Claude Polin

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Claude Polin, né le 31 mai 1937 et mort le 23 juillet 2018 à Paris, était un professeur de philosophie et de science politique français.

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Royaliste légitimiste, il a été un spécialiste du totalitarisme, de ses origines, de son essence et de ses développements.

Biographie

Le décès de Claude Polin a quasiment été occulté par la grande presse et par les milieux académiques. L’ « oubli » de Polin n’a en vérité strictement rien d’innocent : homme de Droite et de Tradition, fidèle à la monarchie traditionnelle (donc légitimiste), grand contempteur du communisme mais aussi de son frère faussement ennemi le libéralisme, auteur d’analyses particulièrement profondes de la racine du mal moderne, à savoir le subjectivisme, Polin n’avait rien pour plaire à l’intelligentsia française ni pour s’y faire une place de choix[1].

Claude Polin est le fils de Raymond Polin, qui enseigna lui aussi la philosophie politique à Paris IV-Sorbonne, devenant même le président de cette université en 1976. Libéral-conservateur dans la lignée de Hobbes et résolument athée, Raymond Polin « éleva son fils dans l’indifférence religieuse »[2].

Claude Polin fait de très brillantes études : successivement les classes préparatoires littéraires du lycée Henri IV, puis l’École normale supérieure, et enfin la réussite à l’agrégation de philosophie. C’est durant ses études qu’il fait la connaissance de Claude Rousseau, lui aussi agrégé de philosophie et futur enseignant à la Sorbonne, qui allait devenir son complice intellectuel, les deux hommes partageant les mêmes positions politiques et philosophiques.

Claude Polin soutient en 1976 sa thèse de doctorat d’État sur le totalitarisme.

Il enseigne la philosophie politique à l’université Paris IV-Sorbonne pendant plusieurs décennies. Il y dirigera par ailleurs au moins vingt-quatre thèses.

Très tôt familiarisé, sans doute grâce à son père, avec la pensée d’Edmund Burke, l’auteur des célèbres Réflexions sur la révolution de France (1790) et figure éponyme du conservatisme anglo-saxon, Polin refusait cependant de se dire conservateur. Il ne fut pas non plus tenté d’adhérer aux vues maurrassiennes, en dépit d’une participation marginale à l’édition d’une anthologie du maître de Martigues[3], alors qu’il est maître-assistant à Paris-IV et qu’il va bientôt être nommé assistant du libéral Raymond Aron. Nul doute que l’empirisme organisateur se ressentait déjà trop d’influences de la mentalité moderne aux yeux d’un homme qui ne va pas tarder à se mettre en quête des fondements de la politique, de l’ordre naturel et du bien commun chez Aristote et saint Thomas d’Aquin avant tout.

Excellent connaisseur des grands auteurs politiques classiques du monde anglo-saxon (de Hobbes à Hume, de Locke à Burke), Claude Polin était marié à une Américaine, Nancy Derr, agrégée d’anglais et professeur à l’École alsacienne. Devenu parfaitement bilingue, il passait régulièrement ses étés aux États-Unis, où ses livres étaient lus et connus dans le milieu qui se qualifia de manière provocatrice, à partir de la fin des années 1980, de « paléo-conservateur », en réaction à la tentative de mainmise sur le mouvement conservateur états-unien opérée par les « néoconservateurs », pourtant passés, tous ou presque, par le trotskisme, et pourtant, tous ou presque, d’origine juive. Dans la partie finale de sa vie et avant la longue maladie qui devait l’emporter, Polin collabora activement à la principale publication « paléo-conservatrice », le mensuel Chronicles, dont l’un des contributeurs réguliers était l’essayiste catholique Thomas Molnar, d’origine hongroise mais d’expression française et anglaise[4]. Avec son épouse, Polin se chargea aussi de traduire et de préfacer pour le public anglophone une sélection d’écrits d’Augustin Cochin[5].

Engagement légitimiste et conversion au catholicisme

Lorsque paraît en 1977, aux éditions Sirey, sa thèse intitulée L’Esprit totalitaire, Polin sait que c’en est probablement fini de sa tâche d’assistant de Raymond Aron : inscrivant en effet le libéralisme, avec son apologie de l’appétence pour les biens matériels et son rejet de toute solidarité active entre les membres du corps social, dans la généalogie du totalitarisme, Polin contredit à angle droit les thèses d’Aron. Il est donc bientôt remplacé par un libéral bon teint, Pierre Manent.

