Ernst Niekisch

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Ernst Niekisch, né le 23 mai 1889 à Trebnitz en Silésie en Allemagne, de nos jours Trzebnica en Pologne - et décédé le 23 mai 1967 à Berlin-Ouest, fut l'idéologue allemand principal du national-bolchevisme.

Ernst Niekisch

Biographie

Né le 23 mai 1889 à Trebnitz en Silésie, et élevé à Nördlingen, il devient enseignant.

De la social-démocratie au nationalisme

Ernst Niekisch joue un rôle non négligeable dans la social-démocratie allemande au lendemain de la première Guerre Mondiale. Le 8 novembre 1918, alors jeune instituteur social-démocrate, il crée le Conseil des ouvriers et soldats d'Augsburg dont il devient le président. Le 21 février 1919, il est élu président du Comité Central des Conseils de Bavière mais il refuse de participer à l'expérience de la République des Conseils de Bavière et à la République soviétique de Bavière; il est condamné à deux ans de prison pour "complicité de haute trahison". Passé à l'USPD (Parti social-démocrate indépendant, aile gauche dissidente de la social-démocratie) au Landtag de Bavière. En 1922, en même temps que la plupart des "indépendants", Niekisch rejoint la social-démocratie. Une brillante carrière politique semble s'ouvrir à lui. Mais Niekisch quitte Munich pour Berlin où il devient secrétaire de l'organisation de jeunesse du syndicat des ouvriers du textile; il n'est plus qu'un modeste fonctionnaire syndical. A partir de l'automne 1924, Niekisch exprime dans la revue socialiste Der Firn (Le Névé) dont il est le rédacteur en chef, des opinions "nationales" qui se transforment rapidement par la suite en un nationalisme ultra et "machiavélien". A la même époque, Niekisch entre en contact avec le "Cercle de Hofgeismar" de jeunes socialistes à tendance nationaliste. La "politique d'exécution" du Traité de Versailles et l'occupation de la Ruhr par les troupes franco-belges ont provoqué chez Niekisch, comme chez certains jeunes socialistes une prise de conscience nationale. Violemment pris à partie au sein de la SPD, Niekisch quitte le Parti au début de l'année 1926 suivi par les membres du Cercle de Hofgeismar.

En 1926, Niekisch adhère au Parti "vieux social-démocrate" (A-SP) fondé par 23 députés socialistes du Landtag de Saxe. Niekisch devient directeur de publication du quotidien de l'A-SP, le Volkstaat. Rapidement, il passe pour le "guide spirituel" du nouveau Parti. Lors du Congrès de Dresde de l'A-SP, Niekisch appelle les travailleurs à une "conscience d'Etat et de peuple", et il invite la République à s'attacher "passionnément" au relèvement de l'Allemagne. En même temps, avec d'anciens membres du Cercle de Hofgeismar, Niekisch fonde la revue Widerstand.

Les élections législatives de mai 1928 sont un échec total pour l'A-SP. En novembre, Niekisch quitte l'A-SP après que le troisième Congrès du Parti ait rejeté son projet de programme. La revue Widerstand coupe alors tous les ponts avec le socialisme (traditionnel) et bascule totalement dans le camp nationaliste. Dès 1926, alors que les jeunes socialistes quittaient la revue, Widerstand avait ouvert ses colonnes à des nationalistes et s'était attaché comme collaborateurs permanents les responsables des groupes paramilitaires "Oberland" et "Wehrwolf" ainsi que l'écrivain Franz Schauwecker, un proche d'Ernst Jünger. En 1929, Friedrich-Georg et Ernst Jünger, porte-parole du "nouveau nationalisme" font leur entrée dans la revue.

