Georges Oltramare
Georges Albert Oltramare, connu aussi sous le nom de plume de Charles Dieudonné, était un journaliste, auteur littéraire, animateur de radio et militant politique nationaliste suisse, né le 17 avril 1896 et mort le 16 août 1960 à Genève.
Il est le fondateur de l'Union nationale, un parti politique patriote et anticommuniste, proche des mouvements frontistes.
Sommaire
Biographie
Origines familiales
Georges Oltramare naît le 17 avril 1896 dans une famille genevoise d'origine ligure. Fils d'un professeur d'université, Jean-Paul Oltramare, doyen de la faculté des lettres de l'université de Genève et de Berthe Carteret, fille du conseiller d'État Antoine Carteret. Il est le frère de l'homme politique socialiste André Oltramare.
Il épouse en 1925 Marcelle-Juliette Pictet de Rochemont, issue d'une famille genevoise distinguée, puis en secondes noces Olga-Anna de Donici.
Sa belle-soeur Elisabeth de Donici avait épousé Paul Dunant, mais avait confié à la garde de sa sœur son fils Grégoire, qui était en fait le fils naturel du célèbre compositeur juif de chansons populaires Casimir Oberfeld.
Débuts littéraires
Au Collège de Genève il se lie d'une amitié profonde avec Marc Dufaux, auquel il va succéder à la direction de la Revue des Idées après sa mort en 1918.
Il entame des études de droit qu'il n'achèvera jamais.
En 1916, il part pour Bucarest où il devient précepteur de l'un des enfants du prince Ghyca et, de la Roumanie en guerre, il envoie des articles au Journal de Genève. Rentré à Genève en 1917, il collabore au journal La Suisse, où il publie ses billets hebdomadaires qu'il signe G.O. qui se transformera en Géo. En avril 1918, il donne sa première conférence sur Jules Laforgue à l'Athénée, en 1919, ayant obtenu une demi-licence en droit, il quitte les études à la Faculté de droit de l’université de Genève pour se consacrer à l'écriture et il donne à la Comédie une revue écrite en collaboration avec René-Louis Piachaud et, en 1920, est jouée sa comédie Le Rat d'Hôtel. En 1921 il donne au Théâtre Pitoëff une conférence sur Oscar Wilde et il travaille au secrétariat de la Société des Nations, dont il devient rédacteur du Journal Officiel en 1922. Mais, ayant publié sous le manteau un très vif pamphlet, Le Pétard, contre la Société des Nations, il perd sa place. En 1923, il part pour La Haye, où il va travailler comme procès-verbaliste à la conférence des Juristes chargés de réviser les lois de la guerre. À son retour, le journal La Suisse le licencie en raison de la virulence de ses articles.
Il participe également à plusieurs revues littéraires. Il écrit des poèmes libertins comme À mi-corps et publie des pièces de théâtre dont L'escalier de service qui est jouée au Théâtre Michel à Paris.
Le Pilori
Ses mésaventures journalistiques convainquent Oltramare de créer son propre journal. Ce sera Le Pilori, qu'il lance le 26 mai 1923, et qui parait régulièrement jusqu'en 1940. La publication au ton satirique et acerbe trouve rapidement un public : Le Pilori tire bientôt à 20'000 exemplaires. Ses cibles favorites sont les affairistes, notamment ceux qui dirigent les grands magasins, ainsi que l'avocat socialiste Jacques Dicker (1879-1942).
En parallèle à son activité de publiciste, il poursuit sa carrière littéraire et dramaturgique. En 1925, il reçoit le prix de la Fondation Schiller pour sa pièce Don Juan ou la Solitude qui est jouée au Théâtre de l'Œuvre à Paris. Avec Michel Simon, il fait partie de la première troupe de théâtre de Georges Pitoëff installée à Genève en 1915. Il apparait sous le nom de scène d'André Soral dans trois films dont deux d'un proche, le réalisateur Jean Choux.
L'Union nationale
Motivé par sa popularité, due au Pilori et à son activité dramaturgique, Georges Oltramare se décide à s'engager pleinement en politique en 1930. Il se présente aux élections cantonales genevoises comme candidat chrétien-social. Il est battu de justesse.
En février 1931, il fonde son propre parti, l'Ordre politique national. Son objectif est de « réagir contre le marxisme économique et politique et de rétablir la prédominance des forces spirituelles dans la Nation suisse ». Il recrute entre 400 et 500 adhérents. Il ne s'agit pas d'un mouvement de type fasciste, mais plutôt radicalement anticommuniste et patriote. Il prône d'ailleurs une politique d'« union des droites », qu'il met en pratique : le 24 juin 1932 il fusionne avec l'Union de défense économique (UDE), un autre petit parti, pour former l'Union Nationale.
