Graal

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Perceval
Le Graal désigne dans la matière bretonne la quête initiatique propre à la chevalerie.


Origines

Les mythes celtes parlent, à qui veut bien les entendre, de façon contemporaine. Ils constituent des transversalités ; interrogeant le sens des situations culturelles et sociales observables encore de nos jours, ils s'appuient réellement sur des représentations avec lesquelles ils entrent en dialogue en même temps qu'ils nous racontent les origines des cultures et groupes sociaux. Le mythe du Graal, dont nous tentons ici de cerner le contexte d'émergence et les influences qu'il vient en quelque sorte subsumer, est en effet un véritable carrefour sémantique, une matrice culturelle, qui permet de relier ses racines, celtes et indo-européennes, et son inscription sociale et culturelle.

Pour la thèse celtique (Jean Marx, Jean Frappier), le conte du Graal utilise les récits des mythologies et littératures celtiques sur les trésors et talismans de l'autre monde : la lance est une arme divine et royale, lance de feu et rouge de sang, lance du dieu Lug, du dieu Œngus, du roi Arthur capable de tirer du sang du Vent, le chaudron de Dagda (voir supra).... Mais la théorie celte ne fait état que d'éléments épars. Georges Dumézil a, quant à lui, repéré, chez les Scythes, des objets d'or : charrue, joug, hache, coupe, représentant les trois fonctions indo-européennes :

  • la coupe qui sert au culte (fonction sacerdotale),
  • la hache, la flèche et la lance servent à la guerre (fonction royale),
  • le joug et la charrue à l'agriculture (fonction nourricière).

Or, chez les Tuatha de Dannan, les fils de la déesse Anna, (Irlande), il y avait quatre villes où les Tuatha de Dannan apprirent Science et Magie :

  • à Failias était la pierre de Fail qui crie quand un roi prend la souveraineté d'Irlande,
  • Tara, la capitale suprême, était symbole de la terre d'Irlande et de fécondité,
  • à Goirias, était l'épée de Nuadu qui blesse à mort,
  • à Findias, la lance de Lug, qui rend invincible,
  • à Murias, le chaudron de Dagda, le grand dieu druide symbole d'abondance.

Il se trouve que les objets du cortège du Graal du roman médiéval sont :

  • la lance et l'épée, instruments et symboles de la fonction guerrière,
  • le Graal dont la fonction est magico-religieuse,
  • le tailloir d'argent à la fonction nourricière.

Le conte du Graal serait ainsi la métamorphose d'un très vieux récit, qui, 4.000 ans auparavant, racontait comment un jeune héros prédestiné parvenait, au travers d'un certain nombre d'épreuves, à conquérir les talismans royaux, symboles des trois fonctions sociales dont le groupement et la conservation garantit la prospérité et restaure une royauté déchue, indigne et impuissante dans un pays frappé de stérilité.

Thème littéraire

Le mot Graal est employé pour la première fois en littérature française dans le Conte du Graal ou le Roman de Perceval de Chrestien de Troyes, paru vers 1170, et s'inspirant d'une source perdue. On y voit Perceval témoin, au château du riche roi pêcheur, d'un cortège au milieu duquel se trouve le Graal aux vertus fécondantes mais que le silence du bachelier réduit à l'impuissance. Il connaîtra une grande fortune chez un auteur allemand de la fin du XIIe siècle, Wolfram von Eschenbach, dans son roman Parzival qui inspirera Wagner. Chez lui, le Graal est taillé d'une pierre précieuse, l'émeraude tombée du front de Lucifer, lors de la chute des Anges; elle sera emportée plus tard là où l'on situait le paradis terrestre. L'on se souvient que la pierre de la kaaba des musulmans est aussi une pierre taillée apportée du ciel par l'ange Gabriel.

On trouve encore cette référence au Graal au XIIIe siècle dans la Vulgate du Lancelot en prose ou corpus Lancelot-Graal, œuvre anonyme composée vers 1225-1228, premier roman en prose et en langue vulgaire de notre histoire; deux des cinq volumes qui la constituent sont consacrés au Graal : le premier à l'Estoire del saint Graal et le quatrième à la Queste del saint Graal.

