Bruno Mégret
Bruno Mégret est un ancien homme politique français.
Après avoir passé par le Rassemblement pour la République, il adhère au Front national en 1987, où il va rapidement accéder aux plus hautes responsabilités. Il y crée le Conseil scientifique et sa revue d'études, Identité.
Fin 1998, il entre en conflit avec Jean-Marie Le Pen. Il quitte alors le parti pour fonder le Mouvement national républicain.
Sommaire
- 1 Biographie
- 1.1 L'ambition et le goût du pouvoir
- 1.2 Un patriote se voulant réaliste
- 1.3 Le choix difficile d'un parti politique
- 1.4 L'expérience décevante du RPR
- 1.5 Les Comités d'action républicaine (CAR)
- 1.6 Le choix tardif et de raison de l'adhésion au FN
- 1.7 Une ascension rapide et éblouissante au sein du FN
- 1.8 Une ambition rénovatrice parfois mal comprise
- 1.9 Heurts et malheurs électoraux
- 1.10 La rivalité avec Le Pen au sein du FN
- 1.11 L'exclusion du FN
- 1.12 L'échec du Mouvement national républicain
- 2 Ouvrages
- 3 Cité dans
- 4 Liens
- 5 Notes et références
Biographie
Bruno Mégret est né à Paris le 4 avril 1949. Comme Bruno Gollnisch, son futur rival, il est issu de la haute bourgeoisie. Son père, Jacques Mégret (1924-1976), licencié en droit, diplômé de Sciences Po et énarque, fut conseiller d’État, directeur du service juridique du Conseil des Ministres de la Communauté économique européenne, et enfin, directeur de l’administration pénitentiaire à la Chancellerie. Bruno est l’aîné et le seul garçon d’une fratrie de quatre enfants.
Son père étant fonctionnaire européen, il est scolarisé d’abord à l’École européenne de Bruxelles. Là, il tâte du scoutisme et intègre la troupe des « Joyeux bâtisseurs de l’Europe ». Puis, à Paris, il devient élève de l’Institut catholique Bossuet, puis du lycée Louis-le-Grand, où il intègre les classes préparatoires. Bon élève, il n’accomplit cependant pas une prouesse lors des épreuves du concours d’entrée à Polytechnique (X) : classé 317e, il n’est reçu que sur la liste complémentaire. Il prend néanmoins sa revanche à la sortie de l’École : il est alors classé 18e , dans « la botte »[1], ce qui lui permet d’intégrer le corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées. L’X est aussi une école militaire. Et le jeune Bruno, qui, depuis l’enfance, se sent une vocation de chef et prise fort la discipline, est séduit par l’armée. Il devient donc élève officier de l’École de Cavalerie de Saumur, et sera capitaine de réserve de l’arme blindée. Il sortira également diplômé de l’Institut des Hautes Études de Défense nationale. Durant sa période militaire, il effectue un stage commando à Quélern, puis sert à Laon, avec le grade de sous-lieutenant, au 6 e régiment de cuirassiers. L’État français ne refusant rien aux sujets d’élite, surtout s’ils ont été élèves de grandes écoles, il bénéficie d’une bourse qui lui permet de passer une année à l’université californienne de Berkeley, laquelle lui délivre (ainsi qu’à d’autres, au bout d’un an seulement) un diplôme (largement honorifique) de master of Science.
Il devient successivement chargé de mission au Commissariat général du Plan (1975-1976), puis à la Direction départementale de l’Équipement de l’Essonne (1977-1979), conseiller technique au cabinet du ministre de la Coopération (1979-1981), puis directeur adjoint des infrastructures et des transports à la préfecture de la Région Île-de-France (1981-1986).
