Alphonse de Châteaubriant

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Alphonse de Châteaubriant, né à La Prévalaye, près de Rennes, le 25 mars 1877 et mort le 2 mai 1951 à Kitzbühel, était un romancier et un homme de presse français.

Alphonse de Chateaubriant

Enthousiasmé par le national-socialisme allemand, il s'est efforcé de le concilier avec un esprit de résurrection et d'unification d'une grande Europe chrétienne.

Biographie

Alphonse de Châteaubriant voit le jour le 25 mars 1877 à Rennes. Sa famille a des origines hollandaises et protestantes. Au XVIIe siècle, ses ancêtres étaient des commerçants maritimes d’origine allemande. L’un d’eux, Gaspard Van Bredenbecq, fon- da à Nantes, en 1668, une compagnie maritime et une raffinerie de sucre. Sa veuve acquit en 1690 les droits féodaux de la seigneurie de Châteaubriant, à Saint-Gemmes-sur-Loire. Elle abjura le protestantisme lors de l’Edit de Nantes (1685), et le catholicisme devint alors la religion de la famille. Les Châteaubriant furent donc à la fois raffineurs, négociants, armateurs et propriétaires fonciers. Mais aussi officiers — noblesse oblige. Alphonse se trouvait être le cousin germain du peintre Ferdinand du Puigaudeau.

Alphonse de Châteaubriant naquit des œuvres d’Alphonse Marie René de Châteaubriant dans des conditions irrégulières puisque alors le père et la mère (de naissance roturière et bourgeoise) ne furent mariés qu’un an plus tard[1]. Après ses études secondaires à Nantes, il accepte, pour complaire à son père, de préparer l’École militaire de Saint-Cyr, mais est recalé au concours d’entrée. Il intègre alors le 11è Cuirassiers de Chartres, mais montre peu de goût pour l’armée, qu’il quitte rapidement. Manifestement, tout noble qu’il est, il n’entend pas en lui l’appel des armes. Son père en concevra un grand dépit, mais devra se faire une raison. La fortune familiale dispense Alphonse d’avoir à se choisir un métier, et il vit alors essentiellement entre Piriac-sur-Mer, en Loire-Atlantique[2], où se trouve sa propriété, et la ville de Nantes.

Les débuts littéraires d'un jeune mondain

En mai 1903, il épouse la fille d’un médecin, Marguerite Bachelot-Villeneuve, qui lui donnera deux fils. Fils de famille, bientôt héritier, renté, il n’est pas tenu de gagner sa vie. La vie mondaine lui permet d’être introduit au Chroniqueur de Paris, à la Revue bleue, et lui offre l’occasion de rencontres multiples : Malwida von Meysenbug, Romain Rolland, qui restera toute sa vie son meilleur ami, Aristide Briand, et autres personnalités connues à l’époque, presque toutes modernes, libérées et progressistes. Ses premiers écrits sont assez anodins et publiés par des éditeurs locaux : Prémisses (1902), Pastels vendéens (1905). Son livre d’impressions de voyage Instantanés aux Pays-Bas (1906), paraît dans la Revue de Paris avant de sortir en livre. Deux nouvelles, Le baron de Puydreau (1908), et Monsieur de Buysse (1909), paraissent dans la Revue de Paris, puis sont édités par « Les Ateliers Imprimeurs ». Il donne quelques articles à deux journaux républicains bon teint : Le Radical et Le Rappel. Nullement nationaliste, totalement étranger au déterminisme ethnoculturel d’un Barrès, au positivisme politique et à l’empirisme organisateur d’un Maurras, au populisme cocardier d’un Déroulède, à l’antisémitisme d’un Drumont ou d’un Guérin, il se sent une âme cosmopolite et un esprit progressiste, humaniste et libéral, et se laisse aller à des sympathies dreyfusardes entre 1898 et 1906. Rien n’annonce son évolution. Le Châteaubriant de la Belle Époque est un jeune homme de lettres, un brillant rejeton de la bonne société, qui se complait dans la skholè (le temps libre) propre à son milieu d’origine, et goûte aux plaisirs de la vie, tout particulièrement ceux de l’esprit, quoique sans excès. Il se sait un écrivain doué, et non pas seulement un littérateur mondain, auteur occasionnel de livres sans grand intérêt. Et il s’applique à cultiver et approfondir ses dons.

