Fronts (Suisse)

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Les Fronts sont des organisations politiques, d'orientation nationaliste, apparues en Suisse dans les années 1930.

Affiche du Front national 1933

Sommaire

Un désir de renouveau

Au début des années 1930, la Suisse vit une situation économique difficile et une crise politique intérieure. Nombreux sont ceux qui, devant la faillite du libéralisme, sont persuadés de la nécessité d'une rénovation politique, sociale et morale. Même au sein des partis institutionnels, on penche de plus en plus vers le corporatisme.

Ainsi, on voit naître de nouveaux mouvements, caractérisés par ce désir de renouveau, par un refus du libéralisme et du marxisme et par une volonté de résoudre la crise politique et sociale.

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Les orientations de ces mouvements ne sont pas homogènes. Certains s'inspirent à des degrés divers du fascisme italien et du national-socialisme allemand. Beaucoup, surtout dans les cantons catholiques, sont plutôt de tendance nationale-conservatrice, et chez eux prévalent la doctrine sociale de l'Église et l'influence de Charles Maurras. D'autres se réfèrent à l'helvétisme, doctrine identitaire suisse développée par Gonzague de Reynold.


Du point de vue sociologique, les adhérents de ces mouvements appartiennent à toutes les couches sociales et tranches d'âge: ouvriers, employés, paysans, petits bourgeois de la ville ou de la campagne, universitaires, officiers, artisans, industriels et chômeurs, depuis les jeunes romantiques jusqu'à des individus d'âge mûr des deux sexes.

Les principaux mouvements sont les suivants:

Affiche électorale du Front national

La Schweizer Heimatwehr (Garde patriotique suisse)

Fondée en 1925 et essentiellement implantée dans la région bernoise, la Heimatwehr est une milice d'autodéfense des petits paysans et des montagnards, qui se déclare « en guerre contre les Juifs, les francs-maçons et la haute finance internationale ». Elle est dirigée par une trentaine d'officiers supérieurs. Elle est organisée en « corps-francs » et ses membres (dont le nombre est estimé à 500 ou 600) arborent un uniforme composé d'une chemise grise, d'une cravate rouge et d'un brassard où figurent la croix fédérale et deux hallebardes[1].

Mais dès 1936, elle ne se manifeste pratiquement plus.

Le Nouveau Front (Neue Front)

Fondé en 1930 par le médecin Robert Tobler et un groupe d'étudiants zurichois, le Nouveau Front est une des premières organisations du frontisme. Au départ, le nouveau mouvement essaie d'agir à l'intérieur de la Jeunesse radicale, en proposant une rénovation du radicalisme suisse, lors des journées académiques radicales. En 1932, Rolf Henne et d'autres jeunes radicaux de Schaffhouse, déçus par leur parti, se joignent au Nouveau Front. La rupture avec le parti radical ne tarde pas, et le Nouveau Front s'affirme alors comme un parti politique à part entière.

Le théoricien du Nouveau front est Paul Lang, un maître de gymnase zurichois, Paul Lang. Il met en avant l'esprit de la communauté populaire, qui doit primer sur l'individu. Il propose la réorganisation de la société suisse selon un modèle corporatiste, au-delà du marxisme et du libéralisme.

Favorablement impressionné par l'arrivée au pouvoir de Hitler, le Nouveau Front fusionne dès le printemps 1933 avec d'autres groupes frontistes pour former une nouvelle organisation, le Front national.

Le Front national

Manifestation du Front national 1937

Le Front national est d'abord fondé à Zurich en 1930. Ses membres portent alors la chemise grise, jusqu'à l'interdiction du port de l'uniforme en 1932. De 1934 à 1938, le mouvement est dirigé par le Dr. Rolf Henne, puis par le Dr. Robert Tobler, jusqu'en 1940.

En 1933, le Front national est considérablement renforcé : le Nouveau Front, la majorité de la Nationalsozialistische Eidgenössische Arbeiterpartei (NSEAP, parti national-socialiste confédéré des travailleurs), ainsi qu'un groupe de jeunes dissidents du Parti radical de Schaffhouse, adhèrent en bloc et fusionnent avec le Front national. Ainsi renforcé, il compte désormais 9200 membres, et 200 groupes locaux. S'il est surtout implanté en Suisse alémanique, il compte 1100 membres en Suisse romande, avec des groupes dans chaque canton.

En 1934, le mouvement crée sa propre assurance chômage.

Presse

Son organe de presse principal est l'Eiserne Besen (le balais de fer), qui tire à 25000 exemplaires. Il prend ensuite le nom de Die Front. Le mouvement publie aussi le Grenzbote.

En Suisse romande, il publie La Voix nationale, renommée ensuite Front national.

Résultats électoraux

Lors d'une élection partielle à Schaffhouse en 1933, il obtient 27% des voix en 1933. A Zurich, la même année, il obtient dix sièges de conseillers communaux (sur 125). Il s'implante aussi en Argovie, à Berne, en Thurgovie et à Saint-Gall. En 1935, il entre au Conseil national en faisant élire Robert Tobler.

Objet de violentes campagnes de presse, qui l'accusent systématiquement d'être à la solde de l'Allemagne, il va perdre en 1938-39 la totalité de ses mandats. Après la campagne victorieuse de l'armée allemande à l'ouest, il retrouve son élan, mais ce sont surtout les groupes issus de scissions qui vont en profiter.

En 1940, le Front national s'autoddissout. Il est officiellement interdit en 1943.


Les scissions et les organisations issues du Front national

Le Volksbund

En 1933, Emil Sonderegger et le major Ernst Leonhardt quittent le Front national pour fonder, à Bâle, le Volksbund (Union du peuple). Leonhardt, surnommé le « Julius Streicher suisse », est considéré comme l'un des leaders frontistes les plus radicaux. Il motive sa scission en affirmant que le Front national serait tombé entièrement sous la coupe des universitaires[2].

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Le Volksbund se transforme ensuite en Nationalsozialistische Schweizer Arbeiterpartei (NSSAP, parti national-socialiste suisse des travailleurs), auquel succède une Schweizerische Gesellschaft der Freunde einer autoritären Demokratie (Société suisse des amis de la démocratie autoritaire, 1938-1940).

Emil Sonderegger abandonne le' Volksbund dès 1934, pour fonder son propre mouvement, le Volksfront (Front du peuple, 1934-1936), qui obtient peu d'écho. Il en va de même pour le Nationaldemokratische Schweizerbund (Union nationale-démocratique suisse, 1935-1942) de René Sonderegger.

L'Eidgenössische Soziale Arbeiter-Partei (ESAP, parti social et confédéral des travailleurs)

Il est fondé en 1938 par Ernst Hoffmann. Il publie ESAP, Der Nationale Arbeiter et Schweizervolk. Il fusionnera en 1940 avec le Mouvement national suisse.

Le Bund treuer Eidgenossen nationalsozialistischer Weltanschauung (BTE, Ligue des confédérés fidèles à la conception-du-monde national-socialiste)

Fondée par Hans Oehler et Alfred Zander, il fusionne en 1940 avec le Mouvement national suisse.