Dès cette époque, les convictions fondamentales de Polin, en philosophie comme en politique, sont fixées et ne varieront plus pour l’essentiel. Le milieu où il se sent dès lors le plus à l’aise est le milieu légitimiste : de 1974 à 1983 il donne de nombreux articles à une revue de qualité, La Légitimité, animée par le regretté Guy Augé (1938-1994), trop tôt disparu, et qui compte aussi des collaborateurs qualifiés comme Jean-Pierre Brancourt et Thierry Buron. En 1975, Augé résumait les raisons du légitimisme d’une façon qui ne pouvait que recueillir l’assentiment de Polin : « Cette légitimité n’appartient à personne en propre, pas même aux princes qui peuvent la trahir. Mais elle est à tous ceux qui la souhaitent servir, et elle exprime, mieux sans doute que ‘monarchie’, l’essence de l’institution royale, respectueuse de la transcendance, entée sur le passé, ouverte sur les finalités du bien commun, et respectueuse de l’ordre naturel »[6]. En 1981, Polin poursuit son analyse du communisme, avec son ami Claude Rousseau, dans Les illusions de l’Occident, paru chez Albin Michel. En 1982, il publie aux Presses universitaires de France, dans la célèbre collection « Que sais-je ? », Le Totalitarisme, sorte de résumé de sa thèse mais qui s’en écarte sur certains points. Ce petit ouvrage se vendra bien, connaissant en 2007 une troisième édition revue et augmentée. En 1984, Polin dialogue avec son père pour un livre à deux voix sur le libéralisme.

Suivront encore deux recueils de textes cosignés avec Claude Rousseau. En 1989, Polin est membre, pendant six mois seulement, du Conseil scientifique du Front national. À partir de l’hiver 1998-1999 et jusqu’en 2016, il collabore très régulièrement à la discrète mais copieuse revue trimestrielle Catholica, publiant dans celle-ci plus de quarante articles de fond, dont on ne peut que souhaiter qu’ils soient repris, au moins pour partie, dans différents recueils.

Esprit dénué de tout sectarisme, Claude Polin collabore aussi, de manière beaucoup plus intermittente, à des revues de la « nouvelle droite », Éléments et Nouvelle École, et prend la parole une fois à un colloque du GRECE, en 1998.

