La prestation du serment du service d’ordre légionnaire (SOL) aux arènes de Cimiez le 22 février 1942

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La prestation du serment du service d’ordre légionnaire (SOL) aux arènes de Cimiez le 22 février 1942 est un article de Dominique Olivesi

Pour faire accepter, puis comprendre et enfin aimer un Etat totalitaire à un peuple qui a vécu depuis soixante ans dans une démocratie parlementaire, un rassemblement de masse comme la Légion n’est pas suffisant sous sa forme actuelle. Il faut qu’à l’intérieur même de la Légion existe une force réelle, une force agissante qui soit l’instrument révolutionnaire par excellence”.

C’est en ces termes qu’au début de l’année 1942, les statuts et les règlements intérieurs du Service d’ordre légionnaire (SOL) fixaient les objectifs de cette nouvelle organisation appelée à devenir le fer de lance de la “Révolution Nationale”, d’“une France nouvelle dans une Europe nouvelle”.

Moins connue que la Milice dont le nom reste attaché aux pires exactions de l’époque de l’Occupation, le SOL est considéré comme une étape intermédiaire entre le premier Vichy et l’État milicien de 1943-1944, comme une phase préparatoire à ce dernier.

La cérémonie qui se déroule aux arènes de Cimiez à Nice le 22 février 1942, au cœur de la seconde Guerre Mondiale, apparaît à bien des égards comme un événement majeur et un des tournants de l’histoire de l’État Français, mais un événement dont la mémoire collective locale a conservé peu de souvenirs compte tenu de sa charge éminemment négative et répulsive.

Quelle est au fond la signification de cette journée qui a valu à Nice d’être comparée de manière peu flatteuse par certains auteurs à un “petit Nuremberg” de la Côte D’azur ? A quel type d’événement a-t-on affaire, à un événement local ou national ou à moitié national puisque la France de la guerre est de fait divisée et partagée? A un événement occulté, refoulé? Un événement discrédité donc condamné à l’oubli?

Cet exposé s’organisera en trois points. On s’attachera d’abord à reconstruire la genèse de l’événement en le replaçant dans sa “dynamique locale”, celle qui lui donne naissance. Il conviendra ensuite de rappeler dans les grandes lignes le déroulement de l’événement lui-même et le sens général que ses promoteurs lui donnent à l’époque. La réflexion portera enfin sur la signification et la “dimension historique” de cette manifestation qui semblent déborder le simple cadre local et dépasser le seule échelle niçoise.

I – Nice, berceau du service d’ordre légionnaire

La création du SOL apparaît largement comme la conséquence d’un échec, celui de la Légion française des combattants (LFC), cette organisation créée par Vichy pour regrouper les anciens combattants et dont la vocation à l’origine était d’être le “parti du Maréchal”.

Dès 1941, aux yeux des éléments les plus radicaux du pétainisme, la Légion s’était enlisée en se montrant incapable de rompre franchement avec le passé. Elle n’était pas l’instrument adapté aux difficultés que rencontrait le régime installé en zone non-occupée, difficultés dont le Maréchal Pétain se faisait lui-même l’écho dans son fameux discours sur le “vent mauvais” le 12 août 1941.

A cette date, l’institution légionnaire dans les Alpes-Maritimes, comme l’a montré Jean-Louis Panicacci, ressemble déjà largement à une coquille vide. Structure pléthorique et léthargique, elle décline et somnole. Les 50 000 hommes qui ont défilé, place Masséna, pour célébrer son premier anniversaire, l’ont fait dans l’esprit du “patriotisme de kermesse” cher aux anciens Croix de feu, un esprit peu ouvert à la dynamique totalitaire dont rêvent les partisans de l’“Ordre Nouveau”.

La Légion c’est le bordel” résume alors dans son langage de soldat Joseph Darnand qui impute l’essentiel des difficultés de Vichy aux infirmités de la Légion, cette Légion “mal fichue” selon l’expression qu’il utilisera lors de son procès, cette Légion incapable de jouer son rôle d’instrument politique au service de la “Révolution Nationale” parce qu’elle restait fondamentalement une organisation de type traditionnel, composée de pères de familles tranquilles, d’anciens combattants soucieux de respectabilité et foncièrement pacifistes de surcroît. Masse inorganisée de “vieux jetons” et de “mollassons”, cohue informe incapable de conduire le redressement du pays.