Chez Robert de Boron, premier auteur à avoir composé un cycle complet autour du Graal, lequel fait paraître en 1212, une trilogie, le Roman de l'Estoire dou Graal ou Joseph d'Arimathie en vers, Merlin, Perceval, nous sommes dans un dépassement, sous influence chrétienne, des significations du Graal attachées au chaudron d'abondance des Celtes. Chez lui, le Graal est le vase dans lequel Jésus but pendant la Cène, qu'il utilisa pour dire la première messe et où Joseph d'Arimathie recueillit le sang de ses plaies après son supplice. Transporté en Occident, il repose dans l'île d'Avalon, lieu mystique identifié, dans l'entourage des Plantagenêts, à l'abbaye cistercienne de Glastonbury. La lignée de Joseph d'Arimathie, celle des gardiens du Graal, dont Lancelot est un descendant, assure sa protection. Le propre fils de Lancelot, Galaad, achèvera la Quête et le cycle pourra alors se renouveler. La légende arthurienne accomplit le lien entre les traditions celtes et la spiritualité cistercienne.

Interprétations

Les spécialistes s'accordent en effet pour souligner d'importants liens entre les romans gallois (Kulwch et Owen, les Mabinogion) dont le héros est Perceval et le cycle courtois français et les progrès de la littérature et de la mythologie comparées nous permettent désormais de mieux y percevoir les influences latines, orientales, germaniques, nordiques et occidentales, notamment courtoises et chrétiennes, sans parler des traditions ésotériques ni du folklore.

On passe en quelques décennies d'un Graal-chaudron symbolisant les cultes de fécondité de l'Europe chrétienne, via le Graal féminin, vase d'élection, dans le jeu complémentaire du principe mâle et du féminin où le graal est assimilé à la dame, lieu de toutes les aspirations courtoises, à la coupe de souveraineté (gradalis). Puis dans une mystique influencée par les croisades et leurs prédicateurs, le Graal (ou graduel) prend la figure de la sagesse, dont rend compte une Quête mystique sous double influence: cistercienne et trinitaire. La quête du Graal permettra le passage des chevaleries terrestres aux chevaleries célestes. Le Graal est ici maître du temps dont il tient ensemble les liens tissés comme son ancêtre d'osier.

Ainsi, en 1537, lorsqu'il publie Pantagruel, Rabelais fait référence au Graal en nommant son héros "Panta/Gruel", à cause dit-il "de la sécheresse qui sévissait, car 'panta' en grec vault autant à dire comme tout et 'gruel' en langue Hagaréne vault autant comme altéré voulant inférer que à l'heure de sa nativité le monde estoit tout altéré, et voyant en esprit de prophétie qu'il seroit quelque jour dominateur des altérez". On pointera ici la fonction fécondante et d'abondance du graal. L'œuvre de Rabelais, entièrement pétrie de culture populaire, est d'ailleurs organisée comme une véritable quête du Graal par les compagnons de Pantagruel partis à la recherche de la "dive bouteille", fontaine d'abondance et de sagesse.

Si l’on s’en réfère à Gilbert Durand, on comprend pourquoi de cette idée de contenant, lié à l’oralité, (grasal, grasale, gresel), présent dans les récits celtiques (le chaudron), on soit passé, dans les romans arthuriens du Moyen-Age, au Saint Graal, vase mystique. Il semble en effet qu’il y ait attirance entre les schèmes de l’intimité de la nutrition (celtes) et ceux de la mystique (chrétienne).

Une autre interprétation fait ressortir la parenté entre Graal et Calx, la pierre blanche, chaux, ou pierre brûlante, épurante, liée à la pureté, ou encore au calx, le talon.

René Guénon propose aussi Gradale : livre ou graduale (graduel). C'est le sens de la Parole perdue, de la parole originelle à retrouver, d'où la nécessité d'une Queste. Graduel, c'est aussi le Grand Livre de la Nature des Alchimistes, le Liber Mundi, révélation du Monde. Dans l'Apocalypse de Jean, il s'identifie à L'Arbre de Vie. On est ici proche du symbolisme de la Croix et l'on retrouve dans certaines régions les instruments du supplice du Christ associés au Graal et à la Lance de Longin comme les symboles du Graal et de la Lance sont associés à la première parole du Coran.

