Pierre Clémenti

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François-Antoine Clémenti, dit Pierre Clémenti, né le 28 mai 1910 et décédé le 16 avril 1982 à Paris, était un journaliste et un militant politique français.

Venu d'un milieu ouvrier, il milite d'abord dans l'aile la plus à gauche du Parti radical. Il est ensuite séduit par la vague du fascisme européen et fonde un Parti français national-communiste (PFNC) qui, malgré son nom, sera plus proche des idéaux de la contre-révolution que de ceux d'un socialisme national. Il jouera un rôle mineur dans la Collaboration mais participera à la création de la Légion des volontaires français contre le bolchévisme.

Biographie

Une jeunesse difficile

Issu d’une famille corse, François-Antoine Clémenti naît le 28 mai 1910 à Paris, où son père est un modeste facteur de la Poste. Ce père, il n’aura guère le temps de bien le connaître, puisqu’il mourra au front durant la Grande Guerre, en 1915, lorsque son fils aura cinq ans. Ce tragique événement a des conséquences pécuniaires pénibles : malgré l’octroi d’une modeste pension de veuve de guerre, sa mère subvient difficilement à leurs besoins. Après l’école primaire, François-Antoine doit travailler. Il n’aurait d’ailleurs pas pu effectuer d’études secondaires : elles étaient très coûteuses à l’époque, et les résultats scolaires de Jacques-Antoine ne lui permettaient pas l’obtention d’une bourse. Le jeune garçon deviendra donc successivement ouvrier métallurgiste, puis employé de banque. Le premier de ces deux métiers l’épuise (il n’a pas la carrure d’un Jacques Doriot, ni l’esprit de camaraderie ouvrière des “métallos”) ; le second le rebute par son aspect inintéressant et sa monotonie.

Une double vocation, journalistique et politique

François-Antoine cherche un métier ouvert sur le monde, sur le cours de choses, sur la vie. Pour cela, le journalisme lui semble l’activité idéale. Ce métier permet à celui qui l’exerce de s’intéresser aux sujets les plus variés, et d’échapper aussi bien à la servitude d’un travail manuel en entreprise (ou aux champs) qu’à la routine d’une tâche d’employé (ou même de cadre) de bureau. Le journaliste n’est pas soumis à des horaires d’activité précis et immuables, il ne fait pas toujours la même chose, n’est pas confiné dans son bureau, rencontre des gens très différents les uns des autres, et prend donc la vie à pleins poumons. Mais comment y entrer ? François-Antoine va jouer de ses relations politiques. Sa famille, et surtout l’école primaire ferryste, lui ont instillé de très solides convictions républicaines. Par ailleurs, sa modeste origine, sa jeunesse difficile, le rendent exigeant en matière de justice sociale. La combinaison de ces deux influences entraîne François-Antoine en direction du parti radical, parti fondateur de la République, et, plus, précisément vers son aile gauche, hardiment réformatrice et socialisante, représentée alors par Jacques Kayser, Pierre Cot, Gaston Bergery, et les « Jeunes Turcs » que sont Jean Zay et Pierre Mendès France. Il noue des relations avec ce milieu, qui représente alors l’espoir d’une rénovation profonde et prometteuse du parti radical. Grâce à ces relations, il réussit à entrer au journal radical La République, dont Jacques Kayser est le rédacteur en chef. Il y travaille à la rubrique des sports, ce qui n’est pas pour lui déplaire, au contraire, puisqu’il est lui-même un sportif accompli. C’est à ce moment que François-Antoine abandonne son véritable prénom, qui lui déplaît, pour celui de Pierre, qu’il juge plus seyant. Toutefois, cette nouvelle situation ne le comble pas, car il se passionne pour la politique. Mieux encore : il voudrait désormais faire de la politique. Mais pas au parti radical.

