Marcel de Corte
Ancien élève de l’École normale supérieure où il est entré en 1929 à titre d’élève étranger, il a été professeur de philosophie à l’Université de Liège. Son œuvre est des plus importantes tant en livres qu’en articles de revue ( il a collaboré notamment au Courrier de Rome, à l’Ordre français et à Itinéraires) où il a analysé année par année la décadence croissante de l’intelligence avec ses répercussions immédiates dans l’ordre social et dans l’Eglise.
Sommaire
Biographie
Marcel de Corte est né le 20 avril 1905 dans le Brabant ; à l’âge de 23 ans, il est reçu docteur en philosophie et lettres à Bruxelles puis professeur à l’Université de Louvain en ayant tout au long de sa carrière été honoré d’une pluie de titres, tant universitaires que civils.
En 1939, Marcel de Corte signe le manifeste, initié par Pierre Nothomb, de la Ligue pour l’indépendance nationale, en faveur de la neutralité du pays.
Lors de la Question royale, il a été un partisan acharné du maintien de la monarchie belge, en tenant une chronique dans La Libre Belgique. Ses textes publiés entre le 28 avril et le 18 août 1950 constituent la partie centrale, intitulée significativement « Chronique des jours néfastes », d’un livre très révélateur sur ses idées politiques intitulé Mon pays où vas-tu ? Philosophie et histoire de la crise belge de 1950.
Auteur d’Incarnation de l'homme, de Philosophie des mœurs contemporaines, d’Essai sur la fin d'une civilisation, de L'intelligence en péril de mort, de L'homme contre lui-même, ainsi que de nombreuses chroniques dans le quotidien La Libre Belgique, Marcel De Corte est représentatif d'un courant idéologique contestant l'homme et la société de son temps à l'aune d'un aristo-thomisme hostile à toute compromission avec la pensée « moderne ».
De 1955 à 1966, il collabora à l’hebdomadaire néo-maurrassien La Nation française.
Il fut l'un des fondateurs de la revue Itinéraires de Jean Madiran et se rapprocha à la fin de sa vie de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X de Monseigneur Marcel Lefebvre.
Travaux
De la société à la Dissociété
Dans le petit ouvrage synthétique De la dissociété, Marcel de Corte décrit la société naturelle telle que la voix des siècles l’a composée c’est à dire la tripartition sociale, elle « répond exactement aux trois activités propres à l’intelligence humaine et irréductibles les unes aux autres en raison de la spécificité de leurs objets respectifs : contempler, agir, faire. »[1]. Ainsi, « telles sont les activités propres à l’homme en tant qu’homme : celle de l’intelligence dont l’objet est le vrai ; celle de l’intelligence et de la volonté conjuguées dont l’objet est le bien de la Cité, sans lequel aucun autre bien humain, si haut soit-il, ne peut exister ; celle de l’intelligence et de la volonté réunies, alliées à la main ou à ses prolongements mécaniques et dont l’objet est l’utile. Telle est aussi leur hiérarchie : au sommet l’activité intellectuelle qui porte sur l’universalité de l’être et du vrai ; au milieu, l’activité intelligente et volontaire dont la fin ultime qu’elle atteint réellement ici-bas, au cours de notre existence terrestre, ne peut être en plénitude que le bien du tout social qui s’impose à elle comme supérieure à n’importe quel bien particulier ; à la base, l’activité intelligente, volontaire et manuelle dont la fin est la satisfaction des besoins matériels inhérents à la vie humaine, et qui se trouvent ainsi radicalement particularisés et individualisés : l’individu en chair et en os peut seul consommer les utilités économiques nécessaires à sa substance. »[2]
Cette description de la société naturelle a été respectée dans quasiment toutes les sociétés humaines et en France par les trois Ordres : Clergé, Noblesse, Tiers-Etat jusqu’à la révolution.
Bien évidemment, une telle organisation de la structure sociale ne peut être le fait de la volonté individuelle, elle suppose et même impose la prééminence de la famille comme entité de base de la société et la présence d’un chef « régulateur »[3], le roi.
