Giuseppe Mazzini

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Giuseppe Mazzin
Giuseppe Mazzini (1805-1872) n'est pas seulement un des pères de l'unité italienne (avec Cavour, Garibaldi et Victor-Emmanuel II). Formé par le droit et la philosophie, il est également un théoricien moderne de l'idée républicaine, dans le contexte du Risorgimento (du verbe italien risorgere, resurgir), processus lent et complexe qui invente littéralement la nation italienne. Le rôle essentiel qu'il a joué dans l'histoire de son pays mérite autant d'être connu que l'héritage politique et intellectuel qu'il a laissé. C'est lui qui a élaboré le projet le plus cohérent et le plus moderne : rassembler l'Italie dans une république unitaire. Ayant passé l'essentiel de sa vie en exil, il est à l'échelle européenne l'un des principaux théoriciens de la démocratie moderne, du nationalisme et de la question sociale, ce qui a fait de lui l'un des adversaires longtemps redoutés de Marx. Ses idées restent actuelles sur de nombreux points : la politique comme religion civile ; les rapports entre les nations et l'union des peuples en Europe ; une conception politique et sociale qui s'efforce de concilier libéralisme, démocratie et socialisme, anticipant sur les conceptions du solidarisme voire du socialisme libéral selon des commentateurs actuels.



Biographie


De l'humaniste patriote au révolutionnaire


Giuseppe Mazzini naît à Gênes (appartenant alors au Royaume de Piémont) le 22 juin 1805. Il est le troisième enfant d'un professeur de médecine à l'université de Gênes, fervent républicain par ailleurs, et d'une patriote très croyante. Doué d’une intelligence précoce, il est admis dès 1819 à l'Université, où il se consacre à la philosophie puis au droit. D’un tempérament romantique, il soutient les mouvements estudiantins partisans de l’unification italienne. En 1827, année où il devient inscrit au barreau, il publie son premier essai littéraire Dell’amor patrio di Dante et adhère au carbonarisme (doctrine de la la Charbonnerie, association secrète à objectifs politiques, à savoir défier l’absolutisme monarchique) pour conforter ses idées et mettre en place un plan d'action. Il sillonne alors la Toscane pour recruter de futurs carbonari avant de se faire arrêter en novembre 1830 par la police piémontaise pour ses idées et activités et emprisonner à Savone.

En février 1831, il sort de prison et est banni. Il se réfugie à Marseille où il rencontre d'autres exilés politiques italiens. Tirant la conclusion de l'échec de la Charbonnerie, il fonde une nouvelle organisation, Jeune Italie (Giovine Italia). Fondée sur la « fraternité des Italiens qui croient en une loi de progrès et de devoir », inspirée par le socialisme, elle vise à l'union des différents royaumes d'Italie en une République une et souveraine tout en préservant à celle-ci un aspect moral et religieux résumé dans sa devise : « Dieu et le peuple » (« Dio e popolo »). Mazzini pense également que l'Italie doit prendre la tête du mouvement de régénération de l'Europe, alors en grande partie sous domination de régimes absolutistes.

Mazzini anticipe là un tournant radical. En effet, après 1830, les caractères du mouvement national se transforment. Les patriotes en exil en Europe élargissent leur horizon politique et leur expérience. Ils comprennent que l’ère des complots locaux est terminé et que l’idée italienne doit mobiliser l’opinion publique de la péninsule. Trois grande tendances voient le jour :

  • Le républicanisme de Mazzini instauré par l’insurrection des masses (mais le contraste est grand entre la stature morale de Mazzini, son moralisme intransigeant et la faiblesse de ses moyens d’actions : les complots républicains sont une suite d'insuccès).
  • L’idée d’une solution modérée du problème italien qui s’affirme avec une vigueur croissante parmi une bonne partie de la bourgeoisie, soucieuse de calme, d’ordre politique, de progrès matériel. À la rigidité doctrinale de Mazzini, aux rêves nébuleux des carbonari font place les projets précis de l’abbé piémontais Vincenzo Gioberti (1801-1852) qui préconise un néo-guelfisme, groupant les États fédérés sous l’autorité d’une papauté libérée des jésuites.
  • Enfin l'historien Cesare Balbo (1789-1853), dans ses Speranze d’Italia et son compatriote piémontais Massimo d’Azeglio (1796-1866) préconise une unification sous l'égide de la maison de savoie.


