Héliopolis

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Héliopolis (titre original : Heliopolis, Rückblick auf eine Stadt) est un roman d'Ernst Jünger paru en 1949.

Plan de la ville fictive d'Heliopolis, par Werner Höll (1898-1984), pour l'édition numérotée du roman (1949).

Entre Sur les falaises de marbre et Eumeswil, il est l'une des plus grandes œuvres de fiction de Jünger. La critique littéraire est partagée sur la classification du roman : certains le caractérisent d'œuvre utopique, d'autres d'œuvre dystopique, d'autres encore la rangent parmi les récits de science-fiction[1].

Il a été traduit en français par Henri Plard (Plon 1952, Christian Bourgois 1975). En outre, il a fait l'objet d'une traduction en suédois par Kjell Ekström (Natur & Kultur, 1954), en espagnol (Seix Barral, 1981) et en italien par Marola Guarducci (Guanda, 2006).

Résumé

L'action du roman se situe dans un monde imaginaire en proie à une grande instabilité. Une guerre monstrueuse (l’Ère des Grands Embrasements - die Ära der Großen Feuerschläge) vient de se terminer. Elle a été gagnée par le Régent, face à la rébellion de la Ligue Mais celui-ci, déçu par l'attitude des hommes, a quitté la terre en emportant avec lui toutes les armes de destruction massive. Depuis, le monde s'est divisé en plusieurs États de Diadoques. Heliopolis est la capitale de l'un d'entre eux.

La ville traverse une grave crise. En effet, le pouvoir est partagé entre deux camps rivaux. D'un côté, le Proconsul incarne la « légitimité aristocratique ». De l'autre côté, le Bailli gouverne au nom de la « légalité populaire »[2]. Le camp du Proconsul s'appuie sur l'armée, l'université, l'« Office du Point » (les archives) et, depuis peu, l'Energeion, la principale source d'énergie dont dépend la ville. Le Bailli dirige la police, la presse, l'inquiétant « Institut de toxicologie » et l'« Office central ». Derrière les deux hommes s'affrontent deux « Écoles », c'est-à-dire deux conceptions du monde : le camp du Proconsul vise la liberté et la perfection de l'homme, et la formation d'une élite nouvelle. Le camp du Bailli vise la perfection de la technique, en assurant la domination d'une bureaucratie collectiviste et absolue, dans une société nivelée. Mais aucun des deux camps n'arrive à l'emporter. Complots, attentats, menaces, coups de main, campagnes de presse, accords et déclarations de réconciliation apparente se succèdent. Profitant de la situation, un étrange ordre militaire, celui des Mauritaniens, tente de prospérer en jouant les arbitres entre les deux partis.

Jünger s'est inspiré de la topographie de Naples pour imaginer la ville d'Heliopolis.

Le personnage principal, le commandant Lucius de Geer, est un haut fonctionnaire de l'administration du Proconsul. Il est secondé par son fidèle homme de main, Costar, son chauffeur Mario et sa gouvernante donna Emilia. Il vit dans un appartement situé sur les hauteurs du Palais, la Volière, avec son chat Alamouth (Alamut dans le texte original). Il est profondément acquis à la conception de l'État et de l'homme défendues par le Proconsul, mais il n'a plus aucun espoir en une victoire. Pire, il estime que les dirigeants de son camp se comportent parfois de manière aussi basse et machiavélique que ceux du camp adverse. Pour ces raisons, il se réfugie dans la métaphysique, la poésie et les arts, en compagnie de ses amis le peintre Halder, l'écrivain Ortner et le philosophe Serner. Il se laisse volontiers dominer par ses sentiments et ses émotions, ce qui inquiète sérieusement son supérieur hiérarchique direct, le Chef, dit aussi le Général. Celui-ci continue pourtant à le charger de missions de la plus haute importance, souvent diplomatiques mais parfois aussi militaires.

Lors d'une émeute, Lucius sauve la vie de Boudour Péri, une jeune fille, qu'il va plus tard revoir et avec qui il va commencer une étrange relation, Elle est la fille d'une mère norvégienne et d'un maroquinier issu de la communauté parsi, importante dans la ville. Ensemble ils vont vivre une expérience psychotrope, lors de la Nuit du laurier.

Peu de temps après, au cours d'une mission militaire de type coup de main (ou commando) particulièrement dangereuse, Lucius commet une faute grave qui entraîne sa chute en disgrâce.

En accord avec ses supérieurs, il décide donc d'aller rejoindre le Régent, qui, dans des contrées lointaines et mystérieuses (Au-delà des Hespérides), prépare patiemment une nouvelle élite, « formée par la souffrance ». Un étrange Pilote bleu vient les chercher en fusée intersidérale, lui et Boudour Péri qu'il vient d'épouser.

