Joseph Darnand

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Joseph Darnand, né le 19 mars 1897 à Coligny (Ain) et mort fusillé le 10 octobre 1945 au fort de Châtillon, à Fontenay-aux-Roses (Seine, actuel département des Hauts-de-Seine), était un militaire et homme politique français.

Il est considéré comme une figure centrale de la politique de collaboration avec l'Allemagne sous le régime de l'Etat français.

Biographie

Joseph Darnand voit le jour à Coligny, une petite localité de l’Ain, le 19 mars 1897, au sein d’une famille modeste. Son père est cheminot à la gare de Bourg-en-Bresse. Il a une sœur, Félicie Louise Émilie, de six ans son aînée[1]. D’ascendance paysanne, les Darnand sont des gens profondément catholiques, très pieux, et donc attachés à l’ordre social, plutôt conservateurs.

Joseph effectue sa scolarité primaire à l’école catholique Saint-Louis, de Bourg-en-Bresse, puis commence des études secondaires au collège Lamartine, de Belley, toujours dans l’Ain, autre établissement catholique. Mais, en ce début de XXe siècle, les études secondaires sont onéreuses et inaccessibles aux enfants d’humble origine, à moins qu’ils soient assez doués et assez adaptés au moule scolaire pour bénéficier d’une bourse d’État[2]. Les parents de Joseph ne peuvent assumer durablement, même avec l’aide des prêtres, le coût des études de leur fils. Joseph, élève de l’école libre, ne peut prétendre à une bourse de l’État. Et, même s’il devenait élève d’un établissement public, il ne pourrait obtenir une telle bourse car, s’il n’est pas mauvais élève, il ne dépasse pas non plus la juste moyenne, et ne manifeste aucun don intellectuel particulier. Il doit donc abandonner ses études dès 1913, sans avoir pu les poursuivre jusqu’au baccalauréat. Il entre alors en apprentissage. Il se destine à devenir ouvrier ébéniste au terme d’une formation de trois ans.

Cette interruption d’études pour des raisons pécuniaires est une déception pour le jeune homme. Joseph n’avait pas des ambitions scolaires démesurées, mais il aurait tout de même aimé faire des études dans l’espoir d’accéder à une situation plus gratifiante et plus rémunératrice que celle de travailleur manuel. Il gardera, de ce fait, une certaine rancœur envers la république, jugée par lui plus ploutocratique que démocratique, et dotée d’un système d’enseignement favorable exclusivement aux enfants de notables (que Bourdieu appellera plus tard « les héritiers »).

Un héros de la Grande Guerre

En août 1914, la guerre éclate. Joseph, âgé alors de 17 ans, se porte volontaire pour un engagement militaire. Il voit dans cette initiative un moyen de s’évader de sa terne existence, et de se distinguer au combat, ce qui lui ouvrirait la voie d’une carrière militaire et donc d’une promotion sociale. De plus, ses maîtres scolaires lui ont inculqué, tout comme sa famille, une belle foi patriotique. Mais l’armée récuse sa candidature, le jugeant de taille insuffisante, et doutant de sa capacité d’endurance. Cette décision peut étonner : Joseph Darnand n’est pas un géant, il est de taille médiocre, mais il n’est tout de même pas petit ; il n’est pas non plus un colosse, mais il est robuste et solide, et il a un visage carré, que certains qualifient de “massif”, et propre à suggérer la force. Il ne se résigne pas à cet échec et fait une nouvelle tentative. Cette fois, l’armée accepte de l’enrôler. Et, le 8 janvier 1916, il est incorporé au 35e régiment d’infanterie. L’année suivante, en 1917, il devient caporal (en avril),puis est élevé au grade de sergent, le 1er juin. Conformément à ses espérances, Darnand trouve dans la condition militaire, et tout particulièrement, dans l’action combattante, une situation adéquate à l’épanouissement de qualités personnelles que la vie civile ne lui permettait pas de révéler : un courage physique digne d’admiration, le goût du risque, le don total de soi, un sens aigu du devoir et de la discipline, une autorité naturelle, et une aptitude remarquable à entraîner des hommes. Le 14 juillet 1918, à la tête d’un commando de grenadiers, il s’introduit dans quatre tranchées allemandes du Montsans-Nom, sur le territoire des communes de Vaudesincourt et Dontrien (dans le département de la Marne), et s’empare de 27 soldats ennemis, de 5 mitraillettes, et de divers autres armes et équipements (dont 1 appareil de pointage et 3 appareils téléphoniques), et surtout de documents relatifs à la prochaine offensive allemande, laquelle sera mise en échec par le général Gouraud, commandant la 4e armée française. Cet audacieux coup de commando restera le fait d’armes le plus glorieux de Joseph Darnand. Ses supérieurs le félicitent chaleureusement et le notent ainsi : « Sergent Darnand. Peloton des grenadiers d’élite. Se distingue journellement dans la bonne exécution des patrouilles et des embuscades en avant du front ; a fait preuve de beaucoup d’entrain au cours d’un coup de main contre les premières lignes ennemies ». Darnand est alors promu au grade d’adjudant. Par la suite, il ne cessera de se distinguer au front et sera plusieurs fois blessé. Il recevra six citations, dont deux à l’ordre de l’armée, et acquerra la réputation flatteuse d’être « un bon nettoyeur de tranchées ». Le 25 juillet, il se voit remettre par le général Pétain en personne, commandant en chef des forces alliées, la médaille militaire. Le vainqueur de Verdun ne tarit pas d’éloges sur ce jeune sergent de 21 ans. Darnand aura, au fil des ans, de multiples occasions de rencontrer à nouveau Pétain, devenu maréchal de France.

