François-René de Chateaubriand

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François-René de Chateaubriand, vicomte de Chateaubriand, né à Saint-Malo le 4 septembre 1768 et mort à Paris le 4 juillet 1848, est un écrivain, mémorialiste et homme politique français.

Il est considéré comme l'un des précurseurs du romantisme français, l'un des plus grands noms de la littérature française et une figure de l'Ecole contre-révolutionnaire..

Biographie

René de Chateaubriand naît à Saint-Malo le 4 septembre 1768 au sein d’une famille de la noblesse bretonne ruinée, mais dont le père avait redoré le blason grâce à sa réussite commerciale aux colonies (corsaire durant la guerre, pêche à la morue et négoce négrier en temps de paix).

Il est d’abord confié à sa grand-mère maternelle, Mme de Bédée, en nourrice, mais lorsqu’il a trois ans son père achète le château de Combourg et la famille s’y installe en 1777. Il y passe une enfance et une adolescence moroses entre un père taciturne et une mère superstitieuse, maladive, mais cultivée et gaie. Jusqu’en 1783, il fait ses études aux collèges de Dol, Rennes et Dinan. Il est pieux, sa première communion est fervente et sa mère le destine à une carrière ecclésiastique : toutefois, il y renonce, et après quelques années d’hésitations, en 1786, son père lui remet un brevet de sous-lieutenant du régiment de Navarre qu’il rejoint à Cambrai (sous les ordres de son frère).

La Révolution et le voyage en Amérique

Il séjourne quelque temps à Paris, est présenté au roi en février 1787 (il est capitaine à 19 ans) et la Cour lui inspire « un dégoût invincible ». A partir de 1788, il fréquente les gens de lettres, se lie avec Fontanes et La Harpe, lit Corneille, Montesquieu, Buffon, les encyclopédistes (Voltaire, Rousseau), écrit des vers pour l’Almanach des muses. Il vit dans une atmosphère libertine et oublie quelque peu ses convictions religieuses « de chrétien que j’avais été, j’étais devenu un esprit fort, c’est à dire un esprit faible. Ce changement s’était opéré par la lecture des ouvrages philosophiques ». En 1788, il participe aux Etats généraux de Bretagne puis assiste à la prise de la Bastille. A cette époque aussi, il demande à être admis dans l’Ordre Saint Jean de Jérusalem afin de devenir chevalier de Malte ; bien qu’il revienne, à plusieurs reprises, dans ses Mémoires sur cet épisode en s’octroyant ce titre, il ne pourra jamais prononcer ses vœux ni devenir “chevalier” car il fallait que le novice réside cinq ans à Malte… En avril 1791, il embarque pour le Nouveau Monde (Baltimore), arrive à Philadelphie, puis New York, Boston où il aurait rencontré George Washington ; ensuite, il remonte l’Hudson River jusqu’à Albany puis avec un guide aux chutes du Niagara à la recherche du « bon sauvage » et de la solitude des forêts. Une chute de cheval et un bras cassé l’obligent à séjourner un mois dans une tribu d’indiens (récit dans Les Natchez). Il revient par la rivière Ohio, le Mississipi et la Louisiane ; périple narré dans Le voyage en Amérique (1826) dont beaucoup mettront en doute la véracité (c’est la vérité poétique qui est primordiale pour lui).