Extraits

Le discours du « Chef » à Lucius

« Je dois vous parler de changements que j'observe depuis quelque temps avec inquiétude. Je pense aux penchants métaphy­siques qui de plus en plus se font jour chez vous­ même et d'autres membres de l'état-major. Je n'y trouverais rien à redire, si nous voulions fonder un ordre monastique - or, telle n'est pas mon inten­tion. Je vais donc vous communiquer une fois de plus mes vues sur la situation. [...] Nous vivons dans un état de faits où les liens anciens se sont perdus depuis longtemps, un état d'anarchie. Nul ne doute qu'il faille rétablir l'ordre [..] Il reste deux grandes écoles à Héliopolis. La première, qui se groupe autour du Bailli et de son Office central, s'appuie sur les ruines et les hypothèses des anciens partis populaires, et pré­tend assurer la domination d'une bureaucratie ab­solue.

La seconde école est la nôtre; elle s' édifie sur les ruines de l'ancienne aristocratie et du parti sénato­rial, et est représentée par Je proconsul et le Palais. Le Bailli veut, hors de l'histoire, élever un être collectif au rang d'Etat; nous, nous tendons à un ordre historique. Nous voulons la liberté de l'homme, de son être, de son esprit et de ce qu'il possède, et l'Etat dans la seule mesure où ces biens réclament une protection. De là résulte la différence entre nos moyens et méthodes et ceux du bailli. Il est obligé de niveler, d'atomiser et d'aplanir son matériel humain, au sein duquel doit régner un ordre abstrait. Chez nous, au contraire, c'est l'homme qui doit être Je maître. Le Bailli vise à la perfection de la technique. Nous visons à la perfection de l'homme. ­ De là vient ensuite une différence dans la sélec­tion. Le Bailli veut la supériorité technique. La re­cherche de spécialistes mène nécessairement à des types atrophiés. Le choix se fixe sur celui chez qui l'impulsion technique rencontre le moins de résis­tance humaine. Pratiquement, cela se manifeste par le fait qu'on trouve dans l'Office central un mélange d'automates et de criminels intelligents. Au contraire, notre ambition est de former une élite nouvelle. Notre tâche est incomparablement plus difficile; nous nageons à contre-courant. Tan­dis que le nivèlement trouve en chaque homme matière à s'exercer, notre désir doit être tendu vers l'image parfaite de l'homme, qui ne se montre aux yeux que rarement, et n'est jamais qu'une approximation.

En cela le Proconsul est pour nous un modèle, le porteur des vertus justes et promises au pouvoir. Chez lui, ce ne sont pas seulement les principes aristocratiques, mais aussi ceux de la démocratie qui subsistent intacts. Nous savons qu'il veut prendre sur lui cette charge de tuteur. A cette fin, il cherche à s'attacher les meilleures personnalités. Le choix devra donc se fixer sur les capacités, c'est-à-dire, sur un cercle d'hommes qui se distinguent, soit par leurs actes, soit par ce qu'ils savent ou peuvent faire. C'est la plus faible, mais la seule manière possible de for­mer une élite en notre temps. Il faut exclure des postes de direction et les purs techniciens, et les romantiques. »[3]

Le roman et l'écrivain

La critique littéraire différencie dans l'œuvre de Jünger deux périodes de production: les livres de jeunesse et les livres de maturité. Jünger parle lui-même de son propre « Altes Testament », qui regroupe ses récits de guerre dans lesquels tous les personnages et les faits sont réels, et de son « Neues Testament », composé d’œuvres de fiction, dans lesquelles les figures et les lieux imaginaires croisent de nombreuses références au monde réel. Heliopolis fait clairement partie de cette deuxième catégorie[4], [5].

Si le théâtre du roman se situe dans un monde imaginaire, la description de la ville laisse penser que Jünger s’est inspiré de la géographie de Naples. En effet, il avait effectué en 1925 un stage de deux mois à la Stazione Zoologica, un institut de recherche en biologie marine fondé en 1872 par l'allemand Anton Dohrn. Il écrira que ce séjour fut pour lui moins « scientifique » que « magique » et « philosophique »[6].

Science-fiction, utopie ou dystopie ?

Le nom du roman est une allusion au roman utopique de La città del Sole (1602) de Tommaso Campanella. Le livre n'est pas sans rappeler deux autres grandes contre-utopies du XXe siècle : 1984 (paru d'ailleurs la même année) et Le Meilleur des mondes.

Un cadre géographique et temporel mystérieux

Heliopolis est au centre d'un monde mystérieux, où se retrouvent nombre d'éléments se référents à la géographie de notre monde (le Burgenland - traduit par « Pays des Castels  » par Henri Plard - province de naissance de Lucius, les Asturies, la Norvège), souvent méditerranéens (les Diadoques, Vinho del Mar, Castelmarino, le Pagos) ou mythologiques (les Hespérides). On trouve aussi des références culturelles, littéraires, philosophiques (le christianisme, la mythologie grecque, Nietzsche) et même historiques (Napoléon, Louis-Philippe et Giuseppe Fieschi) au monde du lecteur.