Partant de la signification que lui donne Wolfram von Eschenbach, (pierre d'émeraude tombée du front de Lucifer dans laquelle fut taillé le Graal), l'herméneutique rapproche les verbes latins caelere : orner et caedere : tomber, immoler. Caedes prend le sens de sang versé. En français en dérive césure (= taille de pierre). Les pierres taillées cultuelles renvoient ainsi au mythe du Grand Architecte et il faut se rappeler que les Tables de la Loi étaient des pierres taillées.

L'as de coupe du tarot représente ainsi une coupe-Graal s'élevant en château à sept tours. Il symbolise les sphères célestes. Le Graal est encore château voué à l’inaccessibilité. La problématique se pose donc dans un contexte lié au ciel et à ses projections terrestres, architecturales. D'où l'importance du burin, le ciseau du graveur. Le caelator est le ciseleur et aussi l'architecte.

La Pierre-Table-Livre est aussi La Table d'Emeraude des Alchimistes et les Hermétistes désignaient volontiers le Christ comme la véritable pierre philosophale et comme la véritable Pierre d’Angle.

En même temps, le contenant Graal est, d'une manière mystérieuse, identifié à son contenu, à la figure de l'aqua permanens, le Mercure, véritable vase caché, jardin philosophique où notre soleil naît et se lève.

La référence indo-européenne renvoie l'origine du Graal à la racine KERT- soit tordre, tresser, car l'on peut penser que les premiers objets contenants étaient confectionnés en tresses (corbeilles). Curieusement, cette idée de claie, qui figure aussi dans la légende de la cathédrale d’osier de l’abbaye de Glastonbury, refuge supposé du Graal, est aussi celle du lien, de l'attache (cratis), et l'on voit bien en quoi le graal est le lien qui unit les chevaliers d'Arthur dans leur Quête. Elle a, en même temps, donné Hort, hourt (palissade) et behort (tournoi), en espagnol bohordo (petite lance), images qui sont loin d'échapper à l'univers arthurien. C'est sans doute pour cela que les fêtes allemandes du Moyen-Age étaient appelées des Graals.

La racine KER signifie Cœur: cette image est aussi proche de la symbolique développée dans les romans arthuriens. Le graal comme contenant du sang du Christ, ou Saint Graal, signifierait aussi Sang Réel (Sangrail), l'évolution du mot étant ici liée au développement à l'époque des croisades du culte du Précieux Sang, et mutatis mutandis, du Sacré Cœur etc.

Réception

Le mot connaît ensuite une fortune considérable, du plat à barbe du Don Quichotte de Cervantès à Jean d'Auton, lequel, dans son Lacurne, publié par les Annales de Louis XII, au XVIIème siècle, cite "celuy plat qu'on appelle le saint graal".

T.S. Eliott s'inspirera de la terre Gaste dans son roman The Waste Land. Le thème du Graal se retrouve également dans le Roi Pêcheur de Julien Gracq (1949), dans les romans de T.H. White The Once and Future king et The Sword in the Stone, et chez Boris Vian Le Chevalier de neige représenté par Jo Tréhard en 1945, à Caen et à Strasbourg dans une version "opéra" sur un livret de Georges Delerue. Il faut encore mentionner l'ouvrage de l'académicien Pierre Benoît, Montsalvat (1957), qui reprend la thématique de l'exode du graal présente chez Wolfram jointe à des références cathares. On retrouve ici le croisement littéraire cher aux écrivains médiévaux entre la femme inaccessible et la quête du saint vase.

Tout près de nous, nous voyons ce thème refleurir dans la littérature contemporaine: Michel Rio, Merlin, Barjavel, L'Enchanteur (1984), Jean-Pierre Le Dantec, Graal-Romance (1985), Florence Trystram, La nuit du motard (1986), Lancelot (1987), Marion Zimmer Bradley, La Dame du Lac, Les Brumes d'Avalon, Le Secret d'Avalon proches du légendaire celtique, Gilles Nadin, Le retour d'Avalon (1993), tandis que de nos jours les aventures du Graal connaissent à nouveau un immense succès dont témoigne une production intense notamment sur le plan cinématographique, de Richard Thorpe (1953) à Jerry Zucker (1995) en passant par Georges Bresson, Eric Rhomer, Les Monthy Pythons, Walt Disney, John Boorman, Syberberg et Steven Spielberg.

