Joachim Peiper
Joachim « Jochen » Sigismund Albrecht Klaus Arwed Detlef Peiper, dit Joachim Peiper, né le 30 janvier 1915 à Berlin-Wilmersdorf dans l'Empire allemand et mort assassiné le 13 juillet 1976 à Traves dans le département de la Haute-Saône en France, était un officier supérieur allemand, cadre de la Waffen-SS.
Biographie
Jeunesse
Né en 1915 à Berlin, Joachim Peiper descendait d’une vieille famille originaire de Silésie (qui passa à la Prusse en 1763). Les Peiper s’y épanouirent tantôt comme artisans ou fermiers, tantôt comme officiers du côté maternel. Waldemar, père de Joachim, se battit vaillamment pendant la guerre contre les Hereros en Namibie (1904) et durant la Première Guerre mondiale où il fut promu major. Lors des très graves troubles qui assaillirent la nouvelle République de Weimar dès 1919, il s’engagea dans les Corps Francs qui luttaient contre les bolcheviques. Début 1923, l’Allemagne ne put plus faire face à ses engagements stipulés dans le Traité de Versailles. Les armées française et belge occupèrent la Ruhr. D’où une grève générale, une inflation record et une économie au bord du gouffre. Finalement c’est Stresemann qui, grâce au Plan Dawes, redressa la situation économique du pays. Ce fut donc dans ce pays vaincu et tourmenté que les trois frères Peiper (Jochen était l’aîné) passèrent leur jeunesse (La Seconde Guerre Mondiale lui ravit ses deux frères). On estime que 400 000 vétérans de la défunte armée impériale avaient rejoint les Corps-Francs.
Jochen, pour sa part, rejoignit dès 1933 la Hitlerjugend et fut nommé chef de section. Il l’avoue : « Au vu de mon ascendance, la carrière militaire m’apparut comme une évidence depuis mon plus jeune âge ». Son choix se porta sur la SS en uniforme noir, pour lui ordre élitiste à part entière. Parmi les 11 000 SS présents au Congrès de Nuremberg en 1934, c’est le jeune Joachim Peiper qui fit le plus d’impression au Reichsführer SS Heinrich Himmler qui l’encouragea à faire carrière en tant qu’officier supérieur dans la SS. Jochen poursuivit son instruction à la SS-Junkerschüle de Brunswick et se lança avec enthousiasme dans la tâche que lui confia Himmler : faire des SS des soldats politiques, mais aussi et surtout des soldats d’élite, les meilleurs du monde ! Le 1er juillet 1935, à l’âge de 20 ans, Peiper fut nommé Standartenjunker (aspirant-officier SS) et prêta serment au Führer.
Le 1er avril 1936, il intégra le Régiment Leibstandarte Adolf Hitler (LAH en abrégé). Il était alors sous les ordres de Sepp Dietrich. Ils seront côte à côte tout le long de la terrible campagne de Russie. Ses hommes, dûment sélectionnés par Peiper sur la base de critères spartiates, jouaient le rôle de gardes du Reich. C’était une sorte de garde prétorienne dédiée d’abord à la sécurité du chancelier. Jochen à 21 ans n’était pas peu fier d’avoir pu intégrer ce régiment d’élite, mais c’était la sécurité du Reich qui primait.
Aide de camp du Reichsführer SS
Le 30 juin 1938, la Chancellerie annonça que le SS-Untersturmführer Peiper, membre de la LAH, était affecté pour une durée de trois mois à l’état-major personnel du Reichsführer SS Himmler. Celui-ci prolongera sa mission d’un an. Il intégrait le cercle très fermé de l’homme le plus mystérieux du Reich qui visait à une nouvelle aristocratie. Car tout se résumait dans le credo de chaque SS : « Mon honneur s’appelle Fidélité ».
