Antisémitisme en Algérie

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Le docteur Jules Molle, député-maire antisémite d'Oran

L'Antisémitisme en Algérie a pris un aspect fort différent de l'antisémitisme en France métropolitaine, du fait de l'origine autochtone des juifs en cause.

Histoire des juifs d’Algérie

Les juifs étaient parmi les plus anciennes populations d’Afrique du Nord où ils vivaient très probablement déjà à l’époque de Carthage et certainement deux siècles avant notre ère. Si, à la fin de la guerre d’Algérie, pendant l’été 1962, quelque 140.000 juifs algériens se sont trouvés mêlés aux "rapatriés" arrivant en France, ils avaient une histoire différente de celle des Européens d’Algérie. A l’époque romaine et au début de l’expansion du christianisme, les juifs du Maghreb étant prosélytes, des tribus berbères s’étaient converties au judaïsme, si bien que les juifs d’Algérie se définissaient volontiers comme "juifs berbères". Quand les Arabes étaient arrivés au VIIème siècle, les juifs étaient devenus des dhimmi, c’est-à-dire des membres de communautés protégées, faites de gens du Livre, mais aussi des sujets de seconde zone, puisque le statut du dhimmi était à la fois un statut de protection et un statut inégalitaire.

Avec la conquête de l’Algérie, en 1830, les juifs algériens, dont quelques-uns connaissaient le français, avaient accueilli favorablement l’arrivée des troupes françaises et étaient devenus des sortes d’intermédiaires entre colonisateurs et autochtones. Étant vite entrés en contact avec les représentants des juifs de France, émancipés depuis la Révolution française, c’est-à-dire devenus des citoyens français relevant individuellement de la loi française au prix de la perte de leur "statut personnel" juif antérieur (juridiction des tribunaux rabbiniques sur les mariages, les divorces et les successions), les juifs d’Algérie avaient subi leur influence et aspiré à la même condition. La situation des Juifs français, pour qui le domaine religieux relevait dorénavant, comme pour les autres citoyens français, de la vie privée, et qui s’intégraient progressivement dans la société française, leur avait semblé préférable au statut de dhimmi qui leur était en quelque sorte conservé par la France au début de la colonisation. A partir de 1845-1850, les Juifs d’Algérie, soutenus par les libéraux, avaient commencé à revendiquer la citoyenneté française. Elle leur avait été accordée d’abord par Napoléon III, par le sénatus-consulte de mars 1870, puis, après la proclamation de la République, par le décret connu sous le nom de décret Crémieux, précisé en octobre 1871 par l’Assemblée nationale.

Au total, 34 574 israélites sont devenus citoyens français par ce décret. Au recensement de 1866, les juifs représentaient 13,5% de la population musulmane d'Algérie. Le décret Crémieux n'était applicable qu'aux juifs indigènes et à leurs descendants nés dans les territoires conquis en 1870. Il ne concerne pas les juifs des oasis et des confins algéro-marocains annexés progressivement de 1872 à 1906. En 1946, ils furent proclamés citoyens français au même titre que tous les ressortissants des territoire d'outre-mer.

L'abbé Lambert

L'antisémitisme en Algérie

Tout de suite contesté par l’armée et les Européens de "souche" qui en réclamait l’abrogation, ce décret a été la cause d’un antisémitisme extrêmement virulent qui a connu une forte poussée au moment de l’affaire Dreyfus.

Dès le début, l'antisémitisme algérien est une affaire de politique électorale. La première Ligue anti-juive est fondée en juillet 1871 pour écarter les juifs des urnes ; nouveaux électeurs, ils sont 15% du corps électoral et en mesure d'arbitrer les conflits. Car, dociles et sans formation politique, ils votent selon les indications de leur consistoire. Or ceux-ci sont présidés par des personnalités aussi discutées que le fut Simon Kanoui "Le Rotschild d'Oran", grand électeur de l'Oranie de 1871 à 1897 et qui proclamait haut et fort que personne n'entrerait à la Mairie sans son aval. Quand l'affaire Dreyfus éclate, la vague anti-juive grossit brusquement.