L'accès à la célébrité

C’est avec son roman Monsieur des Lourdines, Histoire d’un gentilhomme campagnard que Châteaubriant accède à la célébrité. Le livre est publié par un tout jeune éditeur, promis à un bel avenir, Bernard Grasset, et reçoit le prix Goncourt 1911, grâce au battage organisé en sa faveur par Romain Rolland, auquel il est dédié. Le héros de l’histoire, Anthime de Lourdines, jeune noble non conformiste, mène à Paris une existence dispendieuse et vit un amour fatal avec une jeune personne qui le conduit — et sa famille avec lui — à la ruine et provoque la mort de sa mère, terrassée par le chagrin ; le fils indigne songe au suicide, mais en est dissuadé par la voix de la nature, traduite par les sons de son violon qui lui rappelle celui de son père ; resté au pays, il sera définitivement sauvé par l’amour de Sylvie, son amie d’enfance. Du jour au lendemain Châteaubriant devient un écrivain fêté par le tout-Paris.

De Romain Rolland à Barrès

Sa réputation de romancier croîtra encore avec la publication de La Brière (Grasset 1923) et La Meute (éd. du Sablier, 1927). Ces livres valent le détour. La Brière, en particulier, donne la mesure du talent de romancier de Châteaubriant, autant que Monsieur des Lourdines. Le héros, l’Aoustin, se donne pour tâche d’empêcher la confiscation par l’État des étangs de Brière, afin d’en laisser la jouissance aux habitants de cette région de l’Ouest. Pour cela, il lui faut retrouver des lettres patentes de 1784 par lesquelles François II, duc de Bretagne, déclare accorder la jouissance des 7000 hectares du marais de Brière pour tous les habitants alentour, et reconnaissant à ces derniers les droits de pêche, de chasse, de coupe de la motte, de coupe de roseaux et de pâture. Le roman se présente sous les trois aspects d’une intrigue policière, d’une description géographique et ethnologique des mœurs et du mode de vie des paysans des anciennes terres de Brière, et d’une version moderne de Roméo et Juliette. Il confirmera le succès de romancier de l’auteur, mais n’aura tout de même pas l’audience et la postérité de Monsieur des Lourdines. Il consacre également Châteaubriant comme écrivain régionaliste, tant l’auteur a su faire revivre l’âme et la sensualité sauvage des pays de bocage de l’Ouest et du pays de Guérande. Quant à La Meute, aucune présentation ne l’exprimera mieux que celle donnée par son auteur lui-même, et qui mérite une citation intégrale :

« Les récits publiés en ces pages, contiennent quelques épisodes isolés, quelques figures passantes, deux ou trois seulement, parmi l’infinie variété de cette espèce d’hommes si curieusement plantés sur terre, appelés gentilshommes campagnards, que j’ai connus çà et là, dans mon enfance et dans ma jeunesse. Les hommes naissent comme la société les fait naître ; ce sont les mœurs qui font les mœurs ; entre les mœurs et les hommes, il n’y a pas d’intervalle qui permette d’attribuer aux seconds une existence originelle indépendante des premiers ; et les mœurs d’aujourd’hui ont perdu tout leur antique savoir dans l’œuvre de création des cœurs et des tempéraments propres à ces êtres si particulièrement bâtis ».