Parce qu’il était impossible de mener à bien les objectifs de la “Révolution Nationale” sans révolutionnaires, il était nécessaire de faire émerger à l’intérieur de cet organisme une avant-garde consciente de cette mission, de forger une élite jeune et dynamique, une phalange de vrais combattants prêts au sacrifice et en mesure de se “désengluer” de la masse apathique des légionnaires rassis. Ainsi naquit le SOL.

Le tournant est pris dans le courant de l’été 1941, alors que l’entrée en guerre de l’Allemagne contre l’URSS radicalise les partisans de la collaboration et leur ouvre un champ d’action. A cette date, le SOL n’est encore qu’un bricolage, une organisation informelle, sans base légale.

C’est la petite équipe de militants constituée autour de Darnand à Nice, qui donnera au S.O.L. sa consistance, sa première armature idéologique et organisationnelle. Comme l’a souligné l’historien Jean-Pierre Azéma, la plupart de ces hommes présentent un parcours et un profil assez proche et ont suivi une trajectoire bien typée : un engagement précoce dans les ligues d’avant-guerre, une poussée d’activisme droitier au moment du Front Populaire, enfin une “belle guerre” en 1939-1940.

Parmi eux, un jeune professeur de mathématiques, ancien lieutenant d’artillerie, Noël de Tissot, Marcel Gombert, ancien adjudant des chasseurs alpins, vieux compagnon de route de l’Action française (AF) et de la Cagoule, d’autres encore comme le lieutenant Jean Bassompierre, ancien des Jeunesses patriotes qui a mal accepté l’armistice et s’est retrouvé démobilisé début août 1940 à Nice, ou encore le docteur Paul Durandy.

Les SOL vont se distinguer d’abord de la masse des légionnaires par l’uniforme : pantalon sombre bleu marine qui se porte à la mode des skieurs sur de grosses godasses cloutées, béret bleu des chasseurs, chemise kaki, cravate couleur noire en signe de deuil. Ils arborent un brassard porté au bras gauche qui se compose de deux initiales S et O ainsi que d’un écu noir traversé par une épée.

Cette garde prétorienne a été présentée pour la première fois aux Niçois le 9 octobre 1941, au cours d’un défilé, avenue de la Victoire en présence de l’Amiral Darlan, dauphin du Maréchal. Elle rassemble pour l’ensemble du département à la fin de l’année 1941 une force d’environ 2 000 hommes. Il est exigé de ces soldats d’élite qu’ils cultivent l’esprit de combat, de sacrifice et d’engagement total à la manière des corps francs.

Sous l’impulsion de Darnand et de ses lieutenants, qui s’appuient eux-mêmes sur Darlan et Pucheu, le SOL pourra, à partir de Nice et des Alpes-Maritimes, essaimer dans le Sud-Est, mais aussi progressivement dans toute la zone non occupée. Finalement, selon une pratique assez courante de l’État Français, le SOL est régularisé et officialisé après coup, le 12 janvier 1942, par une instruction du gouvernement de Vichy. Il reçoit des statuts particuliers qui font de lui un organisme autonome à l’intérieur de la Légion.

Nice, sa base de lancement, accueillera la première cérémonie de prestation de serment imaginée par Darnand et les siens comme moment de “rupture fondatrice”.

II – La prestation de serment

Le SOL, au début 1942, est déjà bien plus qu’un simple service d’ordre. Il est en fait un parti qui ne dit pas son nom, une structure politique avec ses chefs, son propre encadrement, son embryon de doctrine. Son état-major professe sur le plan idéologique un pétainisme dur et intransigeant qui l’oriente dans le sens du fascisme.

Le SOL officiellement constitué s’est fixé comme objectif prioritaire de réprimer les “foyers de propagande et les menées anti-gouvernementales”, d’être la force agissante de la “Révolution Nationale” ainsi que son “bras armé” contre l’“ennemi intérieur” : dissidents gaullistes, communistes, juifs, francs-maçons, classe politique parlementaire de la République défunte.

Le chant des cohortes, hymne du SOL, exprime parfaitement cette obsession et la volonté de revanche sur les forces jugées responsables du désastre de 1940 :

Pour les hommes de notre défaite
Il n’est pas d’assez dur châtiment
Nous voulons qu’on nous livre les têtes
Nous voulons le poteau infamant!
SOL, faisons la France pure :
Bolcheviks, francs-maçons ennemis
Israël ignoble pourriture,
Écœurée, la France vous vomit.