Un sous-officier d'élite auquel on ferme la carrière d'officier

En cet été de 1918, Darnand est aux anges. Il se croit promis à une étincelante carrière militaire. Aussi, peu après la fin de la Grande Guerre, qui sonne pour lui l’heure de la démobilisation, il préfère rester dans l’armée, et, en septembre 1919, il s’engage pour deux ans. Il est alors affecté dans les troupes d’occupation de l’Allemagne, puis part combattre les soldats de Kemal Atatürk, en Cilicie, au sein de l’Anatolie méridionale, dans le sud-est de l’actuelle Turquie. Là encore, il se distingue, mais moins qu’en France ; et surtout, les dirigeants de l’armée française et les hauts fonctionnaires du ministère de la Guerre ne sont que modérément attentifs aux faits d’armes méritoires d’hommes engagés loin du pays, dans des opérations militaires dont ne dépendent pas le salut et l’honneur de la patrie. Aussi les chances de promotion de Darnand semblent-elles s’éloigner, à son grand dépit. Darnand comprend que, n’étant pas passé par Saint-Cyr et l’École de Guerre, il ne deviendra pas officier, les occasions de se distinguer au front ayant disparu avec le retour de la paix en Europe. Il sait aussi que ses origines plébéiennes, son cursus scolaire interrompu avant le baccalauréat, son maigre bagage intellectuel et culturel ne jouent pas en sa faveur. En temps de paix, la majorité des officiers sont, de par leur naissance, issus de l’armée elle-même, ou de la haute ou moyenne bourgeoisie, ou de ce qui reste la noblesse, et ont été élèves des écoles militaires, lesquelles les ont recrutés au moyen de concours très sélectifs.

Darnand songe à préparer le concours d’entrée à Saint-Maixent. Ses supérieurs l’en dissuadent, lui conseillant d’attendre une possibilité (assez improbable) de promotion au choix ou au tour extérieur. La rancœur à l’égard de la république de classes, qui l’avait déjà saisi lorsqu’il avait dû interrompre ses études en 1913, s’empare à nouveau de lui. Décidément, il n’aime pas ce régime prétendument démocratique, mais sourdement hostile au peuple, aux mains de la bourgeoisie, et qui, en fait, réserve les positions d’autorité, d’encadrement et de direction aux rejetons de celle-ci, seuls capables d’assumer le coût d’études dont le contenu culturel défavorise les enfants qui n’en ont pas reçu les prérequis en héritage. Il quitte l’armée en juillet 1921, au terme de son engagement. Il convient néanmoins de se garder de voir dans cette aigreur de Darnand la seule, ou même la principale, cause de son engagement dans la droite anti-républicaine. Le héros du Mont Sans-Nom, se découvrira d’autres raisons de s’activer contre Marianne. Il n’encourt d’ailleurs pas le dédain des élites militaires et politiques du pays, au contraire. Le 7 avril 1927, au cours d’une prise d’armes dans la cour des Invalides, le général Gouraud lui remet la croix de la Légion d’honneur, avec cette citation : « Sous-officier d’élite, d’une bravoure hors de pair. … Le sous-officier Darnand a été, en tout point, un serviteur modèle et un de nos artisans de notre victoire finale. C’est un beau brave ». Et Raymond Poincaré lui-même, président de la République durant toute la Grande Guerre, de nouveau président du Conseil en 1927, salue en lui, à cette occasion, un « artisan de la victoire ».