Entre 1928 et 1930, Niekisch prend l'initiative d'actions unitaires dans le camp nationaliste. En octobre 1928, il réussit à réunir les chefs des groupes paramilitaires Stahlhelm, "Jungdo", "Wehrwolf", "Oberland", etc., afin de constituer un "cercle de chefs" ("Führerring"). Cette entreprise unitaire (déjà tentée quelques années plus tôt par Ernst Jünger) échouera finalement. En 1929, Niekisch tente de réunir les ligues de jeunesse et les associations d'étudiants dans une "action de jeunesse" contre le Plan Young. C'est un demi succès. Par la suite, Niekisch se contentera de susciter un "mouvement de résistance" autour de la revue, à partir des "Camaraderies Oberland" (une partie du groupe "Oberland" est en effet acquise à ses thèses). Ce mouvement entre dans la clandestinité en 1933; il sera finalement démantelé par la Gestapo en 1937 et ses responsables, dont Niekisch, emprisonnés.

En 1930, la radicalisation de Widerstand, la prise en main totale par Niekisch… et son mauvais caractère ("désagréable et sentencieux", il prétend "savoir toujours tout mieux que les autres"; il est considéré comme un "Oberlehrer", un désagréable donneur de leçons, par la nouvelle génération nationaliste) provoquent le départ de certains collaborateurs de la revue, celui notamment d'Auguste Winnig, et entraînent la marginalisation de Widerstand au sein du camp nationaliste.

Du « Nationalisme prolétarien » au « Bolchévisme prussien »

Niekisch pense d'abord qu'il échoit à la classe ouvrière d'incarner le véritable nationalisme et d'en réaliser le programme (un programme de politique extérieure), contre le Traité de Versailles, système d'oppression (oppression politique de l'Allemagne par les puissances occidentales, oppression sociale des travailleurs par le capitalisme international). C'est l'époque du "nationalisme prolétarien" (1925/ 1928). L'influence de Lassalle est manifeste.

Puis les espoirs de Niekisch se portent sur les groupes paramilitaires et les ligues de jeunesse nationalistes. En même temps, Niekisch découvre derrière le Traité de Versailles l'Occident, et particulièrement la Romanité, qui menacent l' "Etre allemand". Il découvre aussi la "protestation allemande" contre Rome qu'incarnait Luther, et l' "esprit de Potsdam" qui incarnait la vieille Prusse, qui fondent tous deux la non-occidentalité de l'Allemagne. C'est l'époque de la Widerstandsgesinnung (1928-1930) (terme créé par son biographe Sauermann).

L'idéologie de Widerstand se radicalise en 1930-1931 et donne naissance au "bochévisme prussien": Niekisch pense que l'Allemagne doit se tourner vers l'Est pour échapper à l'Occident, particulièrement vers la Russie soviétique qui est l'anti-Occident et qui incarne désormais l' "esprit de Potsdam" (qui a échappé à l'Allemagne et que l'Allemagne doit reprendre aux Russes). Niekisch place alors ses espoirs dans la paysannerie, et, pendant un temps aussi, dans le prolétariat révolutionnaire (c'est-à-dire le Parti Communiste allemand qu'il considère comme un "avant-poste" de la Russie soviétique), à condition qu'il soit placé sous une direction (spirituelle) nationaliste.

Enfin, Niekisch, impressionné par les réalisations du Plan quinquennal et de la collectivisation soviétiques (il fit un voyage en Russie en 1932) ainsi que par la lecture du "Travailleur" de Jünger, pressent l'apparition d'une "Troisième Figure Impériale" planétaire, dont la ratio sera technique et qui supplantera l'"éternel Romain" (dont la ratio est métaphysique) et l'"éternel Juif" (dont la ratio est économique). Niekisch s'éloigne du nationalisme absolu qu'il professait jusqu'alors.

En 1926-27, la revue Widerstand prône un nationalisme prolétarien dont Niekisch affirme qu'il n'est en aucun point semblable au nationalisme "social-réactionnaire" de la bourgeoisie. Ce nationalisme prolétarien, qui plonge ses origines à la fois dans l'idéologie du Cercle de Hofgeismar et dans les écrits antérieurs de Niekisch, repose sur trois idées-forces :

1. La classe ouvrière, en raison de son attitude fondamentalement collectiviste (kollektivistische Grundhaltung), parce qu'elle ne possède rien et échappe ainsi "aux motivations égoïstes de la propriété individuelle", peut devenir l'organe le plus pur de la raison d'Etat et la classe nationale (porteuse du nationalisme) par excellence;

2. Le capitalisme international asservit l'Allemagne et l'Allemagne est devenue, depuis la guerre et le Traité de Versailles, une nation prolétaire;

3. La révolution sociale contre les exploiteurs occidentaux du prolétariat allemand et la révolution nationale contre le Traité de Versailles sont étroitement liées.