L'ambition et le goût du pouvoir
Bruno Mégret ne se satisfait pas de cette carrière de technocrate de haute volée. Depuis son enfance, il est dévoré d’ambition et a la passion de l’autorité et du pouvoir. Ses amis d’enfance se rappellent de sa détermination à être le chef de la bande de petits garçons, puis d’adolescents qu’il fréquentait. Devenu adulte, il aspire à des fonctions d’autorité plénière, aspiration que ne satisfont guère les postes de haut fonctionnaire qu’il occupe successivement : il ne travaille et ne décide pas seul, exécute des tâches conçues et imposées par d’autres, des supérieurs qui bornent ses initiatives et lui demandent des comptes, et n’est qu’un agent parmi d’autres de la technocratie de l’État ou de la Région, anonyme, sans influence déterminante, aux capacités d’action limitées. Forte personnalité, caractère bien trempé, intelligence supérieure, doué d’une volonté de fer, il pense valoir beaucoup mieux que cela, et se croit destiné à commander souverainement ses semblables, à les gouverner. Le choix d’une carrière politique s’impose donc à lui. Là, il va, croit-il, pouvoir donner toute sa mesure, tirant le meilleur parti de ses éminentes qualités intellectuelles, de son esprit d’entreprise, de son talent d’organisateur, de son sens stratégique. Pourvu de tels dons, il ne peut que réussir, vaincre les obstacles et autres difficultés qui jalonneront sa route vers le pouvoir.
Son orientation politique ne peut être que de droite. Son origine sociale, son goût du pouvoir, son esprit élitiste, son amour de l’ordre, l’y prédisposent. Certains de ses amis se souviennent de son horreur de la mode démagogique du laisser-aller, de l’indiscipline, de la provocation, de la fausse simplicité, qui sévissait dans les années 1960 et 1970[2].
Un patriote se voulant réaliste
Bruno Mégret ne croit absolument pas aux grands idéaux de l’édification d’une société totalement démocratique et égalitaire, que celle-ci doive advenir pacifiquement et suivant une évolution naturelle, ou qu’elle doive résulter d’une action révolutionnaire. Il récuse toutes les idéologies de gauche : radicalisme, socialisme jaurésien, social-démocratie de type allemand ou scandinave, marxisme sous ses diverses formes, anarchisme, etc. Comme Napoléon, qu’il admire, il pense que la nécessité fait loi, et qu’on ne triomphe pas au mépris du principe de réalité. Par ailleurs, il ne croit ni à la bonté naturelle de l’homme, ni à l’évolution inéluctable de l’humanité vers une société universelle et égalitaire étayée sur les progrès continus de la science et des techniques. Il est même persuadé que la quête obstinée d’une telle société ne peut mener qu’à un totalitarisme soft propre à asservir mentalement les hommes.
D’autre part, il est plutôt d’esprit nationaliste et traditionaliste (même s’il n’est pas porté sur la religion et le culte barrésien de la terre et des morts), et soucieux de défendre les intérêts de la France. Par réalisme, il accepte l’existence de la Communauté européenne, mais refuse la constitution d’une Europe fédérale. Enfin, il est libéral en économie (quoique non libertarien) et socialement conservateur. Anti-communiste, anti-socialiste, il n’incline pas davantage au populisme.
Le choix difficile d'un parti politique
Mégret hésite quant au choix d’un parti politique. Aucun ne le tente. Le Front national (FN), créé en octobre 1972, ne lui plaît guère, formé des troupes fascistes d’Ordre nouveau, d’Alain Robert, des nationalistes-révolutionnaires de François Duprat, de rescapés de la Collaboration, tels Pierre Bousquet et de revenants de la droite nationale jugée vieillotte, de type barrésien. Le Parti des Forces nouvelles (PFN), plus moderne, moins peuplé de vieux routiers de l’extrême droite, et dirigé par Pascal Gauchon, jeune normalien propre sur lui, le séduit davantage, mais il n’est qu’un groupuscule. Par nature, Mégret ne prise pas les groupuscules dirigés par des amateurs et qui n’appartiennent pas à la classe politique, celle des grands partis de gouvernement. Ils lui inspirent une sorte de mépris de classe, précisément, il les juge indignes d’un haut fonctionnaire et fils de famille tel que lui, et ne les croit pas capables de lui permettre de conquérir ce pouvoir dont il rêve. Mais le RPR et l’UDF, les deux grandes formations de la droite “républicaine” lui paraissent trop politiquement libéraux et insuffisamment nationalistes, et auteurs d’un bilan, à la tête du pays, peu flatteur. Il en vient vite à penser qu’il faudrait les “droitiser” davantage, c’est-à-dire infléchir leur ligne politique dans un sens résolument nationaliste et relativement autoritaire, plus autoritaire que les rodomontades d’un Chirac qui joue les Père Fouettard de temps à autre, et tient un langage ambivalent.