Pourquoi ? Plusieurs éléments ont éloigné Clémenti du radicalisme. Tout d’abord des questions relatives à son origine sociale. En ce temps-là, pour percer en politique, il faut soit être fils de famille, grand bourgeois, cossu, comme Joseph Caillaux ou Camille Chautemps, notabilités radicales, ou André Tardieu, Paul Reynaud et Pierre-Étienne Flandin, hommes de droite, soit être un produit de la « méritocratie républicaine », un brillant sujet d’humble naissance, formé, élevé et adoubé par l’Université, hautement diplômé, comme ceux que l’on appellera plus tard « les deux Édouard » (Herriot et Daladier), autres étoiles du parti de Clemenceau et Pelletan. Pierre Clémenti, lui, n’a ni naissance ou fortune, ni titres universitaires, et il n’est qu’un journaliste sans prestige. Une carrière intéressante au sein du parti radical ou de la droite républicaine parlementaire lui est donc fermée.

Naissance d'un fasciste

De plus, le parti radical l’a déçu. Il n’est plus qu’un vieux parti rassis, dirigé par des parlementaires conservateurs, misonéistes et peu en phase avec l’évolution générale du monde. Les « Jeunes Turcs » ont échoué à le renouveler, et certains notables du parti, tels Gaston Bergery ou Gabriel Cudenet, ont été amenés à le quitter et à tenter de faire prévaloir leurs idées réformatrices dans des formations dissidentes. Enfin, Clémenti arrive à l’âge d’homme au moment où la mouvance fasciste, en France et dans toute l’Europe, s’affirme, se développe, grandit irrésistiblement et parvient au pouvoir en Allemagne, après l’Italie, et inspire les gouvernements autoritaires portugais, autrichien, hongrois, polonais, baltes, et divers partis nationalistes en Espagne, en Belgique, en Yougoslavie, en Grèce et ailleurs. Clémenti subit, comme beaucoup d’autres, l’ascendant enivrant de cette vague fasciste déferlante. Et il la subit encore davantage après l’émeute insurrectionnelle du 6 février 1934. C’est donc dans cette mouvance qu’il va se situer lors de son entrée en politique. Il voit, en effet, dans le fascisme, le seul avenir souhaitable, le régime qui conciliera patriotisme et justice sociale grâce à l’avènement d’un État fort et une organisation dirigiste de l’économie. Cette opinion est fréquente durant les années 1930, dans les milieux politiques, nationalistes surtout, et intellectuels, et pas seulement en France, loin de là.

Le Parti français national-communiste (PFNC)

Sur cette conviction, Pierre Clémenti fonde, le 7 avril 1934, deux mois après l’émeute du 6 février, une nouvelle formation politique, le Parti français national-communiste (PFNC). Il est secondé par deux lieutenants entreprenants et capables: Maurice Maurer et Mathieu Degeilh. Et il se dote d’un journal hebdomadaire, Le Pays libre, en 1936. Il donne également un logo à son parti : un cercle à fond rouge en lequel s’inscrit un losange blanc à l’intérieur duquel quatre flèches épaisses bleu foncé disposées en croix convergent vers les lettres PFNC, situées au centre de l’image. « Parti français national-communiste » : cette dénomination surprend de prime abord. Car si, entre les deux guerres mondiales, en France comme ailleurs, bien des militants, des hommes politiques et des intellectuels rêvent d’une conciliation fasciste (ou fascisante) du nationalisme et du socialisme, équidistante du capitalisme libéral sans frein et du marxisme, aucun, en revanche ne se proclame « communiste », même en y adjoignant l’adjectif « national », et tous voient dans le communisme, incarné alors par l’URSS, un ennemi à combattre résolument, plus encore que la démocratie parlementaire aux mains des milieux d’affaires. Mussolini et Hitler proclament en permanence, sur le plus véhément des tons, leur anticommunisme viscéral, persécutent les communistes de leur pays plus encore que leurs autres opposants, taxent volontiers ces derniers de « communisme » lors même qu’ils ne le sont pas. Et leurs émules étrangers les suivent rigoureusement sur ce point.