Il n’est plus question, on le voit, de faire de la figuration en sacrifiant au vieux patriotisme de kermesse cocardier. Dans la France vaincue, même les hommes du SOL prennent vite des attitudes de vainqueurs. Corps d’élite d’un régime nouveau, ils se proclament volontiers “chevaliers de la France pure”, prêts à se sacrifier pour elle. La cérémonie d’investiture officielle qui se déroule à Nice en février va donner un sens politique à la mission attribuée à cette “chevalerie des temps modernes.”

Nice pavoise ce samedi 21 février 1942. Toute la journée a été occupée par les préparatifs prévus par le protocole d’investiture de la nouvelle garde prétorienne. François Valentin, chef de la Légion, a fait le déplacement sans grand enthousiasme. Par cars entiers tous les chefs légionnaires de la zone libre et tous les SOL du département arrivent et débarquent en ville. La première cérémonie commence vers 21 heures devant le monument aux morts de Raùba Capeù, creusé dans le bloc de la colline du Château, face à la mer. Les impétrants, qui sont au nombre d’environ 1800, ont été rassemblés pour une veillée d’armes, pour une veillée patriotique.

Alignés sur le terre-plein du monument, ils sont, écrit l’Eclaireur, figés dans un garde-à-vous impeccable d’une impressionnante noblesse.

Dans le silence, une voix s’élève, retransmise au loin par haut-parleurs ; cette voix est celle de Noël de Tissot qui exalte en phrases lapidaires le sacrifice des morts, la grandeur de la patrie et la dure tâche qui attend les SOL. Un peu plus tard, le préfet Ribière et le maire Jean Médecin allument ensemble la flamme qui monte dans l’urne sacrée. A 22 heures la cérémonie prend fin, les autorités se retirent.

A leur suite les formations des SOL quittent les lieux, encadrés par une rangée de légionnaires porteurs de torches.

Commence alors le défilé aux flambeaux à travers la ville : quai des États-Unis, place Masséna, avenue de la Victoire. Marchant en colonnes compactes, les aspirants à la nouvelle chevalerie reprennent en chœur un seul et même cri : “France! France!

Le lendemain, dimanche 22 février 1942, va s’accomplir la cérémonie d’investiture à proprement parler, celle de la prestation de serment dans les arènes de Cimiez. L’antique enceinte dont les bases remontent à la fondation de la ville par les Romains au début du premier siècle a-t-elle été choisie pour la beauté et la sobriété de ses lignes ? Pour offrir un décor majestueux à la hauteur de la noblesse prêtée à l’événement ? C’est ce qu’on pourrait penser à la lecture du compte-rendu du Petit Niçois pour lequel il convenait de mettre en harmonie l’environnement de la cérémonie et son contenu, la pureté des lignes extérieures et la “pureté d’âme” des nouveaux chevaliers de France, tous animés de la même foi et du même élan patriotique.

La décoration restait pourtant assez sobre, articulée autour de deux grands panneaux placés en vis-à-vis. Le premier représentait la maquette du serment avec un homme du SOL à genoux, le bras droit, l’épée d’un chevalier ou d’un croisé venant se poser sur son épaule. L’autre panneau, haut de plus de quatre mètres, reproduisait un portrait du Maréchal Pétain. Partout des oriflammes tricolores et au centre de l’enceinte se dressait un grand mât destiné à recevoir les couleurs.

Dans l’enceinte les hommes ont été répartis en deux groupes. D’un côté sont massés les SOL de la montagne, de l’autre les SOL de la ville de Nice. Tous ont été regroupés dans une belle discipline selon une organisation précise prévue par les statuts : groupes de cinq hommes ou “mains”, groupes de dix ou “dizaines”, groupes de trente ou “sections”, groupes de cent ou “cohortes”.

Pratiquement toutes les personnalités officielles civiles et militaires du département sont présentes : l’État-major légionnaire, le préfet, le maire de Nice, Jean Médecin, entouré de son conseil municipal au grand complet.

