Henry de Montherlant

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Henry Millon de Montherlant, né le 20 avril 1895 à Paris et mort le 21 septembre 1972 dans la même ville, est un romancier, essayiste et dramaturge français.

Montherlant lisant dans la cour de Port Royal.

Montherlant, grandeur et volupté[1]

Henry de Montherlant se fait naître le 21 avril 1896. De fait, il se rajeunit d’un an moins un jour. Et ainsi il se place sous le signe du Taureau et de la fondation de Rome. Son acte de naissance indique : 20 avril 1895. L’écrivain s’est arrangé avec l’état civil pour que rien venant de lui ne semble anodin. Sa naissance provoque chez sa mère une hémorragie utérine. À ce traumatisme, elle survivra vingt années avec une santé déficiente. Il sera fils unique. Voici une entrée dans la vie douloureuse.

Issu d’une famille aisée de petite noblesse, Montherlant connaît une jeunesse mouvementée où transparaît le caractère de son œuvre à venir. Il est renvoyé de son collège, gifle un professeur, met à mort de jeunes taureaux et se bat en duel. Une vie qui consacre d’entrée au refus de l’autorité et de la bienséance. Cependant, sa maturité et ses dispositions pour l’écriture ne le destinent pas à connaître un destin ordinaire. À huit ans, il est marqué par la lecture de Quo Vadis ? dont il retient avant tout la « morale » païenne, que Sienkiewicz n’a pas nécessairement voulu mettre dans son roman historique. De cette lecture viendra sans doute sa fascination pour l’histoire romaine. Lorsqu’il se sentira faiblir, c’est vers Rome qu’il se tournera. C’est Rome qui lui inspirera Le Treizième César et La Guerre civile. À quatorze ans : lecture des Pensées de Pascal. Philosophe chrétien qui doute, comme doutera Montherlant jusque dans ses œuvres. Attiré par la religion, et fasciné par L’Ecclésiaste, il n’en a pas pour autant la foi. Il mettra en scène dans ses pièces le catholicisme parce que son théâtre est un mixte de grandeur et de faiblesse, d’héroïsme et de lâchetés. «  J’incline volontiers à respecter Jésus-Christ, sans croire en lui, écrit-il dans ses Carnets, mais que le soleil se lève, que retentisse une musique entraînante, me voici païen, qui me reprends au monde. »

Montherlant torée en Espagne, parcourt et annote des traités de tauromachie, il voue par là un culte à Mithra qu’il évoquera dans ses récits de voyage[2] et constituera la matière de son très viril roman Les Bestiaires. Il s’intéresse à Barrès et à d’Annunzio – dont il goûte, pour ce dernier, le côté moderne et voluptueux de l’œuvre.

La tranchée et le stade

Son père meurt, la guerre éclate. Montherlant hésite à s’engager car sa mère est très malade. Épisode que l’on retrouve rapporté dans L’Exil. Marguerite de Montherlant décède peu après, en août 1915. L’adolescent sera élevé par sa grand-mère. De 1914 à 1916, il est agent d’assurances, ce qui fut pour lui un moment d’égarement dont il ne se vantera pas. L’aristocrate Henry Millon de Montherlant rêve d’une autre vie.

Il s’engage en 1917 contre l’avis des militaires (hypertrophie cardiaque). Quinze mois dont deux au front. Il est blessé par un obus, reçoit trois citations. De cette blessure, il récupérera au point de courir le cent mètres en 11 s. 4/5. La guerre et le sport ne seront pas au centre de son œuvre mais il leur consacrera ses livres les plus essentiels qui viendront compléter son expérience tauromachique. En 1925, il sera à nouveau blessé, cette fois en toréant. Nous avons donc le Montherlant qui aime « ceux qui font face », comme il le proclame dans le Solstice de juin, et parmi lesquels, naturellement, il se compte. Sur la guerre, il publie Le Songe (1922), premier volume de la série des Alban de Bricoule. Deux ans plus tard : Chant funèbre pour les morts de Verdun, vibrant hommage à ces combattants qui donnent tout sans rien recevoir. La même année paraît Les Olympiques où, à travers le sport, essentiellement, foot, boxe, athlétisme, il traite de dépassement, mais aussi de gloire, de défaites, de camaraderie. Son expérience personnelle. On y lit : « L’homme à la tête baissée lève la tête et voit Dieu. Et il voit que Dieu, c’est lui. » Dans ce recueil de textes, de poèmes et de dialogues, Montherlant déploie son talent.