Les années 1898 à 1900 concentrèrent une série d'événements à caractère révolutionnaire : la crise antijuive. Elle fut une réaction contre la naturalisation des juifs algériens, consécutive au décret Crémieux; mais elle constitua aussi une manifestation d'hostilité envers la métropole.

En juillet 1884, des pillages de magasins israélites dégénérèrent en émeutes à Alger. En 1892 le socialiste anarchiste Fernand Grégoire déclarait ouverte la lutte contre les « syndicats judéo opportunistes ». Des ligues antijuives se formèrent à Constantine et Oran en 1896, rassemblant dans un parti dit « français » les électeurs de gauche. C’est le pharmacien Gobert, radical anti-juif, qui l’emporte aux élections municipales à Oran en 1897. En mai 1897 en Oranie, on assista à des décisions arbitraires allant de la révocation des agents de police israélites à l'expulsion de malades juifs soignés dans les hôpitaux.

Le même mois, un attentat contre un conseiller municipal d’Oran, venu à Mostaganem assister à une course cycliste, provoque le pillage du quartier juif de cette ville par les musulmans et les européens.

Cet exemple est suivi à Oran où la mise à sac des boutiques appartenant aux israélites dure trois jours. Cependant le gouvernement refuse d’accéder aux exigences de la population qui demande l’abrogation du décret Crémieux. A Oran, toujours, en 1895, à la suite d’une campagne menée par Paul Bidaine, le parti antisémite fut majoritaire, entre 1896 et 1905, au conseil municipal.

Les manifestations se succédaient; des effigies de Dreyfus furent brûlées en place publique. Les menées antijuives trouvèrent un porte-parole en la personne d'un étudiant, Max Régis, qui proclama en janvier 1898 «  l'heure de la révolution ». L'émeute se propagea. Le gouverneur Louis Lépine télégraphia au gouvernement français le 25 janvier : « Passion si violente que malgré les pertes considérables subies à Alger du fait des troubles, la seule chose que la majorité de la population regrette, c'est que les juifs et les représentants de l'autorité n'aient pas souffert davantage. »

A Alger, en 1898, le chef de file des antisémites était Max Régis, qui devint maire d’Alger et les élections du 8 mai 1898 donnèrent en Algérie 4 sièges sur 6 aux « candidats antijuifs » : Édouard Drumont et Marchal sont élus à Alger, Émile Morinaud à Constantine et Firmin Faure à Oran.. A la même époque Constantine eut aussi un maire antisémite : Émile Morinaud précité.

En mai 1902, une succession d'agressions sporadiques motiva l'appel lancé à Louis Lyautey qui se vit confier le commandement de la subdivision d'Aïn Sefra (1903-1906), puis celui de la division d'Oran (1906-1910).

Mais élections de 1902, les candidats républicains l’emportent sur les anti-juifs : le calme est revenu.

A Oran, le porte-parole de l’anti-judaïsme sera longtemps un médecin, le docteur Jules Molle.

Battu aux élections législatives de 1919 et 1924, celui que ses amis appellent "le rénovateur de l'antisémitisme algérien", entreprend une violente campagne contre les juifs. Fondateur d’une Ligue latine puis d’une Union latine qui appelle l’union des latins contre les juifs et qui, de 1926 à 1932, dominera la vie politique de l'Oranie. Il entend avant tout décourager ou effrayer les quatre mille électeurs israélites d'Oran et attirer les huit mille électeurs d'origine espagnole, il réussit à obtenir le boycott des commerçants juifs.

Aux élections municipales de mai 1925 marquées par de graves incidents, la liste anti-juive du docteur Molle l'emporte avec deux mille voix de majorité.

Le docteur Molle est soutenu dans sa campagne par le journal Le Petit Oranais qui s'adresse au prolétariat européen pour l'inviter à «secouer le joug de l'oppression juive» ce qui se révèle payant. Ce journal continue sa propagande anti-juive, même après les élections, tandis que le docteur Molle, nouveau maire d'Oran, multiplie les procédés discriminatoire à l'égard des juifs.