La filiation entre ce mythe d'origine celte et l'ésotérisme contemporain est également patente dans un écrit de la loge de Saint Louis des Amis Réunis à Calais, laquelle indique que l'on donnait autrefois le grade de Chevalier de la Table Ronde du Roi Arthur dans un rituel primitif de cette loge. Plus surprenant, en 1785, lors du convent de Paris, le baron Gleichen déclarait, citant des sources Rose-Croix, que les maçons "seraient venus en Angleterre sous le roi Arthur", ce qui expliquerait que l'usage d'une Table Ronde est indispensable à certains travaux des hauts grades du Rite Ecossais Ancien et Accepté.

La Quête du Graal procède d'une aspiration profonde; la réflexion sur la richesse et la complexité du thème, véritable melting pot culturel, nous incite à accueillir avec prudence les tentatives de type New Age qui tendraient par projection identificatoire ou simplification abusive à en faire un argument de consommation spectaculaire. Il fournirait alors des justifications à nombre de dérives sectaires. Le récent rapport parlementaire sur les sectes nous a permis d'identifier plusieurs mouvements néo-religieux qui n'hésitent pas à convoquer ostensiblement le mythe du Graal au service d'idéologies simplistes ou régressives, reproduisant sous une forme euphémisée certes mais tout aussi perverse l'ambition récupératrice qui fut celle des nazis, fascinés par les motifs sanguinaires. La leçon de la Quête est d'abord celle d'une libération de l'âme.

La lecture du mythe nous invite à prendre en compte le Graal dans une constellation. Il apparaît en effet toujours, dans les sources celtes, dans une interdépendance avec d'autres objets sacrés : la pierre de souveraineté, la lance, l'épée, la table ronde qui vient harmoniser les contraires. Cette interaction constante, que révèle l'analyse textuelle et dont le Graal est à la fois le pivot et la source, ne peut que nous inciter à une réactualisation sans cesse renouvelée de nos connaissances car une telle quête ne saurait en effet revêtir qu'une figure, celle de l’inachèvement; car "si on n'a vu et connu toute chose, le Gwenved demeure inaccessible" (Le Barddas).

Le Graal et ses mystères

Le chaudron et la lumière

A l'origine, le mot graal (graeal en dialecte du languedoc) désignait un grand plat creux destiné à recevoir des mets (viandes , poissons ou fruits). Mais, ainsi que des médiévistes le font remarquer, on a fini par oublier le nom commun au profit de celui d'un objet unique avec pour initiale un G majuscule fréquemment précédé du qualificatif de Saint ; et ce, disent les textes, dès lors que ce réceptacle reçu le sang du Galiléen. Cependant, pour certains chercheurs qui consacrèrent de passionnants travaux à ce que l'on pourrait nommer l'archéologie du Graal , la précieuse coupe fut définie comme le substitut chrétien du chaudron d'abondance et de résurrection de la tradition celtique d'Irlande. Ce que prouve une pièce archéologique d'une extrême importance - un chaudron rituel, précisément - trouvée à Gundestrup au Danemark.

Si le Graal est effectivement un symbole pagano-celtique christianisé à la fin du XIIème siècle, il manifeste aussi une autre notion présente dans nombre de traditions , principalement indo-européennes : la Lumière de Gloire . Il s'agit d'une illumination surnaturelle, manifestation du divin mais aussi révélant la dimension surhumaine d'un être, indissociable, nous allons le découvrir, de ce qui, pour des auteurs tels que René Guénon et Julius Evola, constitue la Tradition primordiale. Une Tradition synonyme d'Age d'Or. Les Sumériens désignaient ce phénomène lumineux par le terme de melam[1]. Pour eux, comme pour les Babyloniens , puis les Perses qui dénommèrent Xvarnah (orthographié Hvareno chez Evola) cette Lumière, un tel phénomène apportait la fécondité aux agriculteurs, la victoire à ceux des princes et des guerriers combattant pour une cause juste (répondant au vouloir des dieux) et la sagesse et la clairvoyance aux hommes de connaissance assumant le sacerdoce .