L'arène et la chasse

Alban de Bricoule revient dans Les Bestiaires. Alban a cette phrase qui résume assez bien les préoccupations essentielles de l’écrivain : « Il n’y a que deux choses dans la vie, la volupté et le courage. » Car la volupté commence à occuper une place non négligeable dans son œuvre. D’abord dans La Rose de sable. Ce roman anticolonialiste, Montherlant ne le publiera qu’en 1954, expurgé de toute connotation susceptible de heurter tout sentiment patriotique. On y suit Guiscart, double de l’auteur, soucieux de la condition indigène au Maroc… mais aussi de prendre du bon temps. Guiscart est un prédateur ; il passe le plus clair de ses journées à chasser les jeunes proies. Le militaire Auligny et son idylle avec la petite Ram, de laquelle il faut préserver la virginité, inspire à l’écrivain des pages d’une torride sensualité. Comme ses personnages, à Tunis, à Alger, Montherlant recherchait les jeunes indigènes des deux sexes. Il prêtera son appartement à André Gide, autre amateur de proies fraîches. Il est loin sur ce point, et sur bien d’autres assurément, de reporter dans ses récits et romans le détail de ses occupations consacrées aux plaisirs charnels. Dans ses Carnets, il note : « Mes livres ont quelque chose de dérisoire par rapport à mon expérience de vie. » Il a également confié avoir jeté un jour à la Seine son journal intime car il ne veut pas s’exposer tout entier. Combien de fois ne s’est-il pas défendu de ne s’être pas mis dans Alban de Bricoule (qu’il fait naître un 21 avril !) et de bien d’autres ? Dans un entretien au journal Le Monde[3], il déclare à propos des Garçons : « Cela n’est autobiographique que très vaguement, et le plus souvent, ne l’est pas du tout. » Ses biographes, Pierre Sipriot en tête, ont démontré qu’il n’en était rien. Certes, parfois, il force le ton sur quelques exploits, à d’autres occasions il pèche par omission, remplace l’amour d’un jeune garçon par celui d’une jeune fille. Mais il faut se souvenir tout de même du conseil qu’il fit à Roger Peyreffitte : « Tenez-vous, cramponnez-vous à ce que vous avez vécu, vu, vérifié, n’en sortez pas ; aussitôt que vous quitterez cela, vous faiblirez. »

Sa grand-mère décède. Il quitte Neuilly et Paris qu’il n’a jamais aimés. De 1925 à 1935, il aura parcouru l’Italie, l’Espagne et le Maghreb sans vraiment se fixer. Il creuse la distance avec son succès, que lui a valu notamment la publication des Olympiques. Ces séjours lui inspirent le cycle des « Voyageurs traqués » : Aux Fontaines du désir, La Petite infante de Castille et Un Voyageur solitaire est un diable. Dans Aux fontaines du désir, il écrit : « Pour moi, tout ce qui n’est pas plaisir est douleur. »

En 1934 : publication de son roman Les Célibataires, histoire pathétique mais attachante de deux gentilshommes ruinés. Un succès couronné par le Grand Prix de Littérature de l’Académie Française. Montherlant prend une place désormais déterminante dans le paysage littéraire français. Par la suite, son talent et son inspiration ne se tariront pas.

Tragédien

De 1936 à 1939, avec la publication des quatre tomes des Jeunes Filles, Montherlant enchaîne les succès littéraires (3 millions d’exemplaires vendus, 14 traductions, selon son biographe Sipriot). Il y est encore question de lui, à peine dissimulé derrière le personnage de Costals. C’est une suite de valses-hésitations, de questionnements sur la nécessité de vivre en couple, de sacrifier aux conventions des fiançailles et du mariage. Conventions que l’écrivain a fini par fuir dans la réalité par deux fois, rompant ses fiançailles. Pas d’amour idéal, pas de « fleurette ». Place à la conception antique des sentiments qui ne peuvent mentir.