La guerre
Le 17 avril 1939, Peiper épousa Sigurd Hinrichsen, une blonde plus âgée que lui de deux ans, qui lui donnera trois enfants et lui restera fidèle jusqu’à leur mort quasi-commune. Chaque officier de la SS devait alors obtenir l’autorisation d’Himmler, et il l’eut. Le 26 août 1939, Peiper quitta l’entourage de Himmler pour retrouver sa chère Leibstandarte car la guerre approchait. On a oublié les agressions polonaises contre les civils allemands. On baptise l’une de ces journées sanglantes du nom de “Blomberger Blutsonntag” : à Blomberg, courant septembre 1939, 5437 civils allemands furent assassinés bestialement et 7000 incarcérés. Mais, le 19 septembre 1939, Hitler faisait son entrée dans Danzig libérée. Peiper l’accompagne à Varsovie. Le 5 octobre, Himmler, accompagné de Peiper, s’envola à son tour pour Varsovie ; tous deux assistèrent avec Hitler au défilé de la victoire.
Peiper participa à la campagne de mai 1940, aussi pour porter main forte à la SS-Totenkopfdivision engagée dans la lutte. Engagé à Dunkerque, il se vit décerner la croix de fer de 1ère classe en récompense de son attitude au feu. Après l’entrée des allemands à Paris, Hitler ordonna une vive poursuite des troupes françaises en déroute. Le SS Sepp Dietrich, chef de la LAH, fonça vers la Bourgogne, puis vers le Sud, laissant des nuées de prisonniers dans son sillage.
Au printemps 1941, la guerre allait prendre une autre tournure : pour prévenir une proche attaque de l’URSS, Hitler ordonna de passer les premiers à l’attaque. Le Plan Barbarossa était initialement programmé pour le 15 mai. Mais Hitler dut secourir Mussolini en Grèce. L’armée grecque s’effondra vite. La Leibstandarte (LAH) avec Peiper s’illustra brillamment dans les combats dès le 10 avril 1941. Le 13 avril, Sepp Dietrich défilait à la tête de ses hommes dans les rues d’Athènes.
En URSS, les Allemands rencontrèrent d’emblée une très forte résistance malgré la désorganisation de l’armée russe. En effet, les soldats étaient sous la coupe de commissaires politiques qui abattaient les fuyards. La Wehrmacht n’avait pas encore atteint Moscou lorsque le terrible hiver russe la surprit. Plus tard eut lieu la terrine bataille de Kharkov (fin mars 1943). Peiper, grâce à une violente attaque héroïque, réussit à sauver 10 000 soldats allemands encerclés par les Soviétiques. On ne saurait citer tous les hauts faits d’arme de Peiper, tels ces assauts nocturnes qui firent sa renommée.
Après la victoire de Kharkov, Peiper s’empara de Bielgorod, ce, grâce (encore), à une attaque-surprise. Ce rare exploit fit l’étonnement de ses supérieurs. On vit même Peiper, armé d’un chapelet de grenades liées entre elles, grimper sur un char ennemi sans être repéré. Décidé à arrêter le mastodonte à étoile rouge, il jeta ses grenades dans l’une des ouvertures, s’éloignant rapidement du blindé qui avait stoppé tout d’un coup. Une explosion retentit : le char était détruit…. Le 5 juillet débuta la plus grande bataille de blindés de l’Histoire, Koursk. Presque tous les chars russes furent détruits. Ce qui est intéressant est la remarque du Sturmbannführer Peiper qui était stupéfait des moyens immenses mis en œuvre par les Russes : ils disposaient de chars américains de type Grant en deux fois plus grand nombre que les chars allemands. Ce sera là la seule allusion que fit l’auteur au sujet des millions, voire des milliards, de tonnes de matériel militaire que les Etats-Unis livrèrent à leur cher “allié” Staline (“Joe”, comme l’appelait Roosevelt). Le brillant historien des deux guerres mondiales, Heinrich Härtle, non traduit en français, insiste, lui, sur l’ampleur de ces aides déterminantes dans la défaite du Reich ; Hitler le savait, mais les sous-estima. La gigantesque confrontation de Koursk s’achevait sur un bilan sanglant. Hitler décida le repli des troupes vers l’Ouest, donc un abandon qu’il pensait provisoire et partiel du Front de l’Est. En effet, les Américains avaient débarqué en Sicile. Mussolini était écarté du pouvoir. Peiper, avec ses troupes stationnées au Piémont, était en minorité face aux soldats italiens, et de plus dans une région infestée de partisans communistes. Bien qu’essuyant des pertes, Peiper réussit cependant à faire libérer ses camarades prisonniers des Italiens. On accusera même les Allemands d’avoir tiré sans raisons sur eux, alors que ce fut l’inverse (affaire de Boves). La lutte continuait à l’Est, mais la conjoncture s’était fortement dégradée.
