Jean-Louis Tixier-Vignancour

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Jean-Louis Tixier-Vignancour

Jean-Louis Tixier-Vignancour (né le 12 octobre 1907 à Paris, décédé le 29 septembre 1989 à Paris) a été un avocat et homme politique français, figure emblématique de la droite nationale des années 1960.

Biographie

Une double ascendance et une famille respectable

Jean-Louis Tixier-Vignancour a une double ascendance géographique, parisienne et béarnaise. Il voit le jour à Paris, dans le 7e arrondissement. Son père, Louis Tixier (1877-1976), parisien de naissance, est un médecin qui s’illustrera dans le domaine de la pédiatrie. Sa mère, née Andrée Vignancour, est la fille d’un homme politique, Louis Vignancour (1841-1900), natif d’Orthez, député républicain des Basses-Pyrénées (appelées plus tard Pyrénées-Atlantiques), qui compta parmi les 363 qui refusèrent la confiance au gouvernement monarchiste d’Albert de Broglie, formé à la suite du coup de force de Mac Mahon, du 16 mai 1877. Jean-Louis Tixier-Vignancour aura deux frères puînés. Raymond, né en 1912, grand sportif, footballeur doué, se destinera à une carrière d’aviateur, d’abord dans le civil, au sein de la compagnie Air France, puis dans l’armée de l’Air. Intégré à l’escadrille des « Diables rouges », il se distinguera par son audace. Mais sa carrière sera brève et se terminera tragiquement : au cours de ce que d’aucuns ont appelé la « drôle de guerre » contre l’Allemagne, il sera abattu par un appareil ennemi au-dessus de Pa- doux, dans les Vosges, le 10 mai 1940. Gilbert, le dernier né de la fratrie, né en 1926, deviendra professeur de droit public.

Jean-Louis effectue ses études au lycée Louis-le-Grand, puis à la faculté de droit de Paris. Dès l’adolescence, il fait siennes les convictions nationalistes de son père. Le Dr Tixier, en effet, est un adepte du « nationalisme intégral » de Charles Maurras, dont il est un fervent lecteur, et il adhère à la Ligue d’Action française en 1926. Deux ans plus tard, en 1928, il se présentera comme candidat aux législatives à Paris, dans le 7e arrondissement, sous une étiquette d’« Union nationale », mais sera battu. Jean-Louis, pour sa part, milite activement parmi les Camelots du Roy, et fait le coup de poing contre les “rouges”, tant au quartier Latin qu’ailleurs. Dès sa prime jeunesse, la mouvance nationaliste, toutes tendances confondues, est son milieu naturel. Il y restera ancré, et apparaîtra toujours comme un homme d’« extrême droite », même lorsque, beaucoup plus tard, il tentera de se concilier les bonnes grâces de la droite modérée. Et il ne subira jamais, à aucun degré, une quelconque attirance pour la gauche. Cela dit, il se signalera par une certaine mobilité. Des Camelots du Roy, il passe aux Volontaires nationaux, l’aile la plus militante des Croix-de-Feu du lieutenant-colonel François de La Rocque, ce qui représente tout de même un changement notable. Car, à la différence de l’Action française, monarchiste et indéfectiblement anti-républicaine, la ligue des Croix-de-Feu, elle, se présente comme républicaine, de tendance plébiscitaire, et n’exclut pas le système démocratique, voire l’existence du Parlement, pourvu que le pouvoir exécutif soit fort et animé du sou- ci de la grandeur et de la prospérité de la nation.

Et on sait quelle féroce animosité opposera l’Ac- tion française et les Croix-de-Feu. Mais Jean-Louis Tixier, quant à lui, relativise ce conflit, pourtant dénué de ménagements, entre ces deux mouvements de la droite nationale. La cause nationaliste a, à ses yeux, la priorité absolue sur les groupes prétendant l’incarner, et, durant les années 1930, il pense que les Croix-de-Feu de François de La Rocque, jeunes, dynamiques et dirigées par un chef séduisant et plein d’allant, la défendent mieux, et avec plus de chances de succès que l’Action française dirigée par un Maurras vieillissant et dogmatique, incapable, selon lui, d’adapter ses convictions aux mutations définitives du monde nées de la Grande Guerre. Figée dans la doctrine maurrassienne, élaborée au tournant des XIXe et XXe siècles, refusant totalement la République et le système électoral, l’Action française, pense Tixier, n’a aucune chance d’accéder jamais au pouvoir, et constitue donc pour lui une opposition stérile au régime de la IIIe République, à la différence des Croix-de-Feu, qui acceptent le jeu démocratique tout en ne reniant rien, au contraire, de leur projet nationaliste. En ces années, il croit possible l’accès de la droite nationale au pouvoir grâce aux Croix-de Feu, en pleine ascension. Au pouvoir, de La Rocque transformera le régime en une République autoritaire en laquelle le parlement verra ses capacités d’initiative limitées, réduites à la discussion et au vote des lois. Le chef de l’exécutif deviendra le centre de la vie politique et l’incarnation du pays. C’est un premier pas vers un véritable régime nationaliste qui rompra en douceur avec celui de la République assise sur le legs politique et moral de la Révolution, et surtout avec le parlementarisme nocif prévalant depuis le dernier quart du XIXe siècle et qui engendre l’impuissance de l’exécutif, la déliquescence et l’avachissement de notre pays. Au début des années 1930, Tixier semble avoir perdu de vue l’idéal d’une restauration monarchique, à laquelle il demeure pourtant moralement et sentimentalement attaché, percevant toujours la Révolution comme une fêlure fatale et définitive et un dommage à peu près irréparable dans notre histoire nationale.