De plus, au contraire des sociétés antiques où l’individu se dissolvait dans la Cité, la Chrétienté médiévale a réussi l’harmonie de la nature et de la grâce malgré, bien sûr, toutes les vicissitudes de l’histoire humaine car « le Moyen-Âge a pu connaître d’innombrables conflits entre les divers ordres de la société, il n’a jamais succombé à la Subversion. Jamais le Christianisme médiéval n’a mis en doute la nature sociale de l’homme. »[4] La nature sociale de l’homme fait que celui-ci est un être obligé : « L’obligation envers autrui qui se retrouve en toute société réelle est un fait de nature qui tisse entre les membres d’une communauté, de bas en haut, et de haut en bas, une série de devoirs réciproques. Le serf nourrit le seigneur, mais le seigneur est à son tour l’obligé du serf et lui doit aide et protection. Le serf et le seigneur doivent assurer la subsistance du curé et la splendeur du culte rendu à Dieu, mais le curé leur doit l’orthodoxie de la foi et la validité des sacrements. »[5]
L’homme d’aujourd’hui se demande alors ce qui peut assurer une telle stabilité de société sans crise sociale profonde, au moins en ce qui concerne les fondements de cette période ; et bien c’est, comme le dit Jules Monnerot cité par l’auteur, que « avant le XVIIIe siècle, l’idée de société dans la pensée européenne ne se distingue pas de l’idée de société acceptée. L’état normal d’une société est l’acceptation par chaque homme de la place où Dieu l’a mis. »[6]
Vers la Dissociété
La dissociété va trouver sa source et sa continuité dans les trois R : Renaissance, Réforme, Révolution française et paradoxalement est d’inspiration chrétienne car ne pouvant se concevoir qu’à partir d’une société chrétienne. En effet, le retour de l’Antiquité à partir de la Renaissance (ou selon l’expression lumineuse de Chesterton, à partir de la Rechute ) n’est pas un retour à l’Antiquité mais surtout une décadence du Christianisme : « Nous n’hésitons pas pour notre part à en trouver la cause dans le christianisme, non point dans le christianisme pris en tant que vecteur surnaturel qui joint les âmes à Dieu, ni dans l’armature sociale de l’Eglise, ni dans ses dogmes, sa liturgie, ses sacrements, mais dans le christianisme désurnaturalisé, sécularisé, humanisé, privé de son foyer divin de gravitation. (…) On connaît la formule : au théocentrisme se substitue l’anthropocentrisme. Au Dieu fait homme, lentement, implacablement, fait place l’homme qui se fait Dieu, non pas par la médiation du Christ et de l’Eglise au niveau surnaturel et de l’éternité, mais par les seules forces de sa propre excellence au niveau de sa vie dans le temps. Excédé d ‘être une créature, l’homme se veut créateur. »[7]
L’ordre naturel de l’esprit humain va se renverser et donner la priorité, non plus à la contemplation du vrai, mais à la primauté de l’utile et de la technique telle qu’elle va se développer de façon effrayante dans les pays sous domination protestante et amener progressivement le culte de l’individu roi. Ainsi, « l’avènement de l’individualisme, c’est le commencement de la dislocation de la société et des trois ordres dont sa nature est composée. Le clergé se voit désormais concurrencé sinon éliminé, par l’avènement d’une caste nouvelle : l’intelligentzia. (…)La noblesse chargée de maintenir, de défendre et de protéger le bien commun de la société voit son rôle décliner. »[8] « C’est la dévaluation des deux fonctions de l’intelligence, la spéculation et la pratique, c’est l’invasion de la fonction poétique, fabricatrice, ouvrière, technique, qui occupe désormais tout l’espace spirituel ainsi ravagé, et du même coup, l’absolue suprématie du privé sur le social : chacun pour soi dans sa relation à Dieu, chacun pour soi dans sa relation à la Cité. »[9]
Le travail et la technique devenant le propre de l’Homme, la Société se démocratise inéluctablement car tous ont le même rôle dans la société : nous arrivons assez rapidement à la termitière qui est la solution logique de la dissociété. A l’organisation sociale naturelle de la Cité se met inexorablement en place la socialisation forcenée de celle-ci où le Tout devient obligatoirement le nouveau dieu « Il n’est pas étonnant de constater que le collectif, sous quelque forme que ce soit : peuple, prolétariat, classe, race, humanité… dont les religions socialistes de notre temps ont hérité d’un christianisme abâtardi, soit devenu l’objet de la vénération de l’homme moderne. (…) En vertu de sa nature sociale inextirpable, l'homme ne peut être radicalement égoïste. Il doit feindre la sociabilité. Le collectif devient alors l’ersatz de la Cité, le succédané du Bien commun transcendant aux biens particuliers. »[10]