Après avoir idéalisé le prolétariat, Niekisch, déçu par l'expérience de l'A-SP, reporte ses espoirs sur la "minorité nationaliste", c'est-à-dire les groupes paramilitaires et les ligues de jeunesse mais aussi sur la paysannerie révolutionnaire. En 1932, Niekisch militera pour la candidature du leader paysan Claus Heim aux élections présidentielles. Dans ses Gedanken über deutsche Politik (Pensées sur la politique allemande) publiées en 1929, Niekisch évoque la "minceur" de la "substance völkisch" de l'ouvrier (p. 195). Cette "substance humaine et völkisch" aurait été broyée, pulvérisée, écrira-t-il plus tard dans "Widerstand" (article intitulé "l'espace politique de la résistance allemande", novembre 1931), dès lors le combat prolétarien ne pourrait exprimer que du "ressentiment social" (p. 284). Dans le même article, Niekisch précisera que l'espace politique de la résistance allemande se situe entre le prolétariat déraciné et la bourgeoisie occidentale(4).


Niekisch découvre que l'Allemagne n'est pas seulement politiquement (et économiquement) opprimée, mais qu'elle est aussi culturellement aliénée. Le Trai-té de Versailles et le Système de Weimar permettent à l'Occident, et particulièrement à la Romanité, d'étouffer l'Etre allemand et de dominer la totalité de l'espace allemand. A mesure que l'idéologie de "Widerstand" se radicalise, l'aspect anti-romain se renforce et devient prépondérant.

Niekisch et "Widerstand" s'en prennent à toutes les manifestations de l'Occident et de la Romanité en Allemagne : les idées de Progrès, d'Humanité, de Paix et d'Ami-tié entre les peuples dénoncées comme autant de mythes incapacitants destinés à désarmer l'Allemagne et à tuer en elle toute volonté de résistance (pp. 199/ 200); les "idées de 1789"; la civilisation (occidentale) et les grandes villes; l'individualisme; le libéralisme (p. 200); le capitalisme (p. 200); la bourgeoisie (p. 200), véritable ennemi intérieur dont Niekisch souhaite la liquidation dans une "Saint-Barthélémy" ou de nouvelles "Vêpres siciliennes"(5); la propriété privée au sens du droit romain; mais aussi le marxisme, ultime conséquence du libéralisme; le catholicisme bien sûr; la République de Weimar; le parlementarisme; la démocratie (ou plus exactement: le "démocratisme", c'est-à-dire la recherche de l'appui des masses qui, selon Niekisch, caractérise aussi le fascisme); et le fascisme.

Niekisch écrit son premier long article sur le national-socialisme en mai 1929 ("Der deutsche Nationalsozialismus"). Il y critique l'orientation pro-italienne et pro-britannique du nazisme, c'est-à-dire son orientation pro-romaine et pro-capitaliste/pro-impérialiste. Il dénonce aussi l'intégration du nazisme dans le Système de Weimar (pp. 95 à 97). Dans son livre "Hitler, une fatalité allemande", publié en 1931, Niekisch expose longuement les motifs de son anti-hitlérisme: après avoir reconnu les débuts positifs du mouvement nazi, Niekisch condamne la "trahison romaine" de Hitler qui transforme le national-socialisme en un mouvement fasciste et "catholique", donc "romain", la trahison nationale au profit de l'ordre de Versailles et du Système de Weimar et la trahison sociale d'Hitler au profit du ca-pitalisme. Rapidement, dans les années 31/32, la résistance contre l'Occident et contre Rome s'identifie à la résistance contre le fascisme et l'hitlérisme dont la force croît.