Pour atteindre ce but, il faut créer une structure spéciale de réflexion et de propositions politiques et la mettre en relation avec les partis. Or, cette structure de pensée existe : il s’agit du Club de l’Horloge, récemment fondée, le 10 juillet 1974, par Jean-Yves Le Gallou et Henry de Lesquen. Bruno Mégret, en 1975, fait la connaissance d’Yvan Blot au Commissariat général au Plan, où ce dernier représente le ministère de l’Intérieur. Entre le polytechnicien Mégret et l’énarque Blot, le courant passe, les deux jeunes hommes partageant les mêmes idées et les mêmes objectifs. Blot a tôt fait d’amener Mégret au Club de l’Horloge, où le polytechnicien rencontre également Jean-Yves Le Gallou qui, plus tard, deviendra un de ses plus solides appuis au FN[3].
L'expérience décevante du RPR
Mégret participe alors aux travaux de réflexion du Club. Mais il brûle de s’engager et de faire ses preuves en politique. Il adhère alors au RPR, bien que ce parti ne coïncide pas tout à fait avec ses convictions. Son pedigree de polytechnicien lui permet d’être désigné comme candidat dans la 3e circonscription des Yvelines face à Michel Rocard, un “éléphant” du PS et député sortant, lors des législatives de 1981. Au premier tour (14 juin), il obtient 25,7 % des voix, et se classe en deuxième position, loin derrière Rocard (48 %), mais nettement devant le candidat UDF (12,7), ce qui n’est vraiment pas mal pour un débutant alors totalement inconnu. Au second tour, il rassemble 39,7 % des voix (Rocard, 60,3). Il est certes battu, mais il a prouvé sa combativité et sa capacité à tenir, face à un poids lourd de la politique. Il apparaît donc comme un militant de valeur, malgré son échec. Mais les instances départementales ne tiennent aucun compte de ses mérites et le morigènent durement, injustement[4]. On s’en doute, le haut fonctionnaire issu de l’X en conçoit un vif dépit, et il comprend qu’il ne fera pas son chemin au RPR.
Les Comités d'action républicaine (CAR)
Il quitte alors ce parti, et fonde les Comités d’Action républicaine (CAR), avec Jean-Claude Bardet et Claude Waddington[5]. Cette formation tient à la fois de la société de pensée et du parti politique. Bientôt, 120 CAR sont créés en France, qui rassemblent quelque 10 000 adhérents. En 1983, leurs candidats obtiennent quelques succès. 250 d’entre eux deviennent conseillers municipaux et quelques-uns s’assoient dans des fauteuils de maire. Mégret dote les CAR d’un logo : une feuille de chêne blanche à nervures bleues, sur fond bleu d’un côté, rouge de l’autre. Il en expose aussi le programme dans un livre, Demain, le chêne : pour la France contre le socialisme : le projet des Comités d’action républicaine (1982).
Mégret envisage de former une liste de candidats aux européennes de juin 1984. Les CAR ne suffisant pas, il cherche à constituer une liste en laquelle ils seraient associés à des représentants du monde des affaires, comme Jean-Maxime Lévêque ou Francine Gomez — en vain. Ses approches de certains membres de la droite “républicaine” se révèlent tout aussi infructueux. Alors, pour la première fois, il songe à une alliance avec le FN, qu’il dédaignait jusqu’alors. Mais si ses amis Bardet et Blot l’approuvent, bien des membres et cadres des CAR le désavouent et adhèrent au RPR, à l’UDF, au CNI, ou encore choisissent d’être indépendants. Les CAR, désormais réduits en nombre comme dans leurs effectifs, végéteront et se mettront en sommeil en 1990.
Le choix tardif et de raison de l'adhésion au FN
Privé de base, Mégret ne se trouve alors plus d’autre choix que de se rapprocher sérieusement du FN. Il prend contact avec Jean-Marie Le Pen. Celui-ci, conscient de l’insuffisance politique et de l’inexpérience du pouvoir de ses proches et des cadres de son parti, cherche à recruter des hauts fonctionnaires, bon connaisseurs des rouages de l’administration et des ministères. Il souhaite aussi élargir l’assise sociale de son parti, dont les cadres viennent du peuple ou de la petite bourgeoisie, en attirant à lui des gens appartenant aux milieux d’affaires ou exerçant des professions libérales. Mégret, fils de haut fonctionnaire, lui-même haut fonctionnaire, fait donc l’affaire, d’autant plus qu’il semble supérieurement intelligent et entreprenant. Le Pen juge donc bon de le coopter. Il le désigne comme candidat FN-RN dans le département de l’Isère, pour les législatives de 1986. Celles-ci se déroulant selon le mode de scrutin proportionnel, le FN parvient à envoyer 35 élus sur les bancs de l’Assemblée nationale, au soir du 16 mars 1986. Bruno Mégret devient donc député. Pour un novice, il ne se montre pas discret. Dans une de ses interventions, il se prononce en faveur d’une Europe puissante et fondée sur les identités nationales.