En France, le Parti franciste français (PFF) se présente comme on ne peut plus hostile au marxisme, et son chef, Marcel Bucard affiche sa foi catholique et revendique un nationalisme traditionaliste plutôt conservateur, malgré sa prétention à assurer une certaine justice sociale et une participation des travailleurs aux fruits de l’activité économique grâce à la création d’un système corporatiste. En 1936, Jacques Doriot justifiera la fondation de son Parti populaire français (PPF) par la nécessité de lutter efficacement contre la parti communiste (dont il fut l’un des dirigeants). Quant aux Croix de Feu de François de La Rocque ou aux Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger, couramment assimilés par l’opinion publique au fascisme en raison de leur hostilité au parlementarisme et de leurs orientations autoritaires, ils combattent résolument toute espèce de socialisme. Seuls Clémenti et ses proches se proclament « nationaux » en même temps que « communistes ». Existerait-il donc une spécificité du parti de Clémenti ?

Une conception traditionaliste et médiévale du communisme

Pour répondre à cette question, il convient d’étudier l’idéologie propre de ce mouvement. Cet examen révèle que Pierre Clémenti n’entend nullement, au contraire de ce que laisse croire la dénomination de son parti, accorder le communisme, tel qu’il se présente à l’époque, avec le nationalisme, et qu’en réalité, il donne au mot « communisme » un sens bien différent de son acception courante, et des images et idéaux révolutionnaires et égalitaires qu’il évoque.

Pierre Clémenti a exposé ses conceptions politiques dans les nombreux articles de son hebdomadaire, Le Pays libre, et dans un livre intitulé initialement Qu’est-ce que le national-communisme (1938), devenu quelques années plus tard Qu’est-ce que le national-collectivisme ? Une lecture attentive de ces textes montre que, malgré la revendication apparente de “communiste”, Pierre Clémenti se situe dans la plus parfaite tradition nationaliste française. L’adjonction du mot “communiste” à celui de « national » n’implique absolument pas, pour Clémenti, un idéal, une tendance, ou même une simple sympathie révolutionnaire. Rien ne serait plus faux que de voir en Clémenti un révolutionnaire nationaliste. Le communisme, selon Clémenti, n’est pas marxiste, loin de là. Ce que Clémenti place sous ce vocable, c’est tout simplement un projet visant à reconstituer la communauté sociale organique et spirituelle qui fut celle de la France et de l’Europe toute entière au Moyen Âge, unie par la foi chrétienne et gouvernée par un roi de droit divin. Une telle communauté était l’état naturel des nations et des sociétés européennes lors de leur constitution sur les ruines de l’Empire romain, et il subsista jusqu’à la Renaissance, avant de se décomposer tout au long des Temps Modernes, non sans laisser dans l’âme des peuples une empreinte profonde. Voilà pourquoi Germain Chérounaud, un militant du PFNC, écrit en un article intitulé “Communisme”, dans Le Pays Libre du 20 juin 1937, que « le communisme est vieux comme le monde », et s’emploie à démontrer que les marxistes et autres socialistes n’ont pas un titre de propriété incontestable et exclusif sur ce terme, dont ils font un emploi abusif et trompeur visant à mystifier la population et à usurper le rôle de défenseur de la justice sociale, lequel est, en réalité celui de l’ancienne société communautaire, de la monarchie d’Ancien Régime et de l’Église catholique. Il convient alors d’expliquer les raisons de la disparition de cet ordre social communautaire. À ce sujet, Clémenti donne une explication qui est celle de toute la pensée contre-révolutionnaire. À partir de la Renaissance, tout l’ordre politique et social européen a connu une involution caractérisée par la prééminence de l’esprit critique, et, conséquemment, la contestation de plus en plus ouverte du pouvoir monarchique et de la société d’ordres, la montée de l’individualisme, l’esprit de révolte, et la prévalence des intérêts de classe, matérialistes par nature, sur le sens de l’honneur et le respect de la morale chrétienne et de la tradition.