Il retire du caractère incontournable de l’héritage révolutionnaire un certain jacobinisme de raison qu’il ne situe cependant pas dans la continuité de l’œuvre d’unification du pays et d’édification d’un pouvoir fort de nos rois d’Ancien Régime et de leurs grands ministres. Et, outre sa préférence pour la monarchie, il retient de Maurras l’idée d’une décentralisation indispensable de l’autorité au niveau des provinces dans les domaines non régaliens, et de l’édification d’un système corporatif autonome vis-à-vis de l’État en matière économique et sociale. Désormais plus proche des Croix-de-Feu que de l’Action française, avec laquelle il conserve néanmoins des attaches intellectuelles, morales et affectives, il se situe également sur un plan analogue à celui des notables du Parti populaire national allemand (Deutsch national Volkspartei, DNVP). Ce parti, fondé en 1918 sur le principe du rejet de la révolution allemande de novembre 1918, le refus de la République démocratique de Weimar et la volonté de restaurer la dynastie impériale balayée par la défaite, avait évolué graduellement en faveur d’un régime fort dirigé par un président du Reich doté de pouvoirs très étendus. Tixier apparaît déjà à cette époque pour ce qu’il deviendra tout à fait plus tard, c’est-à-dire un nationaliste ardent mais réaliste, comprenant la nécessité de s’accommoder de l’existant (certes regrettable), lui-même fruit du très lourd héritage d’une révolution intrinsèquement néfaste mais aux conséquences incontournables.

L'adversaire résolu de la gauche et du Front populaire

Il se tiendra à cette ligne d’austère lucidité et de pragmatisme raisonnable et raisonné, mais il connaîtra, comme beaucoup d’autres, la tentation du fascisme. Le fascisme mussolinien l’avait séduit, au milieu des années 1920, mais il le jugeait étranger à l’histoire et à l’âme de notre nation, et donc intransposable sous nos cieux. Encore une fois, les Croix-de-Feu lui semblaient s’inscrire bien davantage dans notre culture politique. Mais il devait évoluer sous l’effet de la radicalisation de la vie politique française à partir de 1934. En janvier 1934, le scandale de l’affaire Stavisky éclate, révélant la corruption des milieux d’affaires et de la classe politique, mutuellement acoquinés. L’effervescence qu’elle provoque aboutit à la soirée d’émeute du 6 février, durant laquelle les anciens combattants et une partie de la droite nationale manifestent et menacent d’invasion le Palais-Bourbon. La classe politique essaie alors de reprendre la contrôle de la situation et de calmer l’opinion publique, écœurée jusqu’à la révolte, en s’unissant autour d’un ministère d’union nationale dirigé par Gaston Doumergue, qui démissionnera le 9 novembre sans avoir pu opérer le renforcement du pouvoir exécutif qu’il se proposait de réaliser. En juillet 1935, la gauche réagit à la montée du nationalisme en s’unissant en un Front populaire qui sortira vainqueur des législatives.

Ces événements mettent Tixier en transes. Jusqu’alors, il était un simple militant de base, d’abord camelot du Roy, puis parmi les Volontaires nationaux, branche militante des Croix-de-Feu. La montée en puissance du Front populaire, à partir de 1935, l’incite à souhaiter une union de toute la droite pour contrer le péril rouge. Il décide alors de se jeter à l’eau et de faire acte de candidature aux législatives des 26 avril et 3 mai 1936. Ayant peu de chances d’être soutenu par la droite républicaine à Paris, où les notables ne seraient pas disposés à laisser un siège de député à un jeunot qui n’appartient à aucune des formations des “Modérés”, il se présente dans l’arrondissement d’Orthez (Basses-Pyrénées), dont son grand-père Louis Vignancour avait été député puis sénateur, et appartenait à une famille très respectée. Il n’a aucun mal à se présenter comme candidat de la droite unie, en cet arrondissement rural et il est élu ainsi, à 29 ans, devenant l’un des plus jeunes députés de la dernière législature de la IIIe République. Ce siège de député, Tixier l’aura conquis de haute lutte. Élu le 3 mai 1936, il voit son élection annulée le 17 juillet en raison d’une fumeuse et bien incertaine accusation d’irrégularité. Et il ne retrouvera son siège que le 27 septembre, à l’issue d’une législative partielle.

Il se montre résolu à combattre avec énergie le gouvernement de Front populaire, dirigé par Léon Blum. Il comprend vite que la droite modérée n’est pas à la hauteur d’un tel combat. Il ne se reconnaît d’ailleurs pas en ses représentants. Paul Reynaud, la figure la plus marquante de l’Alliance démocratique, est un parangon de la droite libérale républicaine issue de l’évolution conservatrice des anciens “opportunistes” gambettistes, ferrystes et waldeckistes de la fin du XIXe siècle et des premières années du XXe, confite, depuis 1918, dans le culte de Clemenceau, et qui prétend souhaiter un exécutif fort sans toucher en rien au système parlementaire. Louis Marin, président de la Fédération républicaine, illustre un nationalisme barrésien désormais stérile et ne propose aucune réforme sérieuse des institutions. Tixier, pour sa part, ne s’apparente à aucun des groupes qui composent alors cet ensemble que l’on appelle alors les “Modérés”, et siège à la Chambre comme non-inscrit.

La tentation doriotiste

De La Rocque a fini par le décevoir par son légalisme pusillanime. D’autre part, les Croix-de-Feu sont dissoutes par un décret du 18 juin 1936[1]. Certes, elles renaîtront peu de temps après sous la forme du Parti Social Français (PSF), mais la formation de de La Rocque aura prouvé sa vulnérabilité face à un pouvoir décidé à se défendre, et le cœur n’y sera plus, chez beau- coup de sympathisants, dont Tixier lui-même. Ce dernier ne croit certes pas à l’efficacité d’une opposition inconditionnelle, de type fascisant, ni à un hypothétique coup de force, dont les ligues n’ont pas les moyens. Mais il ne croit pas davantage à l’opposition verbale, à coups de meetings, de discours et d’articles, du PSF.