La Eidgenössische Sammlung (Rassemblement confédéral)

Elle est fondée en juin 1940 par le Dr. Robert Tobler, qui tente ainsi de recréer l'élan du Front national. Elle compte rapidement 8000 membres. Elle publie le journal Die Front. Elle est interdite en juillet 1943.

Le Eidgenössische Kampfpartei (Parti du combat confédéral)

Il est fondé en octobre 1940 et rassemble 1200 membres. Il cesse toute activité en 1944.

Le Mouvement national suisse (Nationale Bewegung der Schweiz)

Fondé en juin 1940, il est le dernier né des Fronts. Il affiche comme objectif de rassembler tous les fronts et toutes les organisations patriotiques dans un mouvement unitaire. Ainsi, les dirigeants de l'Eidgenössische soziale Arbeiterpartei, du Bund treuer Nationalsozialistischer Weltanschauung, du Mouvement populaire suisse et du Mouvement helvétique décident la dissolution de leurs organisations et la fusion avec le Mouvement national suisse. S'il est implanté essentiellement en Suisse alémanique, il reçoit l'adhésion d'une grande partie des anciens membres de l'Union nationale genevoise de Georges Oltramare.

Le Mouvement compte rapidement 2224 membres. Il dispose de 162 groupes locaux. Ses principaux dirigeants sont Max-Leo Keller[3], Ernst Hofmann, Wolf Wirz, Jakob Schaffner et Walther Michel (responsable de la Suisse romande). Son organe de presse est L'Action nationale.

Le 10 septembre 1940, le Conseiller fédéral Pilet-Golaz, alors Président de la Confédération, reçoit en audience les dirigeants du MNS, qui lui font part de leur proposition de réorientation de la politique nationale. Pourtant, deux mois plus tard, le 19 novembre 1940, le MNS est dissout par le Conseil fédéral.

Après l'interdiction, une partie des membres du MNS fondent un Mouvement national-socialiste de Suisse, qui sera dirigé par Franz Burri.

Affiche de 1937 pour rassemblement organisé conjointement par le Front national et l'Union nationale

En Suisse romande

Les Fronts sont implantés majoritairement en Suisse alémanique, même si certains, comme le Front national, ont de puissantes sections en Suisse romande. Il existe toutefois des mouvements de même orientation nés en Romandie.

L'Union nationale

Le Pilori

Elle est fondée en 1932 à Genève par Georges Oltramare, qui fait fusionner l'Ordre politique national (créé en 1931) avec une partie de l'Union de défense économique (née en 1924). Le mouvement comptera 2000 membres à Genève en 1937, ainsi que des sections sur Vaud, dirigée par le pasteur Philippe Lugrin, et sur Fribourg.

L'Union Nationale prône une vision autoritaire et volontariste de l'État, le corporatisme au niveau économique et la lutte contre le marxisme. Ses journaux sont L'Action nationale et Le Pilori. En 1937, 50 de ses membres sont reçus en audience à Rome par Mussolini.

Entre 1932 et 1939, elle obtiendra régulièrement 10% des voix, et 10 sièges au Grand Conseil.

L'affaire du 9 novembre 1932

« Mise en accusation publique des sieurs Nicole et Dicker »

Le 9 novembre 1932, l'Union Nationale organise une grande réunion publique à la salle communale de Plainpalais, présentée comme une mise en accusation publique des deux dirigeants les plus radicaux du Parti socialiste, Léon Nicole[4]et Jacques Dicker.

Une contre-manifestation non autorisée

La presse du Parti socialiste hurle au scandale et annonce l'organisation d'une contre-manifestation antifasciste. Le Conseil d'Etat (exécutif) interdit la contre-manifestation, mais ses organisateurs répliquent par voie de presse qu'ils passeront outre. Pour maintenir l'ordre, le gouvernement genevois fait alors appel à l'armée, qui dépêche les compagnies de l'école de recrues d'infanterie de Lausanne.

La fusillade

Alors que la conférence de l'Union nationale débute, et que les contre-manifestants se sont massés autour de la salle communale, des activistes d'extrême gauche se jettent sur les soldats pour tenter de les désarmer. Sans expérience, agressés par la foule, quelques soldats ouvrent le feu sur les manifestants, faisant 13 morts et 65 blessés, dont plusieurs passants sans rapport avec les événements.

Le retour au calme

Le gouvernement, dominé par les partis du centre et de la droite, auxquels l'Union Nationale assure la majorité au Grand Conseil, réagit prestement. Il renvoie immédiatement les troupes de jeunes soldats à Lausanne, qui sont remplacés par un bataillon d'élite d'infanterie de montagne valaisan. La presse de gauche ne se prive pas de traiter de « troupe de sauvages » les soldats valaisans, mais jamais aucune exaction de leur part ne sera signalée. Le gouvernement intervient d'autre part pour que Nicole et d'autres socialistes soient inculpés pour la responsabilité des troubles. Condamné, Nicole est pourtant élu au gouvernement six mois plus tard, à sa sortie de prison. La gauche appelle à la grève générale, mais elle ne sera que modestement suivie, pendant que le gouvernement interdit tout rassemblement sur la voie publique. Par ailleurs, au sein de la gauche, l'affaire de la fusillade éloigne encore plus la section genevoise du Parti socialiste suisse. En effet, celui-ci a décidé de soutenir la défense nationale, contre l'avis des socialistes genevois.

Postérité de la fusillade

L'historiographie de la gauche suisse a ensuite construit une véritable légende sur les événements, théorisant un complot ourdi par un « gouvernement bourgeois aux abois », le « militarisme suisse » et des « provocateurs hitlériens ». Pourtant, les responsabilités réelles semblent plutôt incomber aux dirigeants de la section genevoise, alors particulièrement radicale, du Parti socialiste,

Un monument commémoratif sous la forme d'une pierre est érigé le 9 novembre 1982.

Le déclin de l'Union nationale

En 1939, après l'échec d'un projet de fusion entre l'Union nationale et le Parti démocratique genevois[5], Oltramare quitte en 1939 son mouvement, pour aller s'installer à Paris.

Une grande partie des membres adhère ensuite au Mouvement national suisse, et son journal L'Action nationale devient celui du MNS.

La Fédération fasciste suisse

Fondée à Rome en 1933 par le colonel Arthur Fonjallaz, des Bernois de la Heimatwehr et le Parti agraire valaisan, elle va parvenir à s'étendre à presque toute la Suisse, même si elle est surtout implantée dans les cantons de Vaud, du Valais, du Tessin et dans le Jura bernois. Fin 1934, la FFS compte plus de 4000 Chemises noires, réparties en 80 faisceaux.

En 1934, Fonjallaz lance l'initiative populaire pour l'interdiction de la franc-maçonnerie, à laquelle se joignent les Fronts et l'Union nationale.

La FFS publie une édition en chaque langue de son organe de presse Le Fasciste suisse. Elle organise des Congrès, comme à Lausanne en 1933, ainsi que des rassemblements, comme à Conthey en 1935 (2000 participants). Elle crée aussi des Syndicats nationaux au Tessin, une agence de presse, et un Institut corporatiste à Berne.