Le journal Le Petit Oranais qui s'adresse «à tous les aryens de l'Europe et de l'univers» a pris pour manchette permanente une diatribe de Martin Luther : « il faut mettre le soufre, la poix, et s’il se peut le feu de l’enfer aux synagogues et aux écoles juives, détruire les maisons des juifs, s’emparer de leurs capitaux et les chasser en pleine campagne comme des chiens enragés. » Obligé, à la suite d’une plainte du gouverneur général Violette, de retirer cette manchette, le journal ornera, quelques années plus tard, sa première page d’une croix gammée.

Le docteur Molle, élu député d'Oran en 1928, créa le Parti national populaire en 1930.

En 1932, un an après la mort du docteur Molle, Oran et Sidi-bel-Abbès éliront encore des députés qui se proclament d’abord anti-juifs, par exemple Michel Pares qui se mettra au service de Mussolini.

Avec la montée de la crise économique, l’antisémitisme, un peu assoupi de 1932 à 1934, se réveille ; on voit réapparaître sur les murs des papillons reprenant les vieux mots d'ordre de 1898 : « Acheter chez les juifs c'est ruiner le commerce français» ou encore «Ton ennemi c'est le juif, il t'exploite, il te vole » ou ceux de 1919 «Pactiser avec les juifs c'est trahir la France » ; et ce slogan : « Les juifs font la vie chère.»

Le Petit Oranais retrouve son ton de 1925 ; d’immenses croix gammées peintes au goudron apparaissent sur les murs des édifices d’Oran. Les établissements Juan Bastos ornent leurs cahiers de papiers à cigarettes de 12 croix gammées sans qu’on puisse dire s’il s’agit d’un manifeste politique ou d’un sens publicitaire dévoyé.

La campagne du Front populaire sert également de prétexte à une nouvelle et vigoureuse poussée d’antisémitisme.

A Oran, le maire, l’ex-abbé Gabriel Lambert, prêche, coiffé du casque colonial et ceint de l’écharpe tricolore, la mobilisation générale contre les juifs et le Front Populaire.

Fondateur des Amitiés Lambert, ou Amitiés latines, puis du Rassemblement populaire d'action sociale, le maire d'Oran, l'abbé Lambert, reprend la politique anti-juive des Unions latines et désigne le Front populaire comme une manifestation d’impérialisme juif. Il invective publiquement « ces gens qui n'ont pas de la terre de France à la semelle de leurs souliers ». Le 30 décembre 1937, bien que prêtre frappé d'interdit, l’abbé Lambert déclare, revêtu de sa soutane: « Les juifs ne poursuivent qu'un but : se rendre maîtres du monde. Ils ont crucifié le Christ et attendent le Messie pour nous tenir sous leur domination.»

Or, idole du petit peuple oranais, qui ne l'appelle que le « senor cura », l’abbé Lambert déchaîne l’enthousiasme à chaque discours. Son buste, vendu 3 francs, se trouve dans toutes les maisons oranaises.

En réponse au slogan diffusé par Oran républicain : « un juif vaut bien un breton », l'hebdomadaire L'Oranie populaire écrit : «  Un juif vaudra un breton le jour où les juifs donneront à la France un Du Guesclin, un Duguay-Trouin et quatre cent mille des leurs pour la patrie.»

En 1938, le Parti populaire français, remporta partout en Algérie un grand succès sur le thème de l’abrogation du décret Crémieux.

Il faudra la loi du 21 avril 1939, réprimant les excitations à la haine raciale, pour faire taire provisoirement les anti-juifs d’Algérie.

Le Petit Oranais, remarquez le svastika.

Texte à l'appui

1898 : l’embrasement antijuif en Algérie

Extrait de Geneviève Dermenjian, Alger 1860-1939 - Le modèle ambigu du triomphe colonial, éd. Autrement, collection Mémoires n°55, mars 1999.