Il pense trouver en Jacques Doriot l’homme fort, capable de porter la droite nationale au pouvoir. Jeune (il a 38 ans en 1936), intelligent, doué d’une grand sens politique, stratège consommé, taillé en force, orateur puissant, meneur d’hommes, cet ancien dirigeant du parti communiste, d’extraction plébéienne, a rompu avec ses camarades marxistes et vient de fonder, le 27 juin 1936, le Parti Populaire Français (PPF) qui, dès juillet 1936, moins d’un mois après sa naissance, compte 200 000 adhérents, chiffre qui augmente jusqu’à 250 000 dès août de la même année, et atteint 300 000 en 1937. Habilement, Doriot attire à lui les hommes de gauche déçus par la SFIO, le Parti communiste et le Front populaire, et une grande partie de la droite, toutes tendances confondues, qui se cherchent un homme providentiel, un chef assez puissant et doué pour combattre efficacement le gouvernement Blum.

Tixier partage cet état d’esprit, et il subit la séduction du « grand Jacques », qui lui semble apte à la conquête du pouvoir et à l’instauration d’un pouvoir capable de juguler la gauche, le Parti communiste en tout premier lieu, de rétablir l’ordre et de permettre à la nation de retrouver le chemin de la grandeur et de la prospérité. Il suit donc avec intérêt et sympathie la montée de Doriot, mais il n’adhère pas au PPF et ne se convertit pas au fascisme, même s’il lui trouve des vertus. Au moment de l’Anschluss puis de la crise des Sudètes et de la conférence de Munich, en 1938, il ne se range ni parmi les va-t’en-guerre à la Reynaud ou à la Mandel, ni parmi les partisans de la paix à tout prix comme Georges Bonnet. Il approuve les accords de Munich (30 septembre 1938) car il sait que la France et la Grande-Bretagne n’ont pas les moyens militaires de soutenir une guerre victorieuse contre l’Allemagne. Mais il ne nourrit guère d’illusions sur le maintien de la paix, et voit dans Munich un répit plutôt qu’une garantie pacifique durable.

Licencié en droit, Tixier devient, à 21 ans, avocat au barreau de Paris. Le 19 janvier 1938, il épousera Jeannine Auriol[2], fille d’un de ses confrères parisiens. À cette époque, et presque toute sa vie durant, il se nomme officiellement Tixier. C’est seulement à la suite d’un arrêt du Conseil d’État du 19 octobre 1987 qu’il deviendra, légalement, Tixier-Vignancour, accolant le nom d’origine de sa mère à celui de son père, lequel s’était contenté de son nom de Tixier, tout comme ses deux autres fils. Cela dit, dès son accession au barreau, il se fait appeler Tixier-Vignancour, tant oralement que dans les documents imprimés le concernant.

Rallié à Vichy. Secrétaire général adjoint à l'Information

Le 10 juillet 1940, après que l’armistice du 22 juin eut sanctionné la défaite de la France contre l’Allemagne, Tixier fait partie des 569 parlementaires réunis en congrès à Bordeaux, qui votent les pleins pouvoirs en faveur du maréchal Pétain, alors considéré comme l’ultime rempart de notre patrie face au Reich, dont les troupes l’occupent aux deux tiers, et qui place son gouvernement sous tutelle. Par ailleurs, le régime de l’État Français instauré par le Maréchal lui apparaît comme une « divine surprise », selon le mot fameux de Maurras. Avec son caractère autoritaire, anti-démocratique et anti-parlementaire, sa référence à des valeurs morales et politiques étrangères à celles des “Lumières” du XVIIIe siècle, de la Révolution française et de la IIIe République, le nouveau régime lui semble un retour aux racines spirituelles et historiques de la France, celles de l’Ancien Régime, une réconciliation avec l’ordre naturel des choses, la raison et le bon sens. Assise de nouveau sur ses véritables fondements moraux, la France assurera son sa- lut et retrouvera la voie de la grandeur.

En cet été de 1940, il n’est pas encore une personnalité en vue. Âgé de 33 ans, député non-inscrit d’un département rural, il ne semble pas destiné à un grand avenir. Mais le caractère flou de son positionnement politique va le servir. En fait, il fait partie de ces notables nationalistes sans obédience partisane, anti-républicains, mais ayant gardé des accointances avec la droite parlementaire. On trouve parmi eux des hommes de droite proches de l’Action française, comme Raphaël Alibert, des catho- liques anti-républicains, tels Xavier Vallat et Philippe Henriot, des chrétiens sociaux, comme Georges Lamirand, des notables de droite oscillant entre la droite républicaine et les ligues de l’entre-deux-guerres, comme Jean Ybarnegaray ou Marcel Peyrouton. Tous ces hommes, naguère hauts-fonctionnaires ou députés, intégreront le gouvernement de Vichy. Tixier est l’un des plus jeunes d’entre eux. Il n’est pas le plus connu, mais sa position d’avocat installé et celle de sa famille (fils d’un médecin pédiatre renommé et d’Action française, frère d’un héros de guerre récemment tué au combat, petit-fils d’un parlementaire des Basses-Pyrénées) et les relations qu’il a su nouer avec les notables de la droite depuis son élection en 1936, permettent son intégration au personnel politique de l’État Français. Aussi, il se voit nommé par Pétain secrétaire général adjoint[3] auprès du ministre de l’Information, lequel n’est autre que Pierre Laval lui-même, vice-président du Conseil, remplacé à ce poste précis par Paul Baudoin le 13 décembre.