Mais, en 1936, les sections alémaniques et jurassienne se brouillent avec Fonjallaz et quittent la FFS, pour rejoindre les Fronts. Les faisceaux tessinois se séparent eux aussi de l'organisation. À la fin de l'année, la FFS disparaît.

Les Congrès internationaux des Comités d'action pour l'universalité de Rome (CAUR) à Montreux (1934 et 1935)

La popularité des mouvements d'inspiration fasciste en Suisse atteint son sommet en 1934, quand les Comités d'action pour l'universalité de Rome, dont la section suisse est représentée par la Fédération fasciste suisse d'Arthur Fonjallaz, organisent à Montreux un colloque international de deux jours, les 16 et 17 décembre 1934.

Ce projet d'Internationale fasciste rassemble des délégués de 13 pays européens, dont Ion Mota de la Garde de fer roumaine, Vidkun Quisling du Nasjonal Samling norvégien, George Mercouris du Parti national-socialiste grec, Ernesto Giménez Cabalerro de la Phalange espagnole, Eoin O'Duffy des Chemises bleues irlandaises (Army Comrades Association), Marcel Bucard du Mouvement franciste français, des représentants du Tautininkai lituanien, du Portugais Acção Escolar Vanguarda, ainsi que des délégations provenant d'Autriche, de Belgique, du Danemark, de Grèce, des Pays-Bas et, bien sûr, de Suisse (Front national, Union nationale et FFS).

Une deuxième et dernière édition du colloque international a lieu à Montreux en avril 1935. José Antonio Primo de Rivera y participe.

Les ligues

Au-delà des fronts se développent d'autres mouvements de rénovation, les ligues, ainsi que d'autres groupements assimilables. Les ligues se distinguent des Fronts par plusieurs de leurs caractéristiques. Elles se distancient en général nettement du fascisme et du national-socialisme. Elles sont en général d'inspiration national-conservatrice, helvétiste ou maurrassienne. Surtout, elles n'ont pas pour objectif la conquête du pouvoir, mais d'influencer l'opinion publique et de faire pression sur les partis et les institutions. Elles ne participent d'ailleurs pas aux élections, à quelques exceptions près.

La Fédération patriotique suisse

La FPS est fondée en 1919 à l'initiative de membres du Club alpin suisse, de personnalités argoviennes (Eugen Bircher) et genevoises, qui veulent rassembler les associations patriotiques de Suisse alémanique et romande, dont les différents groupes de gardes civiques, nés dans le contexte de la grève générale de 1918. Elle se définit comme une organisation démocratique de défense du pays et de l'ordre public. Elle se donne pour objectifs prioritaires la défense morale de la Suisse, de l'ordre démocratique et de l'armée, et le combat contre le communisme.

La FPS obtient de nombreuses adhésions parmi les officiers de l'armée. Sa section vaudoise, l'Association patriotique vaudoise, compte d'ailleurs dans ses rangs le futur Général Guisan. En 1931, en collaboration avec des sociétés militaires, elle crée une autre organisation, l'Association suisse de lutte contre l'antimilitarisme. Elle crée aussi une agence de presse et d'informations.

La Fédération patriotique suisse se dissout en 1948.

Le Redressement national

Le Redressement national est fondé en 1936 à Zurich comme bureau de coordination permanent pour les campagnes de votations (dans le sillage de celle de 1935 sur l'initiative de crise présentée par la gauche). Au nombre des promoteurs de l'organisation, on compte des représentants des associations faîtières de l'économie, d'anciens responsables du Bund für Volk und Heimat (Ligue pour le peuple et la patrie) et des anticommunistes romands. Son but est de lutter contre les tendances étatistes et centralisatrices, de promouvoir une économie libérale, de renforcer le fédéralisme et de maintenir les valeurs morales et traditionnelles. Elle agit essentiellement en tant que lobby[6].

La Suisse nouvelle (Neue Schweiz)

Suisse nouvelle est un mouvement de renouveau, de tendance national-conservatrice, fondé par des délégués des unions cantonales des arts et métiers. Cette organisation revendique l'abandon du libéralisme pour un système de type corporatiste et un protectionnisme associatif sanctionné par l'Etat, au bénéfice de la classe moyenne, des artisans et commerçants, alors en proie à des difficultés économiques. Son grand succès politique est la promulgation, en 1933, de l'interdiction d'ouvrir ou d'agrandir des grands magasins ou des commerces de gros, afin de protéger le commerce de détail, interdiction qui sera peu à peu assouplie et finalement abolie en 1945. Mené par Fritz Joss, conseiller national et conseiller d'Etat bernois, le mouvement atteint son apogée en 1934 (env. 20 000 adhérents, pour la plupart en Suisse alémanique). En 1936, il est absorbé par l'Aufgebot, autre organisation d'orientation corporatiste.

Das Aufgebot

Mouvement politique formé par les lecteurs de Das Aufgebot ("l'appel"), hebdomadaire fondé en mai 1933 par Jacob Lorenz, professeur d'économie politique à l'université de Fribourg. L'Aufgebot milite pour une rénovation politique de la Suisse, dans le respect toutefois de la démocratie et des particularités nationales. En dépit de ses tendances antilibérales et anticapitalistes, il se tient à distance du fascisme et du national-socialisme. En économie, fidèle à la doctrine sociale de l'Eglise catholique, il prône le corporatisme.

Lorenz est le premier à réclamer une révision totale de la Constitution fédérale. Pour cette raison, il soutiendra l'initiative des Fronts pour la révision de la Constitution en 1935.

Conçue à l'origine comme un rassemblement de masse, puis, à partir de 1934, comme un mouvement d'élite, l'organisation perd rapidement de son importance, alors que le journal survit jusqu'en 1957.

Bund für Volk und Heimat (Ligue pour le peuple et la patrie 1933-1936)

Fondée par Peter Dürrenmatt, elle a pour objectifs la défense du fédéralisme, et la lutte contre l'intervention de l'État dans l'économie. Elle sera absorbée par le Redressement national.

Volksbund für die Unabhängigkeit der Schweiz (Ligue populaire pour l'indépendance de la Suisse)

Créée le 12 mars 1921, cette formation politique, issue du comité contre l'entrée de la Suisse à la Société des Nations, regroupe des représentants de la droite germanophile. Parmi ses figures de proue, on peut citer Hektor Ammann, Gustav Däniker, Eduard Blocher et Hans Oehler, rédacteur jusqu'en 1934 de la revue mensuelle Schweizer Monatshefte. En 1937, elle annonce l'initiative populaire qui demande le retour de la Suisse à la neutralité intégrale. L'initiative ne passera pas en votation, car dès 1938 l'Assemblée fédérale adopte le principe de la neutralité intégrale, abandonnant la politique dite de « neutralité différenciée ».

La pétition des 200

Cette Ligue est à l'origine de la « Pétition des 200 », remise au Conseil fédéral le 15 novembre 1940.