L'affaire du 9 novembre 1932
Le nom du nouveau parti va se retrouver lié de manière indélébile avec un incident qui va profondément marquer l'histoire politique suisse.
« Mise en accusation publique des sieurs Nicole et Dicker »
Le 9 novembre 1932, l'Union Nationale organise une grande réunion publique à la salle communale de Plainpalais, sur le thème de la « mise en accusation publique » des deux dirigeants les plus radicaux du Parti socialiste, Léon Nicole[1]et Jacques Dicker.
Une contre-manifestation non autorisée
La presse du Parti socialiste hurle au scandale et annonce l'organisation d'une contre-manifestation antifasciste. Le Conseil d'Etat (exécutif) interdit la contre-manifestation, mais ses organisateurs répliquent par voie de presse qu'ils passeront outre. Pour maintenir l'ordre, le gouvernement genevois fait alors appel à l'armée, qui dépêche les compagnies de l'école de recrues d'infanterie de Lausanne.
La fusillade
Alors que la conférence de l'Union nationale débute, et que les contre-manifestants se sont massés autour de la salle communale, des activistes d'extrême gauche se jettent sur les soldats pour tenter de les désarmer. Sans expérience et mal commandés, quelques soldats ouvrent le feu sur la foule des manifestants, faisant 13 morts et 65 blessés, dont plusieurs passants sans rapport avec les événements.
Le retour au calme
Le gouvernement, dominé par la droite, à qui l'Union Nationale assure une majorité au Grand Conseil et qui y est représentée par Edmond Turrettini, réagit prestement. Il renvoie immédiatement les troupes de jeunes soldats à Lausanne, qui sont remplacés par un bataillon d'élite d'infanterie de montagne valaisan. La presse de gauche ne se prive pas de traiter de « troupe de sauvages » les soldats valaisans, qui ne commettront pourtant aucune exaction d'aucune forme.
Le gouvernement intervient d'autre part pour que Nicole et d'autres socialistes soient inculpés pour la responsabilité des troubles. Condamné, Nicole est pourtant élu au gouvernement six mois plus tard, à sa sortie de prison. La gauche appelle à la grève générale, mais elle ne sera que modestement suivie, pendant que le gouvernement interdit tout rassemblement sur la voie publique. Par ailleurs, au sein de la gauche, l'affaire de la fusillade éloigne les socialistes genevois du Parti socialiste suisse qui soutient la défense nationale alors que la section genevoise s'y oppose.
Postérité
L'historiographie de la gauche suisse a ensuite construit une véritable légende sur les événements, alors que les responsabilités réelles semblent plutôt incomber aux dirigeants de la section genevoise, alors particulièrement radicale, du Parti socialiste, qu'à un « gouvernement fascisant et aux provocateurs hitlériens ».
Un monument commémoratif sous la forme d'une pierre est érigé le 9 novembre 1982.
Un fascisme genevois ?
Malgré l'incident et ses suites, l'Union nationale est encore un parti très modéré. Il se borne à exiger la suspension pendant cinq ans des naturalisations, la cantonalisation de l'aide sociale, l'expulsion des meneurs communistes étrangers, un contrôle accru des dépenses de l'Etat et l'extension des incompatibilités parlementaires.
La direction du parti comprend 15 membres. Le journal du parti n'est pas Le Pilori, qui reste indépendant, mais Le Citoyen, qui devient L'Action nationale en 1933.
Mais l'Union nationale se radicalise à partir de 1934. Les anciens de l'UDE quittent peu à peu le parti. En février 1934, les nouveaux statuts précisent : « le but de l'Union nationale est de restaurer la vie natinale en dehors de toute idéologie démocratique ». Un an plus tard, Oltramare devient le chef unique du parti, aux côtés d'un secrétaire général, Arnold de Muller. On adopte le slogan « Une doctrine, une foi, un chef ».
L'Union nationale dépasse alors le millier d'adhérents (1200 en 1938). Ses adhérents sont en majorité des artisans et des petits commerçants, mais elle reçoit le soutien de nombreux artistes et intellectuels genevois. Les militants sont organisés en « dizaines » et en « centaines ». Son dynamisme se retrouve aussi dans ses activités culturelles (fanfare, chorale, groupe de jazz, club de jodleurs) et sportives (ski, escalade, volley-ball). Le parti structure aussi une organisation de jeunesse, « Servir Genève », qui publie le bulletin La Relève, une section féminine, un groupe des cadettes, une commission sociale. On crée aussi un bar et une bibliothèque. Un service d'ordre de 200 hommes est mis en place, dont les membres portent un uniforme (chemise grise et béret noir).