À peine nommé, il manifeste un zèle censorial certain. Il interdit la projection, dans les salles de cinéma, des films La Grande Illusion (1935) de Jean Renoir et L’Équipage (1936) d’Anatole Litvak. Il reproche à ces deux films de présenter une image dévalorisante de l’armée française et devéhiculer une image caricaturale de l’Allemagne, qu’il s’agit alors de ménager. Ces interdictions peuvent surprendre, au regard du contenu de ces films, et en raison du fait qu’ils ont obtenu les suffrages du public et des critiques, et que le premier, salué comme un chef-d’œuvre, semble déjà appartenir à la légende. Tixier interdira d’autres films et censurera les émissions radiophoniques. S’il adhère à la Révolution nationale des débuts du nouveau régime, il demeure hostile à l’Allemagne. Aussi se montre-t-il perplexe lors de l’entrevue de Montoire-sur-le-Loir entre Pétain et Hitler et indisposé par la volonté de Laval d’initier une collaboration avec le Reich. Pétain renvoie brutalement Laval le 13 décembre 1940[4], mais, après un intermède Flandin, le remplace, à la tête du gouvernement[5], par l’amiral Darlan, alors partisan d’une collaboration ouverte et sans réserve avec l’Occupant, et, de surcroît à la tête d’un ministère de technocrates largement étrangers au projet politique de la Révolution nationale du début. Tixier-Vignancour estime alors n’avoir plus sa place à Vichy. Il ne fera donc pas partie du ministère Darlan, qui entre en fonction le 24 février 1941.

Tixier restera fidèle au maréchal Pétain et refusera toujours la France Libre du général de Gaulle et la Résistance, mais il ne se sentira pas en phase avec la politique de collaboration de Darlan, puis de Laval, revenu au pouvoir en avril 1942. À l’écart de Vichy, il suscite la méfiance des Allemands qu’il perçoit toujours comme des ennemis. À cet égard, il est resté un nationaliste français de la vieille école et un héritier de Maurras. Aussi, durant un long séjour en Tunisie, il est arrêté par les Allemands lorsque ces derniers occupent ce protectorat à la suite du débarquement anglo-saxon au Maroc et en Algérie. Il ne retrouvera la liberté qu’à la suite de la capitulation des troupes allemandes de Tunisie, en mai 1943.

À la Libération, il échappe à la Haute Cour (sans doute en raison de la modestie de son poste de secrétaire général adjoint) , mais se trouve néanmoins frappé de dix ans d’indignité et d’inéligibilité.

Un brillant maître du Barreau

Commence alors la période du plein épanouissement de sa double carrière d’avocat et d’homme politique. À partir de 1950, Tixier-Vignancour va acquérir une renommée d’avocat considérable du fait de sa finesse argumentaire, de son talent consommé de procédurier, de son habileté tactique, de l’autorité de sa voix, et de l’effet agréable produit par les références historiques et littéraires de ses plaidoiries. On parlera de sa « voix d’or et de bronze ». Mais l’autorité de Tixier-Vignancour tient surtout à ceci, qu’il est un avocat éminemment politique, défenseur d’une cause partisane précise, celle du nationalisme, et qu’il a déjà un passé d’homme public et de parlementaire. Par là, il s’apparente à Jacques Isorni, le principal avocat du maréchal Pétain en 1945.

Le 20 avril 1951, il obtient l’amnistie de Louis-Ferdinand Céline au titre de grand invalide de guerre en plaidant le dossier sous le nom réel de l’écrivain, Destouches, et en le présentant simplement comme médecin, les magistrats ignorant l’identité littéraire de son client, et l’influence de ses articles collaborationnistes sous l’Occupation. En 1956, il intervient dans le procès de « l’affaire des fuites ». En 1959, il défend Rivarol accusé d’offense au Chef de l’État.

Il n’a pas abandonné l’action politique, loin de là, et n’a rien renié de ses idées d’avant-guerre. En 1953, il co-fonde, avec divers militants, le Rassemblement national français, qui prendra sa forme définitive en 1954. Il en est le secrétaire général, place qu’il laissera assez vite à un des ses amis. Cette formation politique restera groupusculaire, faute d’animateurs capables. C’est Tixier lui-même qui en élabore le programme. Évitant délibérément les références doctrinales, causes de divisions, il s’efforce de rassembler les nationalistes les plus divers autour de revendications communes à toutes les chapelles de cette mouvance. Son but, en ces années où l’extrême droite est discréditée, maudite, exclue, voire persécutée, et ne dispose plus de ligues, de partis, de chefs dignes de ce nom et de journaux de quelque audience, est de recréer une formation nationaliste assez forte pour exercer une influence appréciable sur le débat et la scène politiques. Ce sera son souci permanent. Aussi, les mesures qu’il propose sont très générales, facilement acceptables pour les nationalistes d’obédiences les plus diverses. Il réclame ainsi, dans le manifeste du Rassemblement national français du 31 mars 1954, comme avant-guerre, un exécutif doté de très larges pouvoirs, la limitation sévère des pouvoirs du Parlement, réduit à la discussion et au vote des lois, la défense de l’empire colonial français et l’édification d’une union ouest-européenne respectueuse des souverainetés des divers pays appelés à la composer.