Cette pétition demande au gouvernement de maintenir la ligne de neutralité intégrale, mais elle demande aussi que, pour garantir de bonnes relations avec tous les pays voisins, le gouvernement prenne des mesures contre les journaux de montrant trop hostiles aux forces de l'Axe. La Pétition est paraphée par 173 personnes issues de milieux universitaires, politiques et économiques, dont quatre-vingts officiers.

Le Conseil fédéral prend position verbalement en 1941, mais refuse d'entrer en matière sur la Pétition. Il ne la rend publique qu'en 1946.

Les « Sündenböcke » (Les « boucs émissaires » )

Après la fin de la guerre, la presse publie les noms des 173 signataires de la pétition des 200. Toute la gauche se déchaîne alors contre ces « traîtres » et réclame des jugements exemplaires. Un rapport complémentaire aux Chambres fédérales est demandé et effectué. La commission d'enquête parlementaire déclarera que les signataires « n’étaient ni des Frontistes ni des Nationaux-socialistes », qu’ils avaient usé du droit constitutionnel de présenter une pétition mais qu’ils étaient coupables d’avoir eu des liens privilégiés avec des membres de la NSDAP, et qu'ils méritaient donc d’être poursuivis. Des procès sont intentés au niveau cantonal contre la plupart d’entre eux, notamment le docteur Hektor Amman, considéré comme le principal dirigeant du groupe. Amman va alors s’expatrier et il enseignera dans des universités belges et allemandes . La plupart des « 200 » perdent leur emploi, d’autres sont condamnés à des peines pécuniaires.

Une certaine recherche universitaire a plus tard voulu démontrer qu'ils avaient servi de « boucs émissaires » à la politique du gouvernement suisse au cours de la seconde guerre mondiale[7].

La Lega nazionale ticinese (1933-1938)

Elle parvient à siéger dans les instances législatives du canton du Tessin et de quelques communes. Cette formation dirigée par Alfonso Riva accueille des adhérents venus de l'aile droite des radicaux et des conservateurs.

Ligue valaisanne et Ligue fribourgeoise

Ces deux ligues ne parviennent pas à croître, ne pouvant proposer de véritables alternatives. En effet, les deux cantons du Valais et de Fribourg sont sous l'hégémonie du Parti conservateur populaire, dont la plupart des dirigeants sont eux-mêmes profondément acquis au corporatisme, à l'anticommunisme et aux idées autoritaires.

La Ligue vaudoise

Fondée d'abord en 1920 sous le nom d'Ordre et Tradition, par Marcel Reygamey. Celui-ci élabore une doctrine qui adapte les thèses de Charles Maurras aux réalités du canton de Vaud. La Ligue proprement dite est créée en 1933. Elle considère le canton de Vaud comme une communauté formée par l'histoire et comme une nation à part entière, mais faisant partie intégrante de la Confédération suisse. Pour cette raison, Reygamey insiste sur un renforcement des prérogatives cantonales par rapport aux institutions fédérales. La Ligue lutte contre toute centralisation, perçue comme une atteinte à l'essence du Pays de Vaud, et théorise le fédéralisme intégral, faisant ainsi écho au nationalisme intégral de Maurras. Elle réclame la nomination d'un gouverneur du Pays de Vaud[8], des chambres corporatives et l'élaboration d'une démocratie autoritaire. Le mouvement se fait connaître du grand public en lançant un référendum pour exempter d'impôts les vins indigènes. Hors partis, elle rassemble autour de son journal La Nation une centaine de collaborateurs et un millier de membres en 1940. Rencontrant des sympathies dans la classe moyenne et les professions libérales, elle peut compter à cette date sur dix députés au Grand Conseil vaudois, un conseiller d'Etat et deux conseillers nationaux appartenant aux partis libéral et radical. Elle s'oppose au Code pénal fédéral en 1938.

La Ligue vaudoise après-guerre

Elle est la seule de ces organisations, avec le Redressement national, qui survit à la fin de la guerre. Mais elle effectue un revirement. Dès juillet 1946, elle lance une initiative « Pour le retour à la démocratie directe » qui aboutit en 1949. Aujourd’hui encore, la Ligue Vaudoise et son journal, qui existent toujours, ne manquent pas une occasion de rappeler leur attachement et leurs contributions à la démocratie. Même si la Ligue se prétend « politiquement incorrecte », elle a manifesté une opposition systématique à toutes les initiatives visant à réduire l'immigration, telles les initiatives dites « Schwarzenbach » (1970-1974), l’initiative « Contre l’immigration de masse » (février 2014) ou l’initiative « Ecopop » (novembre 2014). Ainsi, cette organisation a survécu en abandonnant clairement son rôle de laboratoire intellectuel de Droite, pour se rabattre sur celui de caisse de résonance des associations de défense des entrepreneurs.

L'Ordre national neuchâtelois

En 1934, Eddy Bauer, professeur d'histoire générale et suisse à l'université de Neuchâtel, fonde, avec Marc Wolfrath et René Braichet, l'Ordre national neuchâtelois. D'inspiration maurrassienne, le mouvement est axé sur le corporatisme, le fédéralisme, la défense des petits commerçants et artisans contre les grand magasins, et l’anticommunisme. Marc Wolfrath est rédacteur du quotidien régional, la Feuille d'avis de Neuchâtel, mais il crée un journal d'opinion pour l'ONN, Curieux. Certaines villes industrielles du canton, comme Le Locle et La Chaux-de-Fond, sont alors des bastions de l'extrême gauche suisse. Les réunions et conférences organisées par l'Ordre national sont régulièrement attaquées par la gauche et l'extrême gauche.

Devant l'agitation menée par cette dernière, l'Ordre national, les Jeunesses nationales (fondées en 1934 en réaction à la création d'un Front antifasciste) et d'autres associations se réunissent le 16 janvier 1937 pour donner naissance à un Comité cantonal de l'action neuchâteloise contre le communisme, proche du comité fondé un an plus tôt par l'ancien conseiller fédéral catholique-conservateur fribourgeois Jean-Marie Musy. Le Comité cantonal est présidé par le Dr. Eugène Bourquin, médecin à La Chaux-de-Fonds, député libéral depuis 1920 et chef des Jeunesses nationales. Le 25 janvier 1937, à la sortie d’une conférence de J.-M. Musy intitulée "Pourquoi le communisme est impossible en Suisse" où le Front antifasciste avait été autorisé à apporter la contradiction, des bagarres éclatent entre les Jeunesses communistes et les Jeunesses nationales. Au cours des affrontements, le Dr. Eugène Bourquin décède. La presse de gauche impute la mort à une crise cardiaque. Toutefois, l'émotion est grande dans le canton. Les autorités cantonales entament alors une procédure d'interdiction du Parti communiste. La mesure d'interdiction passe en votation populaire le 25 avril 1937: 67% des votants se prononcent pour la mise hors-la-loi du communisme. Neuchâtel est le premier canton à adopter cette mesure. La Confédération le suivra en 1940.