Ce n’est qu’en 1987, un an après son élection, que Mégret adhère officiellement au Front national. Ce dernier est alors en plein essor, et le jeune député voit en Le Pen un « de ceux qui forcent le destin », ainsi qu’il le confessera plus tard[6]. De plus, ses amis Yvan Blot et Jean-Yves Le Gallou, déjà eux-mêmes encartés au FN, le pressent de les rejoindre.
Une ascension rapide et éblouissante au sein du FN
Alors commence une décennie qui sera la partie la plus glorieuse de sa carrière. En effet, à peine entré au FN, Mégret va en devenir, après Le Pen, la figure la plus importante et la plus médiatique. Dès octobre 1988, Le Pen crée, exprès pour lui, la fonction de délégué général du Front national, et le charge de la formation des militants, de la communication (entre les diverses instances du parti, et avec les médias, les pouvoirs publics et les autres formations), des études (en vue d’une bonne connaissance des dossiers, et afin d’élaborer une stratégie et de produire des idées nouvelles) et des manifestations du FN. Cette nomination et ces missions font de lui le numéro 2 du Front national, à égalité avec Jean-Pierre Stirbois, puis Carl Lang qui, eux, rappelons-le, exercent successivement la fonction de secrétaire général. Mais, en fait, il estompe ces derniers par sa supériorité.
Mégret suscite la curiosité publique. En effet, pour la première fois, une personnalité de tout premier plan de « l’extrême droite », comme disent ses adversaires, est un haut fonctionnaire, et donc un technocrate connaissant parfaitement le fonctionnement des divers services de l’État, et virtuellement capable de devenir (si le FN accédait au pouvoir) un ministre compétent. Avec lui, le FN paraît changer de visage et s’apparenter peu ou prou aux grands partis de gouvernement qui se succèdent habituellement aux affaires. L’intéressé s’en réjouit, qui cherche, dans la perspective du Club de l’Horloge, un rapprochement du FN avec les partis de la droite dite républicaine. Installé dans ses fonctions de délégué général, il va s’employer à promouvoir ses amis “horlogers” au sein du parti, et à faire d’eux d’utiles relais pour son action. Jean-Yves Le Gallou, Yvan Blot, Jean-Claude Bardet, lui seront ainsi des points d’ancrage. Il ne recrute pas seulement parmi les “horlogers” et la haute fonction publique : il attire à lui des hommes venus d’autres horizons, comme Philippe Olivier, Damien Bariller, Franck Timmermans, et même la fille aînée de Le Pen, Marie-Caroline (épouse de Philippe Olivier). Aidé de ses amis, Mégret parvient à multiplier très vite le nombre de ses partisans au sein du FN, où beaucoup de militants sont séduits par son projet de rénovation policée du parti, la tradition nationale populiste de Le Pen leur semblant désuète, et le délégué général apparaissant, à leurs yeux, comme le nouveau chef capable de les porter au pouvoir. La prolifération des mégrétistes se produit jusqu’au sommet du parti : à la fin des années 1990, 18 membres du bureau politique, sur 44, sont des partisans du délégué général. Que ce mouvement se poursuive, et ils deviendront, à terme, majoritaires. Il est vrai, cependant, que la composition du bureau exécutif, où Mégret est seul contre 7, ne lui est en revanche pas favorable.