Le totalitarisme ou le triomphe de la haine

Qu’il s’agisse de l’analyse du totalitarisme ou du traitement d’autres sujets, la méthode de Claude Polin reste toujours essentiellement philosophique. Elle vise à « mettre en évidence la logique d’un système de pensée et l’organisation sociale en découlant », mais sans prétendre « mesurer dans quelle proportion ce système [peut] connaître concrètement des obstacles plus ou moins efficaces à sa réalisation »[7]. Cependant, loin de se perdre dans des abstractions générales, Polin prend toujours comme point de départ et d’arrivée l’homme lui-même. Ce qu’il nomme « l’agent catalytique » du totalitarisme, et en particulier de son expression la plus accomplie, le totalitarisme communiste, doit être recherché à l’intérieur de l’individu, et non dans des structures extérieures à lui. On sait que dans la vision marxiste du monde il n’y a pas de nature humaine ou essence intemporelle de l’homme. Les hommes « se font » ; plus encore, ils « se font » les uns par les autres, dans le cadre d’une « anthropogenèse collective ». Tous dépendent de tous, aucun ne peut prétendre dépasser les autres, ni même en différer fondamentalement. En cela, le communisme se dévoile comme le fils par excellence de la société industrielle et de la division du travail, qui ont démesurément accru l’interdépendance entre les hommes. Or, « dans une société fondée sur la dépendance mutuelle, le but secret de tous les actes est donc le contraire de leur but avoué : faire que la dépendance ne soit pas réciproque, mettre autrui à son service, et ne pas être au sien »[8]. Dans les sociétés modernes, les hommes, et en particulier tous ceux qui dépendent d’autrui pour leur subsistance matérielle, à savoir les salariés, n’entretiennent qu’un rapport si lointain avec le fruit de leur travail qu’ils n’ont plus en vue qu’un bien matériel, à l’exclusion de toutes les raisons qui jadis incitaient l’homme à s’intéresser à sa tâche : amour du travail bien fait, sentiment de s’accomplir à travers lui, fierté de rendre service à la communauté. Le fait qu’il y ait moins à partager dans le système communiste, puisque la production y est plus faible à cause de l’abolition (officielle) de la propriété génératrice d’incurie, d’incompétence et de paresse, n’est en rien synonyme de frugalité vertueuse. En effet, « on s’aperçoit qu’un système de cette sorte accorde bien plus de chances de réussir à un bien plus grand nombre d’individus qu’un système fondé sur la compétition et sur la récompense des talents »[9]. Polin démasque la vraie réalité du prétendu « homme nouveau » communiste porteur d’un projet réputé émancipateur et « généreux » : cet homme, écrit-il, « consiste tout simplement dans la somme de ce que chacun peut être en se laissant aller à ce qu’il y a en lui de plus médiocre, ou de plus méchant, ou de plus vil, mais, en tous les cas, en se laissant aller à tout ce qui lui demande le moins d’effort »[10]. La qualification de “totalitaire” pour la société communiste se justifie d’abord par le fait que la « socialisation intégrale de l’individu par quoi commence le totalitarisme, ce n’est pas sa soumission aux autorités sociales ou politiques apparentes, c’est d’abord sa sujétion aux regards, aux jugements, et à l’hostilité du voisin, son asservissement aux milliers ou aux millions de regards qui tous peuvent envier, accuser, dénoncer, faire condamner »[11]. Il est à peine besoin d’ajouter que l’évolution des sociétés libérales vers le « politiquement correct » toujours plus prononcé, avec des formes de délation et de marginalisation des mal-pensants, confirmera Polin dans sa thèse de la convergence profonde et inévitable, car inscrite dans les prémisses des deux systèmes, du libéralisme et du communisme. C’est aussi la volonté de “socialiser” intégralement l’individu, dans la mesure où « le corps social prétend constituer son être, régir tous ses actes, lui imposer ses fins »[12], qui explique la haine de la propriété foncière, la haine de l’enseignement privé, la haine de la vie contemplative monastique, réputée parasitaire et “inutile” à la société. Car « le totalitarisme, en un mot, c’est, à la place de l’amitié en laquelle les Anciens voyaient le principe de toute société, le triomphe de la haine dans le cœur de chacun »[13]. C’est donc aussi, bien sûr, l’avènement du monde étouffant et criminel de Big Brother : « La terreur proprement dite [...] commence à exister quand tous peuvent être à tout instant décrétés coupables sans même avoir transgressé aucune loi, pour la simple raison que ces lois n’existent pas, ou qu’elles sont ainsi définies qu’il leur est impossible, même sans le vouloir, de ne pas les transgresser. »[14]

La vision moderne de l'Homme comme Tabula rasa et le règne du Moi je

Mais Polin creuse encore plus profondément, cette fois avec son ami Claude Rousseau, pour arriver jusqu’à la racine de la déviation moderne : la négation totale de l’idée classique de nature humaine, suivie par le rejet tout aussi radical du dogme du péché originel. Polin rappelle que, pour les Anciens aussi, il y a bien nécessité d’une « anthropogenèse ». Mais si celle-ci passe obligatoirement par la vie en société, l’homme étant un animal politique, elle ne s’y réduit pas, car elle est d’abord personnelle : « ... toute culture humaine suppose donc [...] que l’humanité de l’homme ne soit pas un donné immédiat, mais, comme la récolte du paysan, le produit du travail d’un individu sur soi [...] le principe de toute culture est le sentiment qu’il y a quelque chose en l’homme qui doit être dépouillé au profit d’un être en quelque sorte dégagé de sa gangue d’immédiateté, de son cocon d’animalité, et qui est seul vraiment humain »[15]. Pour Polin et Rousseau, c’est même cette conception selon laquelle l’humanité de l’homme n’est pas un donné immédiat qui définit proprement « la philosophie de la Droite »[16], tandis que le principe même de la philosophie socialiste ou communiste, c’est « l’aval donné à la nature immédiate de l’individu »[17]. Pour les modernes, à l’inverse d’Aristote et de saint Thomas d’Aquin, « l’homme n’est pas une puissance qui doit passer à l’acte, un être qui a à accomplir le modèle qu’il porte en soi »[18]. Intrinsèquement bon et parfait dès le départ, dans son immédiateté, il n’est qu’une tabula rasa dont la caractéristique est de n’en avoir aucune. Il est plasticité indéfinie, pur écoulement de vie dans la prison du temps, et peut donc « se faire » au contact des autres, devenir ce qu’il veut : « choisir » d’être homme ou femme, « trans- ou bi- », d’une nation ou citoyen du monde, adopter un comportement responsable ou irresponsable, et changer de métier à volonté ou presque. Compte tenu de l’indéfinie plasticité de l’homme, il n’est pas jusqu’aux débiles mentaux qui ne doivent se voir accorder le droit de vote, car nous avons « beaucoup à apprendre » de leur handicap, de même que de toutes les sortes de pervers, dont « la diversité peut nous enrichir ».