La Lumière de Gloire accompagne donc l'exercice des trois fonctions indo-européennes. Un érudit parsi, sir Coyajee, fut le premier à établir, en 1939, un parallèle entre la Lumière de Gloire et le Graal. Par la suite, d'éminents spécialistes du monde iranien mirent en évidence les points communs entre la chevalerie du Graal et l'épopée de l'ancienne Perse. La notion de Lumière surnaturelle perdura dans l'Islam shiite et failli même ressurgir avec force, risquant de bouleverser les événements du Moyen-Orient, au douzième siècle, avec un personnage hors du commun comme Sohrawardi bien décidé à œuvrer pour que renaisse à travers l'ésotérisme islamique (le soufisme) la religion mazdéenne[2]. Ce projet, aussi exaltant que dangereux, le condamna aux yeux des fanatiques religieux. Il fut mis à mort en 1191 et, par l'une de ces coïncidences révélatrices, peut-être, de la trame invisible d'une méta-histoire, l'année précédant le plus grand poète français de ce temps , Chrétien de Troyes, laissait inachevé (volontairement, semble -t-il , pour permettre à d'autres auteurs de prendre le relais) son chef-d'œuvre, Perceval ou le Conte du Graal.

C'est dans ce récit que, pour la première fois, le vase miraculeux fait son apparition . Hébergé un soir dans un château inconnu , le jeune Perceval assiste à un singulier cérémonial : dans un groupe de cinq personnes formant un solennel cortège, une demoiselle, aussi belle qu'élégamment vêtue , s'avance en tenant le Graal entre ses deux mains. Pour certains médiévistes, le fait que ce soit une femme qui porte un tel objet tend à signifier que la symbolique du Graal ne peut être rattachée , dans un contexte catholique romain, à celle de !'Eucharistie . Notons en passant qu'une thèse exactement inverse ( et remarquablement argumentée) a été soutenue par Manuel Insolera avec son ouvrage intitulé L 'Eglise et le Graal.

L'Hyperborée

Quoi qu'il en soit de ces différentes écoles, le lecteur de Chrétien de Troyes retient l'image cœur du récit : le moment où, ainsi porté, le Graal d'or fin et tout serti de pierres précieuses s'illumine comme si surgissait le soleil auroral. Ce phénomène évocateur de la Lumière de Gloire nous révèle sans ambiguïté le caractère éminemment surnaturel d'un tel calice . Son origine ouranienne - célestielle dira l'un des textes plus tardifs - sera soulignée dans la version germanique de Wolfram von Eschenbach : il était un objet qui s'appelait le Graal ; un sage en avait clairement lu le nom dans les étoiles. Que l'on choisisse une interprétation païenne ou chrétienne , ce symbole de la surnature vient du ciel avec la mention du soleil et du cosmos ( disons des constellations révélant l'ordre céleste). Mais il émane aussi du nord , comme le montre le mythe irlandais ou le mythe grec . Pour l'Irlande , en effet , le chaudron d'abondance et de résurrection accompagné de trois autres objets - la lance du dieu Lug, l'épée (qui deviendra Excalibur) et la pierre de souveraineté - provient de quatre îles au nord du monde, domaine du peuple féerique de la déesse Dana. Pareilles îles, que l'on tenterait en vain de repérer géographiquement, constituent l'équivalent de l'Hyperborée, patrie d'Apollon, mystérieusement demeurée en Age d'Or. Dieu de la lumière et de la perfection, Apollon est pour le monde grec la figure anthropomorphe du Xvarnah . Précisons aussi que la fameuse Toison d'or en quête de laquelle partirent Jason et ses Argonautes correspond au Graal par son symbolisme. On pourrait également évoquer les pommes d'or du jardin des Hespérides conquises par Héraklès. De la même façon que Jason rassemble les meilleurs et les plus audacieux des héros grecs (les Dioscures , Orphée, Héraklès et d'autres) pour conquérir la fabuleuse Toison, Merlin réalise la célèbre Table Ronde afin que l'excellence chevaleresque prenne place autour d'Arthur, le roi désigné comme "polaire" de par son nom : art en irlandais , arktos en grec désignant l'ours ; et cet animal indique le pôle sous l'aspect de deux constellations. La Table arthurienne serait en quelque sorte la phase - préparatoire conférant une "forme" , par l'éthique chevaleresque, à ceux qui seront dignes de partir en quête du Graal. Comprenons que l'on ne peut entreprendre une telle quête qu'en étant préalablement préparé , formé, par ce que l'on pourrait nommer une "conscience polaire", autrement dit la connaissance de l'origine boréale de la Tradition et, à l'évidence , de l'objet qui la focalise.