Le 20 novembre 1943, Peiper apprit une nouvelle qui le stupéfia : on lui confiait le commandement du premier régiment de Panzer SS de la division SS Adolf Hitler qu’il gardera jusqu’à la fin, lui qui n’avait jamais commandé une seule section de chars.
Le 30 janvier 1944, Peiper devint Obersturmbannführer. Il fut reçu par Hitler lui-même qui, debout, lui remit sa décoration (chevalier de la croix de fer avec feuilles de chêne). En février 1944, il dut subir un examen médical à Dachau. Le diagnostic était à ce point alarmant qu’on prolongea sa permission d’office. Il ne repartirait pas à l’Est. Il participe peu personnellement aux combats en Normandie même si son régiment y est. En effet, il souffre d’une dépression nerveuse compréhensible et séjournera d’abord à Sées à 70 km du front puis jusqu’au 7 octobre 1944 dans un hôpital militaire de Haute-Bavière. Les vestiges de la Leibstandarte se retirèrent vers la Belgique et y furent rassemblés.
L'offensive des Ardennes
S’il retrouva son régiment exsangue, Peiper ne fut cependant pas déçu : Hitler avait décidé de le reconstituer en vue de « l’offensive des Ardennes », son dernier coup de poker. La défaite aura pour effet la condamnation à mort de Peiper. Il faut donc résumer cette célèbre affaire de Malmédy où, une fois de plus, les vainqueurs jugeront les vaincus.
Trois troupes étaient stationnées dans le secteur des Ardennes. L’objectif principal de la LAH était de franchir la Meuse au Sud-ouest de Liège, de couper les forces Alliées du Nord de leurs lignes de communication, et de s’emparer si possible d’Anvers. Mais les liaisons radio avec le Haut Commandement étaient très difficiles et la progression lente. Soudain, à environ 700 mètres, les Waffen SS aperçurent une colonne américaine avec une trentaine de véhicules (jeeps et camions). Stoppant leur progression à un kilomètre du carrefour de Baugnez, l’officier SS ordonna aux Panzers d’ouvrir le feu. La colonne ennemie se disloqua dans un désordre total, les GI’s cherchant désespérément un abri. Les Allemands foncèrent à grande vitesse et franchirent le carrefour de Baugnez. Les GI’s réagirent en tirant sur la colonne. Les SS ripostèrent par un feu nourri de mitrailleuses de bord. Les GI’s flanchèrent assez vite, et certains levèrent les mains pour se constituer prisonniers. L’officier SS leur intima l’ordre par gestes de se regrouper vers le carrefour et il informa Peiper par radio de la capture des GI’s. Celui-ci lui ordonna de poursuivre sa route vers Ligneville où se trouvait un important état-major américain : il n’était pas question de se charger de prisonniers, ce qui les retarderait. Or Peiper pensait qu’à Ligneville les Américains ignoraient leur présence. Il se hâta donc en direction de la colonne de pointe, ordonna à celle-ci de cesser de tirer et de foncer vers Ligneville. Face aux prisonniers américains, on tira quelques coups de feu pour dissuader certains de s’enfuir. Peiper poursuivit sa route. Les Américains exagérèrent énormément le nombre de prisonniers tués : 50 à 60 ! Il fut prouvé que les troupes lancées dans l’offensive des Ardennes n’avaient transmis aucun ordre concernant l’exécution de prisonniers américains. Peut-on parler de « crime de guerre » lorsqu’il s’agit d’enrayer une fuite de prisonniers, même si l’on a recours aux armes ? Il ne s’agit évidemment que de circonstances malheureuses. Les conséquences en furent tragiques : des soldats allemands furent ensuite exécutés par ceux de la 11e Division américaine. John Fague, de cette division, décrivit l‘exécution de prisonniers : au moins 70. En décembre 1944, bombardé de tous côtés par l’aviation américaine, Peiper décide un repli à pied des 800 hommes sur 3000 qu’il lui reste. Ce fut une réussite et Hitler lui décerna les glaives sur sa croix de chevalier, ce à titre exceptionnel, et il le félicita personnellement. Il décréta en outre que la colonne reconstituée se joignît aux troupes en Hongrie.