En 1934, Oltramare s'engage en faveur de l'initiative Fonjallaz pour l'interdiction de la franc-maçonnerie. Il fait partie du comité d'initiative. Si l'initiative finit pas être rejetée, on peut considérer que la campagne genevoise menée par Oltramare a été dynamique : elle obtient 41% des voix dans le canton, ce qui correspond à l'un des plus hauts résultats de Suisse.
En 1935, Georges Oltramare est élu au Conseil national pour un mandat de quatre ans.
Malgré ce dynamisme, l'Union nationale s'embarrasse peu de doctrine politique. On reste sur un simple anticommunisme, sur un antiétatisme empreint de libéralisme, un appel au respect des traditions et à la défense de la famille, de la patrie, de l'intégrité nationale et de la propriété privée. Mais elle ne propose pas d'idée novatrice, se contentant d'affirmer lutter pour « une Suisse chrétienne, fédéraliste et corporative ». Elle ne fait pas de proposition sociale ou économique originale.
En revanche, elle prend des positions très nettes sur le plan international. Elle organise des meetings de protestation contre les sanctions prises par la SDN contre l'Italie. Oltrmare prend aussi position dans les affaires d'Europe centrale, notamment en faveur des revendication hongroises. Il invite de nombreuses personnalités d'autres pays d'Europe à s'exprimer à Genève : Léon Degrelle, Léon Daudet, Charles Maurras, Darquier de Pellepoix.
Oltramare est l'un des orateurs au premier congrès européen du Comité d'action pour l'universalité de Rome (CAUR), organisé à Montreux le 16 et 17 décembre 1934, par la Fédération fasciste suisse de Fonjallaz, auquel assistent des représentants de nombreuses organisations européennes. Il participe aussi au deuxième congrès, à la mi-décembre 1935.
Oltramare fonde aussi, avec Raoul Follereau, l'Alliance des patries et la Ligue universelle pour la réforme de la SDN (22 janvier 1936), ainsi que la Revue anticommuniste.
En février 1936, Oltramare est invité par Benito Mussolini, qui l'invite à nouveau, cette fois de manière officielle, en mai 1937 au Palais de Venise, en compagnie d'une délégation de l'Union nationale.
Sur le plan électoral, les résultats de l'Union nationale restent faibles : 9 élus au Grand Conseil en 1933, 8 aux élections communales de 1935, 10 au Grand Conseil en 1936. De même, les tentatives de fédération avec les autres organisations et partis nationalistes échouent. Oltramare essaie d'autres projets d'alliance, avec les chrétiens-sociaux ou le Parti démocratique (par la suite Parti libéral, puis après fusion Parti libéral-radical) genevois, mais ceux-ci ne rencontrent pas plus de succès. Déçu, Oltrmare se replie sur Le Pilori.
L'Union nationale décline peu à peu. Oltramare la quitte définitivement en 1939. Le parti se désagrège. Une grande partie de ses membres adhère au Mouvement national suisse dès sa fondation en juin 1940. Le journal L'Action nationale devient la publication romande du MNS.
A Paris
Déçu par l'échec de l'Union nationale, Oltramare quitte la Suisse le 31 mai 1940. Il se rend d'abord en Italie, puis en France. Le 22 juin 1940, il assiste à la signature de l'armistice à Rethondes.
En juin 1940, à la demande d'Otto Abetz, il s'installe en France où il dirige, sous le pseudonyme de Charles Dieudonné, le journal La France au travail (futur La France socialiste). Parmi ses collaborateurs, il peut compter sur Henry Coston, Jean Drault, Daniel Perret, Jacques Dyssord, Sylvain Bonmariage et Martin-Dubois. Sous sa direction, le journal passe de 16'000 exemplaires vendus à 260'000.
En juillet 1941, il quitte La France au travail pour créer le « Service Dieudonné » à Radio Paris. Assisté de Robert-Julien Courtine, Maurice Rémy et Robert Le Vigan, il anime les émissions Au rythme du temps, Les juifs contre la France et Un neutre vous parle.
Le 20 mars 1942, il est à l'origine du déjeuner organisé à l'Écu de France par l'Association des journalistes antijuifs (AJA) dont le président d'honneur est Jean Drault pour célébrer le cinquantième anniversaire du premier numéro de La Libre Parole d'Édouard Drumont. Louis-Ferdinand Céline, Pierre-Antoine Cousteau, Henry Coston, Jean Hérold-Paquis, Jacques Dyssord, Robert Denoël et Titaÿna sont également présents à cet évènement. En mai 1943, il fête les 25 ans du Pilori avec un déjeuner auquel sont conviés Henri Labroue et Louis Darquier de Pellepoix. Il participe à Paris à des réunions collaborationnistes et anticommunistes.