A travers les multiples facettes de son symbolisme le Graal manifesterait la réalité première , fondamentale, de l'être. En l'occurrence, il s'agirait d'un être détenteur, par-delà le corps physique, d'un corps de Gloire , donc lumineux et immortel. Le Graal , comme la Toison d'or ou encore la Pierre philosophale , constitue le cœur de la Tradition. Car, précisément , la Tradition , l'ésotérisme en général ou , si l'on préfère , les diverses voies initiatiques ( du moins celles marquées du sceau de l'authentique) reconduisent toutes à la vision d'un être transmué , doté d'un second corps désigné comme inaltérable puisque non soumis au conditionnement de la matière et ne faisant plus qu'un avec un esprit illimité : corps et esprit se révélant "consubstantiels à l'éternité", comme a pu l'écrire un auteur . Un être ainsi constitué réintégrerait alors un Age d'Or définitif , semblablement à l'alchimiste qui, s'il faut en croire les textes consacrés au Grand Œuvre, aurait pouvoir de conquérir l'immortalité .

"Sang royal" et "Sang réel"

Dans son ouvrage , Le mythe du Graal et l'idée impériale gibeline, Julius Evola nous dit que la surnaturelle coupe ne serait autre que le suprême secret de la méta-histoire, indissociable des origines et transparaissant parfois en filigrane à travers certains événements qui marquèrent le destin de l'Europe ( en particulier l'avènement du Saint-Empire). Selon notre auteur, l'involution de l'Humanité par la descente à travers les quatre Age ( d'Or, d'Argent , d'Airain et de Fer) devait provoquer un éloignement toujours plus grand par rapport à ce que symbolise le Graal. Alors on comprendrait que, par l'un de ces jeux de mots qu'affectionnait le Moyen Age et destinés à occulter des données initiatiques d'une certaine importance, le nom de Saint Graal puisse être entendu et orthographié Sangreal. Ce qui , comme le souligne Evola, signifie à la fois "Sang royal" et "Sang réel" [3]. La "royauté", telle que l'incarne Arthur par exemple , ou encore Perceval prenant place dans la dynastie royale du Graal, constitue un état de commandement sur soi-même conférant une autorité naturelle à l'égard du monde et, de la sorte, la maîtrise effective du destin d'un peuple. Quant à l'expression "Sang réel", disons qu'elle signifierait que seuls des êtres porteurs d'une volonté que "polariserait" la notion - vitalisante - de Tradition primordiale aurait une réalité effective. Le sang christique, illuminant le Graal dans les récits de certains continuateurs de Chrétien de Troyes, serait comme l'ultime écho , durant l'ère des Poissons ( les 2000 dernières années de lAge de Fer), de l'état suprahumain des temps primordiaux. Hormis d'éventuels porteurs d'un tel éclairement intérieur par ce "Sang réel", les individus que conditionne le fatum de l'involution n'auraient , dans la phase finale, plus réellement d'existence véritable. "Beaucoup d'êtres sont déjà morts mais ne le savent pas" , disait Gurdjieff ; "laissez les morts enterrer les morts" avait déjà dit un certain Galiléen, formule qui n'est sans doute pas en odeur de sainteté pour toutes les soutanes .

La Queste del Saint Graal (pour reprendre ici le titre en ancien français du récit qui, avec La Mort d'Arhtur, conclut tout le cycle consacré au vase miraculeux) serait donc la tentative de reconquérir l'état supra-humain des origines. Tentative héroïque puisqu'elle implique d'aller à contre-courant du flux involutif des sociétés caractérisant le dernier Age. On comprend alors la signification symbolique de ce cheval ferré à l'envers dont Perceval doit suivre les traces pour retrouver le château du Graal. On comprend également que les multiples épreuves rencontrées par les chevaliers représentent le prix à payer pour se libérer de tout les conditionnements du "trop humain" égoïsme , suffisance , lâcheté , médiocrité , fatalisme , inconstance ...