C’est le 1er mai 1945 que l’on apprit le suicide de Hitler. La défaite était là, et malgré la livraison de nouveaux chars hyper puissants, mais non encore opérationnels, on dut, là encore, les saboter ; la capitulation fut effective le 9 mai. Pour les vaincus, le plus urgent était d’échapper aux Russes. Peiper, lui, essaya de rejoindre sa famille en Bavière. Mais les GI’s à sa recherche l’interceptèrent le 22 mai et l’incarcérèrent avec les millions de soldats faits prisonniers par les Alliés.
La captivité
Perversité à Schwäbisch Hall
Jochen Peiper et ses hommes, incarcérés, furent humiliés, voire torturés, par leurs vainqueurs et jetés durant des années dans une incarcération la plus humiliante qui soit, avec à la clé un procès qui ne pouvait que confirmer leur culpabilité. On estime que 15 millions d’Allemands furent expulsés des vastes territoires de l’Est, et que 3 millions d’entre eux furent sauvagement tués.
Peiper eut la chance de n’être pas envoyé en Sibérie. Mais il fut humilié et battu. On le transféra à Freising où on l’interrogea deux jours durant au sujet des soldats américains prétendument assassinés. Il était l’homme le plus haï d’Amérique, avec campagnes de presse à la clé. Il était sans défense, ne pouvant contester ces mensonges accumulés. Il était même prêt à assumer la responsabilité totale des actes reprochés, cela pour couvrir ses propres soldats, et empêcher qu’ils soient condamnés à mort ! Transféré à Oberursel près de Francfort, il fut interrogé plus durement encore, placé sept jours à l’isolement total. On ne l’écoutait même pas car la Waffen SS avait été déclarée « organisation criminelle ». Le 3 janvier 1946, Peiper est transféré à Schwäbisch Hall (région de Stuttgart), de la plus sinistre réputation qu’il soit possible. Plus d’un millier de membres de la Leibstandarte y furent internés. Or, de nombreux officiers juifs furent choisis par les vainqueurs pour les interroger. Parmi eux, on retiendra les noms de Kirschbaum, Byrne, Ellowitz, Pearl, Thon, Schoemaker, et le “procureur” Ellis. Ces gens-là avaient été expulsés du Reich avant la guerre et étaient animés d’un esprit de revanche. Les arrivants, parmi eux, des jeunes gens, étaient accueillis à coups de pieds et de crosse. Le principe était simple : faire avouer par n’importe quel moyen. On leur mettait un sac noir sur la tête, pour qu’ils ne voient pas leurs bourreaux qui y allaient à coups d’objets contendants au visage, et de coups violents dans les testicules. Peiper déclara : « On retourna plusieurs de mes hommes contre moi, au point que je craquai, et l’officier Pearl me dicta ma confession. J’avouai avoir donné l’ordre d’exécution à Malmedy ». Les Etats-Unis avaient ainsi assez d’éléments pour pouvoir accuser Peiper lors du procès qui allait s’ouvrir à Dachau.
Le procès
Il dura du 16 mai au 16 juillet 1946. On enferma 74 ex-Waffen SS dans les baraquements de l’ancien camp. Coup dur pour les prisonniers : ce sont désormais des droits commun en vertu d’une décision unilatérale d’Eisenhower. Les familles des accusés avaient le droit d’assister aux débats, et étaient donc présentes. On alla même jusqu’à accuser la division de Panzers SS de crimes antisémites. Mais ils eurent déjà un bon défenseur en la personne du colonel Willis Everett qui ne cessera par la suite, lui et ses confrères, de s’engager en leur faveur. Comme quoi il y avait matière à s’interroger. Mais même les témoignages qui leur étaient favorables ne furent pas pris en compte. Les jurés se réunirent donc pour statuer pendant à peine plus de deux heures, ce qui, rapporté au nombre des accusés, donne deux minutes pour chacun d’entre eux.