Début 1944, il échappe à un attentat. Inspiré par l'incident, il organise le 1er avril un « banquet des condamnés à mort », présidé par l'écrivain Paul Chack, qui sera effectivement fusillé le 9 janvier suivant. Quelques semaines plus tard, Oltramare doit fuir Paris. Il part pour Sigmaringen, avant de rentrer en Suisse.
Le 21 avril 1945, il se présente au poste frontière de Kreuzlingen, où il est immédiatement arrêté.
Après-guerre
Georges Oltramare est libéré le 16 avril 1945, mais est à nouveau interné le 1er février 1947. Il est accusél d'avoir porté atteinte é la neutralité du pays. Il est jugé à Lausanne devant le tribunal fédéral à partir du 10 novembre 1947, aux côtés de deux autres Suisses, René-Marcel Fonjallaz et Paul Bonny, qui l'avaient rejoint à Paris. Pendant la durée du procès, la presse se déchaîne contre Oltrmare, pendant que le Parti suisse du Travail[2] réclame la peine de mort. Il est condamné à trois ans de prison et cinq ans de privation de droits civiques pour son activité d’ « agent stipendié du régime nazi » et d’ « exécuteur docile de la propagande allemande contre la Suisse » . De plus, la Cour pénale précise dans sa condamnation le « caractère particulièrement haineux des attaques contre la Suisse et la bassesse de caractère manifestée en devenant agent des services d’espionnage allemands ». Le 12 janvier 1950, la Cour de justice de la Seine le condamne à mort par contumace, avec la confiscation de ses biens.
Il partage la fin de sa vie entre l'Espagne franquiste et l'Égypte où il est employé comme speaker à la Voix des Arabes, invité par Nasser. En effet, toute expression publique lui est interdite en Suisse. En 1956, il publie ses souvenirs par une suite de billets et de portraits des personnalités politiques ou littéraires qu'il a rencontrées sous le titre Les souvenirs nous vengent. Il y égrène aussi ses succès féminins. Malgré son interdiction, en 1958, il relance Le Pilori et confie des articles à L'Europe réelle, le périodique que vient de fonder l'ancien Waffen-SS Jean-Robert Debbaudt (1927-2003). En 1960, il publie son dernier ouvrage, un recueil de 20 poèmes érotiques, sous le titre Limbes et lombes sous le pseudonyme de Tancrède Pisan.
Le 16 août 1960, il décède d'un infarctus.
Postérité
Dans les années 1970, le Nouvel ordre social, organisation nationaliste-révolutionnaire suisse, se réclamera de lui, du moins à ses débuts.
Beaucoup plus tard, en 2015, le mouvement identitaire Résistance Helvétique lui rendra honneur en renommant la rue genevoise Léon Nicole « Rue Georges Oltramare », en apposant une plaque à son nom.
Œuvres
- Dans le Vieux Faubourg, Genève, Comptoir de librairie, 1914
Onze sonnets illustrés
- Sans laisser de traces..., Genève, éditions A. Ciana, 1922
- L’amour en Suisse romande, Lausanne, René et ses Amis, 1929
Coécrit avec M. Porta et René Fonjallaz
- Don Juan ou la solitude, Genève, Les beaux livres de l'édition indépendante, 1937
- Divertissements, Genève, sociétés d’éditions indépendantes, 1937
- Les souvenirs nous vengent, Genève, L’Autre Son de Cloche, 1956
Réédité en 2000 par Déterna dans la collection Documents pour l'Histoire
- Limbes et Lombes, 1960
Bibliographie
- Christophe Dolbeau, « Georges Oltramare, paladin du fascisme », in : Parias - Fascistes, pseudo-fascistes et mal-pensants, Saint-Genis-Laval, Akribeia (3ème éd. revue et augmentée), 2021, 600 p., p. 249-264.
- Mauro Cerutti, « Georges Oltramare et l'Italie fasciste dans les années trente - La propagande italienne à Genève à l'époque des sanctions et de la crise de la Société des Nations », in : Studien und Quellen - Etudes et Sources - Studi e Fonti, 1989, vol. 15, p. 151-212.
- Joseph Roger, L'Union nationale 1932-1939. Un fascisme en Suisse romande, La Baconnière, Neuchâtel, 1975.
- Daniel Cologne, « Destin d'un chef fasciste : Georges Oltramare », in : Revue d'histoire du fascisme, no 11
Notes et références
- ↑ On peut noter que Léon Nicole, figure historique de l'extrême gauche suisse et chantre de la « lutte antifasciste », soutiendra le pacte germano-soviétique en 1939, et qu'il commencera alors à qualifier le national-socialisme allemand de « socialisme viril ». Il sera exclu du Parti socialiste suisse. Il regroupe alors toute l'extrême gauche en fondant la Fédération socialiste suisse.
- ↑ Dénomination officielle du Parti communiste suisse, interdit en 1940.