Mégret s’efforce, par tous les moyens, de promouvoir sa conception d’une droite nationale républicaine, conditionnellement liée avec le RPR et l’UDF (à condition que ces formations évoluent dans un sens conservateur et tant soit peu autoritaire), libérale en économie, européenne par raison mais plutôt souverainiste et donc hostile à l’eurofédéralisme, attachée à la défense d’une morale traditionnelle, et décidée à libérer l’école publique et le monde de la culture de l’emprise gauchiste. Dans ce but, il lance, en 1989, avec son ami Bardet, une revue théorique, Identité, qui, trop intellectuelle pour les militants mais de bon niveau, ne rencontrera aucun succès. Il expose aussi ses vues dans des ouvrages : La Flamme : les voies de la renaissance (1990), L’ Alternative nationale : les priorités du Front national (1996), La Troisième Voie : pour un nouvel ordre économique et social (1998), La Nouvelle Europe : pour la France et l’Europe des nations (1998).
Il remodèle la formation des militants. Dans ce but, il crée un « Institut de Formation nationale » (IFN), dont il présente les principes dans Militer au Front : cycle du militant (1991). Au cours d’un colloque tenu à Marseille, le 19 novembre 1991, il présente « Cinquante mesures pour régler le problème de l’immigration », conçues avec son ami Le Gallou, et qui, bien entendu, provoqueront l’indignation de la gauche et l’émoi de toutes les bonnes consciences formées et formatées par notre école publique, nos médias et notre intelligentsia, gardiens on ne peut plus vigilants du conformisme intellectuel et moral.
Une ambition rénovatrice parfois mal comprise
L’effort de rénovation du FN par Mégret prêt d’ailleurs assez souvent à malentendu. Beaucoup, au sein du FN comme dans les autres partis, le prennent pour une édulcoration du lepénisme et de l’extrême droite en général. Et son action est souvent interprétée comme une tentative d’alignement sur la droite “républicaine”, celle du RPR et de l’UDF. En réalité, le délégué général du FN est bel et bien un militant national ; et sa volonté de rapprochement avec la droite de gouvernement, qui passe par la mise au rebus du populisme, procède avant tout d’une nécessité stratégique visant l’accès au pouvoir grâce à une alliance avec un RPR et une UDF devant tenir lieu de marchepied. Il attend d’ailleurs de ces partis qu’ils se fassent plus conservateurs et nationalistes qu’ils ne le sont, et n’envisage nullement, de son côté, d’affadir fortement ses idées et principes, d’y renoncer ou de leur donner un tour alambiqué ou équivoque. Ses livres, ses discours, ses propositions en matière d’immigration et certaines de ses déclarations le prouvent. Ainsi, le 17 février 1997, il affirme sans ambages l’existence de « différences entre les races », ce qui lui vaudra une condamnation judiciaire.
Heurts et malheurs électoraux
Mégret s’impose aussi hors des instances du parti, sur la scène publique. Battu, comme tous les députés sortants du FN lors des législatives des 5 et 12 juin 1988[7], il est élu député au Parlement européen le 16 juin 1989. Il sera réélu le 12 juin 1994. Aux législatives de 1993 dans les Bouches-du-Rhône, il manque de peu d’être élu député, obtenant un score de 49,5 % des voix. Secrétaire général de la section FN de Provence-Alpes-Côte d’Azur depuis 1990, il est élu membre du conseil régional de PACA en mars 1992.
Et il est réélu en mars 1998. Il se trouve un port d’attache à Vitrolles, dans les Bouches-du-Rhône. En mars 1995, il est battu par le maire sortant, mais l’élection est annulée en raison des pratiques frauduleuses de ce dernier. Mégret, lui, se voit frappé d’inéligibilité pour dépassement des frais de campagne autorisés. La liste FN l’emporte lors du nouveau scrutin, conduite par son épouse, Catherine[8], qui devient ainsi maire. Mais l’élection suivante de 2001, qui reconduit la liste (MNR, et non plus FN) de Catherine Mégret, est annulée, et l’année suivante, la liste conduite par Catherine Mégret sort perdante du nouveau scrutin.