Les conséquences funestes de la Révolution française

À l’œuvre dans tout le continent européen, cette lente désagrégation s’est manifestée avec éclat et a été amplifiée par la Révolution française. Cette dernière a jeté bas la monarchie, a dissocié la politique de la religion, a prétendu fonder le pouvoir et toutes les institutions sur la seule raison, a détruit la société d’ordres de l’Ancien Régime, a institué un face-à-face permanent entre l’individu et l’Etat, a aboli les cadres corporatifs qui encadraient et régissaient l’activité économique et l’exercice des métiers, les remplaçant par le libéralisme sans frein, a ainsi créé une société matérialiste de classes dominée par la bourgeoisie, a opposé les travailleurs et leurs employeurs, et engendré ainsi la question sociale, laquelle a attisé l’esprit de révolte, relancé l’idéal révolutionnaire et accouché des idéaux utopiques du socialisme. Toutes ces critiques acerbes des conséquences de la Révolution française, Clémenti les expose dans son livre Qu’est-ce que le national-communisme, déjà cité, et ses articles de son journal, Le Pays libre. Ses fidèles en font tout autant. L’un d’eux, Georges Batault, fustige la prétendue liberté qu’a proclamée la Révolution et dont la République a fait le premier terme de sa devise, en la présentant comme « la liberté de la misère », « la liberté pour la presse vénale » et « pour le politicien démagogue »[1]. Selon Clémenti et ses proches, la Révolution a transformé les Français en individualistes égoïstes, matérialistes, aigris, sourdement révoltés, et hantés par l’esprit révolutionnaire. Elle les a pervertis. Georges Batault l’accuse d’avoir institué « l’individualisme obligatoire pour tous »[2]. Depuis la Révolution française, les hommes sont perpétuellement opposés à l’État et en révolte ouverte ou latente contre leur gouvernement, et ils ont connu deux coups d’État (ceux des deux Bonaparte) et trois révolutions, avant de vivre sous une IIIe République parlementaire dirigée par des incapables, et aux mains d’une bourgeoisie soucieuse de la défense de ses seuls intérêts. L’opposition haineuse et mortelle entre le prolétariat et les patrons perdure, sans solution possible, et les Français sont mutuellement ennemis. Chacun d’eux rêve d’enrichissement personnel et d’élévation sociale au détriment des autres, et les hommes sont toujours mutuellement rivaux. La Révolution française, elle-même inspirée par tout le mouvement rationaliste, individualiste et libéral de la Renaissance, puis des siècles postérieurs, notamment le XVIIIe, a engendré une société matérialiste fondée sur la lutte des classes.

Le caractère délétère de la luttes des classes

Clémenti et ses fidèles ne récusent nullement ce vocable si typique de la phraséologie marxiste. Mais, alors que les marxistes voient en la lutte des classes, le moteur de l’évolution historique de toutes les sociétés depuis l’aube des temps, eux la considèrent comme la conséquence funeste de la dégénérescence de la civilisation européenne depuis la Renaissance, accentuée et poussée à son paroxysme en France depuis le siècle des “Lumières” et la Révolution. Suivant la conception marxiste de l’histoire, la lutte des classes, étendue au monde entier, doit se terminer par le « Grand Soir » qui verra le triomphe définitif du prolétariat sur la bourgeoisie et l’instauration d’une société socialiste universelle. Pour Clémenti et son parti, elle est un poison instillé dans le corps de la nation par l’avènement de la société de classes lentement apparu, depuis la Renaissance, du fait de l’emprise du rationalisme sur les esprits et de la décadence progressive de la civilisation qui s’en est suivie. Il écrit :

« La lutte des classes est obligatoire dans le cadre du libéralisme. Le chômage aussi. Ce sont les résultats des réflexes du producteur en proie à la concurrence. Or le chômage est une ignominie et la lutte des classes devient un crime contre la Patrie. Il faut donc remplacer le libéralisme, et supprimer la raison d’être de l’agitateur »[3].

Pour la restauration d'un Ordre politique et social communautaire

Il importe donc non de la pousser jusqu’à son terme, mais, au contraire, d’enrayer son développement complet. Clémenti préconise donc non une révolution qui se présenterait à la fois comme nationaliste et communiste, telle que l’imaginèrent, au début des années 1920, certains caciques du fascisme italien comme Giuseppe Bottai, Roberto Farinacci ou Dino Grandi, alors volontiers socialistes, ou, en Allemagne, Ernst Röhm et son état-major SA, mais l’instauration d’un régime politique visant à refonder la société française sur des institutions propres à introduire au sein de la société en général et de l’organisation économique du pays une forme de solidarité et d’esprit communautaire empreinte d’une morale religieuse entée sur le sentiment de l’appartenance à la nation et des devoirs que cette conscience impose.