Un thème qu’il exploitera avec La Petite Infante de Castille où l’auteur-narrateur tombe amoureux d’une jeune danseuse. Mais aussi dans sa pièce Don Juan. Ce vieillard qui fait le trottoir – l’auteur a plus de 60 ans lorsque la pièce est publiée –, c’est Montherlant qui traite entre tragédie et humour le fait qu’il n’a pas renoncé à clore sa quête du plaisir et décidé à user de tous les stratagèmes pour arriver à ses fins. Moins de dix ans plus tard, dans La Marée du soir, dernier carnet paru de son vivant, il persiste et il signe : « C’est le plaisir charnel, et lui seul, qui pendant toute ma vie m’a maintenu à la surface de la vie. »

L’année 1936 est une année charnière pour Montherlant. Car il remporte son premier succès théâtral avec La Reine morte début d’une suite de publications et de représentations. Il avait déjà choqué avec Pasiphaé, s’accouplant avec un taureau pour donner naissance au Minotaure. Ici, il fait assassiner une femme amoureuse enceinte d’un Infant et qui s’était secrètement mariée à lui. Dans la même lignée, Port-Royal, Le Maître de Santiago, Malatesta, Le Cardinal d’Espagne, La Guerre civile sont des tragédies historiques qui ont rejoint le répertoire classique de notre patrimoine littéraire. Elles ont pour cadre l’Espagne, l’Italie, le Portugal, pays chers à l’auteur, dans la Rome antique, au Moyen Âge ou à la Renaissance. Une exception pour Port-Royal qui se situe en France. C’est une œuvre surprenante, tant tout est concentré autour de la religion catholique. Après l’arrestation de leur abbé par Richelieu, une communauté de religieuses jansénistes résiste, sachant que leur combat est voué à l’échec. C’est un peu le combat que Montherlant a l’impression de mener, impuissant face au fanatisme et à la bêtise. Ici, la religion n’est qu’un prétexte à en exposer la matière.

Ces comédies sont toutes tirées de faits réels mais plus ou moins adaptées par Montherlant qui continue à mettre en scène ses doutes, ses obsessions, donc lui-même. À la différence qu’ici, il transparaît dans l’ensemble de ses personnages, femmes, hommes, rois, sujets, chrétiens ou mécréants. Ainsi, Malatesta, jouisseur, mauvais catholique, amoureux de la Rome antique, poète et guerrier. Dans ses pièces contemporaines, telles La Ville dont le prince est un enfant, Fils de personne et Celles qu’on prend dans ses bras, l’auteur est évidemment plus reconnaissable. On y retrouve ses thèmes de l’enfance et de la quête du plaisir.

La consécration

Ces pièces, romans et essais sont entrecoupés d’essais, de recueils de textes où Montherlant marche sur les traces de Barrès et de ses maîtres antiques, Sénèque, Cicéron, Plutarque. Il s’y révèle d’abord un penseur anti-moderne, conscient du poids de la décadence dont la nation étouffe et envers laquelle il se montre peu optimiste. Ainsi, dans L’Équinoxe de septembre : « Une nation où tout ce qui est grand est tenu suspect ; où, chaque fois qu’on voudrait intervenir contre quelque chose d’ignoble, on ne le peut, parce qu’on s’aperçoit que la majorité est complice. » « Le peuple français ne sera sauvé que par une morale qui le rebrousse, puisqu’il meurt de celle qui lui plaît. »[4] Et, dans ses Carnets : « S’il ne se fait pas un retournement héroïque, nous allons voir disparaître en Europe les valeurs nobles, sous la haine de la coalition unanime de la médiocrité et de la bassesse[5]. » Dans Le Solstice de juin[6]  : « Il faut avoir le courage de dire que l’âme française ne pourra être une eau tout à fait nette que lorsque certaines sources empoisonnées, qui y coulent encore, auront été taries impitoyablement. » Dans La Marée du soir : « Une civilisation ne meurt pas de ses vices mais de n’être pas assez forte pour les porter. » À méditer.

Parmi ces écrits, il en est d’essentiels. En particulier la « Lettre d’un père à son fils » de Service Inutile. Nombre de ces textes vaudront à l’écrivain d’être inquiété à l’armistice. Dixit Pierre Sipriot[7], l’auteur de Port-Royal, tout comme Giono, a payé pour son individualisme. En 1950, dans un article des Nouvelles Littéraires, Montherlant écrira : « Je ne suis solidaire de rien ni de personne. » Il confirme par là ce qu’il avait déjà noté dans Mors et Vita : « Il y a eu trois passions dans ma vie : la passion de l’indépendance, la passion de l’indifférence, et la passion de la volupté. » Dans Le Solstice de juin, que certains brandiront pour l’empêcher d’accéder à l’Académie française, il proclame : « Rester seul, délibérément dans une société où chaque jour davantage votre intérêt évident est de vous agréger, c’est cette forme d’héroïsme que je vous convie ici à saluer. »

Selon la même logique, Montherlant refusera en 1955 de céder aux obligations qui lui ouvriraient les portes de l’Académie. Finalement, malgré ses dérobades, il est élu par 24 voix contre 29 en 1960. Sans avoir posé sa candidature et au grand dam de son secrétaire Maurice Genevoix, gardien du règlement. Comme il s’en expliquera, Montherlant a fait la différence entre « briguer » et « accepter ».