La rivalité avec Le Pen au sein du FN
On disait jadis que le chemin est court du Capitole à la roche tarpéienne. Ce dicton pourrait fort bien s’appliquer à Mégret qui, au fait de sa puissance au sein du FN et de son aura médiatique, ne va pas tarder à tomber du piédestal sur lequel Le Pen lui avait permis de s’installer. Les rapports du vieux chef avec son premier lieutenant vont se dégrader. À vrai dire, ils n’ont jamais été excellents. Vieux routier de « l’extrême droite », pupille de la nation, ancien des guerres coloniales, taillé en force, le verbe haut et coloré, coléreux, recourant volontiers à l’invective, à la provocation et à l’injure, le fils de pêcheur breton ne se sent guère de sympathie pour ce fils de famille, haut fonctionnaire, petit, fluet, lisse, compassé, et trop proche, par ses origines et sa personnalité, de ces classes dirigeantes qui le méprisent. Mais il est réaliste. Il sait que, même délestée de ses éléments fascisants (Alain Robert, François Duprat), la « droite populaire », suivant sa propre expression, n’ira pas loin, et que le FN, pour devenir une force durable de la vie politique française, doit s’agréger des membres des élites de la haute fonction publique, de l’économie, de la politique, plus crédibles et aussi plus rassurants que les militants nationalistes classiques. D’autre part, il reconnaît en Mégret un homme de valeur. Ce nouveau venu, dont tout le monde, y compris parmi les ennemis mortels du FN, reconnaît la haute intelligence et les capacités politiques, manifeste des qualités d’organisateur de premier ordre.
Il va donc utiliser les compétences et l’image de sujet d’élite de Mégret, mais en le surveillant afin de ne pas le laisser donner totalement libre cours à ses ambitions personnelles. Car Mégret ne dissimule guère son aspiration à succéder à Le Pen à la présidence du Front national. Il pense être politiquement plus compétent que lui, en raison de son expérience de haut fonctionnaire et de ses relations avec les sphères gravitant autour du pouvoir. Et il est aussi plus jeune (de vingt et un ans) que son chef, ce qui est un atout précieux. Le Pen redoute que son second ne finisse par lui damer le pion, d’autant plus que, nous l’avons dit, Mégret s’entend à placer ses amis et autres partisans aux services dépendant de lui et au sein des instances du FN en général. Or, nous l’avons dit également, ils diffèrent de Le Pen et de sa droite populaire tant au plan des idées qu’à celui de la stratégie. Et les premières et les secondes ne sont pas au goût du Breton. Lui et ses fidèles, même s’ils sont conscients des limites de leur droite nationale populaire, n’adhèrent pas aux conceptions technocratiques de Mégret et de ses proches, et à leur volonté de faire du FN un parti de droite résolument libéral en économie et socialement conservateur, recrutant dans les élites intellectuelles et sociales (en particulier la haute fonction publique et les cadres supérieurs du monde économique) plutôt que dans le peuple, et désireuses d’un rapprochement avec ces partis de gouvernement que sont le RPR et l’UDF. Et, ainsi, plus le temps passe, plus les différences s’accusent entre les mégrétistes et les lepénistes. S’il ne se scinde pas, le FN présente en son sein deux tendances de plus en plus opposées. Et l’esprit de rivalité marque les relations entre Le Pen et Mégret.Compte tenu du tempérament autocratique du premier et des ambitions du second, il ne peut manquer de déboucher sur un conflit. Ce dernier va surgir à l’occasion de la préparation de la liste de candidats FN aux européennes de juin 1999.
L'exclusion du FN
En juillet 1998, Le Pen, craignant d’empêché juridiquement de concourir à des élections à la suite d’une peine d’inéligibilité, décide de nommer son épouse Jany (dénuée de toute expérience) à la tête de la liste des candidats aux européennes de 1999, et ce afin de frustrer Mégret de ce rôle. Mégret, qui convoitait cette place, précisément, conteste publiquement cette décision. Le Pen voit là une bonne occasion de se débarrasser de son adjoint, devenu son rival. D’autant plus que les partisans de celui-ci vont se signaler par leur maladresse, laquelle va se retourner contre leur champion. Au cours de la réunion du conseil national (réunion des 300 membres les plus importants du parti), le 5 décembre 1998, qui doit désigner officiellement les candidats de la liste FN aux européennes, ils huent Le Pen et ses proches. Cette fois, la guerre est déclarée entre Le Pen et Mégret, entre les fidèles du premier et les partisans du second. Le président du FN réagit énergiquement : le 9 décembre, il destitue de leurs fonctions Bruno Mégret, Jean-Yves Le Gallou, Philippe Olivier et Franck Timmermans; puis, il les exclut du parti le 23 du même mois, ainsi que nombre de leurs partisans.