Cette présentation, le recueil de récits de La Meute et le roman de La Brière révèlent un aspect de la personnalité de Châteaubriant jusqu’alors occultée (ou, au moins, oblitérée) par l’image que ce dernier donnait de lui de par son existence de riche jeune homme de lettres mondain, d’esprit moderne, progressiste et cosmopolite, ami de Malwida von Maysenbug, parfaite représentante des idées politiques et sociales (et “sociétales”, pourrait-on ajouter aujourd’hui)[3], de Romain Rolland, humaniste universaliste et idéaliste, de Briand, socialiste volontiers utopiste, de Clemenceau, le vieux radical. Il fait vivre, sous sa plume, en termes et dans un style adéquatement expressifs, la psychologie, la personnalité forte et complexe d’un représentant de la vieille noblesse provinciale d’Ancien Régime, profondément enraciné dans l’héritage spirituel et charnel de sa famille et dans la réalité ethnique et géographique du pays de Guérande. ! Et, dès cette époque, on peut prédire que Châteaubriant n’est pas, ne deviendra pas, un écrivain libéral moderne, ouvert à toutes les nouveautés, d’où qu’elles viennent, d’esprit universaliste. Il restera l’ami de Romain Rolland, mais ne sera pas son continuateur. Ces deux œuvres romanesques, La Brière (1923) et La Meute (1927), attestent de l’arrivée à maturité d’Alphonse de Châteaubriant. Il a d’ailleurs 46 ans lorsque paraît le premier de ces deux livres, et a passé le cap de la cinquantaine lors de la sortie du second. À vrai dire, cette évolution se laissait prévoir dès Monsieur des Lourdines, paru en 1911. Anthime, le héros de ce roman, prend en effet conscience de la perdition où l’a mené (et sa famille avec lui) la dissipation de sa vie parisienne, laquelle l’a avili et déshonoré, en même temps qu’elle a ruiné son père et provoqué la mort (de chagrin) de sa mère. Et non seulement il se jette dans le repentir, mais il découvre la beauté et l’âme du bocage normand, ainsi que, enfin, sa véritable identité culturelle : il réalise qu’il est un homme d’ici, un brierron, un normand, certes noble, éduqué et cultivé, mais plus proche des paysans de Guérande et de Brière que des milieux mondains et artificiels de Paris, lesquels l’ont vicié. Il s’éprend alors de sa terre natale, de celle de ses ancêtres et de la communauté rurale qui l’a vu naître et qui agit en lui comme une sève nourricière. D’une vision du monde à la Romain Rolland, il est passé à une sensibilité barrésienne. Monsieur des Lourdines annonçait déjà très clairement cette évolution ; La Brière (1923) et La Meute (1927) montre que celle-ci est achevée.

Pour la régénération d'une Europe décadente

Très prévisible dès la publication de Monsieur des Lourdines, cette évolution ne s’est cependant pas faite en un jour. Son accomplissement a duré une bonne dizaine d’années. Et ces années n’ont rien eu de banal, puisqu’elles furent marquées par la Grande Guerre, qui bouleversa Châteaubriant comme tant d’autres, et altéra très profondément sa vision du monde, de l’Europe en particulier, de l’histoire, et de l’homme, tout simplement.

Lorsque la guerre éclate en août 1914, notre homme est mobilisé et affecté au service ambulancier, dans l’Est. Quoique éloigné des combats, il se trouve en mesure de voir les horreurs de la guerre avec les morts et les blessés à évacuer, les entassements dans les hôpitaux, les souffrances des soldats meurtris, les mutilations, les conditions de vie dans les tranchées. Comme Romain Rolland, exilé en Suisse, il pense que cette guerre est une folie, destructrice à la fois des personnes, de l’humanité, de la civilisation, et il en veut aux élites européennes de n’avoir pas su unir les nations. Par là, Châteaubriant reste fidèle à l’esprit humaniste et universaliste qu’il cultivait avant-guerre, et, bien que son héros de 1911, Anthime des Lourdines, lui ait révélé ses racines ethniques et culturelles et l’ait alerté sur les venins corrupteurs des mondanités parisiennes, il n’a pas encore découvert à quel point son identité d’homme vivait en symbiose avec sa terre natale. À travers Monsieur des Lourdines, il a découvert l’amour de la terre, mais l’âme lui en est encore un peu étrangère. Il ne perçoit pas encore l’unité fondamentale qui lie l’homme et la terre, les vivants et les morts, les ancêtres et les contemporains. Aussi, il sup- porte très mal les horreurs de la guerre, qui lui paraissent non une fatalité, moins encore une nécessité, mais une anomalie, un scandale et une monstruosité. Il aspire à l’édification d’une Europe unie spirituellement et diplomatiquement (même s’il reste imprécis sur ce point) sur la base de la réconciliation franco-allemande, afin d’éviter le retour de la guerre qui, autrement, est assuré. De ce point de vue, sa pensée semble beaucoup plus proche de celle de Romain Rolland, de Paul Valéry ou d’Albert Demangeon que de celle de Barrès ou de Maurras. Cependant, il se distingue des premiers par son analyse des risques de décomposition de l’Europe.