Face à l'Occident et à la Romanité: la "protestation allemande" et "l'esprit de Potsdam". Baeumler (l'un des futurs philosophes officiels du IIIème Reich), est le premier à évoquer, en décembre 1928, dans "Widerstand", la "protestation allemande contre Rome" incarnée par Luther. Niekisch reprend et développe ce thème en s'inspirant fortement de Dostoïevsky(6). Dans un article d'avril 1928, Friedrich Hielscher, un ami d'Ernst Jünger, affirme que la "non-occidentalité de la nature allemande" repose sur une "attitude prussienne", un prussianisme frédéricien (p. 216). Quelques mois plus tard, Niekisch oppose l'"esprit de Potsdam" (le prussianisme) à l'"esprit de Weimar" occidental et francophile (p.217). L'"esprit de Potsdam", chassé de Prusse, se serait incarné dans la Russie bolchévique : c'est l'article de base et de référence du "bolchévisme prussien" des années 1930 à 1932.

L'idéologie de "Widerstand" se radicalise encore dans les dernières années de la République de Weimar. De nouveaux thèmes apparaissent dans un article de Niekisch de septembre 1929 "Der sterbende Osten" ("l'Est mourant") (p.229), et dans un article de mars 1930 de Werner Hennecke, pp. 231 à 233 (celui-ci, un collaborateur du périodique "Blut und Boden", est proche du Mouvement Paysan). Ils seront repris et développés dans le programme politique de la résistance allemande en avril 1930. Niekisch et "Widerstand" préconisent alors :

- l'orientation vers l'Est (Prusse bien sûr et Russie bolchévique);

- le retour à la terre, à la "barbarie et à la primitivité paysanne", à un mode de vie paysan et soldatique (ces deux exigences tendent à se confondre: l'Est prussien et l'Est russe-bolchévique sont qualifiés de "barbares"; la Prusse et la Russie bolchévique s'appuieraient sur un fond paysan originel, primitif, soumis à la discipline d'un Etat militaire).

Dans "Das Gesetz von Potsdam" ("La loi de Potsdam", article d'août 1931), Nie-kisch préconise de renverser l'édifice occidental construit en Allemagne par Charlemagne (le peuple allemand doit, s'il veut se retrouver lui-même, retourner à une époque préromaine et préchrétienne). Charlemagne a établi la domination "romaine" sur les Germains au moyen de la violence militaire, d'une aliénation spirituelle-mentale et consolidé biologiquement sa création en massacrant la noblesse saxonne et en organisant en Saxe une implantation/colonisation latine. "Depuis plus de 1000 ans, l'histoire allemande s'est mue sur le "terrain biologique, politique et spirituel de la création carolingienne" (p. 240). Pour Niekisch, il faut rompre avec l'idée romaine d'Imperium, avec le christianisme et l'esprit romain, traiter le sang romain de la même façon que Charlemagne a traité le sang saxon (p. 241) et bâtir un ordre nouveau sur trois "colonnes" : l'Etat prussien; un "esprit prussien archaïque"; une "autre substance vitale", la "race prussienne" germanoslave.

Niekisch prône une alliance militaro-économique, mais aussi idéologique ("weltrevolutionär" précise Niekisch - "révolutionnaire-mondiale"), avec la Russie bolchévique. Il imagine même un Empire russo-allemand "de Vladivostock à Flessingue" (ici, Niekisch semble dépasser son nationalisme allemand absolu pour penser en termes de politique impériale).

Mais l'image idéalisée du bolchévisme que Niekisch projette dans "Widerstand" n'a rien à voir avec le marxisme-léninisme, y compris dans sa version stalinienne, ni avec la réalité du bolchévisme : le bolchévisme représente aux yeux de Niekisch l'Anti-Occident absolu, "barbare asiatique", il consituerait un camp (Fedlager) contre l'Occident et incarnerait l'idée de Potsdam. Uwe Sauermann soutient que le "bolchévisme prussien" de "Widerstand" ne se confond pas avec le "national-bolchévisme" : en effet, "Widerstand" ne propose pas d'importer le bolchévisme en Allemagne et de le nationaliser, mais prétend reprendre au bolchévisme l'Idée de Potsdam d'origine prussienne; l'équipe de "Widerstand" est indifférente au marxisme et à la "construction du socialisme" : ce qui l'intéresse, ce sont les aspects prétendument prussiens du bolchévisme; enfin, elle demeure méfiante et même hostile à l'égard du Parti Communiste allemand.