La marche des Fronts

Le « printemps des Fronts »

Le printemps 1933 est connu dans l'histoire suisse comme le « printemps des Fronts ». Les succès électoraux dans plusieurs cantons sont inattendus pour des formations si récentes. Le sommet est atteint en septembre de la même année, lorsque le Front national obtient 20 % des voix aux élections cantonales de Zurich, le canton le plus peuplé de Suisse.

L'initiative populaire pour la révision totale de la Constitution fédérale

En avril 1934, un comité ad-hoc, formés par les Fronts, les jeunes conservateurs suisses, la Landsgemeinschaft, Das Aufgebot, le groupement « Nouvelle Suisse » et la « Lega Nazionale Ticinesi », commence à récolter des signatures pour une révision totale de la Constitution fédérale.

L'initiative propose une rénovation des institutions de l'Etat, dans un sens autoritaire et corporatiste. Elle demande aussi la nomination d'un landamman fédéral[9].

La récolte des 50 000 signatures nécessaires est rapidement achevée. Le 5 septembre de la même année, l'initiative est déposée à la chancellerie fédérale qui la déclare valide le 8 novembre. Soumise à la votation le 8 septembre 1935, l'initiative est refusée par 72,3 % des suffrages exprimés (511 578 voix contre 196 135). La cause principale de l'échec est probablement l'alliance conclue entre la gauche et le Parti radical pour lui faire à tout prix barrage.

Toutefois, un mois après la votation, les frontistes participent pour la première fois aux élections fédérales et emportent, à cette occasion, deux sièges au Parlement fédéral.

L’initiative populaire « Interdiction des sociétés franc-maçonniques »

Affiche de l'initiative pour l'interdiction de la franc-maçonnerie

Cette initiative est la seconde, après une demande de révision totale de la Constitution, lancée par les Fronts et leurs alliés. Elle est lancée par un comité ad-hoc patronné par le colonel Arthur Fonjallaz (qui donne son nom à l'initiative), Georges Oltramare, de l'Union nationale, et Gottlieb Duttweiler[10]. L'initiative propose de modifier l'article 56 de la Constitution fédérale qui fixe le droit d'association en excluant explicitement les sociétés franc-maçonniques, les loges maçonniques et Odd Fellows ainsi que les associations affiliées ou similaires qui sont interdites sur le territoire de la Confédération.

La récolte des 50 000 signatures nécessaires a débuté le 14 avril 1934. Le 31 octobre de la même année, l'initiative a été déposée à la chancellerie fédérale qui l'a déclarée valide le 10 décembre. Le Conseil fédéral prend position contre l'initiative. Elle est rejetée en votation populaire le 28 novembre 1937, par 515 327 non contre 234 980 oui (participation 64,5%). Le canton de Fribourg est le seul à l'accepter. Les autres cantons romands et le Tessin expriment de fortes minorités de oui (parfois plus d'un tiers), les Alémaniques la rejettent généralement.

Le deuxième printemps et le recul

L'échec des deux initiatives est suivi d'un recul des Fronts. Ils perdent à peu près partout les mandats obtenus depuis 1933. Ils perdent aussi de nombreux adhérents. En juillet 1940, la victoire de l'Allemagne sur la France donne une nouvelle impulsion aux Fronts, et tout particulièrement celui qui est devenu le plus important et fédérateur parmi eux, le Mouvement national suisse. Le 10 septembre, une délégation du MNS est même reçue par le Conseiller fédéral Marcel Pilet-Golaz. Mais le 19 novembre le MNS est interdit. Les derniers Fronts disparaissent en 1943.

Les raisons d'un échec

L'historiographie officielle explique le recul puis la disparition des Fronts par leur style imité, de manière caricaturale, du fascisme et du national-socialisme, par leurs dissensions internes liées à des querelles de personnes, ou par une impopularité croissante de leurs « inspirateurs étrangers » en Suisse. Mais la réalité semble être bien plus complexe.

Une fracture fondamentale

Le coeur de nombreux Suisses alémaniques a longtemps battu du côté de l'Allemagne. Ceci ne constitue pas un fait nouveau. En revanche, il se trouve que le pangermanisme politique, qui impliquerait un rattachement des régions germanophones de la Suisse à l'Allemagne, est très loin d'être populaire en Suisse. Or, cette idée n'est pas seulement très mal perçue dans la population, mais elle l'est aussi à l'intérieur même des mouvements de rénovation, et au sein même des Fronts. Ainsi, le Front national lui-même est divisé, entre partisans d'une Suisse rénovée et fédérale et partisans d'une intégration pure et simple à une Grande Allemagne. Ce clivage s'avère incapacitant, d'autant plus que les adversaires des Fronts vont continuellement jouer de cet argument, faisant passer tous les Fronts pour des « partis de l'étranger » , des « mauvais Suisses » ou des espions. Ce sont d'ailleurs les termes qui seront employés après la guerre pour poursuivre et faire condamner les membres de ces organisations[11].

Particularités historiques suisses

Qu'il s'agisse de l'Italie, de l'Allemagne ou de la Roumanie, il est indéniable que la Première guerre mondiale a joué un rôle déterminant dans l'émergence des mouvements de renaissance nationale qui l'ont suivie. Or il se trouve que la Suisse, restée neutre, n'a pas participé à la Première guerre mondiale. L'intégrité de son territoire a été respectée par les puissances voisines, et ses frontières n'ont pas été modifiées. Elle n'a subi ni humiliation ni frustration. Elle n'a pas connu le traumatisme humain de ses voisins. De plus, les soldats suisses mobilisés n'ont pas vécu l'expérience du front et des tranchées, le déchaînement des forces élémentaires, la confrontation de l'homme aux nouveaux titans de la technique, si profondément décrits par Ernst Jünger. Il n'y a donc pas en Suisse de « génération du front » retournant à la vie civile, incarnant une communauté nationale soudée par le sang et l'épreuve.

Il n'y a pas eu non plus de guerre civile. Il est d'ailleurs inconvenant et ridicule de comparer, comme le fait de manière particulièrement grotesque l'historiographie de gauche, la grève générale de 1918 en Suisse avec les quatre ans de guerre civile en Allemagne, ou avec le Biennio rosso italien.