En effet, Châteaubriant constate l’expansion rapide du bolchevisme à la faveur de la crise de civilisation engendrée par la guerre. Le bolchevisme, expression la plus achevée du socialisme né de la misère d’un prolétariat que la civilisation a laissé se former en son sein, et dont la révolte, attisée par la chute des valeurs spirituelles et morales découlant de l’injustice et de la guerre, consommera la ruine de l’humanité. La Révolution bolchevique russe de 1917 sonne comme un avertissement : ou l’Europe s’unira pour lutter contre ce péril mortel qu’elle conjurera en apportant une solution au problème social, dont l’existence même est un scandale, ou elle périra de par ses divisions qui la voueront à un nouveau conflit et la laisseront désarmée face aux révolutionnaires communistes. Ces considérations, qui vont fonder désormais la pensée politique de Châteaubriant, le font échapper à l’idéalisme humanitaire de son ami Romain Rolland — dont il va de plus en plus s’éloigner[4] — et le posent comme le tenant d’une Europe à la fois aristocratique et socialiste, unie par les œuvres de l’esprit, plus fortes que les oppositions nationales. Cet idéal sera celui d’un Pierre Benoît, d’un Abel Bonnard, d’un Jacques Chardonne, d’un Drieu la Rochelle, plus tard d’un Robert Brasillach, entre beaucoup d’autres, auxquels Châteaubriant ouvre la voie. Dans une lettre du 28 novembre 1918, il écrit : « Au lieu de partir d’une idée d’entraide et de collaboration, les gouvernements alliés ne font guère que s’inspirer d’envie, de crainte, de rancune et de haine, toute cette démence étant l’œuvre des faux nationalismes impénitents... L’heure était pourtant venue pour les nations de coopérer ensemble à la réalisation du grand organisme européen comme pour les gouvernements conservateurs de faire cause commune contre l’ennemi commun, le bolchevisme... La grande coopération européenne serait actuellement, pour les peuples épuisés et intérieurement détruits dans leurs hiérarchies, la seule arche de salut ».

Tout le projet politique du groupe Collaboration est contenu dans ces lignes ; le mot même de “collaboration”, on le voit, y apparaît déjà. Châteaubriant va être un des initiateurs d’une droite aristocratique persuadée que le monde libéral et capitaliste moderne, amputé de ses valeurs spirituelles, court à sa perte, notamment parce qu’il secrète tout naturellement le bolchevisme. Cette droite nouvelle se démarquera —jusqu’à s’opposer à elle — du nationalisme barrésien, du nationalisme maurrassien, du patriotisme « bien français » des Croix de Feu et des Jeunesses patriotes, et même du fascisme étroitement national d’un Valois ou d’un Bucard. Châteaubriant ne se sentira aucune affinité avec ces courants. En somme, la découverte d’une solidarité de civilisation entre les divers pays européens aura pour conséquence de l’éloigner de l’enracinement dans la terre des ancêtres, géographiquement circonscrite dans le cadre de la province ou de la patrie, et de l’amener à l’idéal de la défense d’une civilisation européenne, à l’échelle d’un continent, unissant des nations de langues, de culture et de traditions différentes. Et on peut dire que l’idéal humaniste européen et universaliste qu’il a hérité de Romain Rolland, Malwida von Meysenbug et autres, a court-circuité la tentation du culte de la terre et des morts, de la grande patrie nationale et de la petite patrie provinciale, et l’a fait passer du cosmopolitisme de sa vie parisienne de la Belle Époque à un supranationalisme à la Drieu la Rochelle ou à la Abel Bonnard, en lui faisant l’économie (si on peut ainsi dire) d’un pas- sage par le nationalisme barrésien ou maurrassien.