Les innovations techniques

Dans le roman cohabitent différents niveaux techniques : d'un côté, au Burgenland , on se déplace qu'à cheval. L'équitation et l'escrime tiennent d'ailleurs un rôle central dans l'instruction des officiers.

Mais le roman présente de nombreuses innovations technologiques, qui présentent des aspects positifs et négatifs pour les hommes. C'est la raison pour laquelle les critiques voient dans le roman une réflexion profonde sur les rapports entre l'homme et la technique dans la société post-industrielle[7].

Les principales innovations techniques rencontrées dans le roman sont :

  • le Phonophore: un téléphone portable, intransmissible, qui, outre son usage de télécommunication, peut servir de passeport, de moyen d'identification et de payement, d'encyclopédie, d'aide au déplacement et à la navigation, etc.
  • l'Energeion (ou Rayonnement) : une sorte d'énergie nucléaire qui a remplacé presque toutes les autres sources d'énergie
  • les bateaux à propulsion silencieuse et rapides et les fusées intersidérales
  • les armes de destruction massive
  • des inventions améliorant le confort : l'éclairage sans ombre des rues jour et nuit, le pulvérisateur d'ambiance, la climatisation des logements.

Analyse : Mythes et figures dans Heliopolis

Article de Philippe Baillet, paru in: Totalité, n° 2, 1977.

Dans Heliopolis, Jünger décrit une ville imaginaire divisée en deux camps : celui de la légitimité conservatrice et celui de la légalité populaire. Nous allons donc procéder à l'analyse des figures emblématiques de chaque camp et des mythes qui sous-tendent ces figures.

La légitimité conservatrice

Son symbole est l'aigle tenant le serpent dans ses serres, dont la signification est la domination - mais aussi l'intégration bénéfique - de l'élément tellurique par l'élément olympien.

Le siège du pouvoir légitime est le Palais et sa hiérarchie est la suivante:

l) Le Proconsul: aristocrate, désinvolte, grand seigneur protecteur des arts.
2) Le Chef
3) Le commandant Lucius de Geer.

Les figures de la légitimité conservatrice

- Le Chef: incarnation des valeurs du Soldat, par opposition au Technicien, qui tend à le supplanter. Son attitude face à la situation : " En des temps où le droit et l'injustice s'entremêlent, le doute s'approche de nous dans toute sa puissance. Il reflète dans notre être intime la confusion de l'époque. Il cherche à ronger l'action en la muant en réflexion ... Le grand capitaine n'est pas sans l 'expérien­ce de ces doutes. Ils l'assaillent encore à la veille du renversement de toutes choses. C'est l'exigence de l 'adversaire qui éveille la voix en lui. Il perdra la bataille, s'il ne la réduit au silence ".

- Lucius: le chevalier. Membre du très ancien corps des chasseurs à cheval, chargé des missions difficiles. Homme d'âge mûr, personnalité complexe, assoiffé de Connaissance, il a toujours été plus attiré par l'aventure spirituelle que par l'aventure physique. Son ancien Maître a été Nigromontan, le Mage, et il a connu l'Adepte Fortunio (deux figures récurrentes chez Jünger, puisqu'elles sont déjà citées dans Sur les falaises de marbre). Lucius a donc suivi la voie de la Con­naissance, mais une voie marquée par des résidus de la puissance uranienne. Son attitude face à la situation: " Il lui manquait la détermination avec laquelle on se range à un parti, et qui pourtant a son importance dans la vie. Et cela ne pouvait que déteindre sur les tâches qu'on lui avait confiées. Sans doute exa­gérait-il l'influence des éléments spirituels sur le train du monde".

- Costar: l'aide de camp de Lucius. Incarnation de la fides médiévale. Voir : dans Visite à Godenholm[8], le "couple" formé par Schwarzenberg, autre exemple de Mage, et par Gaspard, son "homme à tout faire", aventurier, ancien des Bats d'Af, fumeur d'opium.

Le Proconsul, le Chef, Lucius et Costar sont tous originaires de l'immuable "Pays des Castels", situé "par-delà les Hespérides", pays de forêts, gardien de la tradition immémoriale. Ce pays, si l'on se réfère à la tradition nordique, ne connaît que deux types d'hommes: les Jarl, qui vont à Odin (ex.: Lucius) et les Karl, les valets, au sens militaire du terme, qui vont à Thor.

-Antonio Peri: le relieur raffiné, adepte des drogues, membre de la communauté minoritaire des Parsis, qui abandonne ses morts aux vautours et professe des croyances manichéennes. Représente l'élément étranger, o~iental, de contemplation. Appartenant à une communauté opprimée dans l'espace, il cherche à se libérer du temps au moyen des drogues, mais c'est aussi un homme de Connaissance.