Le témoignage d'Armin Mohler

Né en 1920, Armin Mohler a onze ans à l'heure du printemps des Fronts. Sans quoi, écrit-il dans son autobiographie, il se serait certainement engagé dans cette mouvance. Son témoignage sur la dernière partie de l'expérience frontiste est révélateur de l'impasse dans laquelle finissait le mouvement :

« Ce mouvement de renou­veau, à ses débuts, pouvait compter sur l'assentiment de nom­breuses strates de la population. Il avait été initié par de jeunes loups issus des partis établis, qui voulaient créer quelque chose pour absorber le mécontentement général et la lassitude de la population contre les partis conventionnels. Pourtant, très vite, les fronts suisses ont créé leur propre dynamique. On vit apparaître des similitudes de style avec le fascisme tel qu'il se manifestait dans toute l'Europe mais, à partir de 1933, l'ombre compromettante du Troisième Reich s'est étendue sur le mouvement frontiste. Les représentants des associations de l'établissement, qui participaient à ces fronts, ont rapidement pris leurs distances, dès 1933. Les in­tellectuels, qui étaient les pendants suisses de la Révolution conservatrice allemande à Zurich ou à Berne, sont resté plus longtemps dans ces formations politiques et ont béné­ficié de l'approbation de la jeunesse dorée qui s'ennuyait. Cependant, lors des exécutions de la Nuit des Longs Cou­teaux, le 30 juin 1934, à Munich et à Berlin, plusieurs figures de la Révolution conser­va­trice allemande sont arrêtées et exécutées. Choqués, la plupart des intellectuels suisses conservateurs-révolutionnaires quittent la vie publique et se ré­fu­gient dans leur tour d'ivoire. Le seul siège frontiste au Par­lement suisse est rapidement perdu. Ce qui a subsisté des fronts a été marginalisé par la société libérale avec tous les moyens dont elle disposait. Les chefs les plus modérés se sont retiré de la vie publique. Certains des leaders les plus radicaux se réfugient en Allemagne pour échapper à la police et à la justice helvétiques. Il ne reste plus alors qu'une troupe sans chefs, dont le nombre ne cesse de se réduire: des petites gens, obnubilés par une seule idée fixe, que les francs-maçons et les Juifs (dans cet ordre) é­taient responsables de tous les maux de la Terre »[12].

Particularités institutionnelles suisses

Au-delà de ces aspects socio-historiques, il ne faudrait pas négliger non plus l'importance des particularités institutionnelles helvétiques. La Suisse est un État fédéral. Chaque canton possède de larges prérogatives. La distance entre les autorités et la population est bien moindre que chez les grands États centralisés et jacobins. De plus, les institutions de démocratie directe, comme les droits de référendum[13] et d'initiative populaire[14] permettent à tous les groupes sociaux ou politiques de faire entendre leurs revendications. Ces institutions réduisent indéniablement le potentiel de violence politique, et diminuent les tensions sociales. La Suisse est un terrain où la bataille des urnes parce qu'elle est susceptible d'être gagnée, est largement préférée à la bataille de rues. Tout cela peut expliquer que les conditions pour un mouvement politique de masse, comparable à ceux qui émergent dans les autres pays européens à la même période, ne sont pas réunies en Suisse.

Les rapports de forces politiques

Etat des forces de gauche

De même, les rapports de force en Suisse dans l'entre-deux-guerres ne sont en rien comparables à ceux qui existaient par exemple en Italie à la sortie de la Première guerre mondiale.

Il faut pourtant préciser d'emblée qu'on aurait tort d'estimer que la gauche et l'extrême gauche suisses soient alors trop faibles, ou trop modérées, pour constituer une menace pour la société ou l'Etat. En 1917, le groupe parlementaire du Parti socialiste suisse refuse le budget militaire et appelle au refus de servir en pleine guerre mondiale. En 1918, un Comité d'Olten, fondé par le PS suisse et l'Union syndicale suisse (USS), présidé par Robert Grimm, répond à la levée de troupes, décidée par le Conseil fédéral à l'instigation du général Ulrich Wille, par un appel à la grève générale. La grève générale dure trois jours. Le mot d'ordre est suivi par quelque 250 000 ouvriers, tandis que le Conseil fédéral mobilise 100 000 soldats pour ramener l'ordre dans les centres urbains. En 1919, lors des premières élections au Conseil national à la proportionnelle, le PS suisse double ses mandats, obtenant 24% des sièges au Conseil national (législatif). Mais, devant l'échec patent de la grève générale, il adopte une ligne légaliste et se distancie de l'extrême gauche. En 1933, son congrès refuse le front commun avec le Parti communiste suisse. Mais il est désormais le premier parti du pays.

La gauche communiste, elle, préexiste même à la fondation de la 3ème Internationale. Le 17 novembre 1917, quelques jours seulement après la révolution d'Octobre éclate « l'émeute de Zurich »: des cercles de gauche organisent une célébration de la victoire des bolcheviks qui tourne à l'émeute. Elle provoque la mort de trois manifestants et d'un policier. En 1921, la majorité du Parti socialiste refuse l'entrée à la Troisième Internationale. La gauche du parti, forte de 5 000 membres environ, fonde le Parti communiste suisse. S'il est concentré dans les centres urbains, ses résultats électoraux sont loin d'être négligeables: à Bâle, il dépasse le Parti socialiste, obtenant près de 20% des voix. A Schaffhouse, il dépasse même les 26%.

A Genève, le Parti socialiste suit une ligne nettement plus à gauche que le parti national, quasiment insurrectionnelle. Pourtant, en 1933, il conquiert la majorité du gouvernement cantonal, ce qui constitue une première en Suisse. En 1939, la section genevoise se sépare du parti suisse, prenant le nom de Fédération socialiste suisse.

Cohésion et dynamisme des forces de droite

Si la gauche suisse est alors effectivement plus puissante qu'on ne le croit souvent, les forces de la droite institutionnelle suisse de l'époque ne sont pas en position de faiblesse pour autant, comme cela a été le cas dans d'autres pays européens à l'époque. La droite suisse est forte et, surtout, dynamique, aussi bien sur le plan politique que sur celui des idées.

Elle a géré habilement la crise de 1917-1918. La grève générale de 1918, la seule de l'histoire suisse, a certes été suivie, mais elle s'est soldée par un échec, due à une position ferme du Conseil fédéral. Celui-ci a mobilisé l'armée, mais le retour au calme s'est effectué sans effusion de sang.

De plus, les positions politiques des forces de la Droite institutionnelle sont solides. Tous les cantons catholiques, à l'exception du Tessin, sont gouvernés quasiment sans partage par le Parti conservateur populaire, totalement acquis au corporatisme, à la doctrine sociale de l'Eglise, à l’anticommunisme militant et à la nécessité de concilier démocratie et autorité. Dans les cantons protestants, le pouvoir se partage entre le Parti paysans-artisans-citoyens, le Parti libéral (en fait d'orientation libéral-conservatrice) et le grand Parti radical, qui voit non seulement son hégémonie diminuer d'année en année, mais aussi son aile droite se renforcer par rapport à son aile gauche, jusque-là prépondérante.

Le Conseil fédéral, dont les sept sièges sont monopolisés par le Parti radical depuis 1848, a commencé à s'ouvrir aux autres partis, mais vers la droite. En 1892, un siège est laissé au Parti populaire conservateur. En 1920, le Conseil fédéral comprend 5 Radicaux et deux Conservateurs populaires. En 1930, les Radicaux laissent un siège au Parti paysans-artisans-citoyens (le premier socialiste ne sera admis qu'en 1943).