5 années dans une cellule de condamné à mort
Le 17 juillet 1946, on transféra Peiper à la citadelle de Landsberg, prison pour criminels de guerre. Sa cellule est sinistre, non aérée, avec la lumière en permanence. Il doit porter la veste rouge des condamnés à mort. Des faits de crimes de guerre furent imputés à tous les membres de la Waffen SS. Cette forte décision inquiéta d’emblée tous les officiers, et en particulier, les deux principaux généraux en chef de la Wehrmacht, Wilhelm Keitel, et Alfred Jodl (tous deux exécutés à Nuremberg). Outré au plus haut point, Keitel interviendra personnellement le 18 juillet en faveur de Peiper : « Peiper a réellement été un chef d’exception ». Jodl ajoutera lui-même que le jeune officier SS n’aurait jamais pu exécuter des ordres contraires à l’honneur du soldat, et que son chef direct, l’ex-Oberstgruppenführer Sepp Dietrich, ne lui en avait jamais à sa connaissance donné de tels, que le général von Rundstedt, qui commandait les opérations dans les Ardennes, n’aurait jamais toléré de tels agissements.
Peiper ne peut recevoir de visites et ne peut écrire qu’un nombre limité de lettres, censurées. Il s’attend à tous moments à être embarqué pour la potence. En juillet 1947, étonné d’être toujours en vie, il écrit : « Dans ma position, on devient soit fou, soit philosophe ; je lis, je réfléchis, et j’attends avec le sourire ma pendaison prochaine ».
Les choses évoluent. Le général Clay, ayant eu accès aux dossiers et verdicts rendus, décide que, parmi les 43 condamnés à mort, douze seulement (en fait plus) seront exécutés. Peiper y figure. Les dates d’exécution sont fixées pour le 20 mai 1948. Le colonel Everett, convaincu de l’absence d’un procès équitable, n’allait pas rester insensible face à tant de cynisme. Il fait appel à la Cour Suprême des Etats-Unis et à la Cour Internationale de justice de La Haye. Si la Cour Suprême rejette la pétition, elle autorise un nouvel examen des cas des condamnés. Or, un jour avant l’exécution programmée, le 19 mai 1948, le Secrétaire d’Etat aux armées américain met subitement fin au processus d’exécution ! Pour Wikipédia, dont le long article à charge sur Peiper repose essentiellement sur l’ouvrage de Jens Westemeier et peu d’autres sources, c’est suite à une campagne orchestrée par le sénateur McCarthy et le secrétaire d’Etat aux armées, Kenneth Royall, que les exécutions ont été arrêtées. L’explication en est le début de la Guerre Froide, ce qui expliquerait la mansuétude soudaine des Américains envers les criminels de guerre nazis (sic). Il y avait bel et bien des doutes, ce qui explique l’engagement de juristes et de soldats en faveur de ce qu’on nommerait aujourd’hui l’Etat de droit.
Pour Peiper, l’espoir renaît. Fin juillet 1948, une commission spéciale, avec à sa tête les juges Simpson, Edward van Roden, et le général Charles Lawrence Jr., installa ses bureaux à Munich pour examiner les condamnations prononcées par le général Clay. Il faut ajouter à ces noms celui du juge suprême de l’Iowa Charles Wennerstrum, qui présida le procès des généraux allemands à Nuremberg, et finit par démissionner de son poste. Il ajouta que les procureurs et tout le personnel étaient plus intéressés par la vengeance que par la justice : « Si j’avais su il y a cinq mois ce que je sais aujourd’hui, je ne serais jamais venu ». Il faut mentionner la déclaration de Van Roden pour qui l’isolement cellulaire total a suffi pour convaincre les Allemands de signer des déclarations préparées d’avance. D’après la Commission Simpson, les enquêteurs leur mettaient une cagoule sur la tête, puis les frappaient au visage. Certains ont eu des dents brisées et la mâchoire fracturée. Tous les condamnés, sauf deux, dans les 139 cas examinés par Simpson, ont reçu des coups dans les testicules qui provoquèrent de graves lésions. Nous savons aussi combien Willis Everett Jr. fit tout ce qui lui était possible pour soutenir ses clients. Il était convaincu que le procès de Dachau avait été une mascarade. Il rédigea un mémoire de 228 pages dénonçant ces aveux obtenus illégalement et frauduleusement. Peiper remercia Everett pour son admirable dévouement à leur cause. En novembre 1948, 16 condamnés à mort sont hélas exécutés. D’octobre à décembre 1948, 110 nouveaux prisonniers furent pendus.