Finalement, le bolchévisme s'assagira (traités de non-agression russo-polonais et russo-français de 1932, entrée de l'U.R.S.S. dans la Société des Nations en 1934) et trahira ainsi les espoirs de Niekisch. Celui-ci portera alors son attention sur la Figure impériale en émergence dont l'avènement mettra fin à la domonation de l'Occident et de Rome et à la civilisation occidentale elle-même.

Après 1945

Il se tourne alors vers le marxisme orthodoxe et adhère au Parti communiste allemand. Il s’installe dans la zone d’occupation soviétique (qui deviendra la RDA en 1949) et devient enseignant à l’Université de Berlin-Est. Il occupe ensuite une chaire de sociologie à l'Université Humboldt. En 1953, dégoûté par la brutale répression des soulèvements des travailleurs, il part s'établir à Berlin-Ouest et y termine ses jours le 23 Mai 1967.

Pour l'universitaire Louis Dupeux « Widerstand (...) a très fortement contribué a jeter les bases d'un nouveau national-bolchevisme d'extrême-droite » (National-bolchevisme, Champion, 1979, p. 281) ; « C'est un homme de droite et même de la plus extrême-droite. Toutes ses catégories intellectuelles et politiques sont celles de la droite du temps » (Idem, p. 427).

Texte à l'appui

ERNST NIEKISCH UN DESTIN ALLEMAND

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Le recueil Hitler une fatalité allemande et autres écrits nationaux-bolcheviks dévoile pour la première fois au public français l'œuvre d'un des auteurs les plus troublants et les plus controversés de la Révolution conservatrice allemande : Ernst Niekisch. (Recension de François Lapeyre paru dans éléments n°73, 1992).




Les premières apparitions du national-bolchevisme se font dans l'Allemagne exsangue, au sortir de la Grande Guerre. Ainsi en est-il du ralliement spectaculaire, en 1919, du professeur Paul Eltzbacher à l'idée bolchevique. Celui-ci, alors membre du parti national-allemand, déclare dans le journal Tag (2 av. 1919) : « Il n'y a qu'un moyen de nous sortir d'affaire. Ce moyen, c'est le bolchevisme. » La consternation est alors totale dans les milieux conservateurs, tandis que la gauche reste méfiante devant un tel ralliement. Seul le communiste Karl Radek y reconnaît l'émergence d'un national-bolchevisme de droite « honnête » auquel les communistes devraient « tendre la main » pour autant que « le souci national puisse aussi être une voie vers le communisme » (Kommunistiche Arbeiter-Zeitung, Hambourg, 24 nov. 1919).

La deuxième manifestation des tendances national-bolcheviques aura plus d'ampleur. Elle a pour acteurs principaux Heinrich Laufenberg et son ami Fritz Wolffheim, tous deux membres de la Gauche radicale de Hambourg, puis, à partir de janvier 1919, du KPD. Ils avaient pris une part prépondérante lors de la révolution à Hambourg, en novembre 1918. La première République socialiste du Reich y fut proclamée dans l'enthousiasme, et Laufenberg y est élu président du Conseil des ouvriers et des soldats. Mais l'opposition naquit rapidement avec la direction du KPD, principalement Radek et Levi, pour lesquels l'échec du conseillisme comme forme spontanée de la révolution devait amener à la constitution d'un parti centralisé menant une « guerre de position » contre Weimar. Expulsés, Laufenberg et Wolffheim, largement soutenus par les "Hambourgeois", profiteront alors de la signature du traité de Versailles, ressenti par tous comme un insupportable diktat, pour donner une orientation nettement nationaliste à leur mouvement.