Durant les années 1920, alors que Maurras, Bainville et toute L’Action française ne cessent de dénoncer les faiblesses de la diplomatie française à l’égard de l’Allemagne et la politique pacifiste de Briand, notamment lors de la conclusion du Pacte de Locarno (1925), Châteaubriant, lui, déplore l’échec de cette politique face aux nationalismes impénitents, celui de la France spécialement. Par là, il occupe une position voisine de celle de Pierre Drieu la Rochelle, qui publie, à l’époque, Genève ou Mos- cou (1928) et L’Europe contre les patries (1931), ou encore de Fernand de Brinon ou de Jean Luchaire. Hostile à la gauche, il ne se reconnaît cependant ni dans la droite des “modérés”, ni dans L’Action française ou les ligues. Tous lui paraissent défendre un nationalisme ombrageux, étroit et suranné, source de possibles conflits futurs, et éloigné de la seule cause qui vaille, à ses yeux : la défense de la civilisation européenne, tant contre les risques d’une guerre destructrice que contre le bolchevisme, déjà au pouvoir en Russie, et qui, à la faveur de la question sociale, ne manquera pas de faire des adeptes ailleurs, lesquels seront enrégimentés dans des partis communistes à la botte de Moscou. Le fascisme italien le laisse indifférent. Il n’y discerne pas, dans l’entre-deux-guerres, les promesses d’une régénération spirituelle et d’un redressement politique européen.

Le national-socialisme perçu comme l'instrument de la renaissance de la civilisation chrétienne

En revanche, il va trouver un espoir de régénération de la civilisation européenne et chrétienne dans le national-socialisme. Il effectue deux voyages en Allemagne : le premier, assez court, au printemps 1935, le second, beaucoup plus long et exploratoire, durant l’été et l’automne 1936, au cours duquel il prend la parole devant les jeunesses hitlériennes, enchaîne les conférences (à Francfort, Baden-Baden, Mannheim, Munich, Stuttgart), assiste à l’ouverture des Jeux Olympiques de Berlin et au grand Parteitag de Nuremberg, et rencontre Goebbels et Rosenberg. Le premier, nationaliste allemand exclusif et francophobe, voit en lui un possible agent de la propagande hitlérienne en France, susceptible d’exercer une influence appréciable sur les milieux intellectuels. Le second, doctrinaire, le considère comme un adepte intéressant de la pensée nationale-socialiste, souhaite le voir faire école en France, et espère que d’autres pays européens verront surgir des hommes de lettres partageant ses convictions.

Alphonse de Châteaubriant retourne en Allemagne à l’été 1937 et est reçu par Hitler à Berchtesgaden le 10 août. Il ne connaît alors que fort peu l’allemand et est incapable de le lire et de le parler couramment. Il n’aura l’occasion d’approfondir sa maîtrise de cette langue que pendant son exil autrichien, à la fin de sa vie. En attendant, son amie Gabrielle Castelot lui tient lieu d’interprète. Au printemps 1937, avant d’avoir rencontré Hitler, Châteaubriant publie La Gerbe des Forces (Nouvelle Allemagne), très favorable à l’idéologie nationale-socialiste. Il ne se convertit certes pas au paganisme caractéristique de certains courants de cette doctrine, et reste catholique. Mais il croit trouver dans le national-socialisme le ferment nécessaire à la saine réorientation du christianisme anémié et vicié par la vulgate humaniste, libérale et démocratique qui domine la France et l’Europe, et sont le legs de la Renaissance, de la Réforme, des “Lumières” du XVIIIe siècle, de la Révolution française et du capitalisme débridé. Selon Châteaubriant, le national-socialisme libérera le christianisme de son affadissement compassionnel et misérabiliste et lui fera retrouver le sens de la grandeur, de l’héroïsme, du sacrifice, de l’exigence de la foi la plus élevée et de la destinée surnaturelle de l’homme. Ainsi restauré dans son authenticité, le christianisme sera, selon lui, en mesure de régénérer les peuples et la civilisation européenne, enlisée dans un matérialisme mortifère, et promise à la déchéance ou à la révolution bolchevique. Le national-socialisme est, selon Châteaubriant, l’instrument doctrinal nécessaire à cette régénération du christianisme et de la civilisation, en même temps qu’il est adapté au génie allemand. Le christianisme doit se faire national-socialiste pour se sauver et sauver les peuples. « Il est dans la nature divine du Christianisme de pouvoir se transformer à l’infini selon les besoins des êtres »[5].

« La Révolution nationale-socialiste est une révolution de l’homme »[6]. Hitler, lui, « est avant tout un poète... un génie de race qui incarne son peuple entier... Il est la conscience populaire élevé à son plus haut degré d’aristocratisme »[7]. Cette synthèse hardie du christianisme et du national-socialisme apparente Châteaubriant à Mgr Mayol de Lupé, avec cette nuance que ce dernier voit plus banalement les nationaux-socialistes et la Wehrmacht en nouveaux Chevaliers teutoniques ou en croisés du XXe siècle. Du reste, on la pressent dans son roman L’appel du Seigneur (1935), et même dans son autobiographie romancée Les pas ont chanté (1939). Homme d’Église à la foi chrétienne ardente, il n’adhère aucunement aux tendances païennes de certains courants du national-socialisme, qu’il s’efforce de minimiser, de transfigurer, suivant les cas, ou, le plus souvent, d’ignorer.