La réussite d'un chef d'entreprise

Combattant glorieux et estimé, voire admiré, Darnand ne peut cependant s’élever socialement. Et, ayant quitté l’armée en 1921, il lui faut retrouver une place dans le civil. Et il ne va pas mal réussir. Après quelques petits emplois[3], il se fait embaucher comme vendeur décorateur à la société de meubles Chaleyssin, à Lyon, en 1923. Son aptitude professionnelle, son savoir-faire, son autorité naturelle (renforcée par son expérience militaire), son entregent, décident ses employeurs à faire de lui le directeur de leur succursale niçoise en 1929[4]. Ambitieux, voulant devenir son propre patron, il crée, la même année, une société de transports publics à Nice, qui marchera très bien. Peu de temps après, il devient directeur de la société des autobus de Nice et du littoral des Alpes-Maritimes, tout en conservant sa propre entreprise. Mais les responsabilités et la charge de travail deviendront alors trop lourdes, et il se verra obligé d’abandonner la direction de cette seconde société en 1936.

Par ailleurs, Darnand fonde un foyer. Le 25 février 1922, il épouse la nièce de M. Descher, son employeur d’alors, Antoinette Foucachon[5] qui lui donnera deux fils: Maurice, en 1922, qui décédera en bas âge, et Philippe, en 1926.

Camelot du Roi

Mais Darnand n’entend pas se contenter de devenir un patron self made man, s’élevant à la force du poignet. Il veut s’engager en politique. Il veut militer. “Militant” et “militaire” ont une étymologie commune. Et le soldat (miles) qu’a été Darnand veut devenir le soldat défenseur d’une cause politique. Le besoin d’action, le goût du combat ne l’ont pas quitté. Quant à la cause, Darnand va la trouver dans l’Action française, nationaliste et monarchiste de Charles Maurras. Pourquoi l’Action française ? Nous avons déjà évoqué le dépit de Darnand à l’encontre d’une république soi-disant démocratique, en réalité conservatrice et prompte à empêcher la promotion des enfants du peuple. Cependant, Darnand n’avait pas reçu de ses parents et de ses maîtres une sensibilité monarchique. Mais il se trouve qu’au début des années 1920, l’Action française reste la principale formation nationaliste. Elle est très active et fortement organisée, avec sa Ligue et son Institut, ses Camelots du Roi, et elle dispose d’un journal très lu, L’Action française.

Homme d’action, Darnand est surtout séduit par les Camelots du Roi, dirigé par Marius Plateau, assassiné en janvier 1923, qui lui ressemble par bien des traits : énergique, charismatique, combatif, et ancien combattant de la Grande Guerre. Il s’engage donc dans les Camelots, et s’y sent vite tellement à l’aise, qu’ilen devient, dès 1927, le chef, d’abord à Nice, puis dans toute la Provence. Durant sa période lyonnaise, Darnand fait la connaissance de Félix Agnély, lui aussi ancien combattant[6], puis, grâce à celui-ci, de Marcel Gombert, autre ancien de 14-18, qui deviendra, sous l’Occupation, son plus proche collaborateur[7]. Ces deux hommes seront ses grands amis.

Au cours des années 1920, Darnand est très actif, au sein de la Ligue d’Action française, dont les chefs, voient en lui, un élément d’avenir. Le 21 janvier 1927, il est porte-drapeau lors d’une messe commémorant la mort de Louis XVI. En juin 1929, il préside une réunion publique de la Ligue contre la ratification des dettes interalliées. Il se lie également avec Henri Rossignol, président de l’Union nationale des Combattants (UNC) et Edmond Bloch, secrétaire général de l’Association des Mutilés de guerre. En janvier 1930, les chefs de la Ligue lui offrent la présidence de l’Association Marius Plateau, leur propre association d’anciens combattants.