Ils décrivent la nécessité d'une « guerre populaire révolutionnaire » où s'exprime l'unité du peuple (et non plus seulement du prolétariat) contre les forces d'occupation. « L'organisation prolétarienne de classe » est devenue « l'organisation prolétarienne du peuple », aboutissant à l'émancipation de la « totalité du peuple », du « tout national », et les dirigeants proposent la création d'une Armée rouge de libération, qui, tendant la main à la Russie à travers la Pologne, organisera l'unification du bloc oriental. Mais, malgré la création du Parti communiste des ouvriers allemands, cette agitation national-communiste devait rester sans suite. Elle est néanmoins assez significative de ce premier national-bolchevisme, le « national-bolchevisme de la défaite » comme l'appelle Louis Dupeux (in National bolchevisme dans l'Allemagne de Weimar, éd. Champion, 1979), aussi passionnel que le national-bolchevisme d'Ernst Niekisch, qui connaît son essor dix ans plus tard.

Le parcours politique d'Ernst Niekisch se situe tout entier à gauche. Il adhère au SPD en octobre 1917. Le 8 novembre 1918, il est élu président du Conseil des ouvriers et des soldats de la ville d'Augsbourg. Il est ensuite élu, en 1919, au parlement de Bavière sous l'étiquette USPD (parti sociale-démocrate indépendant). Son opposition à l'aile réformiste du SPD, que dirige Bernstein, le marginalise au sein de ce parti. Il en démissionne au début de l'année 1926 et rejoint alors le parti "vieux-socialiste" (ASP), dont il dirige le quotidien Der Volksstaat jusqu'en 1928, année où il abandonne tout engagement politique.

Mais, entre-temps, Niekisch a fondé, le 1er juillet 1926, la revue mensuelle qui le rendra célèbre : Widerstand (Résistance). Cette expérience, que Niekisch mène à partir de 1927 en coédition avec August Winnig, le rapproche de la Révolution conservatrice, principalement des milieux jeunes-conservateurs, néonationalistes et bündisch. La rencontre avec Ernst Jünger, en 1927, sera notamment déterminante dans l'évolution idéologique de Niekisch. C'est au sein de la revue Widerstand que s'élabore l'idéologie national-bolchevique.

Deux thèmes dominent le national-bolchevisme. Dans l'ordre idéologique, il prône tout d'abord la révolution sociale pour libérer les travailleurs allemands de la classe exploitante, tout en rappelant que cette révolution sociale ne peut être complète que si elle s'accompagne d'une révolution nationale et qu'elle emprunte une forme politique, tendue vers la constitution d'un État nouveau : « Seule la volonté de lutte des classes, en tant qu'organe politique et réceptacle national de la volonté de vie, libère les peuples » écrit Niekisch. La conséquence la plus célèbre, et la plus fréquente en ces temps de repositionnements idéologiques intenses, en sera la fusion du nationalisme et du bolchevisme en une seule idéologie prônant l'unité du peuple, de la nation et de l'État.

Dans l'ordre géopolitique, le national-bolchevisme se tient tout entier dans l'opposition à l'Occident, alors symbolisé par le diktat de Versailles. Ernst Niekisch rappelle l'existence d'une communauté de destin (Schicksalgemeinschaft) germano-russe. On sait que l'orientation à l'Est (Ostorientierung), russophile comme russophobe d'ailleurs, est une donnée permanente de l'histoire allemande tout entière et un grand thème de la Révolution conservatrice en particulier. Elle trouve chez Niekisch de nouvelles dimensions. La « russophilie pragmatique », tout d'abord, veut que les deux exclus de l'ordre de Versailles, l'Allemagne et l'URSS, s'allient pour faire front contre les puissances occidentales du continent européen.

La révolution bolchévique est ensuite appréciée pour elle-même sous deux angles : d'une part, mise en parallèle de l'esprit bolchévique et du style prussien (« L'orientation vers l'Est et le désembourgeoisement de l'Allemagne se situent sur un même plan » affirme Niekisch : État fort et hiérarchisé, mobilisation du peuple, appel à l'héroïsme, suppression des classes parasitaires, arraisonnement de la technique mise au service du développement de la communauté et non de la seule rentabilité calculante, etc.), et d'autre part affirmation du caractère russe de la Révolution de 1917 dont le marxisme ne fut qu'un habillage internationaliste superficiel.