Puisque l’homme, dans la vision des modernes, est pure potentialité que rien ne doit vraiment définir, autrement dit limiter (rappelons-nous toute l’importance que les Anciens accordaient à la “limite”, peras), il n’y a aucun motif valable de mettre un frein à ses désirs, ce qui nous rabat sur l’idéologie comme mode de pensée totalement étranger à cet ordre de la raison et à ce rejet de l’oubli (Léthé, fille de la Discorde) dans le chaos de l’indistinction qu’est la recherche de la vérité. Pour Polin et Claude Rousseau, « le mode de pensée idéologique renvoie comme à sa cause ou sa condition de possibilité à un égocentrisme ou à un égoïsme inconscient élevé au rang d’un mode d’être et d’un principe d’existence »[19]. L’archétype du moderne accompli s’appelle donc homo consumans, qui vit « comme un porc de luxe dans une bauge technologique »[20]. Il n’incarne pas le triomphe de l’égalitarisme, puisque les biens matériels sont ce que les hommes aiment évidemment se partager le moins, mais plutôt celui du subjectivisme, de « moi je », petit roi « célébrant son infinité dans la contemplation de ses désirs hypertrophiés et indéfiniment (ce qui est la modalité humaine, ou caricaturale, de l’infini) servis ».

Claude Polin décède le 23 juillet 2018 à Paris des suites d’un cancer des os[21].

Publications

  • Tocqueville : De la Démocratie en Amérique, Hatier, coll. « Profil d'une œuvre », 1973, 80 p.
  • L'Esprit totalitaire, Éditions Sirey, 1977.
  • Les Illusions de l'Occident, Albin Michel, 1980.
  • avec Raymond Polin, Le Libéralisme. Espoir ou péril, Paris, Table ronde, 1984, 370 p.
  • avec Claude Rousseau, Les illusions républicaines, PSR éditions, 1993, 352 p.
  • avec Claude Rousseau, La Cité dénaturée. Cité classique contre cité moderne, PSR éditions, 1997, 358 p.
  • Le Totalitarisme, PUF, coll. « Que sais-je ? », 3e éd. mise à jour, 2007, 127 p.

Bibliographie

Notes et références

  1. Axel Courlande, « Claude Polin ou la noblesse de la politique », in : Rivarol, N°3529, 27.7.2022-30.8.2022, p. 14-15.
  2. Denis Sureau, « Mort du philosophe Claude Polin », paru in : Chrétiens dans la cité, 14.8.2018.
  3. Cf. le recueil de textes (choisis par François Natter et Claude Rousseau) : Charles Maurras, De la politique naturelle au nationalisme intégral, J. Vrin, 1972.
  4. De cet auteur, cf. avant tout son ouvrage La Contre-Révolution, Union générale d’éditions, coll. de poche 10/18, 1972. Daté par endroits, ce livre n’en contient pas moins quelques définitions et réflexions de fond qui n’ont rien perdu de leur valeur.
  5. A. Cochin, Organizing the Revolution, Chronicles Press & The Rockford Institute, Rockford (Illinois), 2007.
  6. Guy Augé, « Du légitimisme à la légitimité », La Légitimité, n° 2, janvier 1975, p. 7.
  7. « Hommage à Claude Polin », entretien de Philippe Maxence avec Bernard Dumont (directeur de Catholica), L’Homme nouveau, 29 août 2018.
  8. Cl. Polin, Le Totalitarisme, 1re éd., op. cit., p. 115.
  9. Ibid., p. 89.
  10. Ibid., p. 96.
  11. Ibid., p. 117.
  12. Ibid., p. 116.
  13. Ibid., p. 117.
  14. Ibid., 75-76.
  15. Cl. Polin & Cl. Rousseau, La Cité dénaturée, op. cit., p. 60.
  16. Ibid., p. 81.
  17. Ibid., p. 86.
  18. Ibid., p. 54.
  19. Ibid., p. 29.
  20. Ibid., p. 46.
  21. Cette entrée est en grande partie reprise de l'article d'Axel Courlande, voir supra.