Clémenti propose donc une éducation nouvelle de la jeunesse, non plus rationaliste et exclusivement laïque, mais spiritualiste, morale, altruiste et patriotique. Cette éducation recréera l’unité de la nation et mettra un terme à l’obsédant et délétère esprit de lutte de classes et de révolte ainsi qu’à l’individualisme et à l’égoïsme de classe de la bourgeoisie. Et cette unité retrouvée assurera l’efficacité, le plein succès de l’économie dirigée et du système corporatif que Clémenti entend instaurer en remplacement du libéralisme capitaliste pur et simple. Sans elle, le corporatisme, dépourvu d’idéal, restera une mécanique économique et sociale impuissante à abolir, dans l’esprit des financiers, celui des chefs d’entreprises et celui des travailleurs, l’emprise du capitalisme libéral, avec ses conséquences nocives. Il ne sera qu’un moyen d’encadrer et de brider les salariés au profit des employeurs. Le corporatisme sans la morale, transmise par une institution scolaire rénovée (et rompant avec l’école ferryste) est impuissant et se tourne contre le travailleur. Cela dit, il est indispensable car la morale seule, même bien inculquée à tous les Français par l’École, est également impuissante. Comme l’écrit Clémenti, dans ses articles et son livre, le capitalisme libéral pur ne permet pas à un patron d’appliquer la loi morale de solidarité organique, car il est pris dans un perpétuel tourbillon concurrentiel qui le mènerait à la faillite s’il le faisait. La vie économique du pays doit donc être rigoureusement dirigée, orientée et organisée ; et les relations entre employeurs et salariés doivent faire l’objet d’une législation juste (en même temps que raisonnable) et d’un strict encadrement corporatif excluant les abus patronaux, le chômage, mais aussi la pression de la grève, laquelle s’apparente à une forme de chantage et nuit à l’économie.

L'allince objective des capitalistes libéraux et des révolutionnaires communistes

On peut être choqué par une telle conception corporative de l’organisation économique du pays, en particulier par l’interdiction de la grève. Mais il faut avoir à l’esprit que Clémenti, en contrepartie, interdit le licenciement abusif et le lock-out, et entend abolir le chômage en assurant, grâce à l’organisation corporative de l’économie, un emploi décent à tout travailleur. D’autre part, il faut comprendre que, selon Clémenti, les conflits de classes sont un mal absolu à supprimer, dans l’intérêt des travailleurs comme dans celui de la nation, et que la lutte des classes, avec son cortège de grèves, de manifestations, d’émeutes et de révolutions, s’apparente à une machine infernale qui fonctionne au profit des capitalistes, des patrons rapaces et des révolutionnaires de vocation. Clémenti insiste à qui mieux mieux sur ce point : la lutte des classes est le bien commun indispensable des capitalistes et de leurs adversaires marxistes. Aux yeux des premiers, la lutte de classes présente le double et précieux avantage de rendre impossible la reconstitution d’une société communautaire, et d’opposer mutuellement les citoyens au lieu de les unir dans un front commun contre eux. Quant aux seconds, ils font de cette lutte leur cheval de bataille, et, grâce à elle, attisent constamment l’esprit de révolte et de revendication des salariés, entretiennent chez eux l’idéal révolutionnaire et les maintiennent dans l’illusion d’un « grand soir » qui verra l’édification d’une société égalitaire. Les conservateurs libéraux défenseurs et bénéficiaires du capitalisme et les révolutionnaires marxistes ont en commun de se situer dans la continuité de l’œuvre de la Révolution française. Les uns comme les autres, quoique mutuellement adversaires, s’accordent implicitement (des marxistes parleraient d’« alliance objective ») pour diviser la nation en camps ennemis, travailleurs contre patrons, gauche contre droite, au bénéfice de leurs intérêts particuliers : la défense de la propriété et des grosses fortunes pour les premiers, leur mainmise sur les salariés pour les autres. Telle est la vision de la situation politique et sociale développée par Pierre Clémenti et ses fidèles[4]. Eux, au contraire, veulent rompre avec ce legs de la Révolution. Ils se situent donc clairement, sans équivoque, dans le camp de la tradition contre-révolutionnaire.