Croix de Feu, doriotiste, puis cagoulard

Darnand accepte, mais démissionne l’année suivante. L’Action française l’a déçu. N’ayant su renouveler ni sa conception du nationalisme, ni son programme, ni ses méthodes, elle apparaît en déphasage avec le monde d’après 1918, et dépassée par des formations nationalistes plus jeunes et plus dynamiques. Même les Camelots du Roi lui semblent vieillots, autour de 1930. En revanche, les Croix de Feu, récemment fondées[8], dirigées par le sémillant colonel de La Rocque, et comptant dans ses rangs nombre d’anciens combattants, le tentent. Il y adhère en 1934, mais s’en éloignera vite, déçu par le trop grand légalisme de De La Rocque. Il adhère, en 1936, au Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot, séduit par la forte personnalité de ce chef qui semble capable d’accéder au pouvoir, et d’origine plébéienne (comme lui-même) de surcroît. Nouvelle déception : « le grand Jacques », comme on l’appelle, lui paraît trop politicien et bassement tacticien. À la différence de Doriot ou De La Rocque, Darnand ne conçoit d’accès des nationalistes au pouvoir que par un coup de force. Il rencontre alors Jean Filliol, un ancien camelot, lui aussi déçu par l’Action française. Filliol le met en contact avec Eugène Deloncle, grand bourgeois, également venu de l’Action française et des Camelots, et qui vient de fonder un Comité secret d'action révolutionnaire (CSAR) pour commettre divers attentats terroristes contre des personnalités de la gauche et préparer la prise du pouvoir par un coup d’État. Le CSAR sera bientôt connu sous le nom de « Cagoule ». Darnand y entre avec enthousiasme et en devient le responsable pour la Côte d’Azur. Son rôle y est important puisqu’il doit assurer la réception et la livraison d’armes venant de l’étranger.

Mais, en novembre 1937, le complot est éventé, Eugène Deloncle est arrêté, et ses hommes sont traqués par la police. Darnand est arrêté à Nice le 13 juillet 1938. Heureusement, la police est loin d’avoir découvert le détail et les preuves du « complot cagoulard ». Aussi Darnand, défendu par Xavier Vallat, député nationaliste et catholique, et Robert Castille, recouvre-t-il la liberté dès le 17 décembre, en application d’un non-lieu rendu par le juge d’instruction.

Combattant en 1939-1940

En septembre 1939, il se porte volontaire pour le front. Il a la satisfaction de devenir enfin officier ,se voyant promu au grade de lieutenant. À la tête d’un corps franc de 150 hommes intégré au 24e bataillon de la 29e division, il effectue des coups de commando et des actions de renseignement dans les lignes ennemies. Il se distingue tant que ses supérieurs le qualifient de « premier soldat de France ». Le général Gérodias lui accorde une nouvelle citation. Mais il est fait prisonnier à La Motte-Beuvron, dans le Loir-et-Cher, le 19 juin 1940. En août, il s’évade et regagne Nice. Il se rallie alors d’emblée au maréchal Pétain, auquel il est très attaché depuis 1918, qu’il vénère, et dont il partage les idées politiques. L’État Français, nationaliste, traditionaliste, anti-républicain, anti-démocratique, antiparlementaire, centré sur un Chef tout-puissant, lui semble, en l’absence d’une monarchie, le meilleur régime possible pour la France. Ses liens avec Pétain lui permettent d’être reçu par lui à Vichy. Le Maréchal lui confie la direction de la section départementale des Alpes-Maritimes de la Légion des Combattants qu’il vient de créer pour unifier les associations d’anciens combattants et à laquelle il compte confier une mission d’éducation patriotique et civique auprès de la population. En août 1941, Darnand fonde, dans les Alpes-Maritimes, un Service d’Ordre Légionnaire (SOL), qu’il réussira à étendre à toute la zone non occupée et à l’Afrique du nord dès décembre. Son but est de regrouper les plus jeunes et les plus fervents partisans de la « Révolution nationale » de Pétain. L’idée convainc le Maréchal qui, en janvier 1942, fait du SOL une organisation d’État et en confie le commandement à Darnand. Ce dernier s’installe alors à Vichy et tend à devenir un important collaborateur du Maréchal. Pétain le gratifie du titre d’Inspecteur général. Il bénéficie également de l’appui de l’amiral Darlan, successeur désigné du Maréchal et deuxième personnage de l’État, et de Pierre Pucheu, ministre de l’Intérieur.

Un partisan convaincu de la politique de collaboration

Jusqu’alors, Darnand, au cours de son itinéraire politique, ne s’est pas signalé par son hostilité aux Juifs (bien que l’Action française, en laquelle il milita, fût antisémite). Et, en bon nationaliste classique qu’il est, il s’est montré fortement hostile à l’Allemagne, même s’il a éprouvé quelque vague sympathie pour le caractère dictatorial et les défilés SA et SS du régime national-socialiste.