Retour en France et exil

Apprenant alors, la fuite à Varennes et l’arrestation du roi, il décide de revenir en France (2 janvier 1792) où il épouse Céleste Buisson de la Vigne (17 ans, issue d’une famille d’armateurs de Saint-Malo) : le couple n’aura pas d’enfant. Le 15 juillet, avec son frère, il part pour Coblence s’engager dans l’armée d’émigrés de Condé : conséquence, sa femme est arrêtée et emprisonnée à Rennes (jusqu’au 9 Thermidor), quant à lui, il est blessé sérieusement au siège de Thionville et se retrouve à Bruxelles (où il croisera, lors d’un dîner, Rivarol qu’il n’appréciera guère « l’esprit de Rivarol nuisait à son talent, sa parole à sa plume », et de là transporté à Jersey. C’est la fin de sa brève carrière militaire. En 1793, il émigre à Londres où il connaît le dénuement (il vit dans un grenier à Holborn) ; pour survivre, il donne des cours de français, effectue des traductions et travaille à un Essai sur les révolutions . Il y traite de philosophie, religion et politique. C’est une œuvre de jeunesse assez confuse et peu remarquée, toutefois il y développe une idée originale : une vision cyclique de l’histoire. L’homme accomplit des révolutions mais en pure perte : l’humanité tourne dans un cercle, l’histoire est un éternel recommencement. Ce faisant, il s’écarte de la philosophie des Lumières et de sa croyance en un progrès perpétuel. Cet ouvrage le fera remarquer dans le milieu de l’émigration et lui permettra d’améliorer ses conditions de vie. Entre-temps (1794), son frère et sa belle-sœur (petite fille de Malesherbes, avocat de Louis XVI) et leur famille sont arrêtés et guillotinés à Paris). En juillet 1798, il reçoit une lettre de sa sœur qui lui apprend la mort de sa mère qui avait désapprouvé ses impiétés et en avait souffert. Dés lors, il a l’idée d’écrire une apologie du christianisme. Dans la préface du Génie du christianisme, il déclare « J’ai pleuré et j’ai cru » et qu’il se mit au travail « avec l’ardeur d’un fils qui bâtit un mausolée à sa mère ». Conversion sincère ? Certains en doutent mais il reprendra dans toute son œuvre ces idées-là, par exemple, dans Itinéraire de Paris à Jérusalem (il y fait l’apologie des Croisades), dans Les Martyrs qui porte pour sous-titre « Le triomphe de la religion chrétienne » ou ses Etudes historiques. Le christianisme après avoir conquis le monde païen s’opposera aux barbares avant de les convertir tandis que les moines sauveront l’héritage antique : la civilisation chrétienne allait constituer le socle de nos sociétés.

Ralliement à Bonaparte, opposition à Napoléon

En mai 1800, la mort de sa mère et de sa sœur Julie l’incitent à rentrer en France où l’ordre est revenu avec Bonaparte et le coup d’état du 18 Brumaire. Il bénéficie de l’appui du marquis de Fontanes (connu en Angleterre) qui dirige Le Mercure de France auquel il va collaborer avant de le diriger lui-même, et qui est aussi l’amant d’Elisa sœur de Napoléon qui le fait rayer (en 1801) de la liste des émigrés. Chateaubriand fait alors paraître Atala puis René, œuvres empreintes de mélancolie rêveuse, à l’esthétique originale (descriptions de la nature, analyse du “moi”), inspirées par l’amour chaste, violent et passionné qu’il éprouve pour sa sœur aînée Lucile qui l’appelle « l’Enchanteur » (elle vit avec son épouse délaissée à Combourg) et qui annoncent le mouvement romantique ; puis en 1802, en plein retour de la religion, le Génie du christianisme où il démontre que celui-ci est supérieur à ce qu'il considère comme du paganisme par sa pureté et sa morale, et de surcroît est propice à la poésie, l’art et la liberté. Le Premier Consul qui a lu et apprécié l’ouvrage échangera quelques mots avec lui lors de l’unique rencontre entre ces deux génies, et lui attribue, en 1803, un poste de secrétaire d’ambassade à Rome (il s’y rend en compagnie de sa maîtresse qui y mourra de tuberculose peu après, la comtesse Pauline de Beaumont « Il joue du clavecin sur toutes mes fibres » — lui succéderont Delphine de Custine et Natalie de Noailles). Il y prendra des initiatives malencontreuses, si bien que le cardinal Fesch (ambassadeur) exigera son renvoi au bout de six mois; il obtient alors un poste de chargé d’affaires près la République du Valais, mais en mars 1804, il apprend l’exécution du Duc d’Enghien et démissionne. Désormais, il devient un opposant à l’Empire : il est absent de Paris lors du sacre de Napoléon et sa se vouer à sa carrière littéraire. Durant son éloignement (exilé à trois lieux de la capitale), il pense écrire une épopée chrétienne et se rend (1806/07) en Orient (Grèce, Asie Mineure, Palestine, Egypte), revient par l’Afrique du Nord et l’Espagne ; à son retour, il acquiert La Vallée-aux-Loups près de Sceaux (sa femme l’y rejoint… enfin!). Il y écrit Les Martyrs, et d’après ses notes de voyage, Itinéraire de Paris à Jérusalem. En 1809, son cousin germain, agent royaliste, Armand de Chateaubriand est arrêté et fusillé, malgré ses supplications auprès de Napoléon pour le sauver. Il est élu à l’Académie Française (1811) mais l’empereur refuse qu’il prononce son discours et s’oppose à son installation suite à une charge violente parue dans le Mercure de France « Lorsque dans le silence de l’abjection, on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et la voix du délateur; lorsque tout tremble devant le tyran et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît, chargé de la vengeance des peuples. C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’Empire » ; il ne pour- ra y siéger qu’à la Restauration.