L'antisémitisme caractérisé de l'idéologie nationale-communiste

Clémenti n’était pas un intellectuel, à moins dire. Sa doctrine politique, si on peut l’appeler ainsi, se présente comme un simple condensé approximatif de toute cette tradition contre-révolutionnaire. Sa vision du catholicisme, de la monarchie d’Ancien Régime, et de la société communautaire organique du Moyen Âge ne manque pas de ferveur, mais reste très superficielle. Son projet d’une économie dirigée et corporatiste se révèle sommaire. Sa conception du communisme n’a aucune profondeur et ne procède d’aucune analyse sérieuse. En revanche, l’antisémitisme, certes très courant à son époque, est central dans la pensée de Clémenti. Selon lui, les Juifs sont la cause de la lente dégénérescence de la communauté organique médiévale, qui, selon lui, se serait produite depuis la Renaissance jusqu’à la Révolution française. Cette décadence est due, selon lui, à l’influence destructrice des Juifs, lesquels auraient, de toutes les manières possibles, perverti les sociétés européennes en leur insufflant leur représentation universaliste du monde, au mépris de l’attachement à la terre natale et aux patries, l’idée d’égalité absolue des hommes, l’esprit critique le plus débridé, l’égoïsme individuel, l’égoïsme de classe, l’esprit de lucre, la cupidité, et une orientation matérialiste et mercantile de l’économie et de la société elle-même. La lente décomposition des sociétés organiques européennes, depuis la Renaissance jusqu’à la Révolution française, procéderait d’un “enjuivement” progressif des esprits. Clémenti et ses proches établissent un lien très fort entre le rationalisme philosophique et moral des XVIIe et XVIIIe siècles, de tendance critique, libérale et laïque, la franc-maçonnerie et l’influence morale des Juifs. Ces derniers, à leurs yeux, privés de patrie et exilés et dispersés dans tous les pays du monde, ne peuvent éprouver d’attachement patriotique dans les nations où ils sont installés, et, en conséquence, ils tendent tout naturellement à l’internationalisme (comme les capitalistes et les marxistes) et à l’universalisme (comme les philosophes rationalistes des XVIIe et XVIIIe siècles et les francs-maçons). Et, n’étant pas attachés à une terre ancestrale, restant des étrangers au sein des nations les accueillant, ils ont forcément une conception mercantile et affairiste de l’économie, qu’ils conçoivent comme transnationale, financière et commerciale. Ils sont ainsi à l’origine du capitalisme financier et boursier sans frontières, d’une société dominée par une bourgeoisie d’affaires soucieuse de ses seuls intérêts, et du marxisme (créé par un des leurs), internationaliste et universaliste lui aussi. Le capitalisme mondial et apatride moderne et le marxisme sont les deux faces du même univers lentement édifié sous l’influence des Juifs, et qui mène les nations et la civilisation européennes à leur perte.

Ainsi, Clémenti et ses partisans désignent, après et en même temps que d’innombrables autres, les Juifs comme la cause unique ou principale de la décadence de la France, des nations européennes et de la civilisation occidentale, chrétienne, donnant ainsi dans l’antisémitisme le plus assumé et le plus radical. Et il faut bien admettre qu’il s’agit là d’un des aspects les plus caractéristiques de leur pensée politique. Dans leur hebdomadaire, Le Pays libre, ils multiplient ainsi, de 1936 à 1939, les articles antisémites[5]. Et ils tirent de leur représentation des Juifs, le projet de mesures sans concession. Ils réclament l’exclusion des Juifs de la nationalité française, et l’organisation de leur installation sur un territoire étranger à définir.