La mort volontaire

Trois ans avant sa mort : retour sur ses années de jeunesse. Montherlant publie Les Garçons, troisième volet de la saga Alban de Bricoule. Roman qui vient compléter et clore La Ville dont le prince est un enfant et son récit de jeunesse La Relève du matin (publié en 1920 à compte d’auteur après onze refus d’éditeurs…). Et tout ce que ces écrits contiennent en filigrane sur des amours adolescentes assez peu hétérosexuelles… Roger Peyreffitte, que l’écrivain a bien connu avant de se brouiller avec lui, a écrit sur le sujet Les Amitiés particulières, prix Renaudot 1945. Montherlant est moins enclin à s’épancher sur cet aspect de sa vie. Il faut décrypter chaque livre où il est question des années de collège ou des séjours en Afrique du Nord. On lit dans Les Garçons : « Nous devrions changer notre amitié en quelque chose de plus pur. » À quoi pense l’auteur en évoquant ici la pureté ? Une société secrète, sorte de chevalerie au sein du collège, peut-être inspirée des bataillons thébains ? Une communauté plus au moins encouragée par l’abbé de Pradts, un prêtre qui n’a pas la foi ?... Tout cela reste vague, encore une fois, Montherlant ne voulant pas ternir son image à une époque où l’amour des garçons (tout comme le suicide) n’est pas, comme à Rome, et ainsi qu’il le déplore, l’apanage des « hommes parfaitement équilibrés »[8].

L’année de sa mort, Montherlant écrit un texte magnifique, trop peu connu, qui nous ramène au sport, un côté sensuel en sus : Mais aimons-nous ceux que nous aimons ? L’écrivain y rapporte les sentiments qu’il conçut pour une jeune athlète promise à un brillant avenir mais qui va échouer dans l’épreuve. Ce travail sera le premier publié à titre posthume.

21 septembre 1972, jour de l’équinoxe d’automne, après trois jours d’apathie, Henry de Montherlant se donne la mort dans son appartement du 25 quai Voltaire, au milieu de ses bustes antiques. Il perd la vue, les plaisirs sensuels lui sont désormais interdits. À quoi bon ? Cette mort volontaire, c’est celle que choisissent Néron et Pétrone et rapportée dans Quo Vadis ? Mais Montherlant l’avait annoncée dans Aux fontaines du désir[9] et de manière très explicite, dans Le Treizième César[10], il écrit en mars 1970, soit peu avant sa disparition : « On se suicide par respect pour la vie, quand votre vie a cessé de pouvoir être digne de vous, et qu’y a-t-il de plus honorable que ce respect de la vie ? » Jean-Claude Barat, son héritier, et Gabriel Matzneff, son fils spirituel, disperseront ses cendres sur le forum Boarium à l’emplacement du Temple de la Fortune Virile. L’écrivain Gabriel Matzneff, grand amoureux de l’antiquité et des jeunes proies, perpétuera d’une certaine manière l’œuvre du maître, par sa vision hauturière de la vie.

Comme l’a écrit Paul Ginestier, biographe de son théâtre : « Ceux qui cherchent le repos et le confort intellectuel devraient s’abstenir de lire Montherlant. » Cet écrivain à l’immense talent, nous devons fréquenter son œuvre dont la pitoyable production actuelle tente majoritairement de nous détourner.

Liens externes

  • Émission Les idées à l'endroit sur TV Libertés : « Les mystères de Montherlant », décembre 2022 : [1]

Notes et références

  1. Article de Bruno Favrit, publié in : Réfléchir et agir, HS no 1, 2014, p. 33-37.
  2. « Trois jours au Montserrat » dans Un Voyageur solitaire est un diable.
  3. n° du 13 avril 1969.
  4. « La France et la morale de midinette ».
  5. Carnets – XXIX.
  6. « Pour la jeunesse ».
  7. Montherlant sans masque, Laffont, 1990.
  8. Carnets non datés, 1930-1944, § « Santé des Anciens ».
  9. « La mort de Peregrinos ».
  10. « La mort de Caton ».