La droite fédérale institutionnelle laisse bien volontiers de côté le libéralisme sous toutes ses formes, et son cœur bat du coté de l'autorité. Le Conseiller fédéral Jean-Marie Musy (Conservateur populaire, 1920-1934) est un champion de l'anticommunisme et du corporatisme. Giuseppe Motta (Conservateur populaire, 1912-1940) va diriger durant vingt ans (depuis 1920) le Département des Affaires étrangères, et il ne cachera jamais sa sympathie pour Mussolini. Quant à Marcel Pilet-Golaz (1929-1944), il est la bête noire de la gauche. En 1940, alors Président de la Confédération, il prononce un discours où, tout en affirmant sa détermination à la sauvegarde de l’indépendance du pays, il ajoute que la Suisse doit aussi s’adapter au nouvel ordre européen. C'est lui aussi qui, la même année, reçoit la délégation de la « pétition des 200 », puis les dirigeants du Mouvement National Suisse.

La droite suisse de l'époque, en charge de l'exécutif national et de la plupart des exécutifs cantonaux, est donc bien plus acquise au corporatisme, au conservatisme et à l'anticommunisme qu'au libéralisme. La politique étrangère penche favorablement du côté des révolutions nationales. L’historiographie de gauche parlera parfois à ce sujet de « vichysme helvétique » . Dans ces conditions, il apparaît difficile pour un mouvement populaire révolutionnaire de se présenter comme une alternative à un gouvernement aussi stable.

Helvétisme et corporatisme : une Droite réarmée

Sur le plan des idées, la Droite suisse n'est pas dogmatique et ne craint pas les remises en question. Elle est en générale acquise au corporatisme, comme alternative à la fois au libéralisme et au marxisme. Mais son arsenal intellectuel est encore plus dynamique. Elle dispose d'une autre doctrine qui lui permet d'avoir des positions politiques claires: l'helvétisme.

A l'aube de la Première Guerre mondiale, des intellectuels suisses, dont Gonzague de Reynold, Carl Spitteler, Robert de Traz et Alexis François, s'étaient montrés inquiets des tensions qu'ils voyaient se développer entre Suisses. En effet, l'opinion publique en Suisse allemande était alors particulièrement favorable à la politique allemande, tandis que les Suisses romands se sentaient souvent politiquement proches de la France. Ces intellectuels ressentaient donc le besoin de réaffirmer, et de redéfinir, l'identité suisse. En 1914, ils fondent la Nouvelle Société helvétique, avec pour objectif de fortifier le sentiment et l'unité nationales et de préparer la Suisse de l'avenir. Ils vont donc entreprendre un travail qui aboutit à un corpus doctrinal, qui justifie la cohésion fédérale, tout en intégrant, dans le respect des particularités, toutes les composantes cantonales, d'une manière organique. Suivant cette conception, l'existence de la Suisse est à placer dans la continuité pluriséculaire de l'alliance jurée entre des communautés d'hommes libres. Elle rejette l'idée d'un peuple suisse unique, pour revendiquer la fidélité entre des peuples différents, mais unis. La Suisse, point de rencontre entre le christianisme, les peuples latins et les peuples germaniques, incarne ainsi une survivance du Saint-Empire romain germanique. L'helvétisme se place ainsi en opposition totale face aux deux visions dominantes de l'histoire suisse. Il refuse d'une part la vision bourgeoise libérale-radicale, suivant laquelle la Suisse serait née en fait de la Constitution de 1848, imposée par les Radicaux, suite à la guerre du Sonderbund[15] D'autre part, l'helvétisme rejette aussi fondamentalement l'historiographie marxiste, pour qui la Suisse serait un produit artificiel des « élites économiques » qui auraient uniquement voulu élargir leur marché au XIXème siècle.

La défense spirituelle

Le 9 décembre 1938, le conseiller fédéral Philipp Etter, catholique conservateur et corporatiste, populaire aussi bien chez les helvétistes que chez les Fronts et dans les autres partis et organisations de droite, publie un communiqué officiel, dans lequel il prend position contre « les menées des régimes totalitaires » et appelle chaque citoyen à défendre et à affirmer dans la vie quotidienne les valeurs essentielles de la Suisse, soit son appartenance à trois aires culturelles européennes, le caractère fédéraliste de sa démocratie, son attachement aux libertés.

Pour Philippe Etter, l'essentiel consiste en effet à maintenir l'existence de la Suisse d'abord dans les consciences, par une préparation morale. Le texte est clairement marqué par les formules et le style de l'helvétisme et de son fondateur, Gonzague de Reynold, que le Conseiller fédéral va d'ailleurs charger de nombreuses missions. Gonzague de Reynold réactive la Nouvelle Société Helvétique, qu'il avait fondée en 1912. En quelques semaines, il parvient à ramener à la cause de la défense spirituelles toutes les ligues (mais pas les Fronts). Il anime ensuite des émissions radiophoniques consacrées à l'histoire et à l'identité suisses.

Les historiens et les artistes sont appelés à tout mettre en oeuvre pour contribuer à la lutte morale pour l’indépendance de l'État. Des organisations privées de défense spirituelle sont créées, comme Pro Helvetia, la Ligue du Gothard, ou l’Action de résistance nationale. Une sorte d'office de contre-propagande, « Armée et foyer » ( « Heer und Haus ») , est instituée par le Conseil fédéral pour faire passer le projet culturel dans les familles, en resserrant les liens entre les citoyens-soldats et la population civile. Cette organisation est mixte: son commandement est militaire, mais elle est composée essentiellement de civils. Elle reçoit pour mission de maintenir une liaison spirituelle entre le front et l’arrière, rassembler les forces constructives des deux secteurs, leur permettre de s’exprimer, consolider l’union du peuple suisse, fortifier sa volonté de défense et défendre ses biens spirituels. Elle doit faire en sorte que le citoyen-soldat contribue à affermir le moral de la population civile par sa propre influence. Armée et Foyer développe ainsi différents services pour diffuser les idées de la Défense spirituelle et combattre les propagandes étrangères tout autant que la lassitude du mobilisé : des services de conférences, de diffusion de livres, de films et d'émissions radiophoniques, l'organisation de sports et de loisirs.


L'affirmation de la conscience suisse va trouver un large écho populaire à travers l'Exposition nationale de 1939. Connue sous son diminutif suisse-alémanique de « Landi », elle se tient à Zurich de mai à octobre. Elle voit 10 millions de visiteurs et devient une sorte de pèlerinage patriotique. Les attractions et les animations mettent en avant aussi bien l'histoire, les traditions et le folklore, que l'ingénierie et les réalisations techniques, le monde rural et le monde urbain. La défense spirituelle s'intéresse aussi au cinéma: on contingente les films étrangers et on favorise le développement du cinéma suisse. Les scénarios valorisent l'armée, le citoyen-soldat, la famille, la Suisse rurale et traditionnelle.

1939-1945: la défense spirituelle et la défense nationale

La politique de défense spirituelle va s'intensifier et, surtout, devenir inséparable de la politique de défense nationale. Au début de la Deuxième guerre mondiale, le 30 août 1939, l'Assemblée fédérale désignera comme Général de l'armée suisse[16] le commandant de corps Henri Guisan.