Cependant, après sa rupture d’avec l’Action française, il a tout de même subi l’attrait des diverses ligues fascistes des années 1930, et de la vague de la vulgate idéologique fasciste qui déferlait sur toute l’Europe. De plus, les choses ont changé avec la défaite, l’instauration du régime de Vichy et l’Occupation, par laquelle les Allemands imposent leur loi. Darnand se mue alors en un antisémite implacable, et en un partisan convaincu de la collaboration avec l’Allemagne, seul moyen, selon lui, de relever la France dans une Europe hitlérienne. Il va donc devenir antisémite et collaborationniste, décidé à combattre les communistes et l’URSS aux côtés des Allemands, et ce tout en demeurant un nationaliste bien français, traditionaliste, et très attaché au maréchal Pétain, vénéré, à ses idées, son régime et sa Révolution nationale. Par là, Darnand se démarquera nettement de Doriot, Déat, du groupe Collaboration et de nombre de collaborateurs notoires (Benoist-Méchin, Bonnard, de Brinon, Luchaire, Châteaubriant, Drieu la Rochelle, Brasillach, Cousteau et l’équipe de Je suis partout), tous enclins à dénoncer le passéisme, la timidité collaboratrice, le caractère équivoque, voire le double jeu de Pétain et de son entourage. Il s’apparenterait plutôt à Marcel Bucard, le chef franciste, à la fois fasciste et fidèle du Maréchal[9] dont il approuvait le projet politique traditionaliste. Mais, à la différence de Bucard, Darnand se contenta d’être un inconditionnel du Maréchal, qui, faisant fi de toute référence idéologique, pensait servir la France et la Révolution nationale de Pétain en engageant le pays aux côtés de l’Allemagne, tout en restant foncièrement français. Darnand n’adhéra jamais, ni ne fonda jamais un parti fasciste. Au contraire, Bucard en dirigeait un, le parti franciste, aligné sur les fascismes allemand et italien, ce qui l’amena, dans ses discours et ses articles, à donner à la Collaboration une justification politique. Il n’est que de lire les articles parus dans Le Franciste (les siens et ceux de ses proches) pour s’en convaincre. Darnand, lui, resta l’homme d’action qu’il était, et ne chercha jamais à devenir un doctrinaire politique ou un chef de parti doté d’un programme précis. Si surprenant que paraisse, de prime abord, le passage d’un héros intrépide de la guerre contre l’Allemagne en 14-18, au rôle de collaborateur zélé du Reich hitlérien, luttant contre les résistants aux côtés des Allemands de la France sous l’Occupation, il n’existe pas de réelle contradiction chez cet homme qui demeura, de sa jeunesse jusqu’à sa mort, un fervent patriote, amoureux de son pays, et fidèle au maréchal Pétain, deux fois sauveur de notre pays, en 1917-1918, puis en 1940. Sa vie présente, à l’examen, une unité parfaite. Avec ses proches (Marcel Gombert, Pierre Gallet, Jean Bassompierre), Darnand organise le SOL et le dote d’un programme en 21 points. Il le conçoit comme « le fer de lance » de la Révolution nationale, laquelle se propose d’abolir en totalité l’œuvre de la IIIe République dans tous les domaines : politique, moral, éducatif, culturel. Il lui confie donc une milice de surveillance policière, de propagande et d’éducation populaire. Il lui donne également une orientation politique plus radicale que celles qui furent les siennes jusqu’ici : les membres du SOL doivent jurer de lutter contre « la démocratie, la lèpre juive et la dissidence gaulliste ». L’opposition de Darnand au gaullisme fut cependant moins absolue que ce que donnent à croire ces mots de la prestation de serment des légionnaires : le chef du SOL fut approché en 1940 puis en 1942 par des émissaires de la France Libre désireux de le voir intégrer la Résistance ; et, en 1943, devenu dirigeant de la Milice, il esquissa lui-même une démarche en ce sens ; mais, finalement, sa fidélité inconditionnelle au Maréchal le retint de s’engager contre Vichy, et son refus de la démocratie le dissuada de concourir au rétablissement de celle-ci en luttant aux côtés des résistants et des Alliés. Et lorsque ces derniers débarquent en Afrique du nord, le 8 novembre 1942, il ordonne aux légionnaires de leur résister. Mieux : le 23 novembre, il crée, dans ce but, une Phalange africaine, sur la suggestion et avec l’appui des Allemands. L’occupation de la zone libre par les Allemands, au mépris de la convention d’armistice de juin 1940, n’incite pas Darnand à changer de camp. Il voit toujours en Pétain le symbole vivant et le sauveur de la France, et dans la collaboration, la meilleure chance de salut de la France. En outre, il se refuse absolument à renier la Révolution nationale de 1940, et de lutter pour une libération couronnée par le retour de la république honnie et délétère et des politiciens d’avant-guerre ou de leurs dignes successeurs. C’est donc dans une France de Vichy réduite à la condition d’État-croupion totalement occupé, au gouvernement étroitement contrôlé par les Allemands, privé d’armée, ayant perdu son empire (passé tout entier à la France Libre et aux Alliés), aliéné à un Reich hitlérien promis à la défaite finale, que Darnand va s’imposer, jusqu’à devenir, grâce à ses troupes et à l’appui de l’occupant, l’homme fort du régime de Pétain.