L'échec du Mouvement national républicain
Cette éviction brutale (Le Pen ne lui épargne même pas les injures sur son physique) signe la mort politique de Bruno Mégret. Littéralement éjectés, Mégret et ses partisans fondent, au cours d’un congrès constitutif tenu à Marignane du 24 au 25 janvier 1999, un parti concurrent, appelé Mouvement national, puis Mouvement national républicain (MNR), lequel comprend, en ses rangs, 45 % des adhérents et militants du FN, et 140 des 275 conseillers généraux, et 62 secrétaires départementaux, soit, en tout, 60 % des cadres du FN.
Bien évidemment, cette scission affaiblit considérablement le FN, et nombre d’observateurs se demandent s’il ne va pas redevenir le groupuscule qu’il était au moment de sa fondation. Aux européennes de juin 1999, la liste du FN n’obtiendra que 5,7 % des voix et 5 eurodéputés. Celle du MNR, qui tient à être présent à cette échéance, malgré le caractère tout récent de son lancement, obtiendra 3,28 % et aucun eurodéputé.
Mégret ne parviendra pas à faire décoller son nouveau parti. Si lui-même et quelques-uns de ses amis sont élus conseillers municipaux à Marseille lors des municipales des 11 et 18 mars 2001, ces élections révèlent le peu d’emprise du MNR sur l’électorat. Candidat lors de la présidentielle de 2002, Mégret ne parvient à convaincre, au premier tour (21 avril) que 2,34 % des électeurs (667 000), quand celui qui l’a chassé de manière humiliante, et dont il est devenu le concurrent, Le Pen, se qualifie pour le second tour avec 16,86 % des suffrages exprimés. Ce modeste résultat le place en douzième position, sur seize candidats. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il appelle ses électeurs à voter Le Pen au second tour.
Aux déconvenues électorales s’ajoutent les ennuis judiciaires. Mégret voit ses comptes de campagne invalidés pour avoir utilisé illégalement les services de la mairie de Vitrolles. Lui-même et son épouse sont condamnés en 2006 pour avoir envoyé, au nom de la mairie de Vitrolles (dirigée alors par Catherine Mégret), des courriers à divers maires, dont ils quêtaient le parrainage pour la candidature de Bruno Mégret à la présidentielle. Cette invalidation et cette condamnation coûtent cher à un parti qui n’a que quelques années d’existence et ne dispose que de peu de moyens financiers.
Mégret se retire alors progressivement de la vie politique. Il renonce à se présenter à la présidentielle de 2007, mais accepte à nouveau de soutenir Le Pen au nom de l’ « Union patriotique » souhaitée par celui-ci. Candidat dans la 12e circonscription des Bouches-du-Rhône lors des législatives de 2007, il ne glane que 2,03 % des voix. À cette date, le MNR, s’il conserve des conseillers municipaux, n’a plus d’élus nationaux, et, au regard de ses résultats électoraux dérisoires, perd son droit au financement public des partis politiques[9].
Travaillant en Australie pour Bouygues, de 2008 à 2010, il est chargé de mission au Conseil général de l’Environnement et du Développement durable (CGEDD) à partir de 2010. Il soutiendra successivement François Fillon lors de la présidentielle de 2017, puis Éric Zemmour, en 2022. Le MNR, lui, vidé de ses militants et de ses cadres, mène une existence végétative, allié à des formations marginales telles que la Nouvelle droite populaire (NDP), le Parti de la France (PDF), les Identitaires ou Alsace d’abord.
Ouvrages
- Demain, le chêne : pour la France contre le socialisme : le projet des Comités d'action républicaine, Paris, Albatros, 1982, 186 p.
- (dir.), avec Jean-Claude Apremont, Jean Hohbarr, Didier Lefranc et Jean-Claude Jacquart (préf. Julien Freund), L'Impératif du renouveau : les enjeux de demain, Paris, Albatros, 1986, 191 p.
- La Flamme : les voies de la renaissance, Paris, Robert Laffont, coll. « Essais », 1990, 313 p.
- (dir.), avec Damien Bariller et Jean-François Jalkh, Militer au Front : cycle du militant, Paris, Éditions nationales, 1991, 158 p.
- La Provence est belle, protégeons-la ! : le programme de Bruno Mégret et ses colistiers : élections régionales, 21 mars 1992, Marseille, Front national Provence, 1992, 99 p.
- L'Alternative nationale : les priorités du Front national, Saint-Cloud, Éditions nationales, coll. « Idées en poche », 1996, 264 p.