La Restauration : de l'ultra-royaliste au libéral

Disgracié, à la chute de l’Empire, il publie un violent pamphlet De Buonaparte et des Bourbons dont il prétend « qu’il aurait autant servi le roi que cent mille hommes ». Durant les Cent-Jours, il sert louis XVIII réfugié à Gand ; sa femme Céleste sera désormais sa conseillère écoutée. A la Restauration, Talleyrand le nomme ambassadeur en Suède d’où il lui adresse son Rapport sur l’état de la France ; en 1815, il est ministre d’état et membre de la Chambre des pairs au sein de l’aile libérale des légitimistes (il vote la mort lors du procès du maréchal Ney ; considéré comme un traître par le roi pour avoir rallié Napoléon), mais est disgracié dès 1816 pour avoir critiqué la dissolution de « la Chambre introuvable » dans La monarchie selon la Charte. Dés lors, il devient un opposant ultra-royaliste, rédacteur au Conservateur. En 1820, il écrit Mémoires sur la vie et la mort du duc de Berry suite à son assassinat, et se rapproche de la cour ; l’année suivante, il est nommé ministre de France à Berlin puis ambassadeur à Londres. En 1822, il représente la France lors du congrès de Vérone où il pousse à l’expédition d’Espagne (pour rétablir Ferdinand VII sur le trône) qui sera couronnée de succès (victoires de Cadix et du Trocadéro-1823). Il devient ministre des Affaires étrangères, il est couvert d’honneurs (décoré par le tsar Alexandre Ier en personne), devient l’amant de la comtesse de Castellane, mais se brouille avec Villèle qui le congédie en juin 1824 « Je n’avais envie de rien ; on crut que je voulais tout ». Dés lors, il soutient le parti libéral et combat durement Villéle à la Chambre des pairs, et dans le Journal des débats défend la liberté de la presse, l’indépendance de la Grèce (comme lord Byron qui y mourra) contre l’Empire ottoman « La chrétienté laissera-t-elle tranquillement égorger des chrétiens ? » ce qui le rend très populaire. A la chute de Villèle, il devient ambassadeur à Rome mais démissionne à l’arrivée de Polignac. Il connaît une dernière passion (1828/29) avec Léontine de Villeneuve, comtesse de Castelbajac âgée de 26 ans « la jeune amie de mes vieux jours ».