L'échec de Clémenti et du PFNC

Le PFNC ne parviendra toutefois pas à s’imposer sur la scène politique. Ses effectifs ne dépasseront jamais 1000 adhérents. Au sein de la droite nationale, il subit la concurrence des Croix de Feu, du PFF, puis du PPF de Doriot. Dès 1936, les deux lieutenants de Clémenti, Maurer et Degueilh, le quittent pour rejoindre le PFF de Bucard. Il a quelques bailleurs de fonds qui permettent à son journal de tenir malgré de très faibles tirages, mais il n’est pas abordé, comme d’autres, par l’Italie et l’Allemagne, avec lesquelles il a peu de contacts. Pro-allemand, anglophobe, munichois, Clémenti réprouve la volonté du gouvernement français d’ouvrir les hostilités contre le Reich national-socialiste, ce qui l’amène à diffuser un tract pacifiste intitulé La guerre ? Pourquoi ?, qui lui vaut 92 jours de prison en 1939. Néanmoins, il est assez patriote pour combattre avec un grand courage sur le front de la Loire en juin 1940[6]. Immédiatement après, il approuve l’armistice et se rallie au régime de Vichy, qui répond globalement à ses idées. Il juge ainsi la défaite : « Ce n’est pas la France qui a été battue, mais la bande de salauds, de juifs et de capitalistes qui la dirigeaient ».

Il relance son parti dès juillet 1940, et obtient l’autorisation des Allemands de le faire revivre, moyennant un petit changement de dénomination : il doit remplacer l’adjectif « communiste » par celui de « collectiviste ». Le PFNC devient alors le Parti français national-collectiviste. Comme Bucard, Clémenti va occuper, de 1940 à 1944, une position intermédiaire entre Vichy et la mouvance collaborationniste et fasciste de Paris. Son idéologie, nous venons de le voir, le tire du côté de Pétain et des milieux traditionalistes et contre-révolutionnaires qui l’entourent. Mais il est partisan d’un régime de type fasciste et pense que la politique de collaboration avec l’Allemagne incitera celle-ci à l’indulgence et permettra à la France de se hisser à un niveau honorable au sein de l’Europe nouvelle. Mais Vichy ne fait pas grand cas de lui. Et, au sein du monde de la Collaboration, lui et son PFNC font piètre figure face à ces colosses que sont le PPF de Doriot et le RNP de Déat. Et d’ailleurs, même des petites formations comme le PFF de Bucard ou le MSR de Deloncle ont plus de poids que lui.

Aux premiers jours de l’Occupation, Clémenti semble pouvoir cependant caresser l’espoir de voir grossir ses effectifs. Il rencontre, en effet, Robert Hersant, alors âgé de 20 ans, qui vient de fonder le Jeune Front, fasciste et pro-allemand. Négociant avec lui, il le persuade de faire du Jeune Front le mouvement de jeunesse du PFNC[7]. Cette initiative lui attire la sollicitude des Allemands, lui permet d’installer son parti dans le local du Jeune Front, au 26 avenue des Champs-Élysées, et accroît sa notoriété : ainsi il prend la parole dans une grande réunion publique, aux côtés de Charles Lefèvre, chef des Gardes Françaises, et de l’antisémite Robert-Henri Petit. Mais il reste un acteur secondaire de la Collaboration. D’abord associé au projet de parti unique, voulu par Déat, il prend ses distances d’avec lui car il lui paraît évident qu’il ne jouera pas un grand rôle au sein de la nouvelle formation, si celle-ci voit le jour. Aussi le PFNC ne comptera-t-il pas parmi les groupes constitutifs du Front révolutionnaire national (FNR), fondé le 28 février 1943.

Clémenti cherche à affirmer son existence en participant au lancement de la Légion des Volontaires français contre la bolchevisme, le 8 juillet 1941. Lui-même va combattre aux côtés des Allemands sur le front russe. Malgré son ardeur au combat, il restera simple aspirant et ne deviendra donc pas officier. Malade, il sera même rapatrié en 1943.

À cette date, le PNFC ne représente plus rien au sein de la mouvance collaborationniste. Quand arrive la Libération, Clémenti se réfugie en Allemagne, puis en Italie. Condamné à mort par contumace en 1948, il revient pour être à nouveau jugé en 1953, mais il bénéficie aussitôt de l’amnistie décidée cette année pour les faits de Collaboration.

