse incontournable de la droite nationale française I. La longue marche », Rivarol, no 3639, 4.12.2024.
  16. Plus exactement une seule élue : Yann Piat, filleule de Le Pen, qui sera exclue du parti quelques mois plus tard.
  17. Toutefois, il se verra privé de son mandat de conseiller régional à la suite d’une condamnation (24 février 2000) à un an d’inéligibilité.
  18. La raison de ce violent et brutal retournement de Demarquet contre Le Pen s’expliquerait par le refus de ce dernier de l’inscrire comme candidat FN aux européennes de 1984 ou aux législatives de 1986, refus sanctionnant celui de Demarquet d’affirmer qu’en 1976, le riche Hubert Lambert, malade éthylique au dernier degré, dont il était le médecin traitant, était lucide au moment où il avait rédigé le testament désignant le chef du FN comme son héritier. De fait, Demarquet n’aurait pas pu accéder à la demande de Le Pen sans se perdre de réputation dans le milieu médical, où tout le monde sait qu’un éthylique profond ne jouit plus de toute sa lucidité.
  19. De son premier mariage avec Pierrette Lalanne dont il divorça en 1985, il a eu trois filles (Marie-Caroline, Yann, Marine) qui lui ont donné neuf petits-enfants. Jean-Marie Le Pen se remaria le 31 mai 1991 avec Jeanne-Marie Paschos dite Jany, née en 1933, fille d'un marchand de tableaux grec et d'une mère d'origine néerlandaise.
  20. Bien que Michel Durafour n’ait pas porté plainte, le propos de Le Pen entraînera la levée de son immunité de député européen, le 11 décembre 1989. Au cours de ce même discours, Le Pen avait appelé le ministre « M.Durafour et Dumoulin », et l’avait traité d’“imbécile” et de “salaud”.
  21. Condamné à un an d’inéligibilité par la cour d’appel de Versailles, et ses pourvois devant le Conseil d’Etat et les juridictions communautaires ayant échoué, Le Pen perdra son siège de député européen en 2003. Il le retrouvera à la faveur des européennes de 2004
  22. Son fils, Yann Bompard, lui a succédé à cette date, Jacques Bompard étant inéligible à la suite d’une condamnation définitive dans une affaire politico-financière.
  23. Appelés ainsi en mémoire de Jeanne d’Arc. Le Pen n’a pas admis que sa fille supprime le traditionnel hommage à la Pucelle, chaque 1er mai.
  24. Paul-André Delorme, « Jean-Marie Le Pen, colosse incontournable de la droite nationale française II. Les grandes étapes d’une carrière fulgurante », Rivarol, no 3640, 11.12.2024.