Créateur et chef de la Milice

Le SOL lui semble désormais insuffisant pour lutter contre la Résistance. Il doit être remplacé par une organisation plus nombreuse, plus militarisée, plus entraînée et plus pourvue en armes, en munitions, en matériel et en ressources financières. Cette organisation, ce sera la Milice française, annoncée par le Maréchal lui-même dans une allocution du 5 janvier 1943, et créée officiellement à Vichy par une loi du 30 janvier de la même année[10]. La Milice est une police militaire, non un parti politique. Cependant, elle présente bien des caractères d’un parti. En effet, les 21 points qui énoncent sa raison d’être ont une connotation politique et idéologique affirmée. Ils énoncent que la Milice a pour but de lutter contre l’individualisme, contre le scepticisme et pour la foi, contre la démocratie et la démagogie, contre l’égalité et pour une société ordonnée, donc hiérarchisée, contre le pouvoir de l’argent et des trusts, pour la discipline et l’autorité, pour la défense des métiers français, pour l’esprit d’initiative, et, naturellement, contre « la lèpre juive » (et pour la « pureté française »), contre la franc-maçonnerie, pour la civilisation chrétienne, et contre « la dissidence gaulliste ». Pour la défense de ses idées, Darnand dote la Milice d’un hebdomadaire, Combats, lancé le 8 mai 1943. Vigilance, propagande et sécurité sont ses trois grandes missions.

Darnand est secondé successivement par deux jeunes hommes, Pierre Cance[11], puis Francis Bout de l’An[12], sans parler de son vieil ami Marcel Gombert, toujours présent. En octobre 1943, il est élevé au grade de SS Fwr Ober sturmführer dans la Waffen SS et prête serment de fidélité à Hitler à l’ambassade du Reich. 14 de ses plus proches collaborateurs intégreront la Waffen SS. Le 2 juin 1943, Darnand crée un corps d’élite, au sein de la Milice, la Jeune Garde, dirigé par Jean de Vaugelas[13]. La Milice comptera 30 000 miliciens, dont 12 000 francs-gardes environ.

Au départ, les moyens de la Milice sont modestes. Depuis novembre 1942, la France a perdu son armée et la presque totalité de son armement, si bien que Vichy ne peut l’armer convenablement. De plus, les Allemands, toujours méfiants envers les Français, se refusent à armer la Milice, surtout en untemps où ils se battent, avec les plus grandes difficultés contre, à la fois, les Soviétiques et les Anglo-Américains. Mais, après un décret de Vichy du 30 juillet 1943 autorisant et encourageant les Français à s’engager dans la Waffen SS (ce qui leur donne l’espoir de voir gonfler leurs effectifs de combattants), ils acceptent de fournir la Milice en armes et munitions. Par ailleurs, jusqu’aux premiers jours de 1944, les Allemands limitent le rayon d’action de la Milice à la zone sud (ancienne zone non occupée) du pays.

Joseph Darnand ne veut pas être seulement le chef d’une police militaire de Vichy. Ambitieux, il entend devenir l’homme fort de l’État Français. Et il a des chances d’y parvenir. Il ne dispose pas de parti politique, mais sa Milice en tient lieu et vaut tous les partis du monde ; d’autant plus qu’elle est plus utile que les partis collaborationnistes, tant pour Vichy que pour l’occupant. En outre, Darnand jouit de la plus grande faveur auprès du Maréchal, dont il partage les idées, ce qui n’est le cas ni de Laval, que Pétain exècre et ne maintient au pouvoir que sous la pression allemande, ni de Doriot, ni surtout de Déat, haï du Chef de l’État.

Darnand tire vite le plus grand profit de cette situation exceptionnellement favorable, d’homme très bien vu de Vichy comme de Berlin. Le 30 janvier 1943, il devient secrétaire d’État. Deux jours plus tard, le 1er février 1943, il se voit confier la responsabilité du maintien de l’ordre. Enfin, le 13 juin, il est nommé secrétaire d’État à l’Intérieur[14]. Par ailleurs, le 27 janvier 1944, le champ d’action de la Milice est étendu à la zone nord. La Milice est donc désormais présente dans tout le pays.

L'action politique de Darnand en 1943 et 1944

En 1943, et bien plus encore en 1944, la Milice mène des offensives extrêmement rudes contre les résistants, notamment dans le plateau des Glières (Haute-Savoie), en Bretagne, en Limousin, en Bourgogne. Elle conduit aussi des actions policières dans les communes, et est chargée de l’exécution de personnalités telles que Hélène et Victor Basch, Jean Zay et Georges Mandel.