A cette époque, l’écrivain le plus proche de Châteaubriant est sans conteste Abel Bonnard, lui aussi admirateur de l’Allemagne nationale-socialiste et reçu par Hitler, Goebbels, Rosenberg, et qui voit dans le national-socialisme l’instrument d’une renaissance de la civilisation européenne. Cependant, s’il parle et écrit, notre homme ne s’engage pas. Il n’adhère pas au Comité France-Allemagne, fondé en novembre 1935, et animé par Fernand de Brinon, et se contente de signer, avec près de soixante-dix autres plumes connues, le Manifeste des intellectuels français pour la défense de l’Occident, favorable à l’Italie fasciste, en octobre 1935.

Approuvant les accords de Munich (30 septembre 1938), il déplore la marche à la guerre qui commence, après l’annexion de la Bohême-Moravie par l’Allemagne, le 15 mars 1939, et la mise sous protectorat du Reich de la Slovaquie. Il espère alors un apaisement de la situation internationale, en vain. La défaite de juin 1940 ne le surprend pas. Et elle va avoir pour effet de l’engager ouvertement en politique.

Le choix de la Collaboration

1940 va donc faire entrer Châteaubriant en lice. Rallié au maréchal Pétain, Châteaubriant voit dans la défaite l’occasion de jeter les bases d’une France et d’une Europe nouvelle sous la houlette de l’Allemagne nationale-socialiste. Dès juillet, il fonde son hebdomadaire, La Gerbe, qui paraîtra jusqu’au 17 août 1944, avec une équipe composée de son amie, Gabrielle Castelot[8], d’André Castelot[9], Marc Augier[10] et Camille Fégy[11]. D’abord sis rue Chauchat (dans le 9è arrondissement de Paris), le journal se transporta au 3 rue des Pyramides (1er arrondissement) au printemps 1941. Politique et littéraire, ce journal aura pour collaborateurs un grand nombre des plus brillants intellectuels de l’époque : nous citerons, entre autres, Jacques Chardonne, Paul Morand, Georges Blond, Jean Cocteau, Henry de Montherlant, Jean Giono, Jean de La Varende, Louis-Ferdinand Céline, Pierre Drieu La Rochelle, Sacha Guitry, et des hommes de théâtre comme Gaston Baty, Charles Dullin, Jean-Louis Barrault. Il défendra jusqu’au bout l’idéal d’une Europe unie autour de l’Allemagne hitlérienne, animée d’une foi catholique alimentée et régénérée par la force motrice et vigoureuse du national-socialisme.

En août 1940, il écrit, dans La Gerbe : « Au milieu des peuples fatigués, l’Allemagne seule donne des preuves de vie ardente. L’Europe sans l’Allemagne n’est plus qu’un passage libre pour toutes les invasions prochaines ». Le 30 janvier 1941, il loue « la beauté morale de la capitulation » (de juin 1940) et affirme qu’en réalité les Allemands vont libérer les Français de leurs perversions morales et politiques et leur faire retrouver avec eux la voie de la grandeur. Le relèvement de la France passe par sa mise à l’école de l’Allemagne, le meilleur défenseur de la civilisation européenne, malgré les tendances nietzschéennes et païennes de certains courants du national-socialisme.