Un militant actif des formations de Droite radicale d'après-guerre

Contrairement aux autres chefs collaborationnistes survivants, Pierre Clémenti est alors encore jeune. Trop jeune, en tout cas pour se retirer discrètement. Il publie un livre, La Troisième Paix (1949), en lequel il préconise une réconciliation des anciens collaborateurs et des anciens résistants de droite et du centre et une action politique commune contre le communisme qu’il considère, non sans raison, comme le grand péril menaçant alors le sous-continent européen, tous les pays d’Europe centrale et orientale venant alors de devenir des « républiques populaires » marxistes téléguidées par Moscou.

Ses convictions « fascistes » sont demeurées intactes. Mais, désormais, il se place sur un plan européen plus que national. Il adhère alors au Nouvel ordre européen (NOE), organisation européenne qui œuvre en faveur d’une union confédérale des pays de l’Europe de l’Ouest, animée par le même idéal de défense de la civilisation occidentale. Il devient alors le chef de la section française du NOE. L’échec de cette organisation l’amène à adhérer au Rassemblement européen de la liberté (REL), fondé en novembre 1966 et animé par Dominique Venner, qui connaîtra le même insuccès et disparaîtra dès 1969.

Alors, Clémenti adhère à Ordre nouveau, qui sera dissout en 1973. En 1975 il adhère dès sa fondation à la Réconciliation française et européenne (R.F.E.), une structure qui se voulait un organe de réflexion et de coordination en vue d’« une nouvelle tentative de regroupement des Droites », pour sortir du fractionnement qui se créait alors, entre le Parti des forces nouvelles et le Front national principalement.

La mort le saisit brutalement à son domicile parisien le 16 avril 1982, quelques jours avant sa participation prévue à l’émission Droit de réponse de Michel Polac.

Les raisons d'un échec

Pierre Clémenti n’aura sans doute pas été une figure marquante de la droite nationale française. Les historiens n’ont d’ailleurs pas fait grand cas de lui. Pourtant, son profil n’est pas dénué d’intérêt. Semblable à Marcel Bucard, il apparaît comme un fasciste d’un type assez singulier dans la mesure où, au lieu de faire de son projet politique une révolution nationale conçue telle une synthèse des aspirations socialistes et égalitaires et d’un nationalisme étayé sur une société hiérarchisée dirigée par des élites nouvelles (recrutées suivant le critère de leur aptitude à l’action et sur la foi patriotique), il en fit une resucée de la vieille tradition contre-révolutionnaire hostile par principe à tout socialisme et à tout esprit révolutionnaire, et ce malgré la présence de l’adjectif “communiste”, puis collectiviste”, dans la dénomination de son parti. Cette caractéristique le rendait peu compréhensible, et peu attractif dans une France contemporaine profondément modelée par la Révolution. Cela explique probablement son destin[8].

Publications

  • Qu’est-ce que le national-communisme ?, 1938
  • Qu’est-ce que le national collectivisme ?, 1940
  • La Troisième Paix, 1949

Notes et références

  1. « Principes nationaux-communistes », Le Pays libre, 20 mars 1937.
  2. Ibidem
  3. Revue hebdomadaire, année 46, volume 3, mars 1937, p. 491.
  4. Cf. notamment, Germain Cherounaud, « Poisons de l’économie », Le Pays libre, 20 avril 1937.
  5. Cf. notamment, entre beaucoup d’autres, l’article de Georges Batault, « Antisémitisme et national-communisme ».
  6. Cette attitude lui vaudra d’ailleurs une citation militaire.
  7. Toutefois, dès septembre, Clémenti parvient à faire remplacer, à la tête du Jeune Front, Hersant, dont il redoute l’indépendance, par Jean-Marie Balestre, futur dirigeant de la Fédération internationale du Sport automobile.
  8. Texte en grande partie repris de l'article : Paul-André Delorme, « Pierre Clémenti, une conception contre-révolutionnaire du communisme », Rivarol, no 3554, 22.02.2023, p. 15-16.