L’antisémitisme des Européens d’Algérie fut parfois spectaculaire. Fièvre bénigne, aux manifestations essentiellement électorales, ou caractéristique plus profonde ?

Trois avril 1898, quatorze heures. Le Général-Chanzy, qui fait la navette avec Marseille, entre dans le port d’Alger et se range le long du quai où se pressent officiels et membres de délégations d’associations. Le débarcadère est noir de monde, la foule est descendue par la rampe de l’Amirauté et par les escaliers face au square Bresson. Hommes et femmes ont les bras chargés de fleurs, de couronnes de palmes, de bouquets liés par des rubans tricolores. Lorsque Édouard Drumont se présente enfin, la foule applaudit, crie sa joie, entonne La Marseillaise anti­juive et lance sporadiquement des : « À bas les Juifs ! » Drumont, qui vient d’annoncer sa participation aux élections législatives à Alger sous l’étiquette « candidat antijuif », reste un instant incrédule devant cet accueil, alors que la foule brûle des effigies d’Alfred Dreyfus sous les bravos.

Après quelques mots de bienvenue, Drumont descend la passerelle et s’installe dans une voiture. Le cortège qui se forme aussitôt remonte la rampe Chasseloup-Laubat, traverse le boulevard du Front-de-Mer, prend le boulevard de la République jusqu’à Mustapha où un arrêt est prévu devant la mairie, puis fait route vers le boulevard Bon-Accueil où se trouve la villa Jeanne-d’Arc qui doit l’accueillir. Tout au long du parcours, on acclame ce leader. « Ce fut pendant une demi-heure une acclamation ininterrompue, rapporte le journaliste de la Revue algérienne, des hommes se brisaient la voix à force de crier : "Vive Drumont !" Des femmes jetaient des bouquets et, au risque de se faire écraser, fendaient la foule pour s’approcher de lui ; des fleurs tombaient des balcons ; la voiture était par instants soulevée et les chevaux ne la traînaient plus. Lui, debout dans la voiture, entre Réjou et Louis Régis, souriait à la foule. » [1]

Cet accueil triomphal, Alger le réservait à celui qui s’était rendu célèbre dans les années 1880 avec la publication de La France juive, pamphlet qui dépassait le millier de pages et qui s’était vendu à des dizaines de milliers d’exemplaires. Convaincu par le jeune leader antijuif Max Régis de se présenter à Alger, Drumont allait y remporter un véritable triomphe qui dépassa le cadre de la ville. Les élections du 8 mai 1898 donnèrent en Algérie 4 sièges sur 6 aux « candidats antijuifs » : Drumont et Marchal sont élus à Alger, Émile Morinaud à Constantine et Firmin Faure à Oran. Seuls Thompson et Étienne conservaient leur siège. Après cette victoire, les « quatre mousquetaires gris » [2] quittent Alger le 29 mai, dans l’apothéose que l’on devine, bien décidés à en découdre à l’Assemblée nationale. Soucieux de prouver leur bonne foi, et de justifier leur bon choix, les électeurs de Drumont suivent les « exploits » de leur maître à penser et n’hésitent pas à couvrir les murs d’affiches reproduisant le discours du 23 décembre 1898 de Drumont à la Chambre des députés. Cet affichage sauvage en entraînera un autre, hostile cette fois à Drumont, représenté en pèlerin, en prêtre, en singe et affublé du surnom de « Barbapoux » [3]. Les partisans de Drumont parcouraient la ville pour décoller ou lacérer ces affiches. Mais ce fut là une des rares oppositions à cet homme politique.