-Le Père Félix, l'ermite: il fait pendant au Père Lampros des Falaises de marbre. Ce dernier descendait d'une grande famille; le Père Félix est un homme cultivé qui a succédé à un moine sylvestre taillé à coups de serpe. Il est au courant de bien des secrets, et sert d'intermédiaire entre Lucius et l'envoyé du Régent. Le Père Félix pense qu'il a manqué une chose au premier maître de Lucius, Nigromontan : l'abondance intérieure, la richesse innée, pour entrer dans "le châ­teau du vainqueur de la mort". Sa voie est celle du dépouillement total : à la connaissance, doit succéder la vénération .

La légalité populaire

Son symbole est le drapeau rouge au gantelet, symbole de la révolte des masses.

Le siège du pouvoir légal est l'Office Central et sa hiérarchie est la suivante:

l) Le Bailli.
2) Messer Grande, chargé des basses besognes.
3) Le Dr. Mertens.

La caractère parodique du pouvoir populaire est expressément décrit par Jünger: "Un immense travail d'abeilles se faisait dans des bibliothèques et cartothèques souterraines .Il y avait là des ateliers très abstraits, comme ceux de l'Office du Point. Il s'agissait de rapporter toutes choses créées à un système de coordon­nées. Cette idée simple était née dans un cerveau de Mauritanien; une croix d'abscisse et d'ordonnée, avec cette devise blasphématoire: Stat crux dum volvitur orbis, en ornait l'écu. Cette devise : La croix demeure tandis que tourne le monde, expression de la stabilité spirituelle, est en effet celle de l'ordre monastique des Chartreux, c'est-à-dire des contemplatifs par excellence.

Les figures de la légalité populaire

-Le Bailli: incarne le Potentat, la toute-puissance du demos. Il manie les foules par un mélange de démagogie (c'est un brillant orateur) et de terreur. Bien qu'il évolue dans un décor ultra-moderne , il n'est pas sans rappeler le Grand Forestier des Falaises de marbre qui s'agite, lui, dans un univers apparemment médiéval, par la même "effrayante jovialité", son abandon aux instincts brutaux et ses offrandes de sang. Le Bailli est l'archétype du tyran.
-Le Dr. Thomas Becker, responsable de la "Section des peuples étrangers". Collectionneur de têtes et mesureur d'indices crâniens, il personnifie la science policière et démoniaque. Il est significatif que Lucius, l'écoutant parler au dé­but de l'ouvrage, ne connaisse que son prénom: le Dr. Becker, en fait, est une figure du nihilisme, celle du dominateur sans visage, un dominateur qui au­rait plus ou moins bien lu Spengler, et qui admire donc Rome et l'Egypte, mais dénigre l'Hellade d'où " nous vient l'importance exagérée qu'on donne à la libre recherche, c'est-à-dire au bon plaisir intellectuel, qui ne peut mener qu'à l'anarchie. Luxe qui, avec les espaces immenses que nous avons à contrôler, nous coûte de plus en plus cher ". Si l'on ajoute que le Dr. Becker considère indis­tinctement que tout ce qui vient d'Orient est de la "balayure", on se rendra compte que Jünger a voulu décrire - et condamner - à travers ce personnage, cer­tains types humains négatifs qui incarnèrent la face de mort du national-socialisme, face de mort qui s'exprima par exemple dans la médecine SS.

Avec son ami Orelli le littéraire, Becker forme le même couple étrange que celui du jeune prince et de Braquemart dans Sur les falaises de marbre, le couple conservateur-nihiliste. A cette différence près, qu'il importe de souli­gner , que dans Heliopolis, le nihiliste est totalement du côté des forces ob­scures, alors que Braquemart, dans Les falaises de marbre, trouve une mort atroce du côté des forces légitimes et solaires. Cela marque, chez Jünger, le rejet définitif de certains types surgissant du nihilisme, types en qui il avait fondé des espoirs dans Der Arbeiter. Pour opposer ces types nihilistes à d'autres, Jünger a recours à une sym­bolique naturelle, disant que les hommes relèvent d'une nature minérale ou d'une nature végétale: " L'homme se décide pour le règne végétal ou le règne minéral. Il peut, ou se lignifier, ou des fleurs. La tendance à minérale ... Chez des types se pétrifier. Mais sur le bois, on peut encore voir prescrire ses progrès à la connaissance est d'allure comme ce Thomas~ le caractère minéral impose aussi à la physionomie le caractère d'un masque ".

Ce masque, mais dans une coulée plus pure, c'est le masque métallique, surgi des terribles combats de la Grande Guer­re, des premières batailles du matériel, du face à face de l'homme avec le retour des énergies élémentaires.