Retrait de la vie politique

Après la chute de Charles X et la révolution de 1830, il se retire de la politique (même de la Chambre des pairs). Il demeure fidèle à la branche aînée des Bourbons, mais se montre désabusé sur l’avenir de la monarchie, hostile aux conservateurs (ainsi il prendra la défense des Canuts lyonnais lors de leur révolte), il annonce des temps nouveaux et une ère de liberté. Il critique le gouvernement (De la restauration et de la monarchie élective 1831), et son Mémoire sur la captivité de la duchesse de Berry (1833) lui vaut des poursuites. Il fait paraître ses Etudes historiques, résumé d’histoire universelle où le Christ est mis en exergue et abandonne son projet d’histoire de France. Il poursuit la rédaction (commencée en 1811) de ses Mémoires d’outre-tombe (œuvre unique, à la fois chef-d’œuvre autobiographique et historique, avec des aspects romanesques et poétiques : tout y est fondu avec un art incomparable), destinées à paraître après sa mort (mais ll sera forcé de les vendre avant « J’ai souffert d’avoir hypothéqué ma tombe » et de « mettre l’ouvrage sous presse dès que tintera mon glas » ). Il passe ses dernières années rue du Bac avec sa femme et à l’Abbaye-aux-Bois où il lit des extraits de son œuvre aux proches de Madame de Récamier, (son amie depuis 1817), qui y tient salon recevant l’élite littéraire de son temps. En 1844, à l’instigation de son confesseur l’abbé Seguin, il écrit La vie de Rancé (devenu réformateur rigoureux de La Trappe, après une vie mon- daine au XVIIe ) ; il en profite pour attaquer le pamphlétaire Paul-Louis Courier qui l’avait brocardé. La fin de sa vie est marquée par la disparition de beaucoup de ses amis et la maladie : en 1846, une fracture de la clavicule le laisse à demi paralysé et il ne quitte plus guère son modeste appartement parisien. Février 1847, mort de sa femme Céleste « Je dois une tendre et éternelle reconnaissance à ma femme dont l’attachement a été un touchant service profond et sincère. Elle a rendu ma vie plus grave, plus noble, plus honorable en m’inspirant toujours le respect, sinon toujours la force du devoir »), Mme Récamier devient aveugle, la paralysie le gagne, sa lucidité devient intermittente. Il meurt le 4 juillet 1848 dans sa quatre vingtième année, après avoir eu le temps d’assister à la révolution de 1848 qu’il avait annoncée. Dans son testament rédigé la veille, il avait écrit « Je déclare devant Dieu rétracter tout ce qu’il peut y avoir dans mes écrits de contraire à la foi et aux mœurs et généralement aux principes conservateurs du bien ». Son corps fut ramené à Saint-Malo et repose au Grand-Bé, îlot rocheux face à la mer.

Un catholique romantique

Après la Réforme et les guerres de religion (XVIe ), Bossuet démontra dans son ouvrage Histoire des variations des églises protestantes que le libre examen et l’inspiration individuelle ne pouvaient conduire à la Vérité tandis que Spinoza ruinait toutes les croyances sous prétexte d’examen philologique des textes bibliques. Néanmoins la majorité de la population demeurait catholique fervente. Ce n’est qu’après la mort de Louis XIV que la situation change en France (selon Maurras, au XVIIIe « les lettrés deviennent rois » et leurs écrits accoucheront la révolution). Montesquieu (Lettres persanes) et Voltaire (Lettres anglaises) restent encore modérés quoique ce dernier tourne en ridicule le christianisme et prône l’indifférence en matière religieuse. Ils ne croient plus à la Révélation, au surnaturel et au miracle, mais à une religion naturelle avec un Dieu rémunérateur et vengeur (sorte de déisme). A partir de 1750 avec l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert qui oppose la nature à la foi, la science à la religion et présente celle-ci comme inconciliable avec la philosophie moderne (le matérialisme des Helvétius, d’Holbach, Condillac) les attaques se font plus radicales. Bien sûr, certains tels Frèron, Pompignan, Guénée, le père de Neuville tentèrent de s’y opposer mais ils furent tournés en dérision (voir les calomnies de Voltaire contre Fréron) et discrédités. Quant à Rousseau, il accuse le catholicisme de fanatisme et d’intolérance et recherche des vérités éternelles (La profession du vicaire savoyard) pouvant apporter des certitudes rendant la vie supportable quitte à ignorer bien des choses. Il faut consentir à « l’évidence du cœur » alliant raison et surtout sensibilité. Parallèlement, se développent l’illuminisme et le mysticisme dont le romantisme s’inspirera avec le théosophe Martinés de Pasqually et le « Philosophe inconnu » (de Saint Martin qui aura une unique entrevue avec Chateaubriand en 1803) sans oublier les travaux de Mesmer sur le magnétisme animal (hypnose). En 1789, éclate la Révolution immédiatement anticatholique : confiscation des biens de l’Eglise, constitution civile du clergé et guerre civile (génocide vendéen, religieux massacrés) ; ces persécutions entraînent la résistance des prêtres réfractaires. La République tente de promouvoir une nouvelle religion (culte de la déesse Raison et de l’Être suprême, théophilanthropie) qui sombrera dans le grotesque et le ridicule, et lorsque Bonaparte devient Premier Consul (1799), il comprend qu’il faut pacifier le pays et rétablir l’Eglise. Ce sera le Concordat de 1802, célébré en sa présence, le jour de Pâques, lors d’un Te Deum à Notre-Dame.