Il existe enfin une troisième forme de l’orientation à l'Est, plus tardive mais aussi plus radicale, notamment exprimée dans La Troisième Figure impériale. La publication en 1934 de ce livre correspond à la reformulation en terme idéaliste - notamment dans l'analyse métahistorique - de l'idéologie national-bolchevique. La place centrale y est donnée, comme d'ailleurs dans Le Travailleur de Jünger (paru deux ans auparavant) au concept de Figure (Gestalt), la forme que prend, à une époque donnée de l'histoire, la domination. Pour Niekisch, les deux grandes Figures passées du Romain éternel et du Juif éternel, issues du même moule méditerranéen, sont sur le point de céder la place à la figure du Travailleur, qui, irrigué de la « force neuve » de « l'élément russo-asiatique », va entamer une domination, non plus métaphysique ou économique, mais technique, non plus nationale mais impériale du monde.

De telles positions ne pouvaient évidemment qu'éloigner Ernst Niekisch du national-socialisme. Il fut d'ailleurs parmi les premiers, au sein de la Révolution conservatrice, à en dénoncer les dangers et à prendre ses distances avec l'organisation d'Adolf Hitler. Cette opposition sera systématisée et exprimée dans le célèbre pamphlet, Hitler, une fatalité allemande publié en 1932. La question russe y est de nouveau déterminante : le national-bolchevisme est évidemment étranger à l'anticommunisme hystérique et à l'antislavisme racialisant défendus par la NSDAP. L'idée de croisade contre la Russie est d'essence romano-chrétienne, rappelle Niekisch. Les empereurs d'Occident s'y sont soumis en échange de la bénédiction papale, tout comme Hitler s'apprête à s'y soumettre en contrepartie de la reconnaissance occidentale : derrière le petit agitateur de Bavière se cache « le gendarme de l'Occident ». La croisade est un détournement de l'idée de « protestation allemande » par laquelle Niekisch désigne la capacité du peuple à résister aux occupations et aux aliénations.

Ernst Niekisch raille ensuite le caractère « romain » du national-socialisme, décelable autant dans les origines méridionales d'Adolf Hitler que dans l'héritage du fascisme italien. L'obsession raciale, le culte « oriental » du chef, la sympathie souvent réaffirmée pour les puissances occidentales, et notamment l'Angleterre, les compromissions avec l'Église catholique et les puissances financières (distinction démagogique du capital spéculatif et du capital créateur), le messianisme national et le salutisme petit-bourgeois, l'absence de toute contenance prussienne et protestante dans les grands-messes du national-socialisme : telles sont les marques les plus repérables du caractère occidental de l'idéologie hitlérienne. Et Niekisch de lancer une prophétie dont l'histoire devait retenir la lucidité : « Les forces obscures de l'Allemagne se répandirent dans cette voie erronée. Déjà, le jour s'annonce où, dans une exaltation stérile, elles se perdront en fumée jusqu'au dernier sursaut. Il restera alors un peuple las, épuisé, sans espoir. Fatigué, il doutera du sens de toute nouvelle résistance allemande. Mais l'ordre de Versailles sera plus fort que jamais ».

Niekisch paiera son audace de sa liberté. Il est arrêté le 22 mars 1937 par la Gestapo et immédiatement incarcéré. Les Cercles Widerstand sont, comme les autres mouvements politiques, dissous et réduits à la clandestinité. Jugé deux ans plus tard, Niekisch se voit condamné à la détention à perpétuité, à la confiscation de ses bien et à la déchéance de ses droits civiques. Libéré en janvier 1945 du camp de Mauthausen où il avait été déporté un an plus tôt, Niekisch adhère en août au KPD est-allemand. Mais la RDA ne lui sera guère plus favorable. L'Institut d'études sur l'impérialisme qu'il y fonde est brutalement fermé en 1951. Son premier livre publié après la guerre et mûri en détention, Europäische Bilanz, y reçoit un accueil glacial. Le second, Das Reich der niederen Dämonen, est interdit quelques semaines après sa mise en vente. Il rejoint en 1953 la RFA, où l'accueil est des plus réservés. Il y mourra, solitaire, le jour de son 78ème anniversaire, le 23 mai 1967.