La ville de Nice, partie prenante dans l’organisation de l’événement, n’a pas lésiné sur les moyens pour donner du lustre à la cérémonie. Après un discours de François Valentin rappelant que la place des SOL restait à l’intérieur de la Légion et leur idéal celui de la “maison mère”, ce fut au tour de Darnand, le nouvel homme fort, de s’avancer et de parler. Massif, râblé, silhouette trapue, visage fermé, masque sévère du baroudeur et du légionnaire, il porte l’uniforme SOL, béret alpin, cravate noire, brassard à écusson. Les décorations militaires sont toutes bien visibles. Il exalte la mission des nouveaux croisés de la Patrie, de la France et de l’Europe nouvelle et leur tient le langage du sacrifice total, du don de soi :

Sur le sol dévasté de la Patrie, le Chef a appelé à lui ceux qui sont prêts à payer de leur personne. Vous avez répondu présents et vous allez rentrer dans la chevalerie des temps nouveaux”.

Enfin arrive le temps fort de la cérémonie, son apothéose. Les 1800 hommes rassemblés vont réciter un à un, après le chef qui les énumère, les 21 points dont le contenu définit la doctrine du SOL. Moment quasi mystique au cours duquel chaque récitant fait son entrée dans la nouvelle chevalerie en présence du grand maître de l’Ordre, l’inspecteur général Darnand. Ce document en 21 points est l’œuvre des trois idéologues niçois : Jean Bassompierre, Paul Durandy et Noël de Tissot. Il se présente sous la forme d’un catalogue manichéen et d’un double formulaire d’engagement : 21 propositions ou thèses contre l’Ordre ancien auxquelles répondent 2 propositions ou thèses pour l’Ordre nouveau.

Ainsi chaque participant ou communiant doit s’engager :

Contre l’égoïsme bourgeois, le scepticisme, l’individualisme, l’égalitarisme, le capitalisme international, la franc-maçonnerie païenne, la dissidence gaulliste, le bolchevisme et la “lèpre juive”.

Et inversement :

Pour la solidarité, la justice sociale, la discipline, la hiérarchie, le corporatisme, la civilisation chrétienne, l’“unité et la pureté françaises”.

Original dans sa forme et sa présentation, ce manifeste idéologique présente sur le fond un contenu qui se situe clairement dans la tradition de pensée de l’extrême droite française des années 1930, celle de l’anti-parlementarisme autoritaire, du rejet de la démocratie égalitaire, du nationalisme d’exclusion violemment xénophobe, antisémite à tendance raciste. Les 21 Points constituent un “bric-à-brac” d’idées simples, d’expressions simples, de formules vagues et outrancières, un concentré de maurrassisme et de maréchalisme durci à l’extrême. C’est surtout une déclaration de guerre à l’“ennemi intérieur”, conforme à l’esprit collaborationniste qui donne à ce syllabus prétorien une tonalité très nettement fascisante.

L’acte solennel du serment apporte une touche finale à la cérémonie. Darnand a repris la parole :

Pour réaliser ces formules, êtes-vous prêts à consentir au sacrifice total que le chef vous commande ? Vous avez communié cette nuit avec l’âme de ceux qui ont déjà consenti ce sacrifice. Accomplissant un geste rituel, vous allez placer genou à terre en signe d’humilité et de dévotion envers le Maréchal. C’est de lui qu’après avoir prêté serment, vous allez recevoir l’investiture.

Tous les SOL mettent le genou à terre et s’engagent sur l’honneur à “servir la France et le maréchal Pétain chef suprême de la Légion”. Après avoir déclaré leur consentement, les nouveaux chevaliers adoubés se relèvent et crient ensemble “Je le jure !”.

A ce moment , d’un haut-parleur, s’élève la voix de l’illustre vieillard qui préside aux destinées du pays :

Légionnaires des Alpes-Maritimes, à vous qui prenez ici l’engagement de servir, je dis toute ma confiance...

Après une dernière Marseillaise, l’assistance se disperse. Les SOL redescendent sur la ville pour y défiler dans un ordre parfait. Un travail de deux jours a donné à l’avenue de la Victoire une physionomie appropriée à l’événement. Elle a été abondamment pavoisée de tricolore. La municipalité, qui n’a pas fait les choses à moitié, l’a également décorée aux insignes de la Légion et du SOL, à l’aide de petits mâts. Aux platanes ont été accrochés des panneaux où chaque passant peut lire les 21 points qui condensent la nouvelle pensée officielle.