- La Troisième Voie : pour un nouvel ordre économique et social, Paris, Éditions nationales, 1997, 375 p.
- La Nouvelle Europe : pour la France et l'Europe des nations, Paris, Éditions nationales, 1998, 296 p.
- Avec Christophe Dungelhoeff, Le Chagrin et l'Espérance : entretien avec Christophe Dungelhoeff, Paris, Cité liberté (chez l'auteur), 1999, 241 p.
- (Dir. avec Yves Dupont), Pour que vive la France : programme du MNR, Paris, Cité liberté, 2000, 184 p.
- La France à l'endroit : mon projet pour remettre de l'ordre en France, Paris, Cité liberté, 2002, 160 p.
- « Zadig » (pseud.), Le TGV à vapeur : quand il y a urgence à réformer la droite, Longueuil-Paris, Vox populi, 2003, 130 p.
- L'Autre Scénario pour la France et l'Europe, Paris, Cité liberté, 2006, 224 p.
- Le Temps du phénix : récit d'anticipation, Noisy-le-Grand, Cité liberté, 2016, 320 p.
- Salus populi, roman, Editions Altéra, 2024, 256 p.
Cité dans
- Anaïs Voy-Gillis, L’Union européenne à l’épreuve des nationalismes, coll. Lignes de repères, Éditions du Rocher, Monaco, 2020, p. 126 et 203.
Liens
- « Le Choc des civilisations : Renoncer à l'imposture de l'Etat de droit », Olivier Pichon et Pierre Bergerault reçoivent Bruno Mégret, ancien N°2 du FN et ancien président du MNR, émission TV Libertés : [1]
Notes et références
- ↑ Expression ressortissant à l’argot des grandes écoles, et désignant les reçus les mieux classés, et donc susceptibles d’accéder aux corps de fonctionnaires les plus prestigieux.
- ↑ Certains de ses camarades polytechniciens se rappellent qu’en des circonstances où ils se débarrassaient volontiers de leur uniforme et s’affranchissaient de la discipline militaire de leur école, qu’ils critiquaient volontiers, lui arborait fièrement ce même uniforme, affichait une raideur ostentatoire, et, prenant le contrepied de ses condisciples, faisait l’éloge de l’ordre et de la tradition.
- ↑ Mégret se sent alors on ne peut plus à l’aise au Club de l’Horloge, et plus tard, il confiera : « Pour la première fois, je rencontrai des gens qui pensaient comme moi. »
- ↑ L’un d’eux lui assène : « Ne fanfaronnez pas, vous avez été battu » et « Des polytechniciens comme vous, on en a plein les tiroirs »
- ↑ D’après une idée d’Yvan Blot et de Pierre-Marie Guastavino. Jean-Claude Bardet (1941-1924), issu de la grande bourgeoisie de Nancy, fut sans doute le meilleur ami de Mégret. Il était l’un des seuls membres du Club de l’Horloge à n’avoir été élève ni de l’ENA, ni de Polytechnique ou d’une autre grande école (il était docteur en droit et travaillait dans le privé).
- ↑ Dans son livre La Flamme (1990), Mégret affirme qu’il prit sa décision de rejoindre le FN, à la suite d’une rencontre avec Le Pen chez des amis, et alors qu’il traversait le pont de Grenelle qui était « sous la bourrasque, balayé par la pluie ». En réalité, il attendit plus d’un an après cette rencontre pour se décider à adhérer au FN, sur lequel, décidément, il ne pouvait s’empêcher de nourrir des doutes, ainsi que sur Le Pen, l’un et l’autre lui étant tellement étrangers.
- ↑ Rappelons que l’élection de 35 députés FN et apparentés aux législatives de mars 1986 avait été rendue possible par le fait que ces dernières avaient eu lieu suivant le mode de scrutin proportionnel, aboli par la suite et remplacé par le retour au mode de scrutin majoritaire et uninominal à deux tours, qui privilégie les grands partis très enracinés dans le paysage politique et pourvus de moyens importants.
- ↑ Née Rascovchi, en 1958. Mariée depuis le 11 septembre 1992 à Mégret, à qui elle a donné deux enfants, Audoin en 1994 et Bertille en 1998.
- ↑ Le texte de cette section est en grande partie repris de : Paul-André Delorme, « La belle carrière manquée de Bruno Mégret », Rivarol, no 3659, 30.5.2025.