Le Génie du christianisme

C’est à ce moment là que paraît le Génie du christianisme qui, répondant aux attentes de l’époque, connaît un franc succès : les femmes du monde se l’arrachent et trouvent « le christianisme délicieux » ! Il va marquer une renaissance du sentiment religieux. Chateaubriand disait, à juste titre, « Je ne suis pas théologien » (ni un mystique) même s’il prétend s’inscrire dans les pas de Pascal et Bossuet. Il dénonce, tout d’abord, les persécutions dont furent victimes les chrétiens à travers l’histoire dues aux « hérétiques, sophistes, et ces hommes en apparence frivoles qui détruisent tout en riant », la dernière catégorie n’étant pas la moins redoutable car insidieuse : ainsi Voltaire rendit l’incrédulité à la mode ce qui aboutit à ce qu’il « fut reconnu que le christianisme n’était qu’un système barbare dont la chute ne pouvait arriver trop tôt pour la liberté des hommes, le progrès des lumières, les douceurs de la vie et l’élégance des arts ». Or, pour Chateaubriand, il faut démontrer au peuple « que de toutes les religions qui ont jamais existé la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres ; que le monde moderne lui doit tout… ». Il étudie les sacrements, les dogmes, la morale, les vices et les vertus, la foi qui « soulève les montagnes » et libère les poids « qui pèsent sur le cœur de l’homme ». Pour lui, la supériorité du Décalogue sur les anciens codes de lois est certaine et la véracité de la Bible ne fait aucun doute. L’homme était une création parfaite, mais survint la chute d’Adam : l’auteur compare celle-ci au drame contemporain « Lorsqu’on a été témoin de notre révolution, lorsqu’on songe que c’est à la vanité du savoir que nous devons presque tous nos malheurs, n’est-on pas tenté de croire que l’homme a été sur le pont de périr à nouveau pour avoir la main, une seconde fois sur le fruit de la science ? ». Il en conclut que les siècles savants ont toujours précédé ceux de destructions. Pour examiner le péché originel et la Rédemption, il s’inspire des Pensées de Pascal : l’homme dans la nature demeure le seul être incomplet, il est depuis les origines à la recherche de l’infini (culte des morts) ; de là, découle le péché originel. La nature est à l’image de Dieu (pour démontrer l’harmonie de celle-ci, Chateaubriand cite les migrations des oiseaux ou des poissons ou l’exemple des castors amassant des provisions pour l’hiver…). La science devrait en explorant les beautés et mystères de l’univers prouver l’existence du Créateur. Il compare, ensuite, les littératures païenne et chrétienne et considère celle-ci d’une plus grande beauté. Surtout elle a donné au monde une morale et une spiritualité supérieures ; elle a su mieux décrypter la profondeur et la subtilité de l’âme humaine. Il n’y pas d’œuvres d’art sans souffle religieux ni de religion sans mystères.