C'est au fond dans l'idée de résistance que se tiennent tout entières la vie et l'œuvre de Niekisch, dans cet appel à l'éternelle « protestation allemande » contre les occupations et les colonisations. Résistance à l'Allemagne de Weimar, qui l'a emprisonné, à l'Allemagne de Hitler, qui l'a déporté, à l'Allemagne de l'Est, qui l'a refoulé, comme à l'Allemagne de l'Ouest, qui l'a détesté. Ernst Niekisch sera mort sans que jamais l'Allemagne de ses rêves ne devienne une réalité.

Œuvres

En allemand :

  • Das Reich der Niederen Dämonen (Berlin, 1957)
  • Geheimes Reich (1937)
  • Hitler Ein deutsches Verhängnis (1932)


En français :

  • Écrits Nationaux-Bolcheviks, Pardès, 1990, 315 p.

Bibliographie

  • Birgit Rätsch-Langejürgen, Das Prinzip Widerstand, Leben und Wirken von Ernst Niekisch (Le "principe résistance" chez Niekisch), Bouvier Verlag, Bonn, 1997.

Dans cette étude universitaire sur la personnalité et les engagements politiques d'Ernst Nie­kisch, l'auteur ajoute, en fin de volume, une étude sur la réception de Niekisch dans les mi­lieux qualifiés de "nouvelle droite" en Allemagne. Force est de constater qu'en Allemagne la distinction entre "nouvelle droite" et "nationalisme révolutionnaire" n'est pas aussi claire qu'en France. Ce qu'il est convenu d'appeler la Neue Rechte, Outre-Rhin, ti­re une bonne part de ses origines du corpus national-révolutionnaire allemand des années 60 et du début des années 70. Celui-ci était engagé sur le plan social et fort similaire, dans ses démarches, au mouvement de 67/68, surtout dans sa lut­te contre le duopole impérialiste de Yalta. L'auteur retrace l'histoire de la ré­ception de Niekisch par le groupe Sache des Volkes (Cause du Peuple), par des au­teurs comme Wolfgang Strauss, Wolfgang Venohr, Michael Vogt et Marcus Bauer. Elle mon­tre également que la réception de Nie­kisch par les groupes NR a conduit à un glissement à "gau­che", dans la mesure où, dans une structure comme le NRKA (Commission NR de Coordination), d'anciens militants communistes travaillent à déconstruire l'anti-égalitarisme pré­sent dans le NR ouest-allemand, première mouture, afin de donner de la consistance au mes­sage solidariste de ces groupes : ces militants ex-communistes ont notamment analysé les positions de Niekisch dans la République des Conseils de Bavière. L'objectif final était de pro­mouvoir une quintuple révolution, tout à la fois, nationale, socialiste, écologiste, culturelle et démocratique. Au début des années 80, en pleine contestation de l'installation de missiles américains sur le sol allemand, la critique traditionnelle des NR contre les deux super­puis­san­ces se mue en une volonté de renouer avec l'URSS, comme au temps de Niekisch, car l'URSS est la seule puissance capable de résister durablement au capitalisme globaliste. Dans la mosaïque très diversifiée des nouvelles droites allemandes, des divers partis natio­na­listes et des groupes NR, la réception de Niekisch a été "ambivalente", conclut l'auteur.

  • Uwe Sauermann, Ernst Niekisch und der revolutionäre Nationalismus, Bibliotheksdienst Angere, Munich, 1985, 460 p.


Sur le national-bolchevisme :

  • Louis Dupeux, Le National-bolchevisme, stratégie communiste et dynamique conservatrice, Editions H. Champion, Paris, 1979.
  • Dimitri Kitsikis, Le national-bolchevisme, éd. Ars Magna.

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