L’antisémitisme en Algérie n’est pas une création spontanée de la fin du XIXème siècle, surgie pour assouvir une passion passagère ou pour imiter la métropole en proie aux convulsions de l’affaire Dreyfus. C’est au début de la présence française qu’il faut le faire remonter chez les Européens, tant civils que militaires. Ce courant avait des racines raciales, économiques, religieuses, sociales, ou proprement locales même, si l’on considère que de nombreux militaires étaient hostiles aux Juifs dans l’espoir de plaire aux Musulmans. Cependant, la France déploya une politique d’assimilation des Juifs d’Algérie et leur statut se rapprocha progressivement de celui des Français. Le décret Crémieux du 24 octobre 1870, qui les naturalisa en masse, ne fut ni une divine surprise ni un coup de tonnerre dans un ciel serein, il venait achever une politique d’assimilation mise en oeuvre depuis une trentaine d’années.

Dès lors, l’antisémitisme larvé des Français d’Algérie se radicalisa. Désormais, les Juifs devenaient assez nombreux pour décider du résultat des élections en votant ensemble pour un candidat, et c’est avec eux qu’il fallait donc partager les fruits de la conquête. Malgré quelques consignes de vote, les Juifs partagèrent leurs voix entre les différentes formations politiques, selon les villes, avec une préférence toutefois pour les républicains opportunistes. Ils obtinrent ainsi la sympathie de tous. Ces pratiques électorales étaient courantes en Algérie, mais elles devaient choquer les Français, qui attendaient davantage de républicanisme de la part de ces nouveaux venus en politique. D’année en année, la question revint au centre des discussions. On n’hésite pas à flatter les Juifs avant les élections, pour les maudire ensuite en cas de défaite et réclamer l’abrogation du « funeste décret ». Au tournant des années 1890, l’antisémitisme fit un nouveau bond. Il permet l’élection de la liste antijuive d’Émile Morinaud à la mairie de Constantine en 1896, puis à Oran l’année suivante. De graves émeutes secouent les principales villes d’Oranie cette année-là.

Alger n’est pas en reste. La première ligue antijuive s’y crée en 1892 à l’initiative de personnes très différentes mais se réclamant toutes du « parti socialiste révolutionnaire en lutte contre le pouvoir orléaniste et de l’argent ». Peu de temps après, la ligue prend le nom de Ligue socialiste antijuive. Dans ses réunions, on y côtoie,selon un rapport de police, « toutes sortes de personnes, y compris des anarchistes pour qui les grandes mondaines sont les prostituées de la haute société » ! [4] Incidents, violences et échauffourées se multiplient à partir de 1895. L’antisémitisme recrute sans mal parmi les Néos [5], Maltais, Italiens, Espagnols que l’on naturalise à partir de 1889. Des Algériens se mêleront à eux au moment des pillages. Ce petit peuple européen d’Alger trouve son porte-parole en Cagayous, le personnage créé par l’écrivain Musette et qui devint l’archétype des antijuifs algérois. Moins de deux ans plus tard, Alger découvre son héros antijuif, Max Régis, étudiant d’origine italienne expulsé pour deux ans de l’université d’Alger. Ce dernier construit sa carrière politique autour de la « question juive » et du séparatisme avec la métropole. À deux reprises, Régis est porté quasi triomphalement à la mairie d’Alger : il y reste deux mois la première fois avant d’être suspendu et il démissionne la seconde fois afin de prévenir une nouvelle suspension. Adulé par la foule algéroise pendant trois ans environ, Max Régis est le symbole de la crise antijuive algéroise, agressive et populaire. Le maire déchu multiplie les violences verbales contre les Juifs et les autorités, presse l’Algérie de se séparer de la France pour devenir un « nouveau Cuba » [6], prend des mesures discriminatoires contre les Juifs. Cette attitude le mène en prison, devant les tribunaux, puis sur le chemin provisoire de l’exil.

Max Régis porté en triomphe à Alger en 1898 L’année 1898 voit le triomphe des antisémites à Alger et dans toute l’Algérie. Partout, la même ferveur, les mêmes agressions verbales et physiques, la même atmosphère de fête mêlée de révolte. Les Juifs d’Alger, toutefois, sont plus molestés, humiliés qu’ailleurs. Au début de janvier ont lieu des émeutes d’une rare violence à Bab el-Oued et à Bab Azoun. Du 20 au 25 janvier, partout en ville, la rue appartient aux fauteurs de troubles ; la police laisse faire et les zouaves n’interviennent qu’à contre coeur. Ces « youpinades » font une centaine de blessés. Deux Juifs sont assassinés. À la suite de ces événements, le département entier s’embrase et la plupart des villes (Blida, Boufarik...) sont le siège d’émeutes antijuives.