Mais La Gerbe ne touche qu’une élite restreinte. Or, il s’agit de rallier le plus large public. Dans ce dessein, Alphonse de Châteaubriant fonde, à l’automne 1940, le groupe Collaboration, qui promeut ses idées par des brochures, des conférences, de grandes réunions publiques. Il en est le président, assisté de son cousin René Pichard du Page (vice-président) et Ernest Fournairon (secrétaire général). Le comité d’honneur compte Fernand de Brinon, figure de proue du comité France-Allemagne, et ambassadeur de Vichy auprès des autorités allemandes d’occupation, Pierre Benoît, Abel Bonnard, Pierre Drieu la Rochelle, le grand chimiste Georges Claude, Abel Hermant et le cardinal Baudrillart. Châteaubriant espérait pouvoir entreprendre, grâce à ce groupe, une croisade intellectuelle et morale en faveur de la conversion des élites à la cause de son engagement. Très dynamique à Paris, ce groupe crée des filiales en province (33 groupes en zone sud, notamment) qui ne décolleront guère. Châteaubriant est cependant soutenu par des hommes qui ne ménagent ni leur temps ni leur peine en faveur de la divulgation de ses idées, tels Camille Fégy, déjà cité, également contributeur de Je suis partout, et Marc Augier, qui deviendra plus tard célèbre sous le nom de plume de Saint-Loup.

D’autres lui offrent un appui financier puissant, comme Melchior de Polignac, porteur d’un grand nom, héritier d’une immense fortune, administrateur de la maison des champagnes Pommery, et également membre du comité France-Allemagne, animé par Fernand de Brinon. Soucieux d’exercer une influence sur la jeunesse, Châteaubriant fonde, en 1941, le mouvement des Jeunes de l’Europe nouvelle (JEN), dirigé par Marc Augier et Jacques Schweitzer, et rattaché au groupe Collaboration. Châteaubriant patronne également la Légion des Volontaires français (LVF) en 1942.

Dans La Gerbe, comme à la tête du groupe Collaboration, il plaide pour une coopération sans réserve avec l’Allemagne et demande l’instauration en France d’un régime de type national-socialiste. Marcel Déat lui semble le chef politique le plus proche de ses idées ; mais il soutient également Jacques Doriot et participe à certains de ses meetings. Il entretient les meilleures relations avec l’équipe de l’hebdomadaire Je suis partout, en particulier avec ses deux rédacteurs en chef successifs, Robert Brasillach et Pierre-Antoine Cousteau. En revanche, ses liens avec le maréchal Pétain et le gouvernement de Vichy ne cessent de se distendre au fur et à mesure que s’affirment son engagement en faveur d’une collaboration totale avec l’Allemagne, et son action militante en faveur d’un régime national-socialiste en France, aux côtés de Déat (détesté par l’ancien vainqueur de Verdun) et Doriot.

Les défaites successives des troupes allemandes, les déceptions inévitables à l’égard d’un Occupant qui se révèle moins magnifique et moins magnanime qu’il ne le rêvait, ne le font pas dévier de sa route. Il ne peut ni ne veut croire à la défaite finale de l’Allemagne nationale-socialiste, et, comme Cousteau, Fégy, Augier, Georges Claude, Bonnard et autres, il vit, jusqu’à la fin du printemps 1944, en plein rêve fasciste, ivre de national-socialisme et de germanisme repeint aux couleurs hitlériennes.

L'exil

Mais la réalité se manifeste, qui tue le rêve et dégrise les buveurs goulus du nectar germano-hitlérien. En juin 1944, les Alliés débarquent en Normandie ; en août, ils prennent pied en Provence. Ils se trouvent aux portes de Paris, qui sera libérée le 24 août. Châteaubriant réalise qu’il lui faut fuir. Le 17 août, jour de la parution du dernier numéro de La Gerbe, il se trouve en Allemagne. De là, il gagne l’Autriche, où, grâce à l’aide d’amis autrichiens, il vit incognito à Kitzbühel, sous la fausse identité de « Docteur Wolf » avec son amie Gabrielle Castelot. Il s’éteindra dans un monastère de Kitzbühel, qui lui avait donné asile, le 2 mai 1951, âgé de 74 ans. En France, la Cour de Justice de la Seine l’avait condamné à mort par contumace le 25 octobre 1948[12].