Toute la politique fédérale est désormais orientée selon les principes de la neutralité active et de l'indépendance du pays. Toutes les ligues, puis tous les partis politiques se rallient à la ligne du Conseil fédéral. Le mouvement de soutien au Conseil fédéral est tel que même le Parti socialiste qui, quelques années auparavant, refusait de voter le budget militaire, s'y joint. Il sera intégré au sein du Conseil fédéral en 1943, y obtenant un siège. La presse de gauche devient d'ailleurs très prudente : elle n'attaquera jamais le Général Guisan, qui jouit d'une immense popularité. Celui-ci est pourtant un authentique homme de Droite, et ne cache jamais sa sympathie pour Benito Mussolini, qu'il considère comme un ami personnel et un sincère allié de la Suisse[17]. Par dépit ou par tactique, la gauche préfère continuer à s'acharner en priorité sur son bouc émissaire de vieille date, le Conseiller fédéral Pilet-Golaz.

Seuls sont écartés du jeu politique les Fronts et l'extrême gauche. Les officiers connus pour être ouvertement favorables au national-socialisme sont mis de côté. Le Mouvement national suisse est interdit en 1940. Le Parti communiste est interdit la même année. La Fédération socialiste suisse l'est en 1941.

La synergie que le Conseil fédéral est parvenu à créer rend l'existence des Fronts, d'une certaine manière, complètement obsolète. Les Fronts voulaient une Suisse unie et rénovée, un peuple fier et solidaire, une communauté populaire et organique. Leur projet ressemble à sy méprendre à ce qu'ont réalisé le Conseil fédéral et le Général Guisan.

Bibliographie

  • Gerhart Waeger, Die Sündenböcke der Schweiz : Die Zweihundert im Urteil der geschichtlichen Dokumente 1940-1946, Olten/Freiburg im Breisgau: Walter-Verlag, 1971, 288 p.
  • Walter Wolf, Faschismus in der Schweiz : Die Geschichte der Frontenbewegungen in der deutschen Schweiz 1930–1945, Zurich, Flamberg, 1969, 530 p.

Notes et références

  1. Christophe Dolbeau, Parias - Fascistes, pseudo-fascistes et mal-pensants, Saint-Genis-Laval, Akribeia (3ème éd. revue et augmentée), 2021, 600 p., p. 138.
  2. Leon­hardt émigrera en Allemagne en 1939 et trouvera la mort en 1945 lors d'un raid aérien allié.
  3. Après la guerre, Max-Leo Keller, expatrié en Allemagne, accusé de trahison, sera condamné à 12 ans de prison.
  4. On peut noter que Léon Nicole, figure historique de l'extrême gauche suisse et chantre de la « lutte antifasciste », soutiendra le pacte germano-soviétique en 1939, et qu'il commencera alors à qualifier le national-socialisme allemand de « socialisme viril ». Il sera exclu du Parti socialiste suisse. Il fonde alors la Fédération socialiste suisse, qui va rassembler la plus grande partie de l'extrême gauche.
  5. Le Parti démocratique genevois, qui deviendra ensuite le Parti libéral, regroupe les forces de tendances libérales-conservatrices.
  6. Le Redressement national est le seul mouvement né à cette époque, avec la Ligue vaudoise à perdurer au-delà de la Seconde guerre mondiale.
  7. Voir à ce sujet la thèse : Gerhart Waeger, Die Sündenböcke der Schweiz : Die Zweihundert im Urteil der geschichtlichen Dokumente 1940-1946, Olten/Freiburg im Breisgau: Walter-Verlag, 1971, 288 p.
  8. On peut ici remarquer que la Ligue vaudoise n'emploie pas le terme de Landamman, qui n'a cours que dans les cantons alémaniques. On peut toutefois signaler qu'il est employé par le théoricien de l'helvétisme, Gonzague de Reynold
  9. Le terme de Landamman est typiquement suisse. Il remonte au Haut Moyen-âge et désigne dans les premiers cantons suisses un juge élu par la communauté et, en même temps, la plus haute fonction exécutive, élue par une Landsgemeinde (assemblée populaire au vote à main levée). Le terme de landamann est repris par la République helvétique (1798-1803), imposée par les révolutionnaires français, pour désigner le chef de l'État, mais uniquement à partir de 1801. Sous le régime dit de l'Acte de Médiation (1803-1813), sa fonction est maintenue, mais ses attributions sont réduites. Après la Médiation, la fonction de chef de l'Etat disparaît des institutions suisses. Les projets de constitution de 1832/1833 prévoient cependant de donner le titre de Landamman au président de la Diète et du Conseil fédéral. Aujourd'hui, le titre de Landammann est toujours utilisé pour désigner le chef de l'exécutif dans les cantons d'Argovie, Appenzell Rhodes-Extérieures, Appenzell Rhodes-Intérieures, Glaris, Nidwald, Obwald, Schwytz, Soleure, Uri et Zoug.
  10. Gottlieb Duttweiler (1888-1962), entrepreneur et homme politique suisse, fondateur de la coopérative Migros et du parti l'Alliance des Indépendants.
  11. Voir « Rapport du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant l’activité antidémocratique exercée par des Suisses et des étrangers en relation avec la période de guerre de 1939 à 1945 (motion Boerlin)», première partie, 147 p. ; deuxième partie, 38 p. ; troisième partie, 61 p.; et : IN-ALBON, Frédéric, La motion Börlin sur les « menées antidémocratiques » : acte d’oubli ou de mémoire ?, Mémoire de licence, Lausanne, 2000, MH 635
  12. Armin Mohler, Der Nasenring. Im Dickicht der Vergangenheitsbewältigung, Heitz und Höffkes, Essen, 1989, pp. 37-41.
  13. Il suffit ainsi de réunir 50 000 signatures en l'espace de 100 jours contre une loi votée à l'Assemblée fédérale pour que les citoyens soient appelés à se prononcer sur cette loi.
  14. L'initiative populaire fédérale est un droit civique suisse permettant, sur le plan fédéral, à 100 000 citoyens ayant le droit de vote, de proposer une modification totale ou partielle de la Constitution fédérale et de la soumettre à la votation populaire. Les citoyens à l'origine de l'initiative, rassemblés au sein d'un comité d'initiative, disposent de 18 mois pour récolter ces signatures.
  15. Le Sonderbund est une alliance conclue en 1845 entre une partie des cantons conservateurs, pour défendre leurs intérêts face à la montée en puissance des Radicaux, arrivés au pouvoir dans la majorité des cantons. Les tensions aboutissent à un conflit armé, en novembre 1847, qui voit la victoire de l'armée confédérale sur les troupes du Sonderbund. L'année suivante est proclamée la première Constitution fédérale, qui met un terme au système confédéral et donne à la Suisse moderne la structure étatique qui perdure jusqu'à aujourd'hui.
  16. grade existant uniquement en cas de mobilisation
  17. Le Général Henri Guisan fait la connaissance du Duce en 1934, lors d'une mission officielle en Italie. Il dira de lui: « En lui, deux hommes, chef dur d’une franchise brutale, d’autre part le charmeur, dans son sourire, sa conversation… Prestige d’un demi-dieu. Homme sorti du peuple.»