En septembre 1949, le juge Simpson décida de commuer les peines des dix condamnés restants en condamnations à la prison à vie. Le 31 janvier 1951, le général Handy suivra cette recommandation. Peiper prendra 35 ans. En effet, entre-temps, le 5 octobre 1950, la défense avait apporté des éléments de contradiction aux conclusions du général Clay avec des témoignages sous serment de cinq officiers dédouanant Peiper d’accusations de meurtre. Par ailleurs, le Sénat américain nomma une nouvelle commission présidée par le sénateur Baldwin. On s’intéressa à nouveau à Schwäbisch Hall. Le “procureur” des procès de Malmedy, Burton Ellis fut entendu par le sénateur McCarthy. Il protesta mais ces protestations cessèrent lorsque le sténographe des procès, James Bailey, fit la lecture suivante d’un témoignage : « Les méthodes employées pour faire avouer les prisonniers étaient d’une telle violence que je dus demander mon rapatriement aux Etats-Unis au bout de dix semaines, ne pouvant plus supporter cela. Les prisonniers s’évanouissaient, tombaient nez et bouche maculés de sang ». La Commission Baldwin continuera néanmoins ses investigations aux Etats-Unis et en RFA, ce qui permettra la commutation des peines.
Malgré l’accablante situation qui est la sienne, on constate que Peiper a conservé son caractère irréductible, soutenant le moral de ses compagnons dès qu’il le peut. Ces années de prison ne réveillèrent pas que des douleurs intérieures chez lui. Sa santé en fut très altérée. Les Alliés n’étant toujours pas décidés à exécuter sa peine de mort, ils durent le soigner. Peiper souffrait de diverses pathologies. Il fut admis à l’hôpital de Landsberg, où il put recevoir la visite de sa famille et, surtout, échapper à son statut d’incarcéré.
Il décida en même temps de faire des études en anglais, en français et aussi en économie. Mais ses problèmes de santé récurrents exigent bientôt son admission dans une clinique de Munich, puis à l’hôpital d’Augsbourg. Ses compagnons prévoyaient un plan d’évasion destiné à le mettre en sécurité en Espagne. Sa femme, mise au courant, l’en informa. Il refusa d’emblée tout projet d’évasion tant qu’un seul de ses anciens camarades de combat serait emprisonné à Landsberg. Cet épisode démontrait une fois de plus la grandeur d‘âme et l’honneur de l’ex-officier SS. Entre-temps, ses proches s’étaient installés en Forêt Noire, à Siltzheim, donc à proximité, et venaient le voir plus souvent. Et puis un éminent personnage de la Deuxième Guerre mondiale, venant d’Argentine, vient manifester sa sympathie à Peiper sur place : c’est Erich Rudel, le plus célèbre pilote de combat de la Luftwaffe, seul, et unique récipiendaire de la plus haute décoration allemande (en dehors de la Grande Croix que reçut Goering) : la croix de Chevalier avec feuilles de chêne et glaives en or et brillants.
La liberté retrouvée
La famille de Jochen ne fut pas prévenue de sa remise en liberté à la Noël de l’année 1956. On imagine la surprise, et la joie après dix ans d’absence. Peiper pouvait enfin célébrer Noël avec les siens. Il se remit donc à travailler et, dès janvier 1957, fut embauché par Porsche à Stuttgart. Hélas des communistes furent bientôt assez puissants pour forcer Porsche à faire démissionner Peiper : il passait pour « le plus grand criminel de guerre » ! Mais il retrouva un travail chez Volkswagen à Reutlingen comme manager. Alors des “Gastarbeiter” italiens (travailleurs immigrés en Allemagne) relancèrent l’affaire de Boves (Piémont) : absurdes accusations de meurtre. Une procédure qui se traduisit par un échec pour les plaignants. Mais pas question de laisser Peiper en paix. On relança alors l’histoire antisémite au Piémont, tout aussi dépourvue de fondement et vouée à l’échec malgré l’acharnement de Simon Wiesenthal. Sa vie et celle de sa famille étaient devenues difficiles. Terriblement déprimé, il se décide à quitter sa patrie pour l’étranger et ce sera la France.