L'ère du Travailleur

Ce type au masque métallique, Jünger l'avait donc vu naître durant son expérience de combattant et avait pressenti mieux que tout autre son ascension. Il l'avait enfin élargi et exalté dans la figure du Travailleur, défini comme « type de la génération naissante », tandis que « le Travail était vu à la fois comme processus éternel et universel », et comme « forme dominante » de notre époque.

Le Travailleur est celui qui a pour mission première de mettre fin complè­tement au XIXe siècle, non seulement dans les faits, mais aussi et surtout dans les mentalités. Comme beaucoup à des époques où le doute est extrême, Jünger a longtemps cru à la force pure pour résoudre la crise ouverte par la désinté­gration du monde bourgeois, désintégration entamée avec la première guerre mon­diale. Cette crise, " la guerre l'a placée sous le signe concret de la force et c'est la force qui tranchera les problèmes de l'avenir. Ce règne de la force rendra à la vie sa simplicité en l'enlevant au dualisme qui la compliquait et il supprimera radicalement les tensions dialectiques qu'on se plaisait à éta­blir entre l'individu et la société ou entre la barbarie et la civilisation "[9].

Deux années après la fin de la guerre, le jeune Evola, qui avait été élève­ officier d'artillerie, célébrait lui aussi le même type et l'avènement du même règne dans ses productions dadaïstes. Son seul cadre non abstrait montre le retour d'un prisonnier autrichien : le visage est géométrisé et stylisé, les yeux sont froids et clairs sous la frange de cheveux qui dépasse du béret, les muscles du visage semblent durcis, quasiment pétrifiés par-dessus le col de la capote feldgrau. Et dans son poème à quatre voix intitulé La parole obscure du paysage intérieur, Evola imagine un monde soudé par une tension permanente, totalitaire, cruelle, vers le dépas­sement de l'humain : " ... toutes les vierges seront tuées et brûlées dans mon royau­me - le haut potentiel et les lois rigides occuperont militairement les places- ... nous sommes volonté froide qui décompose - des assassins aux mains carbonisées qui fixent le soleil ".

Pour Jünger, l'avènement du Travailleur est inéluctable. Il va même jusqu'à écrire: " Il est devenu inutile de s'occuper d'un retournement des valeurs. Il suffit de voir le nouveau et d'y prendre part ". Mais qu'est exactement le Travailleur ? Jünger répond qu'il ne faut pas voir en lui " le représentant d'une nouvelle classe, d'une nouvelle société, d'une nouvelle économie, parce qu'il n'est rien, s'il n'est pas plus que tout cela, à savoir le représentant d'une forme particulière agissant selon des lois propres, suivant une mission propre et possédant une liberté propre ".

L'arme principale du Travailleur est la technique, placée dès l'origine au centre de la réflexion de Jünger. Il ne la considère pas naïvement comme un instrument du progrès, mais comme un moyen " pour mobiliser le monde ", " le moyen le plus puissant et le moins contestable de la révolution totale ".

Quant au modèle de société du Travailleur, modèle qui doit devenir universel, il est défini comme une "démocratie étatiste". C'est en fait l'archétype du véritable Etat totalitaire, mélange de structure féodale, de principes prussiens et de méthodes bolchéviques. Puisque, selon lui, "l'homme fournit son maximum d 'énergie partout où il se trouve au service d1un commandement", Jünger évoque une société pyramidale à trois degrés: le premier est la masse, image passive du type du Travailleur, soumise à l'obéissance aveugle et à l'exercice des fonctions économiques; le second degré est le type actif, le spécialiste chargé d'encadrer et d'entraîner les autres; au sommet, enfin, apparaît le type pur "dont l'action exprime directement le caractère total du travail".

Dans le monde du Travailleur, qui porte à sa perfection le "socialisme prus­sien" cher à Spengler et résumé dans la formule de Frédéric le Grand - Je suis le premier serviteur de mon Etat-, "chaque être se range sous la loi de vassalité et l'on ne distingue le chef que parce qu'il est le premier serviteur, le premier soldat, le premier travailleur". Pour rompre à jamais avec l'ère bourgeoise et sa vie sécurisée, Jünger va jusqu'à introduire dans le monde du Travailleur le principe militaire de la mobilisation totale et permanente : le travailleur, toujours en alerte, est constamment à même d'attaquer et de se défendre. Il ne considère pas la loi martiale comme un exception, il en fait sa discipline; et c'est cette résolution qui lui assure une supériorité incon­testable".

Le moment est venu de se demander pourquoi Jünger, après avoir décrit si précisément les contours de l'Etat totalitaire, a finalement refusé son adhésion au national-socialisme. Dans le cadre forcément restreint de cet exposé, nous nous efforcerons de dégager les raisons théoriques de ce refus, laissant volontairement les autres de côté.