Tixier-Vignancour jouit alors d’une aura considérable dans les milieux nationalistes, tant en raison de sa renommée d’avocat et de sa fortune personnelle que du fait de son passé politique. Néanmoins, il éprouve des difficultés à se poser en rassembleur de la droite nationaliste. Les maurrassiens tentent de reconstituer l’Action française, frappée d’interdiction depuis 1945. Ils lancent l’hebdomadaire Aspects de la France en 1947, puis leur propre organisation, La Restauration nationale, en 1955. S’ils sont loin de retrouver l’importance de l’Action française, ils acquièrent une certaine audience, notamment dans les milieux étudiants et intellectuels. D’autres meneurs, plus jeunes, émergent, qui tentent de s’affirmer, tels Pierre Sidos, qui lance le périodique et le mouvement Jeune Nation, ou Charles Luca, qui crée Les Compagnons de Saint-Ex, puis la Phalange française en 1955. Et ils ne sont pas les seuls. Par ailleurs, se forment des noyaux nationalistes d’une certaine audience autour de l'hebdomadaire Rivarol, lancé en 1951, et de l’Association pour la Défense de la Mémoire du Maréchal Pétain, fondée la même année. Tous ces groupes, très divers, et quelquefois mutuellement opposés, affirment une opposition sans fard à la démocratie républicaine, et se prononcent ouvertement en faveur d’un régime autoritaire issu d’un coup d’État plutôt que des urnes. Cela les distingue nettement de Tixier-Vignancour qui, au contraire, aspire, malgré son aversion pour la démocratie, à la constitution d’une grande formation nationaliste aussi consensuelle que possible, acceptant le principe du suffrage, et visant, par divers succès électoraux, à acquérir une force susceptible de lui permettre d’infléchir l’orientation politique du pays dans le sens de ses idées. Tixier-Vignancour ne répond absolument pas au type de nationaliste fanatique auquel Philip Williams, pourtant spécialiste éminent de la vie politique française et parfait connaisseur de l’histoire de notre pays, tente de l’assimiler. Écoutons Williams : « Prêt à tout pour renverser le pouvoir établi, et bien décidé à le faire, J-L Tixier-Vignancour porte à la Cinquième République une haine égale à celle qu’il avait portée aux deux précédentes. Son opposition est destructrice, plus nihiliste que conservatrice »[6]. Cette présentation caractériserait sans doute le jeune Camelot du Roy que fut Tixier à la fin des années 1920, mais sû- rement pas, bien au contraire, à l’avocat d’âge mûr des années 1950, persuadé depuis longtemps de l’inanité de l’agitation violente et des rodomontades écrites ou orales.

Jusqu’au milieu des années 1960, Tixier-Vignancour a un succès d’avocat qui lui vaut l’estime générale du barreau et une belle notoriété personnelle. Certaines de ses phrases sont pro- mises à la postérité, telles celle-ci, prononcée lors d’une de ses plaidoiries, en septembre 1961 : « Je n’emploierai jamais le mot de légitimité, car ce mot n’a plus de sens depuis le 21 janvier 1793 »[7] Il n’a pas le même succès en politique. Son Rassemblement national français piétine. Lui-même a cependant la satisfaction d’être élu député des Basses-Pyrénées lors des législatives du 2 janvier 1956, grâce au double appui d’une fraction de la droite modérée du département et du mouvement Poujade. Mais il perdra son siège à l’issue des législatives de novembre 1958, qui se traduisent par un raz-de-marée gaulliste.

Au début de la décennie 1960, il a à cœur la cause de l’Algérie française. Il participe d’ailleurs à la création d’un « Front national pour la défense de l’Algérie française », avant de défendre Salan et d’autres rebelles. Il assure la défense des accusés de la « semaine des barricades » en 1960. Le 23 mai 1962, à l’issue d’une plaidoirie qui demeurera dans toutes les mémoires, il évite au général Salan, leader de l’OAS, la peine de mort, à la fureur de De Gaulle. En 1963, il plaide en faveur de Bastien-Thiry et de ses compagnons, co-auteurs de l’attentat du Petit-Clamart.

Persévérant dans sa volonté de fédérer les nationalistes en une grande formation politique apte à peser dans l’opinion et les urnes, Tixier-Vignancour met sur pied, le 17 juillet 1964[8], une « Association pour le soutien de la candidature d’opposition nationale à la présidence de la République », composée d’une fédération de comités régionaux, bientôt appelés « Comités Tixier-Vignancour » en vue de l’élection présidentielle de décembre 1965[9]. Il ambitionne de grouper autour de sa candidature tous les nationalistes, mais aussi l’aile la plus conservatrice de la droite républicaine (celle du Centre national des Indépendants et Paysans, de Pinay), ceux qui n’ont pas admis l’élection du président de la République au suffrage universel et la limitation des pouvoirs du parlement, les opposants à l’indépendance algérienne, les centristes les plus modérés (radicaux de la vieille école, démocrates-chrétiens conservateurs) et les plus droitiers des catholiques. En somme, il espère rallier tous les anti-gaullistes de la droite et du centre. Le pari est hautement audacieux et risqué. Pour réussir, Tixier-Vignancour multiplie les prises de contact avec la droite modérée et les gestes de bonne volonté à son égard. Ainsi, lors des municipales de mars 1965, il s’abstient de présenter des candidats dans nombre de municipalités pour complaire à cette droite, et appelle ses partisans à se désister en sa faveur au second tour dans d’autres. Par ailleurs, il annonce que s’il est élu, il choisira pour Premier ministre, Gaston Monnerville, président du Sénat, Guyanais (ce qui tend à récuser l’idée du prétendu racisme de Tixier), radical (donc indiscutablement démocrate) et anti-gaulliste notoire. Et, dès l’été 1965, il commence, tambour battant, sa campagne présidentielle avant tous ses concurrents, grâce, notamment à sa « caravane des plages », conçue pour solliciter les électeurs sur les lieux de leurs vacances, et se dépense en négociations, en discours et en meetings. Son allocution télévisée aux Français, en décembre 1965, sera un chef-d’œuvre de modération. Le résultat sera plus que décevant. Lors du premier tour de l’élection présidentielle (5 décembre 1965), T-V, comme on l’appelle désormais, ne récolte que 5,2 % des suffrages exprimés, soit 1 260 208 voix, arrivant en quatrième position derrière Ch. De Gaulle, Mitterrand et Lecanuet.