La religion face à la science et la philosophie

Il aborde aussi la science et la philosophie ; à l’en croire, l’Eglise n’a jamais empêché le progrès des connaissances, mais s’est simplement opposé à ses abus et à son pouvoir ; ainsi, déjà l’Antiquité avait rejeté le système d’Aristarque de Samos sur la rotation de la terre. Les sages ne voulaient pas convaincre les foules avec de nouvelles idées car ils pensaient que le savoir devait être réservé à une élite apte à les comprendre et à les maîtriser (Platon «Que les hautes études ne sont pas utiles à tous, mais seulement à un petit nombre…qu’une ignorance absolue n’est ni le mal le plus grand, ni le plus à craindre ; et qu’un amas de connaissances mal digérées est bien pis encore »). Un état digne de ce nom doit éviter la diffusion d’un savoir anarchique (exemple romain : le Sénat, au premier siècle, refusa que la rhétorique fut enseignée en latin afin d’empêcher que des patriciens, présentant le faux comme vrai ou l’injuste comme juste, corrompent la jeunesse) et ne peut admettre que des idées fausses ne se répandent dans la société. Quant aux philosophes, il pense que ceux du XVIIe sont supérieurs à ceux des Lumières « Un homme impartial, qui lira attentivement, s’apercevra bientôt que rien n’a échappé à leur vue, mais que contemplant les objets de plus haut que nous, ils ont dédaigné les routes où nous sommes entrés, et au bout desquelles leur œil perçant avait découvert un abîme ». La science et la philosophie matérialiste ont échoué à répondre aux questions éternelles pour l’homme (« Les biens de la terre, loin de combler nos souhaits, ne font que creuser l’âme et augmenter le vide »). Pour Chateaubriand, les philosophes chrétiens sont insurpassables et les sermons de leurs grandes figures rivalisent avec les orateurs de la Grèce et Rome. Il cite Massillon prédisant les maux qui s’abattront sur une société sans Dieu « Et pour tout dire en un mot, si tout meurt avec nous, les lois sont donc une servitude insensée […], la justice une usurpation sur la liberté des hommes, la loi des mariages, un vain scrupule ; l’honneur et la probité des chimères; les incestes, les parricides, les perfidies noires, des jeux de la nature, et des noms que la politique des législateurs a inventés . Voilà où se réduit la philosophie sublime des impies ; voilà, cette force, cette raison, cette sagesse qu’ils nous vantent éternellement. Convenez de leurs maximes, et l’univers entier retombe dans un affreux chaos ». Notons que tout ceci s’est avéré exact ; les apprentis sorciers ont détruit la religion avec la morale des droits de l’homme et la secte laïque, créant un monde chaotique et cauchemardesque. « On est bien prêt de tout croire quand on ne croit à rien ».

Le rôle de l'Eglise

Après avoir analysé les grandes œuvres, l’auteur étudie le rôle de l’Eglise, l’héritage des ordres monastiques et des missions. Il rappelle que l’Eglise n’a cessé de secourir les misères humaines : maladies, pauvreté, vieillesse, mort, enfermement ; les monastères même au cœur des déserts ou perdus dans les montagnes recueillent les égarés, les cloître étant le refuge des âmes meurtries par le monde extérieur. Même en politique, elle a imposé « la trêve de Dieu » (durant moissons et vendanges) aux peuples barbares. Le Pape intervenait parfois pour désavouer (excommunier même) des rois qui opprimaient leurs peuples, les évêques défendant ceux-ci face aux “grands”. On pourra objecter qu’en jouant un rôle poli- tique l’Eglise a parfois suscité des haines, le fanatisme et la guerre (des religions) : toutefois reconnaissons que le christianisme a adouci les mœurs, et que sans lui le monde a sombré dans une nouvelle barbarie née avec la Révolution de 1789, modèle de tous les totalitarismes du XXe siècle. Chateaubriand conclut son ouvrage par l’évidence que l’Europe est indissociable du christianisme. Quant à l’islam, il l’évoque ainsi : « Tous les germes de la destruction sociale sont dans la religion de Mahomet ».