1) Opposition entre ceux qui sont pour l'Etat et ceux qui sont pour le peuple. Etat conçu comme un Ordre, ou Ordre "en tant que cellule germinale de l'Etat"[10], élite, autorité, hiérar­chie : principes politiques et spirituels , "forme" seule capable de féconder la "matière" représentée par les éléments biologiques (race, peuple, sang) et de conférer à un ensemble humain une unité par le haut et une mission créatrice et civilisatrice. "Le mot 'Prusse' renferma pour moi une patrie , non point par le hasard biologique de la naissance, mais-comme notion spirituelle"[11]. Méfiance à l'égard de toute tentative voulant s'appuyer sur le demos, sur les masses, "somme d'individus dans les moments où ceux-ci ne sont rien" (Kierkegaard). Voir à ce sujet le caractère plus ou moins artificiel des "fêtes" du national­-socialisme, des "cathédrales de lumière" qui fascinèrent Brasillach.

2) Volonté de mener à son terme l'antibourgeoisisme, par fidélité à l'esprit du front, à l "esprit militaire, qui est l'antithèse absolue de l'esprit bourgeois. Voir sur ce point l'épisode de la "nuit des longs couteaux", et le très grand nombre d'anciens des corps-francs dans les rangs de la S.A. Malgré son côté an­cien régime, Jünger était peut-être resté plus proche, intérieurement, de ces hommes qui ne pouvaient en aucune façon se "réinsérer", que des nouveaux cadres politiques de la SS, comme semble le prouver son amitié pour le "national-bolché­vique" Niekisch.

« La véritable antithèse du monde bourgeois, ce n'est pas le prolétaire ou, pis encore, l'esthétisme de l'égout des "artistes" qui font semblant de cracher dans la soupe de la notoriété bourgeoise, mais bel et bien l'esprit militaire [...] Ce n'est qu'à travers une certaine sévérité soldatique que l'on peut échapper au destin de devenir bourgeois. Bourgeois, le "rebelle" chevelu qui a besoin de la société pour se faire remarquer; bourgeois aussi l'"anticonformiste" qui plie l'échine devant le conformisme pacifiste ou antimilitariste ; et bourgeois encore l'anarchiste narcissique et individualiste, viscéralement incapable de se donner une discipline. L'antithèse de l'esprit bourgeois, ce n'est pas le salon de gauche ou le bar existentialiste, la piazza di Spagna ou Saint-Germain-des-Prés :, c'est le camp, le dojo, la solitude, la montagne. »[12].

-C'est donc entre 1933 et 1939, sous le national-socialisme institutionnalisé, c'est-à-dire pour lui sous l'inversion vivante des principes en lesquels il avait cru pour la renaissance de l'Allemagne, que Jünger a effectué son grand tournant. Sur les falaises de marbre est déjà bien plus que l'amorce de ce tour­nant, Heliopolis en marque l'achèvement. Dans cet ouvrage, Jünger avoue même s'être trompé, puisqu'il fait dire à Lucius au sujet du Dr. Becker: " Je croyais autrefois à la formation de natures plus rudimentaires, sans doute, mais plus robustes, au sein de la décadence. Mais plus nous allons, et plus la perte sans compensation devient visible. Tout devient pâle, gris, poudreux".

Il reste qu'on ne peut s'empêcher de se poser la question suivante: le dé­goût aristocratique de Jünger n'est-il pas le refus romantique de voir s'incar­ner, de façon forcément très prosaïque, des idées dont le but est pourtant d'agir sur l'histoire ? Dès lors, à l'action éclairée succèdent chez Jünger, progressivement puis définitivement, la contemplation et l'expérience purement intérieure. Ce changement d'optique à l'allure d'un départ de l'histoire : le personnage central des Falaises de marbre, après avoir combattu, se retire sur "Alta-Plana", les hauts plateaux pourrait-on dire, tandis que Lucius, dans Heliopolis, quitte la ville déchirée pour se joindre à la troupe occulte des Veilleurs, au service du Régent.

Cela ne veut pas dire que Jünger pense que la marche du Travailleur se ralentisse ou qu'on puisse la réfuter, car on ne réfute pas l'irréversible. Il dira même plus tard, dans cet ouvrage fondamental qu'est Le mur du temps, que la figure du Travailleur est "la seule que nous voyions sortir toujours plus puissante de chaque conflagration", ajoutant: "Cela laisse à penser que des éléments à l'épreuve du feu se cachent en elle, et qu'elle n'a pas encore trou­vé sa pure coulée". Il s'agit plutôt pour Jünger de jeter sur cette figure un regard de métaphysicien pour donner un sens aux sacrifices énormes qu'impose la domination d'une telle figure.

Le métaphysicien doit donner des "yeux" au devenir, le qualifier, afin qu'il prenne un sens par l'homme et pour l'homme. Et Jünger ,qui estime que nous som­mes à la fin du temps historique et qui juge impossible le retour du temps mythique et de ses puissances - d'où la défaite des forces de l'Axe et de leurs archétypes : le romain antique, l'homme nordique, le samurai-, lui assigne une grande responsabilité: décider de ce que l'homme gardera de son humanité historique.