Peu après, pendant la campagne électorale, l’excitation et les violences s’intensifient. Le journal de Max Régis, L’Antijuif, dénonce les entrepreneurs employant des Juifs, faisant perdre leur pauvre travail à des cigarières ou à de simples cochers. Les Juifs voient leurs magasins boycottés, leurs clientes « françaises » surveillées et dénoncées, voire molestées par d’autres femmes quand elles sortent des boutiques, les cafés refusent de servir des clients juifs. Tous les jours, les organes antisémites demandent aux « Français » de « ne rien acheter chez les Juifs », de n’avoir recours ni aux avocats ni aux médecins juifs. Ce régime de pression et de violences, les Juifs d’Alger le subissent pendant plus de trois ans, partagés entre la crainte de la répression et la volonté de riposte. Du côté des autorités, par tactique ou conviction, un certain silence s’établit. Les gouverneurs généraux et les préfets assurent certes l’ordre public, mais avec plus ou moins de sévérité. Personne ne défend réellement les victimes. On regrette que le décret Crémieux ait été promulgué, on s’abstient de parler des Juifs ou on regrette qu’ils aient commis des erreurs expliquant les troubles.

Hors d’Alger, le calme revient dans les rues dès 1899 et les journaux s’agacent à rapporter les excès antijuifs et les criailleries séparatistes de la capitale. À partir des élections municipales de mars 1900, la question juive redevient un peu partout un simple enjeu électoral qui permet de remporter encore quelque succès. Mais aux législatives de 1902, Drumont est battu dès le premier tour à Alger, alors que les municipales de 1900 viennent d’être annulées ; Faure, Morinaud, Marchal partagent la même déconfiture. La date des législatives de 1902 passe généralement pour marquer la fin de la crise antijuive, bien que la municipalité anti­juive perdure à Oran jusqu’à octobre 1905. L’antisémitisme cesse ensuite d’être un levier politique jusqu’à la Grande Guerre.

La fin de la crise s’explique par de nombreuses raisons. À Paris, les hommes au pouvoir comme Barthou et Waldeck-Rousseau repoussent fermement les exigences des antisémites concernant l’abrogation du décret Crémieux et les mesures discriminatoires prises à l’encontre des Juifs. À Alger, le préfet Lutaud (décembre 1898 - juillet 1901 ) , lui aussi très ferme, joue un rôle important dans le retour à l’ordre. Il endigue les manifestations, arrête les casseurs, refuse les budgets antijuifs. Paris entreprend de son côté de diviser les antisémites. En 1898, l’Algérie obtient une autonomie financière et une assemblée financière locale, les Délégations financières, siégeant à Alger. Cette mesure contente les antijuifs républicains et les éloigne du groupe de Max Régis, dont les menées séparatistes déplaisent de plus en plus. Isolé, Régis se rapproche plus encore des réactionnaires, ce qui achève de le brouiller avec ses anciens amis. À Paris, les députés antijuifs s’éloignent les uns des autres pour les mêmes raisons, Drumont et Faure d’un côté, Marchal et Morinaud de l’autre.

Ensuite, les antijuifs d’Alger en arrivent à se discréditer. Des dissensions les opposent et la personnalité de Max Régis finit par lasser jusqu’à ses admirateurs. À la fin de 1901, il quitte définitivement l’Algérie. Sans gloire. À l’Assemblée, les « mousquetaires gris » ne sont plus d’aucune efficacité pour leurs électeurs et Drumont se disqualifie par ses violences verbales. Enfin, le 26 avril 1901, à Margueritte-Aïn Turki, près de Miliana, une émeute menée par un groupe d’Algériens coûte la vie à 5 Européens. Certains y voient une conséquence des troubles algérois. Et pour beaucoup, le « péril arabe » apparaît brusquement plus important que le « péril juif ».