Très bien en cour auprès du maréchal Pétain, Darnand n’est pas moins conscient de la nécessité de s’allier avec ses rivaux de la mouvance collaborationniste parisienne pour faire pression sur Vichy afin d’y faire prévaloir une politique de coopération totale avec l’Allemagne et de donner à l’État Français une orientation politique pro-allemande et fascisante. Aussi, le 17 octobre 1943, il signe, conjointement avec son secrétaire général, Noël de Tissot, Georges Guilbaud (représentant de Doriot), Marcel Déat et Jean Luchaire (patron de la presse française), un « Plan de redressement français » en ce sens et demandant le remplacement de Laval et de la plupart des ministres. Le 6 novembre 1943, dans un article de Combats intitulé « Alerte, Miliciens ! », Darnand exhorte les jeunes Français à s’engager dans la Waffen SS pour abattre « le judaïsme triomphant » et « détruire le bolchevisme » au nom de la défense de la civilisation européenne et pour la salut de la France. À la différence de Doriot et de Déat qui assumeraient très volontiers une rupture d’avec l’État Français de 1940, Darnand, lui, conçoit l’instauration d’un gouvernement ouvertement fasciste et collaborationniste comme devant s’inscrire dans la continuité du régime de Vichy et l’aboutissement souhaitable de la Révolution nationale voulue par Pétain lors de son accès au pouvoir. Il donne ainsi une unité d’idée et de sens à l’évolution de ce régime depuis 1940. Par là, parce qu’il jouit d’un double crédit auprès de Pétain comme auprès des Allemands, et, bien entendu, du fait de sa position ministérielle et de son statut de chef de la Milice, Darnand devient la personnalité dominante de la période du « Vichy milicien » (et fasciste) de 1944, damant le pion à Doriot, chef charismatique d’un grand parti (le PPF) mais tenu loin du pouvoir, et de Déat, qui devient bien ministre, mais encourt la haine du Chef de l’État.

Si l’Occupation avait duré, Darnand pouvait espérer devenir le seul homme fort de Vichy, et peut-être le chef du gouvernement, en remplacement de Laval.

Défenseur de ses hommes contre le Maréchal

Mais les Alliés débarquent en Normandie le 6 juin 1944. Le 15 août, ils feront de même en Provence. Les jours du régime de Vichy sont comptés. En un geste désespéré pour tenter, sans espoir d’ailleurs, d’amadouer les Alliés et la France Libre, et de retrouver auprès de la population française un crédit qu’il a en partie perdu, Pétain critique publiquement les exactions de la Milice et, le 6 août, adresse à Laval une lettre les dénonçant et exigeant leur cessation.

Darnand éprouve alors « une immense déception », selon ses propres termes, et répond au Maréchal en ces termes: « Pendant quatre ans j’ai reçu vos compliments et vos félicitations. Vous m’avez encouragé. Et aujourd’hui, parce que les Américains sont aux portes de Paris, vous commencez à me dire que je vais être la tache de l’Histoire de France ? » Et il refusera de prendre contre ses hommes, qu’il défendra jusqu’au bout, les sanctions que Pétain exigera.

Face à l’avancée alliée en France et aux attaques de plus en plus nombreuses et parfois insurrectionnelles des résistants de l’intérieur, Darnand et ses miliciens n’ont d’autre recours que la fuite en Allemagne. Beaucoup de miliciens n’y arriveront jamais, capturés ou tués par les résistants. Les autres y parviendront dans un état lamentable. Darnand, lui, devient ministre de l’Intérieur dans le gouvernement sans État de Sigmaringen, le 7 septembre 1944. Les miliciens ayant réussi à gagner l’Allemagne sont incorporés dans une unité de la Waffen SS dont le commandement n’est pas confié à Darnand, mais à un officier allemand. Avec Déat, lui aussi ministre à Sigmaringen, Darnand tente de se rapprocher de Doriot, qui a fondé un « Comité de Libération nationale », concurrent du gouvernement de Sigmaringen. La mort de Doriot (22 février 1945) met fin à cette démarche.