Œuvre et postérité

Certes cette œuvre apologétique n’a pas bouleversé la philosophie ou la théologie, mais son auteur s’adressait au public cultivé afin de l’arracher aux idées répandues par les philosophes des Lumières . Ce qui paraît sûr c’est que la mort de Dieu, loin de libérer l’homme, l’a précipité dans de nouveaux esclavages : ainsi « les Français vont indistinctement au pouvoir, ils n’aiment point la liberté, l’égalité seule est leur idole ». Le Génie du christianisme connut un succès considérable, mais Sainte-Beuve, Taine ou Renan en firent de vives critiques le jugeant insuffisant ; certains mirent en doute la sincérité de sa conversion… Par contre, il enthousiasma le jeune Félicité de Lamennais qui plus tard dira de l’auteur « Il est à lui tout seul toute une comédie ». On trouve chez Chateaubriand une propension au rêve, au mystère et à la fascination de la mort, à l’emphase, la grandeur mélancolique, l’expression de la souffrance indicible, le désenchantement (image du « beau ténébreux »), la soif d’exotisme (goût du voyage), tout ce qui annonce le romantisme : le « vague des passions », le « mal du siècle », le spleen (Baudelaire). Il fut un esprit rebelle au souverain (« J’ai en moi une impossibilité d’obéir… Le plus grand malheur des hommes c’est d’avoir des lois et un gouvernement. Tout gouvernement est un mal, tout gouvernement est un joug »), à moins d’être son mentor (Louis XVIII dira « Qu’il est grand quant il ne se met pas devant lui » !), assoiffé d’honneurs (ministre, ambassadeur, pair de France), mais souvent désargenté, célébré comme le premier écrivain de son temps, sans que son appétit de gloire soit jamais satisfait (Talleyrand « Chateaubriand se croit sourd depuis qu’il n’entend plus parler de sa gloire ») car il rêvait d’une grande carrière politique qui couronnerait son talent. Magnifique prosateur (« La terre n’est que la cendre des morts pétrie des larmes des vivants » ou sur la mort de Napoléon « Il rend à Dieu le plus puissant souffle de vie qui jamais anima l’argile humaine »), polémiste étincelant, historien remarquable, un être orgueilleux (« On transmet son sang, pas son génie » ; selon la comtesse de Boigne « Il se créait des obstacles pour avoir l’amusement de les franchir »), méprisant (« Il y a des temps où l’on doit dépenser le mépris qu’avec économie, à cause du grand nombre de nécessiteux »), susceptible, séducteur aimé des femmes plus qu’il ne les aimait, pilier de la foi, contraint, peut-être, d’assumer celle-ci peu ardente (Lamartine « C’était un génie, mais c’était aussi un rôle plus qu’un homme. Il lui fallait plusieurs costumes devant la postérité »). Victor Hugo, jeune, avait déclaré : « Je veux être Chateaubriand ou rien », il louera son immense talent mais avouera plus tard, « c’était la personnification de l’égoïsme, un homme sans amour de l’humanité, une nature odieuse ». Pour De Gaulle qui l’admirait (il rêvait que ses propres Mémoires en fassent son égal !) « c’était un désespéré, on le comprend, il avait prévu l’avenir ».Il est certain que « l’enchanteur » était pétri de contradictions: traditionaliste et moderne, conservateur et libéral, il incarne tous les courants de pensée de la société du XIXe.

Chateaubriand se définit comme « Démocrate par nature, aristocrate par mœurs, je ferai très volontiers l’abandon de ma fortune et de ma vie au peuple, pourvu que je n’eusse peu de rapports avec la foule » ou encore « Quant à moi, qui suis républicain par nature, monarchiste par raison, et bourbonien par honneur, je me serais beaucoup mieux arrangé d’une démocratie, si je n’avais pu conserver la monarchie légitime, que de la monarchie bâtarde octroyée de je sais qui ». Il était sans illusion sur l’aristocratie « elle a trois âges successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges, l’âge des vanités ; sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier ». Ces constats rendaient Maurras très critique à son égard : « oiseau rapace et solitaire… au contraire de Joseph de Maistre et Louis de Bonald, ce qu’il voulait c’était les idées de la révolution sans les hommes et les choses de la révolution ».

Œuvres

Bibliographie

  • Ghislain de Diesbach, Chateaubriand, Perrin, 1995.
  • André Maurois, René ou la vie de Chateaubriand, Grasset, 1938 (rééd . 2005).
  • Jean d’Ormesson, Mon dernier rêve sera pour vous. Une biographie sentimentale de Chateaubriand, J.C. Lattès, 1982.
  • George Painter, Chateaubriand — Une biographie, 2 vol., Gallimard, 1979.
  • Marc Fumaroli, Chateaubriand — Poésie et terreur, Ed. de Fallois, 2003.
  • Robert Spieler, « Chateaubriand, un penseur politique méconnu », Rivarol, no 3408-20/1/2020.

Sources

  • Bernard de Massanes, « François-René de Chateaubriand : un catholique romantique », Rivarol, no 3455, 20 janvier 2021.

Cité dans

  • Robert Steuckers, La Révolution conservatrice allemande - Biographies de ses principaux acteurs et textes choisis, tome I, éditions du Lore, 2014, 348 p.