Alger et l’Algérie renouent avec le calme et comptent bien tirer profit des nouveaux pouvoirs que Paris a octroyés. Délégations financières et autonomie financière leur donnent plus d’assurance et de superbe. Dès lors, le séparatisme se noie dans la déconvenue des amis de Max Régis, les Arabes semblent redevenus dociles après la mise au pas des insurgés de Margueritte, et il n’est plus question de toucher au décret Crémieux.

Quant aux juifs, l’ostracisme subtil qui les tenait à l’écart du reste de la société devait subsister, prenant les formes du simple mépris ou de la porte fermée. Après la Première Guerre mondiale, l’antisémitisme politique revient à la mode. Les slogans, les chansons et les journaux antijuifs reparaissent à Alger dans les années 1932-1934. À Oran, en 1925, le docteur Molle fit élire sa liste antijuive grâce à une campagne antisémite marquée par de nombreux incidents. En 1936, l’abbé Lambert, maire d’Oran, renoua lui aussi avec les méthodes des antijuifs après avoir prêché la paix intercommunautaire. En août 1934 eut lieu un pogrom à Constantine, et en 1938, le Parti populaire français, parti de Doriot, remporta partout en Algérie un grand succès sur le thème de l’abrogation du décret Crémieux. On pourrait multiplier les exemples

La politique de Vichy devait réaliser les attentes des antisémites en abrogeant le décret Crémieux et en promulguant les lois d’exception appliquées en Algérie avec une grande rigueur. Quarante ans après l’embrasement antijuif, Émile Morinaud allait écrire dans ses Mémoires [7] : « Heureusement pour nous Français, un gouvernement résolu, celui du maréchal Pétain, est venu qui, par l’acte courageux et indiqué que fut de sa part, en octobre 1940, l’abrogation du fameux décret Crémieux, nous a délivrés à jamais de l’électorat juif. Par là, il a définitivement assuré la prédominance française dans notre chère Algérie. C’en est donc fini de la domi­nation juive dans notre pays. Nous n’aurons pas lutté contre elle en vain. »

Mais les temps avaient changé : à la Libération, après la restauration du décret Crémieux, l’antisémitisme n’est plus un thème politique. Dès les premiers remous de la guerre d’Algérie, le péril est ailleurs.

Cet antisémitisme avait persisté dans les années précédant la guerre de 14 et repris dans les années 1920 avec les Unions latines sur lesquelles se sont appuyées à Oran les municipalités antisémites du docteur Molle et de Jean Ménudier, puis, dans les années 1930, plus influentes encore que les sections locales des partis d’extrême droite comme le PSF ou le PPF, les Amitiés latines de l’abbé Gabriel Lambert, maire depuis 1933, qui prit ouvertement pour programme à partir de 1937 la lutte contre les Juifs et les communistes. Et tandis qu’Oran subissait la fascination de l’ordre fasciste et même nazi (un de ses quotidiens, Le Petit Oranais, portait la croix gammée dans son titre), Alger était en 1935 la première des villes françaises, avant Paris, pour le nombre d’adhérents au mouvement du colonel de la Rocque, Croix-de-Feu puis PSF après sa dissolution comme "ligue factieuse" par le gouvernement de Paris, dont les militants défilaient en uniforme et au pas cadencé, tout comme ceux de la section algéroise du PPF de Doriot, dirigée par Victor Arrighi, alors qu’à Constantine, le maire Émile Morinaud créait les Amitiés françaises pour "organiser la défense contre les Israélites de Constantine". Plusieurs campagnes se développèrent, alimentées par l’exploitation tapageuse de faits divers.