Le Royaume de Piémont Sardaigne (Piémont, Ligure et Sardaigne), sous la dynastie des Savoie dont le jeune roi est Charles-Albert (Carlo Alberto) occupe une position stratégique pour déclencher le Risorgimento et poser les bases de l’Italie réunifiée. Aussi Mazzini monte avec le Niçois Giuseppe Garibaldi un complot destiné à renverser Charles-Albert. Garibaldi, engagé dans la marine militaire sarde doit soulever la flotte dans le port de Gênes, tandis que deux troupes armées, venant de Grenoble et de Genève, envahiront la Savoie. L'expédition, le 31 janvier 1834, est un échec. Les colonnes se débandent ou sont prises par la police sarde. Condamné à mort par contumace par le Piémont, traqué par sa police, Mazzini s'enfuit en Suisse, où il fonde la société secrète Jeune Europe (Giovine Europa), réunion de trois associations républicaines : Jeune Italie, Jeune Allemagne et Jeune Pologne. En décembre 1836, il est contraint de partir pour Londres d'où il crée en avril 1847 la Ligue internationale des peuples. Mazzini suscite des mouvements révolutionnaires à Bologne et à Imola en 1842, à Cosenza en 1844, à Rimini en 1845. Tous sont des échecs.

Le Printemps des peuples


La révolution de 1848 : cette révolution n’est qu’un aspect du grand mouvement Européen, « le printemps des peuples », mais elle garde la marques des révolutions romantiques, avec son mélange de générosité, de revendication sociales sans grande base doctrinale, de manque de coordination dans les initiatives.

Les premières manifestations de cette révolution sont suscités par l’élévation au pontificat du cardinal Giovanni Mastaï-Ferretti, le 17 juin 1846, sous le nom de Pie IX . Le nouveau pape réforme aussitôt ses États dans un sens libéral et promulgue une amnistie. Les espoirs des patriotes italiens se reportent vers lui. L'abbé Gioberti préconise à nouveau une fédération autour du pape (dans la tradition des Guelfes qui, au Moyen Âge, s'opposaient aux Gibelins partisans de l'empereur d'Allemagne). Mazzini rattrape l'idée au bond et, le 8 septembre 1847, de son exil de Londres, invite le pape à prendre la tête du mouvement national italien. Mais le souverain pontife reste indifférent à l'appel.

Une agitation naît dans divers coin de la péninsule. Celle-ci est durement réprimée par Ferdinand II dans son royaume de Naples, la Sicile se soulève et le 15 janvier 1848 le roi annonce l’octroi d’une constitution. Cette pré-révolution est relancée par la Révolution de février 1848 à Paris dont on espère le soutien. Chacun évoque le « Printemps des peuples » et rêve d'une Europe fraternelle et républicaine. À Milan, la population se soulève pendant les Cinq Jours des 18 au 23 mars 1848. Elle chasse de la ville les troupes autrichiennes du feld-maréchal Radetsky. Des gouvernements provisoires s’instaurent à Parme, Modène, Plaisance, Reggio-Emilia.

Le roi de Piémont-Sardaigne, Charles-Albert, veut profiter des troubles civils pour chasser l'Autriche d'Italie... et s'emparer du Milanais. Le 24 Mars, il répond a l’appel des Lombards et annonce la guerre de libération, par le concours des seuls Italiens. Aux cotés des contingents sardes, se joignent des contingents pontificaux, siciliens puis napolitains. Ceux-ci attaquent les Autrichiens. Après des succès initiaux à Goïto et Pastrengo, Charles-Albert temporise et l’élan national se brise devant les réticences des souverains. Dès la fin Avril la révolution décline. Pie IX préoccupé par la menace de schisme des catholiques Autrichiens, déclare qu’il se place au-dessus de la mêlée, entraînant la fin du mythe néo-guelfe. Vienne reprend l’offensive, Radetzki reconquiert la Vénétie, bat les Piémontais à Custoza (24 juillet 1848), puis entre à Milan et impose un rigoureux armistice le 3 août 1848.