III – Portée, signification et dimension de l’événement

Le préfet des Alpes-maritimes écrit au Ministre de l’Intérieur à la fin du mois de février : “Le SOL donne l’impression d’une force jeune et disciplinée que ses chefs ont bien en main. Des épurations sérieuses ont été effectuées qui ont permis d’éliminer les éléments les plus suspects”.

Le SOL connaît effectivement un rapide essor tout au long de l’année 1942. Initialement logée tel un “bernard-l’hermite” dans la coquille de la Légion, la nouvelle organisation, placée sous le commandement de Darnand, ne tarde pas à gagner en autonomie, au fur et à mesure que la guerre se durcit, et que Vichy se trouve pris dans l’engrenage de la Collaboration. Avec la bénédiction d’un Laval revenu au pouvoir en avril 1942, elle se transforme en véritable organisation de combat, en troupe de choc de la Révolution nationale, évolution dont se félicite bruyamment le journal niçois du SOL, La Trique.

Le SOL et son état-major ne tardent pas à s’amalgamer à l’avant-garde collaborationniste et jusqu’au-boutiste qui veut engager le pays dans la voie de la “Révolution nationale-socialiste” et de la “réconciliation européenne” dans le cadre de la nouvelle Europe allemande. C’est dans cette optique qu’un Robert Brasillach peut écrire le 9 octobre 1942 dans Je Suis Partout que : “le SOL est un organisme franc, net et utile.

Comme instrument de la Collaboration à outrance et de la guerre franco-française, le SOL apparaît comme l’antichambre de la Milice, comme la matrice ou l’embryon de l’État milicien. Les statuts et l’organisation de la Milice, créée en janvier 1943, seront calqués sur ceux du SOL, et sur le fond, le programme milicien reprendra tel quel le catalogue idéologique des 21 points, exposés et déclinés aux arènes de Cimiez. Le chant des cohortes deviendra l’hymne officiel de la Milice.

Vu sous cet angle donc, l’événement du 22 février 1942 cesse d’être un simple événement niçois pour devenir un événement national. Il fait même figure d’événement inaugural et fondateur, de jalon majeur dans l’histoire politique de Vichy. En amont (dans sa genèse), comme en aval (dans ses conséquences), la journée niçoise du 22 février 1942 confirme de manière éclatante le rôle en pointe, le rôle moteur des Alpes-Maritimes dans le durcissement politique et la dynamique totalitaire à l’œuvre dans la France de Pétain des années 1941-1942.

Un rôle initiateur dans le processus de gestation semi-clandestin du SOL, organisation de type nouveau.

Un rôle fédérateur dans l’élaboration des statuts et de la doctrine du SOL, ainsi que dans sa légalisation officielle.

Un rôle de diffuseur du “modèle” SOL en zone non-occupée jusqu’en novembre 1942. Après Nice, plusieurs cérémonies de prestation de serment, de nature et de déroulement identiques, se tiendront à Annecy, Albertville, Marseille, Lyon (place de Terreaux), en présence à chaque fois d’une délégation niçoise de plusieurs dizaines voire plusieurs centaines d’hommes, soulignant ainsi le parrainage moral de la ville-mère.

Dans son déroulement, son style et son contenu, la cérémonie des arènes de Cimiez prend un caractère d’événement inaugural. Un événement qui dans sa liturgie militaro-fasciste porte une signature, celle de la petite équipe niçoise d’activistes factieux entrés en politique au tournant des années 1930 dans le sillage de Darnand, qui pour la première fois et au grand jour, profitant des circonstances, réussissait à imprimer à un événement la marque idéologique de la “Révolution” à laquelle elle travaillait et aspirait. Une marque parfaitement lisible à travers :

Le serment de nature quasi “féodale” prêté au chef. Un serment remis d’ailleurs à l’honneur par Vichy dès son avènement, en rupture avec la tradition du serment civique inauguré par la Révolution française.

La volonté affichée d’épuration de la communauté nationale selon les critères de la race.

La célébration de la violence et de la force, de l’énergie vitale, du militarisme.

La récupération et l’utilisation d’une mythologie héroïco-guerrière archaïsante.

L’idéalisation de la jeunesse.

Le rite initiatique d’accès à l’élite, à la caste, à l’aristocratie de la “nouvelle chevalerie”.

L’obsession du maintien de l’ordre et du redressement moral.