Les causes de cet échec tiennent au ralliement spontané de la vieille droite conservatrice à De Gaulle, même si elle le critiquait sur bien des points. Elles procèdent aussi de la candidature de Lecanuet, qui a drainé l’immense majorité des voix centristes, y compris les moins progressistes. Elles s’expliquent également par le fait que Tixier, qui était pourtant excellent avocat et dont la magnifique voix portait devant les tribunaux, fut terne et fade à la télévision. Mais elles ont également leur source dans l’organisation tixiériste elle-même. T-V a, en effet, confié la direction de ses comités et de sa cam- pagne électorale à Jean-Marie Le Pen, en lequel il voyait un espoir pour l’avenir du nationalisme[10]. Or, Le Pen, alors jeune, était le partisan et le maître d’œuvre d’une campagne nationaliste offensive opposée à l’attitude conciliatrice et consensualiste de T-V, dont les discours lui paraissaient faits d’« eau tiède ». Le Pen imprima souvent à la campagne de Tixier-Vignancour une ligne radicale qui ne pouvait que rebuter les centristes comme les notables de la droite modérée et les catholiques. Et il se montrait peu enclin aux concessions : lors des municipales de 1965, il refusa, au second tour, de retirer les candidats nationalistes en faveur de ceux de la droite classique, au grand dam de T-V lui-même. Il n’était d’ailleurs pas seul à s’incommoder de la modération de T-V et de sa stratégie de large ratissage électoral. Bien des nationalistes affirmés partageaient ses réticences. De toute façon, il apparaissait d’emblée impossible de réunir sur une même candidature les nationalistes anti-démocrates de tout poil, les vieux radicaux nostalgiques de la IIIe République, les conservateurs libéraux et les anciens partisans de l’Algérie française.

La déroute de T-V était prévisible. Elle l’affecte cruellement. Il appelle les électeurs à se prononcer en faveur de Mitterrand au second tour, initiative dont beaucoup attribuent en fait l’idée à Le Pen. Ce qui est faux. Cependant, Tixier-Vignancour se ressaisit. Malgré sa cuisante défaite, qui semble invalider sa stratégie consensualiste, il reste persuadé qu’il n’existe de chance de renaissance, pour le nationalisme, que dans l’acceptation du jeu et des règles démocratiques et la recherche d’alliances avec la droite modérée et les plus conservateurs des centristes. Aussi, le 25 janvier 1966,il lance une nouvelle formation, l’Alliance républicaine pour les Libertés et le Progrès (ARLP), avec diverses personnalités, telles que Raymond Le Bourre, Raymond Bourgine ou Jean-Robert Thomazo.

Mais l’ARLP ne décollera pas. La grande majorité des nationalistes la boudent, et les hommes de la droite modérée ne la rejoignent pas davantage. Elle ne trouve comme allié que le Rassemblement européen pour les Libertés du jeune Dominique Venner, qui n’a pourtant rien d’un modéré. Les deux partis s’uniront pour les législatives des 5 et 12 mars 1967 et élaboreront un programme commun de gouvernement en décembre 1966. Bien que Tixier-Vignancour fasse assaut de modération, ce programme ne rompt pas avec l’orientation traditionnellement anti-démocratique de l’extrême droite. Il préconise, en effet, « la réunion d’une convention nationale désignée en dehors du cadre des partis pour définir les lois fondamentales », ce qui constitue une rupture nette d’avec la démocratie. D’autant plus que les rédacteurs n’évoquent pas la possibilité d’une soumission à référendum de ces « lois fondamentales » non adoptées par des élus du peuple.

Affiche de Jean-Louis Tixier-Vignancour datant de 1965

De toute façon, les deux formations unies essuieront un net échec aux législatives de mars 1967, obtenant 194 776 voix, soit 0,87 % des suffrages exprimés. Avec cela, l’ARLP est minée par les divisions. En 1968, un de ses meneurs, Yvan Ancher, met en cause l’aptitude tactique de Tixier et fonde une Union pour les Libertés et le Progrès, ultra-groupusculaire. En 1971, Gaston de Sansac quitte l’ARLP, dont il était le secrétaire général, pour créer l’Alliance républicaine indépendante et libérale (ARIL), qui se veut proche des Républicains indépendant de Giscard d’Estaing et composante de la majorité présidentielle pompidolienne[11].

En désespoir de cause, Tixier envisage alors, en 1973, une fusion de ce qui reste de l’ARLP avec les Républicains indépendants et le centre Démocrate de Lecanuet, lesquels récuseront sa proposition. Ces échecs de sa stratégie de modération et de rapprochement avec la droite républicaine et le centre l’incitent à revenir à un positionnement nationaliste plus traditionnel, c’est-à-dire de franche opposition au système et à la majorité présidentielle.