A l'aurore de notre Europe

Par-delà métaphores et symboles constellant les romans de chevalerie et destinés à être décryptés, on perçoit aussi en quoi ce que manifeste le Graal constitue une menace inexorable pour ceux que René Guénon et Julius Evola désignèrent comme les tenants de la Contre-Tradition et dont le règne - désormais planétaire - coïncide avec celui de la Quantité. Un règne qui se concrétise de la façon la plus significative par le pouvoir financier et par la société à la fois matérialiste et consumériste qui en est issue. Cependant , ainsi que l'enseignent les textes référentiels à la notion de Tradition primordiale ( de l'Inde à l'Iran et d'Hésiode aux Eddas en passant par !'Apocalypse de Jean), ce règne finit par se révéler des plus illusoires et son existence correspond à l'ultime phase de l'Age de Fer. Au terme de cette phase, la Lumière (apollinienne) des origines provoquera l'éclairement des consciences de certains êtres. Régénérés par le "Sang réel" , il seront appelés à constituer une élite à la fois héroïque et sacerdotale . Elite vouée à restaurer ce qui pris forme à l'aurore de notre Europe et de quelques civilisations dont les vestiges nous éblouissent encore, telles que l'Egypte , le Mexique toltèque ou la Chine [4]. A travers cette élite, le Graal, réceptacle du sang solaire hyperboréen , sera de retour à jamais[5].

Bibliographie

  • Bertin Georges, La Quête du Saint Graal et l'Imaginaire, Corlet, 1995.
  • Charvet L., Des vaus d'Avalon à la Queste du Graal, Corti, 1967.
  • Chrétien de Troyes et le mythe du Graal, Sedes, 1972.
  • Georges Dumézil, Mythe et Epopée, Gallimard, 1986.
  • Durand Gilbert, Les structures anthropologiques de l'Imaginaire, Dunod, 1985.
  • Evola J., Le mystère du Graal, éd. Traditionnelles, 1984.
  • Frappier Jean, Le roman Breton, les origines de la Légende Arthurienne, C.D.U.-Sorbonne, 1963.
  • Gallais P., Perceval et l'initiation, Sirac, 1972.
  • Hucher E., Le Saint Graal ou Joseph d'Arimathie, Robert de Boron, Monnoyer, 1878, 3t.
  • Jung Emma et Von Franz Marie Louise, La Légende du Graal, Albin Michel, 1988.
  • Lavenu Philippe, L'Esotérisme du Graal, Corlet/Tredaniel, 1986.
  • Lot Ferdinand, Étude sur le Lancelot en prose, Champion, 1918.
  • Markale Jean, La femme celte, Payot, 1987.
  • Marx Jean, La légende arthurienne et le Graal, PUF, 1952.
  • Payen Jean-Charles, Littérature Française, le Moyen Age, Paris, Arthaud, 1979.
  • Rahn Otto, Kreuzag Gegen Gral, 1943, tr. fr. Croisade contre le Graal, grandeur et chute des Albigeois, 1944.
  • Ribard Jacques, Le Conte du Graal, anthologie thématique, Hatier, 1976.
  • Paul-Georges Sansonetti, Graal et Alchimie, Berg International, 1982.

Notes et références

  1. Cf La Splendeur divine, Héléna Cassin, éditions Mouton (Paris-La Haye, 1968).
  2. Sohrawardi était un indo-européen de Perse : il avait une barbe blonde tirant sur le roux comme le rapporte l'un de ses contemporains qui nous a laissé de lui une description.
  3. Dans son ouvrage intitulé Le Mystère du Graal et l'Idée impériale gibeline, Editions Traditionnelles (Paris, 1967).
  4. Des travaux récents consacrés à l'Egypte pharaonique mettent l'accent sur la symbolique polaire qui fonde cette civilisation. En ce qui concerne les Toltèques, il faut tenir compte de ces mystérieux dieux initiateurs à l'origine de leur monde et, par fatale méprise, de leur assimilation aux conquistadores de race européenne. Enfin, on sait maintenant que la Chine fut fondée par un rameau indo-européen issu du domaine iranien et, en conséquence, porteur d'un mythe polaire caractérisant cette ethnie d'une façon identique à celle des Grecs doriens.
  5. Victor Vallières, « Le Graal et ses mystères », in: Réfléchir et agir, no 14, printemps 2003, p. 39-41.