La mystique de l’ “homme nouveau” enfin. Dans les mois qui suivent l’événement, la presse du mouvement à Nice exalte l’“Homme du SOL”, incarnation du Français nouveau, régénéré, affranchi des “normes débilitantes” de la démocratie, qui a retrouvé la plénitude de sa volonté de puissance ainsi que tous les attributs de sa virilité.

Terreau fertile des Ligues et d’un extrémisme droitier à tendance putschiste depuis les années 1930 et l’affaire de la Cagoule, terre d’élection du Maréchalisme triomphant et d’un Pétainisme confit en dévotions après le choc de la défaite, berceau, laboratoire et capitale du SOL, Nice à travers la cérémonie des arènes de Cimiez confirmait son rôle de place forte traditionnelle de l’activisme anti-républicain. En 1941-1942, il n’était pas vraiment surprenant de la voir jouer un rôle de premier plan dans l’affirmation d’un patriotisme dévoyé, détourné en “fascisme tricolore”, sous le pavillon de complaisance d’un État Français vassalisé.

Conclusion

L’intérêt de l’événement tient enfin en matière de conclusion à son statut d’“événement interdit” c’est-à-dire impossible à commémorer.

La cérémonie d’investiture du SOL du 22 février 1942 appartient par définition à l’histoire des “vaincus” de 1944, condamnée et refoulée dans un premier temps par la mémoire triomphante, par la mémoire gaulliste et communiste du “Peuple tout entier résistant”.

L’effacement progressif de cette “mémoire résistantialiste” au profit d’une historiographie des années noires plus nuancée qui met l’accent à la fois sur les contradictions et la complexité de l’État Français (Vichy n’est pas un bloc), ainsi que sa part de responsabilité dans la politique d’extermination conduite sous l’égide du III° Reich, n’a pas contribué, on s’en doute, à la réhabilitation du SOL et de son extension l’État milicien, impliqués tous deux dans les dérives de la Collaboration.

Les 21 Points du SOL restent au fond une curiosité tératologique pour l’historien : un document symbole d’une entreprise délirante et meurtrière de guerre civile. Censuré, “épuré” à la Libération, l’événement demeure occulté, ostracisé, frappé d’indignité par la mémoire collective. Un événement dont même le site qui l’accueillit a oublié le souvenir et effacé toute trace. Aucune plaque ne rappelle au passant, au visiteur d’aujourd’hui, ce que Le Petit Niçois et L’Éclaireur qualifiaient de “grandiose journée nationale”.

Sur les 1800 SOL qui prêtent serment le 22 février 1942, un tiers seulement se retrouvent de manière effective dans la Milice (on recense environ 600 miliciens en 1944 dans les Alpes-Maritimes). Cette déperdition impressionnante traduit l’effondrement du niveau d’adhésion au régime, au fur et à mesure qu’il se radicalise et qu’il tombe sous la coupe allemande.

Les chefs niçois du SOL et son état-major, eux, basculeront en bloc dans l’appareil milicien pour en devenir les cadres dirigeants. Ils termineront leur trajectoire sous l’uniforme SS, raison de leur fin tragique.

Noël de Tissot tombe en août 1944 sur le front de l’Est. Durandy est tué en Poméranie au début de l’année 1945 alors qu’il combat dans la Division Charlemagne ; Gombert et Bassompierre sont fusillés, l’un à la Libération, l’autre en 1948. Darnand, l’homme fort du groupe, est jugé, condamné le 3 octobre 1945 et exécuté quelques jours plus tard. D’après l’historien américain Bertram Gordon, Joseph Darnand fut le prototype de l’homme fasciste et le héros d’un fascisme plébéien.

L’événement du 22 février 1942 appartient désormais au monde des archives. Archives photographiques, archives cinématographiques, visuelles et sonores, sous la forme d’images d’actualités. Ces images ont été exhumées par l’historien Marc Ferro, en février 1992, dans le cadre de son émission télévisée “Histoire Parallèle” à l’occasion du cinquantième anniversaire de la naissance du SOL, et plus récemment encore par Alain Ferrari dans son film documentaire intitulé “Milice, Film Noir”.

Images lugubres qui ont largement contribué à la réputation d’une ville souvent présentée comme la “fille aînée de la Révolution Nationale”.

Source

Dominique Olivesi, « La prestation du serment du service d’ordre légionnaire (SOL) aux arènes de Cimiez le 22 février 1942 », Cahiers de la Méditerranée, 62, 2001 (URL : http://cdlm.revues.org/index60.html)