Nous voici donc arrivés à notre époque moderne sans Dieu, sans société digne de ce nom, sans régulateur, sans hiérarchie naturelle fondée sur la vertu, où la seule différence acceptée repose sur les capacités économiques de chaque individu qui doit se fondre dans le grand Tout social en attendant le Tout mondial. Le plus désolant est que l’Eglise qui à l’époque des Barbares assura le retour de la Civilisation chrétienne, ne souhaite plus sauvegarder les principes naturels et surnaturels de la Vérité religieuse, morale et politique. « Comme il est trop manifeste, l’Eglise est en train de passer avec armes et bagages à la subversion. Elle a renoncé à faire sortir une vraie société des ruines de l’ancienne en se fondant sur la nature sociale de l’être humain, comme elle le fit au temps jadis de sa vigueur. Elle bascule du coté du socialisme et de l‘Etat mondial que celui-ci veut instaurer pour universaliser la maladie qu’il charrie ; (…) elle utilise les dernières forces de sa catholicité, en alliance avec un œcuménisme et un syncrétisme douteux, pour confondre son destin avec la puissance des ténèbres de sa propre caricature. »[11]
Œuvres
- La Liberté de l'esprit dans l'expérience mystique. Paris, Éd. de la Nouvelle Équipe, 1933
- La Doctrine de l'intelligence chez Aristote. Essai d'exégèse. Préf. d'Étienne GILSONS, de l'Acad. franç. Paris, Vrin, 1934.
- Le Commentaire de Jean Philopon sur le Troisième Livre du " Traité de l'Ame " d'Aristote. Liège, Fac. de Philosophie et Lettres; Paris, Droz, 1934.
- Aristote et Plotin. Études d'histoire de la philosophie ancienne. Paris, Desclée De Brouwer, 1935.
- La Philosophie de Gabriel Marcel. Paris, Téqui, (1938).
- L'Essence de la poésie. Étude philosophique de l'acte poétique. Bruxelles, Cahiers des Poètes catholiques, 1942.
- Incarnation de l'homme. Psychologie des moeurs contemporaines. Paris, Libr. de Médicis, 1942; rééd. anastatique: Bruxelles, Éd. Universitaires, 1944.
- Philosophie des mœurs contemporaines. Homo rationalis. Bruxelles, Éd. Universitaires, 1944.
- Du fond de l'abîme. Essai sur la situation morale de notre pays au lendemain de la Libération. (Bruges), Desclée De Brouwer, 1945.
- Essai sur la fin d'une civilisation. Bruxelles, Éd. Universitaires; Paris, Libr. de Médicis, 1949.
- Mon pays où vas-tu ? Philosophie et histoire de la crise belge de 1950. Paris-Bruxelles, Éd. Universitaires, 1951.
- Deviens ce que tu es. Léon, notre fils, 1937-1955. (En collab. avec Marie de Corte) Préf. de Gustave Thibon, Paris, Éd. Universitaires, 1956. - Rééd.: Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1969.
- J'aime le Canada français. Québec, Presses Universitaires Laval, 1960.
- L'Homme contre lui-même. Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1962. (Coll. Itinéraires.)
- L'Intelligence en péril de mort. Paris, Club de la Culture française, 1969. [1]
- De la justice. Jarzé, Dominique Martin Morin, 1973.
- De la prudence. La plus humaine des vertus. Jarzé, Dominique Martin Morin, 1974.
- De la force, Dominique Martin Morin, 1980.
- De la tempérance, Dominique Martin Morin, 1982.
Bibliographie
- Coll., De l’avant à l’après-guerre. L’extrême-droite en Belgique francophone, De Boeck, Bruxelles, 1994, p. 122, 183, 191.
- Olivier Dard, DESCHAMPS Étienne et DUCHENNE Geneviève, dir., Raymond De Becker (1912-1969). Itinéraire et facettes d’un intellectuel réprouvé, Bruxelles, PIE Peter Lang, coll. Documents pour l’Histoire des Francophonies, n° 32, 2013, p. 44.
- Massimo Magliaro, « Le MSI. Le Mouvement social italien », Cahiers d'Histoire du Nationalisme, Paris, Synthèse nationale, n° 11, 2017.
- Pierre STÉPHANY, La Libre Belgique. Histoire d’un journal libre. 1884-1896, préface de Jacques Franck, Duculot, Louvain-La-Neuve, 1996.
- Robert Steuckers, « Recension: le travail de Cécile Vanderpelen-Diagre sur la littérature catholique belge dans l’entre-deux-guerres » : [2]