Départ pour la France
Un ami de Peiper, rencontré chez Volkswagen, Max Moritz, le présenta à un Français nationaliste, Albert Gauthier, qui lui fit connaître un terrain situé en forêt, tout près de Traves, petite commune proche de Vesoul (Haute-Saône). Peiper fut immédiatement séduit et acheta le terrain pour y bâtir une maison. Proches et amis l’aidèrent à la construire ; sa famille venait souvent. Elle fut vite achevée. Il s’y installa en 1972. Peiper connut enfin quelques années de tranquillité dans ce cadre idyllique, face aux berges escarpées de la Saône. Il ne se montrait pas en ville, ni même dans le village peu peuplé où la présence de cet exilé allemand inconnu ne dérangeait personne, pas même le maire du village sans parti pris. C’est sa femme qui allait faire les courses en ville. Ils avaient vendu leur maison en Forêt Noire, mais elle avait du mal à s’habituer à cette solitude qui était tant du goût de son mari qui, le matin, travaillait à ses traductions pour la firme « Motor-Presse Verlag », et aussi d’ouvrages d’anciens soldats ayant édité leurs souvenirs de guerre. Cette solitude ne lui pesait pas. L’après-midi, il parcourait sa chère forêt (où était dissimulée sa demeure).
C’est alors qu’il commit bien inopinément la faute qui allait lui être fatale : il lui fallait du grillage pour ses deux chiens et, le 11 juin 1974, il se rendit en voiture à Vesoul. Le marchand était un certain Paul Cacheux, communiste alsacien. La conversation s’engagea dans un excellent allemand, et l’homme lui posa des questions sur son passé, pour finalement lui dire sur un ton provocateur qu’il avait appartenu à la Résistance. Peiper alors s’éclipsa, payant sa note par chèque, de sorte que l’individu avait son nom et son adresse. Cacheux attendra le printemps 1976 pour prévenir L’Humanité. Ce journal publia des articles incendiaires sur ce « criminel de guerre », exigeant son départ de France. On fit des recherches sur lui jusqu’en RDA. Or, un an auparavant, les “vengeurs” de la Haganah, organisation terroriste juive, avaient proclamé : « Nous allons envoyer ces criminels de guerre au Tribunal de Dieu ». Peiper faisait partie de leurs cibles.
Le 13 juillet 1976, il était seul ; son épouse, comme à l’accoutumée, était partie à Bâle. Son ami Kettelhut dormait. Il y eut huit coups de feu entre 23h30 et une heure du matin. Un corps fut retrouvé calciné. Selon la version officielle rapportée par l’ouvrage de Arnaud et Kahane en 1979, des hommes armés auraient attaqué la maison, Peiper aurait mis le feu à des documents compromettants et indirectement à sa maison. Rien n’a jamais pu prouver que le corps calciné était le sien, les auteurs émettant l’hypothèse qu’il aurait pris la fuite. On ne connaîtra jamais la vérité mais l’ouvrage de Michelle Rois ouvre d’autres pistes. L’enquête fut bâclée et personne ne fut mis en examen. Les gendarmes chargés de l’enquête furent assez vite rappelés à l’ordre en haut lieu. La piste du groupe “Nakam” (les vengeurs de la Haganah) ne fut pas exploitée plus avant. Il n’en demeure pas moins qu’on put conclure qu’ils étaient venus de loin en voiture, s’attardant même sur le lieu de leur forfait.
La famille Peiper n’eut droit à aucune indemnisation, le cadavre n’ayant pas pu être identifié avec certitude. On ne put récupérer grand-chose, à part un manuscrit ayant échappé aux flammes. Son épouse mourut peu après de son cancer au sein, et leurs cendres à tous deux reposent, côte à côte, en Bavière, à Schondorf am Ammersee[1].
Bibliographie
En allemand
- Patrick Agte, Jochen Peiper: Kommandeur Panzerregiment Leibstandarte, Druffel & Vowinckel.
- Gerd Cuppens, Was wirklich geschah; Malmedy-Baugnez 17. Dezember 1944. Die Kampfgruppe Peiper in den Ardennen, Grenz-Echo Verlag.
- Alfred de Zayas, Die Wehrmacht-Untersuchungsstelle
- Ralf Tiemann, Der Malmedyprozeß – Ein Ringen um Gerechtigkeit, Verlag K.W. Schütz, Coburg, I
En français
- Michelle Rois[2], Peiper - SS-Standartenführer, trad. de l'allemand par Etienne Gosselin, La Diffusion du Lore, 2022 (vol. 1), 2024 (vol. 2).