Toujours dévoré par le besoin d’action, Darnand part alors combattre les résistants italiens aux côtés des derniers défenseurs du fascisme. Le 25 juin 1945, il est fait prisonnier par les Britanniques, qui le livrent aux autorités françaises. Alors, son destin est scellé. Détenu à Fresnes, il est traduit devant la Haute Cour de Justice de la République. Son procès (ou plutôt sa parodie de procès) se déroule en une demi-journée, dans l’après-midi du 3 octobre 1945. Un seul témoin à décharge, le R.P. dominicain Bruckberger qui, quoique résistant, évoquera ses glorieux faits d’armes de 14-18. Le procureur, lui, se livre à un cinglant réquisitoire, qualifiant l’accusé de “traître”, d’“assassin” et de “boucher”, et le fustigeant d’avoir fait tuer « les meilleurs des Français ». Sans surprise, Darnand est condamné à mort. Le 7 octobre, de Gaulle répond non à la demande de grâce que l’avocat a formulée contre la volonté de son client. Le 8, Darnand sollicite de De Gaulle, par lettre, la grâce de ses hommes. Le 9, de Gaulle déclare au R.P. Bruckberger : « Vous direz à Darnand que j’ai lu sa lettre. Je n’ai pas le temps d’y répondre. Dites-lui en tout cas que je suis obligé de le faire fusiller par raison d’État, mais que, de soldat à soldat, je lui garde toute mon estime ». Plus tard, il écrira ces lignes qui immolent à jamais la IIIe République : « Rien, mieux que la conduite de ce grand dévoyé de l’action, ne démontrait la forfaiture d’un régime qui avait détourné de la patrie des hommes faits pour la servir»[15]. Joseph Darnand affrontera courageusement le peloton d’exécution qui le fusillera au fort de Châtillon le 10 octobre 1945. Il sera inhumé au cimetière des Batignolles.

Son engagement en faveur de l’Allemagne national-socialiste et son combat contre la Résistance à la tête de sa Milice ont fait de Joseph Darnand un homme maudit pour la postérité, symbole pour la Résistance de trahison et de répression. Pourtant, si incroyable cela paraisse-t-il aujourd’hui, il fut d’abord et avant tout un patriote profondément épris de son pays, la France, un nationaliste authentique, et, quoique fasciste, relativement étranger au fascisme italien et au national-socialisme allemand, du point de vue idéologique comme sous le rapport des régimes en lesquels ils s’incarnèrent. Francis Bergeron a parfaitement établi ce point dans la biographie qu’il lui a consacrée[16], Le « Vichy milicien », dont il fut la figure de proue en 1944, ne ressemble ni au régime de Mussolini ni à celui d’Hitler, et reste profondément pétainiste et typiquement français, d’âme et de sensibilité. Doriot eût été un führer ou un duce français; Déat aussi, sans doute, quoique un peu trop intellectuel pour le rôle. Darnand, lui, entendait rester le serviteur du Maréchal, auquel il n’imaginait guère de successeur possible. Et le Darnand de 1944-1945, courageux, sincère, droit et intrépide jusqu’au bout, jusque dans la mort par fusillade, ne renie pas le glorieux combattant qu’il fut durant la Grande Guerre[17].

Bibliographie

Notes et références

  1. 1891-1966.
  2. L’enseignement secondaire public ne deviendra gratuit qu’à la suite de la loi du 31 mai 1933. Par ailleurs, jusqu’à la loi Marie (21 septembre 1951), seuls les élèves de l’enseignement public pouvaient recevoir une bourse de l’État.
  3. Successivement manutentionnaire chez Descher, fabricant de meubles, puis travailleur forestier dans l’Ain.
  4. Darnand ne jouit d’ailleurs que d’une estime limitée de la part de son patron, M. Chaleyssin, qui loue sa ténacité, mais juge son intelligence « de second ordre ».
  5. (1899-1994)
  6. Né en 1898, il sera tué au front à Forbach au cours de l’été 1940.
  7. Né en 1895, il finira fusillé en avril 1947 à Pessac, en Gironde.
  8. Le 11 novembre 1927, à Paris.
  9. Comme Darnand, Bucard a été un glorieux combattant de la Grande Guerre décoré par Pétain, avec lequel il est resté en relation pendant tout l’entre-deux-guerres.
  10. Une cérémonie en l’honneur de cette création a lieu à Vichy le 1er février 1943. Pierre Laval, Chef du Gouvernement, est le président officiel de la Milice, dont il confie la direction à Darnand, secrétaire général.
  11. (1907-1988).
  12. (1910-1977).
  13. (1913-1950).
  14. Le ministre de l’Intérieur en titre restant Pierre Laval, qui cumule plusieurs fonctions ministérielles.
  15. Mémoires d’espoir, t.3, Le Salut (1944-1946), Plon 1959, rééd. Pocket, 2006, pp. 300-301
  16. cf. infra
  17. Texte en grande partie repris de l'article : Paul-André Delorme, Op. cit., voir infra.