Mais l'influence du métaphysicien ne peut être qu'invisible, non mesura­ble. Son destin et, parfois, sa perte, est de "parler absolument", et c'est pour cela qu'il "doit se tenir en dehors de l'Etat". Les voies possibles suggérées par la seconde partie de l'œuvre de Jünger sont toutes des voies de retraite :

-c'est la voie de l'Ermite (Père Lampros, Père Félix), "régulièrement" rattaché à un dharma traditionnel, en l'occurrence le Christianisme, prenant d'abord appui sur les dogmes, quitte à les dépasser ensuite; ou bien de celui qui s'isole à la recherche des "nourritures terrestres", tel le philosophe Ortner dans He­liopolis.

-c'est la voie du Mage, avec une retraite purement intérieure, tel Antonio Peri dans Heliopolis, ou aussi partiellement physique, tel le maître Schwarzenberg dans Visite à Godenholm. Ici, l'usage de moyens exceptionnels comme les drogues est permis: mais il est demandé à l 'impétrant à l'initiation d'avoir une in­tention parfaitement droite. C'est cette seconde voie qui s'est ouverte pour Lucius, en l'occurrence exacte projection de Jünger lui-même, après qu'il eut connu Nigromontan et accompli son temps de service. Son initiation finale est double: d'un côté, en utilisant la drogue très élaborée léguée par Antonio Peri, il pénètre le mystère de 1a souffrance universelle; de l'autre, l'amour qui le lie à Boudour Peri, fille de ce relieur parsi et d'une mère scandinave, lui renvoie comme un miroir la synthèse vivante de lui-même, la symbiose de l'énergie nordique et des va­leurs contemplatives de l'Orient. Tout ce qui restait en lui de "faustien", de puissance uranienne tendue, se trouve ainsi purifié et comme dilué dans une soudaine richesse supérieure. Et c'est justement cela qui lui donne droit, aux yeux de son directeur spirituel le Père Félix, de rencontrer le Pilote bleu, intercesseur du Régent, que Jünger nous décrit comme suit: "Les traits du pilo­te étaient empreints d1une paix suprême, impérieuse. On entrevoyait derrière elle des réserves sans limites ... Mais la bonté n' était pas moins accusée; nulle crainte ne flottait autour de lui .La puissance était concentrée, mais non tendue. Aussi lui manquait-il cette dureté qu'elle donne d'habitude à ses détenteurs ... L'étrange, dans ce visage, était l'union d'une froide raison et d'une force nouvelle. La réalité, la certitude y étaient inscrites. Un Viking des hautes voies - mais il avait atteint son but".

Mais, qu'ils aient suivi la voie de l'Ermite, du Saint, ou encore celle du Mage, un trait commun caractérise les hommes de cette élite cachée: une intense aptitude à la souffrance. Le thème n'est pas nouveau chez Jünger qui, dès la fin des années 20, avait écrit un court essai intitulé Sur la douleur. Il revient à travers les paroles que Pharès, le Pilote bleu, adresse à Lucius:

"Nous ne voulons pas intervenir dans les développements. Nous ne pouvons pas non plus donner la solution, car cette solution n'est vraie que pour qui l'a trouvée. La douleur contient un plus grand espoir qu'un bonheur octroyé .. Mais, comme nos buts sont importants, nous cherchons un mécontentement suprême ... Nous croyons possible d'extraire du monde une élite formée par la souffrance".

Avant de monter dans la fusée, Lucius, comme le Pilote bleu, revêt un mas­que d'or, symbole de ce qui est incorruptible, royal et solaire. Il va rejoindre l'exil du Régent - le temps de retraite, l'absconditio de l'Empereur occulte qui prépare son retour glorieux :

"De là il sortira un jour pour combattre l 'Anté­christ: la renovatio imperii annonce ainsi la reparatio terrrporum"[13].

Et le livre nous dit qu'effectivement, beaucoup plus tard, Lucius revint dans la suite du Régent...