Oeuvres

  • Prémisses, 1902.
  • Pastels vendéens. Le Soulier du vilain, ou Petite chronique des temps difficiles, 1905.
  • Muses vendéennes, 1905.
  • Le Baron de Puydreau, 1908, Paris, les Artisans imprimeurs, 1926
  • Monsieur de Buysse, 1909.
  • Monsieur des Lourdines. Histoire d'un gentilhomme campagnard, Paris, B. Grasset, 1911, Paris, Ferenczi, 1932
  • Un poème inédit de Châteaubriant. Souvenir, 1923
  • La Brière, Paris, Grasset, 1923
  • Instantanés aux Pays-Bas, Paris, Kra, 1927.
  • La Meute, Paris, Éd. du Sablier, Collection « Œuvres originales », 1927.
  • La Réponse du Seigneur, Paris, Grasset, Collection « Les Cahiers verts », 5e série, n°10, 1933.
  • Au pays de Brière, Liège, Paris, J. de Gigord, 1935.
  • La Gerbe des forces : nouvelle Allemagne, Paris, Grasset, 1937.
  • Les Pas ont chanté, Paris, B. Grasset, 1938.
  • La Psychologie et le drame des temps présents, 1943.
  • Écrits de l'autre rive, Paris, Collection « Le Palladium », A. Bonne, 1950.
  • Lettre à la chrétienté mourante, avant-propos par Robert de Châteaubriant, Paris, B. Grasset, Collection « Les Cahiers verts », nouvelle série n° 9, 1951.
  • Fragments d'une confession, Paris, Desclée de Brouwer, 1953.
  • Des Saisons et des jours, journal de l'auteur, 1911-1924, avec 7 dessins originaux de l'auteur, Bulle, Suisse, Éditions du Sapin vert, 1953.
  • Itinerarium ad lumen divinum, Paris, la Colombe, Éditions du Vieux-Colombier, 1955.
  • Cahiers, 1906-1951, Paris, B. Grasset, 1955.
  • Procès posthume d'un visionnaire, préface de Robert Canzillon, Paris, Nouvelles éditions latines, 1987.
  • L'acte intérieur ou Le sens intime du divin, Paris, Nouvelles éditions latines, 1992
  • Chroniques de l'âme, Paris, Perrin & Perrin, 1999 (édition établie par Benoît Mancheron et Paul Gothal)

Correspondance

  • Lettres des années de guerre, 1914-1918, Paris, A. Bonne, 1952
  • Châteaubriant Alphonse de et Rolland Romain, L'un et l'autre, 1906-1914. Choix de lettres, préface de L. A. Maugendre, Paris, A. Michel, Collection « Cahiers Romain Rolland » n° 26, 1983.

Préfaces

  • Hess Heinrich, Un homme parmi les autres. Un chef et son peuple, Préface de Alphonse de Châteaubriant, Paris, s. d.


Inédits ou inachevés

  • Kériacop
  • La Cité de nos Fêtes.

Liens externes

  • Blog du Club Alphonse de Châteaubriant : [1]

Notes et références

  1. Le grand-père paternel d’Alphonse s’était jusqu’alors opposé au projet de mariage de son fils et ne donna son accord que contraint par la naissance impromptue de ce petit-fils.
  2. Alors appelée « Loire-Inférieure ».
  3. Et nous nous permettons d’ajouter : précurseur des Gisèle Halimi et de tous les bobos contemporains.
  4. L’opposition ne deviendra jamais totale : les deux hommes resteront amis jusqu’à la mort de Rolland en décembre 1944.
  5. La Gerbe des Forces, p. 230.
  6. Idem, p. 205.
  7. Idem, p. 267.
  8. Gabrielle Castelot (1887-1968), poétesse sous le nom de Lesfort, mère de l’historien André Castelot, fut l’amie (mais non la maîtresse) et la secrétaire particulière de Châteaubriant à partir de 1934.
  9. André Castelot (1911-2004), né Storms, fils de Gabrielle Castelot, fut secrétaire de Châteaubriant à partir de 1934.
  10. Marc Augier (1908-1990), journaliste, séduit par l’Allemagne nationale-socialiste, engagé dans la LVF et les Waffen SS, condamné à mort par contumace, se rendit célèbre par divers livres signés du nom de Saint-Loup. Il est l’un des représentants de la droite néopaïenne et européenne. Il fut rédacteur en chef de La Gerbe de juillet 1940 à mai 1941.
  11. Camille Fégy (1902-1975), ancien communiste devenu un des dirigeants du PPF de Doriot, fut rédacteur en chef de La Gerbe de mai 1941 à mai 1943, puis de janvier à août 1944.
  12. Texte en partie repris de : Paul-André Delorme, « Alphonse de Châteaubriant, le poète qui crut en une Europe nationale-socialiste », Rivarol, no 3560, 5.4.2023.