Le soutien au Parti des forces nouvelles

Si, pour des raisons personnelles, il ne goûte guère la constitution, en octobre 1972, du Front national de Jean-Marie Le Pen, il souscrit, en revanche, avec enthousiasme, à la création du Parti des Forces nouvelles (PFN), fondé par Alain Robert, François Brigneau, Roland Gaucher, Pascal Gauchon et autres le 9 novembre 1974. Ce nouveau parti a tout pour lui plaire : il est nationaliste, partisan d’un pouvoir fort sans être fasciste, et du retour à l’ordre, ébranlé par la vague individualiste et contestatrice des sixties et les séquelles de mai 1968, résolument hostile à la gauche, mais aussi à la « société libérale avancée » de Giscard d’Estaing avec ses innovations sociétales. En 1978, Tixier-Vignancour accepte de devenir le porte-parole du PFN, et, l’année suivante, il sera sa tête de liste aux premières élections européennes au suffrage universel. Mais le PFN ne progressera pas, et sera vite dépassé par le Front national de Le Pen, que Tixier-Vignancour ne saluera pas, peu convaincu par l’aptitude de son ancien collaborateur à conquérir le pouvoir. Il rentre alors dans l’intimité domestique. Veuf en 1982, il épouse en secondes noces Jacqueline Lecronier, le 2 mars 1988, et s’éteint à son domicile parisien le 29 septembre 1989, à 82 ans.

Brillant avocat, il fut aussi un homme de plumes, auteur de mémoires (J’ai choisi la défense, 1964, Des républiques, des justices et des hommes, 1977), et d’essais tels que Le Contre-Mal français, 1977, Si j’avais défendu Dreyfus, 1978). Il publia également quelques-unes de ses plus célèbres plaidoiries.

Tixier-Vignancour apparaît comme le dernier grand représentant de la droite nationale doté d’une envergure morale et intellectuelle indiscutée, à la fois grand avocat universellement respecté comme tel, et notable affirmé, intelligent, cultivé et d’éducation parfaite. Il n’a pas eu de successeur, à cet égard. Mais sa carrière politique est un échec. Les Le Pen ont réussi, quant à eux, mais en s’éloignant largement de leur famille politique d’origine[12].

L'échec exemplaire des Comités T.V.

Dès 1964 Jean-Louis Tixier-Vignancour a fait savoir son intention de concourir à la prochaine élection présidentielle. Cette candidature a été principalement suscitée et défendue par Jean-Marie Le Pen (qui regrettera plus tard de ne pas s'être porté lui-même candidat à sa place[13]). Cette annonce déclenche une vague d'enthousiasme dans tout le milieu Algérie française. L'avocat se fait le porte-parole de la révolte des rapatriés d'Algérie, porte les espoirs de la droite antigaulliste ainsi que d'ex-poujadistes (dont Jean-Marie Le Pen), et recueille le soutien de tout ce qu'il est convenu d'appeler l'« opposition nationale », de sa presse (Rivarol, Minute) et d'Europe-Action, qui en est alors sa principale composante organisée. Des Comités T.V. fleurissent dans tout le pays pour animer la campagne.

Celle-ci, gérée par Jean-Marie Le Pen, est un modèle de dynamisme. On se souvient en particulier de la caravane T.V. qui fait la tournée des plages durant l'été 1965 et soulève une intense ferveur populaire le long de la côte méditerranéenne. Chacun s'accorde alors à estimer à au moins 10% le score électoral à attendre (des sondages auraient prédit jusqu'à 19%). Tixier-Vignancour se voit déjà à la tête d'une troisième force capable de faire jeu égal avec François Mitterrand, que soutient le Parti communiste, et le général de Gaulle. On imagine que tous les courants qui ne se reconnaissent ni dans de Gaulle ni dans le communisme sont destinés à se rassembler derrière Tixier.

Principale porte-parole de la droite d'idées, l'influente revue L'Esprit public, autour de laquelle gravite le Rassemblement de l'Esprit public (animé par Hubert Bassot et Philippe Héduy, et notamment par Bernard Antony dans le Sud-Ouest) accorde initialement son appui avant de se raviser pour soutenir le centriste Jean Lecanuet, qui apparaît mieux placé pour mettre de Gaulle en ballottage. Cette déception incite Tixier-Vignancour à recentrer son discours au-delà du nécessaire, dans le vain espoir de récupérer les modérés rétifs à son image d'avocat de l'OAS.

C'est ainsi qu'il aborde la phase finale de la campagne en se définissant comme candidat « national et libéral », et va jusqu'à annoncer qu'une fois élu président il prendra pour premier ministre le métis guyanais Gaston Monnerville, président radical-socialiste du Sénat, nostalgique de la IVe République, qui a naguère mené l'assaut contre l'élection présidentielle au suffrage universel. Dans les Comités T.V., notoirement noyautés à coeur par Europe-Action et le mouvement Occident, le découragement menace.

Le 5 décembre 1965, le 1er tour de l'élection présidentielle n'accorde que 5,2% des voix à Tixier, qui n'aura donc mobilisé que l'électorat Algérie française et nationaliste. Et comme l'électeur préfère toujours l'original à la copie, le centriste Lecanuet engrange près de trois fois plus. Le candidat « national et libéral », sans même consulter son entourage, appelle à voter Mitterrand au second tour.

Immédiatement, les militants nationalistes se retirent des comités T.V., désormais exsangues. Ceux d'Occident reprennent leur autonomie, ceux d'Europe-Action s'en vont fonder le Mouvement nationaliste du progrès (MNP) le 24 janvier 1966, à peine plus d'un mois après le second tour de la présidentielle.

La veille, le 23 janvier, Tixier-Vignancour a fondé l'Alliance républicaine pour les libertés et le progrès (ARLP), qui ne regroupe qu'une minorité de ce que représentaient les Comités T.V. — d'autant plus que Jean-Marie Le Pen et ses amis (dont Roger Holeindre et François Brigneau) ont été laissés sur la touche, en raison de l'image extrémiste qu'on leur prête. L'état-major du nouveau parti ne comprend que des notabilités sélectionnées parmi les plus présentables, comme Raymond Bourgine, Alain de Lacoste-Lareymondie, Robert Tardif et le colonel Thomazo. Les jeunes du mouvement sont regroupés au sein de l'organisation Jeune Alliance. Celle-ci, qui édite le bulletin Troisième voie (dont les initiales renvoient à celles de Tixier-Vignancour), disposera brièvement de quelques centaines d'adhérents, mais sa direction est contrôlée par une équipe de catholiques traditionalistes (comme Christian Baeckeroot) qui s'apprêtent à fonder le mouvement solidariste MJR.