Bibliographie

Travaux parus en allemand

  • Hans Krah, « Die Apokalypse als literarische Technik. Ernst Jüngers Heliopolis im Schnittpunkt denk- und diskursgeschichtlicher Paradigmen » dans Lutz Hagestedt (dir.), Ernst Jünger. Politik, Mythos, Kunst, De Gruyter, Berlin 2004, p. 225–252,
  • Ralf Hayer, Über dieses Buch hinaus gibt es für Jünger keine Entwicklung mehr: Ernst Jüngers Heliopolis im Spiegel der Literaturkritik. In : Zarska Natalia, Gerald Diesener & Wojciech Kunicki (Hrsg.): Ernst Jünger - eine Bilanz. Leipzig: Leipziger Universitätsverlag, 2010, p. 498-509.
  • Peter Uwe Hohendahl, Erzwungene Synthese: Heliopolis als poetisch-theologisches Experiment. In: ders.: Erfundene Welten – Relektüren zu Form und Zeitstruktur in Ernst Jüngers erzählender Prosa. München : Fink, 2013, p. 49-73.
  • Jürgen Jacobs, Ernst Jünger als Romancier. Zu Heliopolis. In: Wirkendes Wort. Deutsche Sprache und Literatur in Forschung und Lehre. Trier. 55. Jg., 2005, Heft 1, p. 77-85.
  • Nils Lundberg, Hier aber treten die Ordnungen hervor – Gestaltästhetische Paradigmen in Ernst Jüngers Zukunftsromanen. Heidelberg : Universitätsverlag Winter, 2016.
  • Till Rodheudt, Die Philosophie Ernst Jüngers aus dem Geist der Mythologie – Unter besonderer Berücksichtigung des Romans „Heliopolis – Rückblick auf eine Stadt“. Hamburg: Verlag Dr Kovac, 2002.
  • Franz Schwarzbauer, Heliopolis – eine kritische Lektüre – Jüngers Roman zwischen Zeitdiagnose und Erzählkunst. In: Knapp Georg (Hrsg.): Freiheit, Tübingen: Attempto Verlag, 2015, p. 143-163.
  • Bernd Stiegler, Technische Innovation und literarische Imagination. Ernst Jüngers narrative Technikvisionen in Heliopolis, Eumeswil und Gläserne Bienen. In: Schöning Matthias & Stöckmann Ingo (Hrsg.): Ernst Jünger und die Bundesrepublik. Ästhetik-Politik-Zeitgeschichte. Berlin : De Gruyter, 2012, p. 295-308.
  • Philippe Wellnitz, Heliopolis, eine Utopie ? In: Beltran-Vidal Danièle (Hrsg.): Images d’Ernst Jünger – Actes du colloque organisé par le Centre de Recherche sur l’Identité Allemande de l’Université de Savoie. Berlin: Peter Lang, 1996, p. 23-34.

Travaux parus en français

  • Philippe Baillet, « Mythes et figures dans Heliopolis d'Ernst Jünger », Totalité, n° 2, 1977, p. 24-35.
  • Danièle Beltran-Vidal, « Visages d'Ernst Jünger dans Heliopolis » dans Allemagne d'aujourd'hui, Paris, Presses Universitaires du Septentrion, 1997, Heft N.139, p.117-134.
  • Philippe Wellnitz, Ernst Jünger, le mythe et l’utopie: Héliopolis, cité idéale? In : Barthelet Philippe (Hrsg.): Les Dossiers H: Ernst Jünger. Lausanne: L’Age d’Homme, 2000, p. 38-44.

Travaux parus en anglais

  • M. B. Peppard, Ernst Jünger'S «Heliopolis», in : Symposium: A Quarterly Journal in Modern Literatures, vol. 7, no 2, 1953, p. 250-261.
  • Alan Corkhill, Spaces for Happiness in the Twentieth-Century German Novel - Mann, Kafka, Hesse, Jünger, Peter Lang, 2011 (le ch. 4 porte sur Héliopolis)

Notes et références

  1. Philippe Barthelet, Ernst Jünger, L'Âge d'homme, 2000, p. 39-40.
  2. Philippe Baillet, art. cit.
  3. Héliopolis, trad. Henri Plard, Christian Bourgois, 1975, p. 178-181.
  4. Heimo Schwilk, Ernst Jünger - Ein Jahrhundertleben, Munich, Piper, 2007, p. 187, 283-286.
  5. Dominique Venner, Ernst Jünger – Un autre destin européen, Paris, Éditions du Rocher, 2009, 235 p., p. 14-15.
  6. Heimo Schwilk, op. cit.
  7. Bernd Stiegler, art. cit.
  8. Visite à Godenholm (Besuch auf Godenholm), roman court d'Ernst Jünger, publié en 1953.
  9. M. DECOMBIS, Op. cit..
  10. Ernst von Salomon, Apprendre à mourir, revue Exil nº 4-5.
  11. Von Salomon, op. cit.
  12. Adriano Romualdi, Julius Evola: l'uomo e l'opera, éd. Volpe, 2e édition, Rome 1971.; tra. française par Gérard Boulanger : Adriano Romualdi, Julius Evola, l'homme et l'œuvre, Puiseaux/Paris, Pardès/ éd. de la Maisnie, 1985, 170 p.
  13. Pierre Ponsoye, L'Islam et le Graal, éditions Denoël, Paris 1957; rééd. éditions Arché, Milan, 1976. L'ouvrage a été dédié à la mémoire de René Guénon.