Quand, le 7 octobre 1940, le gouvernement de Vichy abrogea le décret Crémieux, retirant aux Juifs tous leurs droits à la citoyenneté française et refaisant d’eux des "indigènes" au même titre que les Musulmans, ce n’était pas uniquement le résultat de la politique décidée en métropole mais aussi la conséquence de cet antisémitisme persistant au sein de la société européenne d’Algérie. 12 000 enfants juifs furent expulsés de l’enseignement public primaire, secondaire et professionnel à la rentrée de 1941, le nombre d’enfants écartés se montant à 18 000 l’année suivante. Seize camps, de vocations diverses, souvent gardés par d’anciens légionnaires ouvertement pro-nazis, furent ouverts en Algérie, dont certains regroupaient les soldats juifs algériens de la classe 1939, contraints à des travaux forcés. Les Anglo-Américains, en arrivant en novembre 1942, au prix de lourdes pertes (les autorités françaises d’Algérie leur ayant infligé 1 500 morts, enterrés dans le cimetière qui domine encore Oran), y dénombrèrent au total 2 000 détenus. Ce ne fut que le 20 octobre 1943, soit près d’un an après le débarquement allié en Afrique du Nord - le Service des questions juives d’Alger étant resté ouvert jusqu’en mars 1943 -, que le Comité français de libération nationale accéda à la demande des Juifs d’Algérie de recouvrer leurs droits politiques de citoyens, demande à laquelle les notables musulmans, qui formulaient la même pour tous les Algériens, étaient loin d’être hostiles. Quant aux responsables européens de la répression anti­juive, ils ne firent, pour la plupart, l’objet d’aucune poursuite.

La mémoire française a préféré retenir l’idée d’une cohabitation difficile entre les Juifs et les Musulmans d’Algérie, projetant rétrospectivement les conflits venant après la Seconde Guerre mondiale, alors que les incidents furent rares entre ces deux communautés et souvent suscités par des antisémites européens à la recherche de troupes pour commettre des violences.

La dernière étape du processus d’intégration des Juifs d’Algérie à la communauté européenne correspondit à la guerre d’Algérie. En 1956, un appel du FLN les incitait à soutenir le mouvement pour l’indépendance, ce que firent un petit nombre d’entre eux, mais la grande partie était déchirée entre ses racines algériennes et son attachement à la France, où se mêlaient, selon les cas, un attachement au statut de citoyenneté qu’elle leur avait finalement assuré et une nostalgie de la société coloniale, où ils occupaient, malgré tout, pour beaucoup d’entre eux, une situation privilégiée par rapport à la masse de la population. Les Juifs d’Algérie avaient peur que la France ne se soucie que des Français ou des Européens "de souche" et que leur citoyenneté française, rétablie moins de vingt ans plus tôt, ne soit de nouveau remise en cause. A leur demande, les accords d’Évian précisèrent que les Juifs d’Algérie seraient considérés comme européens et la France prit même, en 1961, à la veille de l’indépendance, une mesure donnant la citoyenneté française aux quelques Juifs habitant, hors des limites des départements d’Algérie, les territoires du Sud conquis en 1870, qui n’étaient pas citoyens français et conservaient leur statut personnel.


Notes

[1] Revue algérienne, tome XXXV, 1er semestre 1898.

[2] Les députés antisémites élus furent surnommés ainsi parce qu’ils portaient un chapeau gris semblable à celui que portait le marquis de Morès, créateur d’une des premières ligues anti­juives, qui venait de décéder.

[3] CAOM, 7G17.

[4] CAOM F80 1684.

[5] Néos, pour nouveaux français. D’origine européenne, ils viennent d’être naturalisés par la toi de naturalisation automatique de 1889.

[6] En 1898, Cuba, fort de l’appui des États-Unis d’Amérique, se soulève contre la mère patrie, l’Espagne, et conquiert son « indépendance ».

[7] Morinaud Emile, Mes mémoires, premiers combats contre le décret Crémieux, Alger, Baconnier , 1938, 392 p. (rééd. en 1941 avec une modification du titre, "premiers combats" devenant "premières campagnes").