Quelques mois auront suffi pour réduire à un format groupusculaire un mouvement qui avait atteint à l'automne 1965 une surface militante sans précédent dans la droite nationale. Outre un positionnement mal assumé, cet échec exemplaire peut aussi être attribué à une dramatique absence de vision politique. Par définition, la nostalgie de l'Algérie française est un thème qui ne pouvait être durable. Le reste du programme de l'ARLP se résumait à des banalités dignes du centre-gauche comme la fidélité à l'Europe unie, à l'OTAN et — il va sans dire — à Israël.

Les élections législatives de mars 1967 illustrent la décadence terminale de ce qui survit du mouvement Tixier. L'ARLP ne réussit à présenter que 39 candidats, et son leader essuie un grave échec personnel à Toulon.

Cette faillite a eu des conséquences qui ont pesé durant des décennies :

  • Dans l'immédiat, un intense sentiment d'écœurement et une démobilisation générale. De 1966 à 1968, la droite nationale n'existe plus en tant que courant d'opinion, et le nationalisme n'est plus représenté que par des franges radicales très minoritaires, facilement diabolisées. La dépolitisation devient de règle dans la jeunesse non engagée à gauche, ce qui laissera le champ libre à la vague marxiste qui inonde la France en 1968.
  • Les nationalistes ont vu dans cette extraordinaire débâcle une confirmation frappante de la distinction établie par Dominique Venner entre nationaux et nationalistes, et en ont conclu qu'il importait à l'avenir de tenir les nationaux sous contrôle, faute de quoi ils seraient prêts à commettre toutes les sottises possibles.
  • Jean-Marie Le Pen, de son côté, en a déduit qu'un parti national ne pouvait se permettre d'abriter des tendances constituées en son sein, d'où l'éviction brutale des ex-Ordre nouveau en 1973, des amis de François Duprat en 1978, de l'équipe Mégret en 1998. Mais il en a retenu également que toute tentation centriste était à combattre (d'où sans doute les abruptes déclarations réitérées qui ont jalonné son parcours de briseur de consensus à la tête du Front national), et donc qu'il valait mieux ne pas gagner sur ses idées que perdre sur celles des autres — démarche qui, sur la durée, allait se révéler féconde.

Anecdote

Plaidant en 1956 pour un journaliste mis en cause dans la ténébreuse « affaire des fuites » (en pleine guerre d'Indochine, des secrets militaires avaient été transmis au Parti communiste depuis le gouvernement) où sont compromis François Mitterrand et Pierre Mendès-France, Jean-Louis Tixier-Vignancour, qui s'entête à nommer ce dernier « Mendès » tout court, est apostrophé par le président du tribunal : « Maître, vous devez appeler le Président du conseil par son nom, Mendès-France. » A quoi Tixier réplique « Mendès, France ? Mais je dois donner son nom, pas son adresse ! »


Ouvrages sur Jean-Louis Tixier-Vignancour

Le numéro 6 des Cahiers d'Histoire du Nationalisme est consacré à Jean-Louis Tixier-Vignancour
  • Thierry Bouclier, Tixier-Vignancour, une biographie, Editions Remi Perrin, 2003, 330 pages, index et notes.
  • Alexandre Croix, Tixier-Vignancour, ombres et lumières... Saint-Ouen : Éditions du Vieux Saint-Ouen, coll. « Les Cahiers contemporains », 1965. 320 pages. Pas d'ISBN.
  • Jean Mabire, Histoire d'un Français, Tixier-Vignancour. Paris : Éditions de l'Esprit nouveau, sans date. 223 pages. Pas d'ISBN.
  • Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Tixier : 44 lettres inédites à Me Tixier-Vignancour, texte établi et présenté par Frédéric Monnier. Paris : la Flûte de Pan, 1985. 143 pages. ISBN 2-903267-23-5.
  • Joseph Valynseele et Denis Grando, À la découverte de leurs racines, seconde série, chapitre « Jean-Louis Tixier-Vignancour ». Paris : L'Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, octobre 1994. 236 pages. ISBN 2-908-003-03-1.

Références

  1. Qui frappe également la Ligue d’Action Française, les Jeunesses patriotes, le Parti franciste français et la Solidarité française.
  2. Dénuée de lien de parenté avec Vincent Auriol.
  3. Ce poste modeste serait, de nos jours, l’équivalent de celui de secrétaire ou de sous-secrétaire d’État.
  4. Et il le fait même brièvement arrêter, avant de la libérer sous la pression des Allemands.
  5. À la vice-présidence du Conseil, plus précisément, Pétain tenant à conserver la direction réelle du gouvernement.
  6. La vie politique sous la 4e République, Armand colin, 1971, p. 262.
  7. Date de l’exécution de Louis XVI.
  8. Date de la parution de l’association au Journal officiel.
  9. Laquelle sera la première élection présidentielle au suffrage universel direct.
  10. T-V aida financièrement Le Pen pour son affaire éditoriale, et fut le parrain de sa première fille Marie-Caroline en 1960.
  11. Au sein de laquelle, elle ne sera pas vraiment acceptée et ne pèsera d’aucun poids.
  12. Paul-André Delorme, « Jean-Louis Tixier-Vignancour (1907-1989), le notable de la droite nationale française », in : Rivarol, no 3572, 28 juin 2023.
  13. J.M. Le Pen, Mémoires — Fils de la nation, ed. Muller, 2018)