La République romaine


La situation devient des plus confuses... comme le rappelle l'expression « fare un quarantotto » (faire un 48 ou, en d'autres termes, semer la pagaille). Les armées régulières rétablissent partout l'ordre ancien. Mais les patriotes, cependant, sont loin d'avoir renoncé. La révolution se continue donc sur le plan intérieur, avec l’assassinat à Rome, le 15 novembre 1848, de Pellegrino Rossi, ministre de l'Intérieur et des Finances du pape. Pie IX, dans la crainte de l'émeute, s'enfuit dans la citadelle de Gaète, au sud de Rome. Il abandonne la Ville éternelle aux mains des Mazziniens. Leur meneur, rentré au pays début 1848 dès qu'il a senti le vent de l'histoire tourner, après avoir défendu Naples contre les Autrichiens venus rétablir le roi détrôné, puis soulevé Livourne en Toscane où il est salué en libérateur, se dirige en effet vers la capitale des États Pontificaux. Et avec lui, il y a Garibaldi l'éternel rebelle, fidèle de Mazzini qui, ayant quitté son exil à Montevideo, a réuni une nouvelle troupe de « légionnaires » à la chemise rouge. La « Légion italienne » se met en marche vers Rome. C'est avec une sourde inquiétude que la population romaine accueille ces quelque dix mille francs-tireurs arrogants et rustres le 8 février 1849. Le lendemain, le souverain pontife est déchu de son pouvoir temporel et la République proclamée. Mazzini institue un triumvirat à la manière antique avec deux autres républicains, Aurelio Saffi et Carlo Armellini, et gouverne Rome en dictateur.

Pendant ce temps, la situation politique au Piémont pousse Charles-Albert à reprendre la guerre contre l’Autriche, mais après l'écrasement de l'armée sarde à Novare (23 mars 1849), il doit abdiquer en faveur de son fils Victor-Emmanuel II (Vittorio Emanuele II).

En France cependant, avec les élections présidentielles puis législatives en juin qui sanctionnent la débâcle de Ledru-Rollin et voient le triomphe du parti de l'Ordre, la Seconde république a pris un tour plus conservateur. Louis-Napoléon qui veut se concilier la droite catholique opte pour l'interventionnisme. Le représentant de la France, le diplomate Ferdinand de Lesseps, chargé de négocier avec le triumvirat romain, est désavoué par le nouveau ministre des Affaires étrangères, Alexis de Tocqueville. Le gouvernement français a en effet décidé de répondre à l'appel du pape par l'envoi en Italie d'un corps expéditionnaire placé sous le commandement du maréchal Oudinot, fils d'un maréchal d'Empire. Le 25 avril, celui-ci débarque à Civitavecchia et cinq jours plus tard, sur le mont Janicule, se heurte pour la première fois à Garibaldi, nommé général de brigade de la République romaine, et à ses Chemises rouges. Les Français connaissent l'humiliation de la fuite et réclament des renforts à Napoléon III pour faire un siège en règle de Rome. Face aux troupes françaises bien entraînées et équipées, Garibaldi s'illustre dans une bataille de tranchées alors qu'il est plutôt habitué à des actions de guérilla, montrant ainsi une fois de plus son génie militaire. Finalement, au terme d'un mois de rude résistance, les partisans de Garibaldi doivent se replier. Les tentatives de résistance de Mazzini n’ont pas empêché le général Oudinot d’entrer dans la Ville le 3 juillet d’où les républicains s’échappent à grand-peine. Les troupes françaises occuperont Rome jusqu’à la chute du Second Empire.

Un républicain intraitable



Après la chute de la République romaine et le rétablissement sur le trône du pape Pie IX, Mazzini est chassé et trouve refuge en Suisse puis en Angleterre. L’échec de 1848, met fin a l’ère de « la politique du poignard ». Désormais, c’est la bourgeoisie capitaliste qui prend les commandes du Risorgimento. Tout en demeurant agricole, l’économie de la péninsule connaît, avec un long retard sur les autres nations du continent, la Révolution industrielle. A partir de 1840, début de l’équipement ferroviaire, les échangent s’intensifient. Ce sont souvent des initiatives étrangères qui implantent dans les ports et les grandes villes le machinisme industriel. Les modérés comprennent que la régénération de l’Italie passe par le développement économique. La libre entreprise et le libre-échange créeront les bases d’une vie internationale indépendante. Tandis que Mazzini, amer, entre dans l’ombre, Gioberti, Manin et la Société nationale italienne lancent un appel au ralliement autour de la maison de Savoie et du Piémont, seul Etat épargné par la réaction. Massimo d’Azeglio, après avoir signé la paix nécessaire avec l’Autriche le 6 août 1849 à Milan, entame la lutte contre les privilèges du clergé. Camillo Benso, comte de Cavour, élu député en 1848, entre au gouvernement le 11 octobre 1850 comme ministre de l’agriculture et du commerce, puis devient Président du Conseil en Mai 1852. C’est un conservateur intelligent qui voit dans les libertés constitutionnelles les moyens de moderniser le Piémont. Il forme le 4 novembre 1852, le « grand ministère » qui pendant sept ans assurera la régénération de la patrie. L’adhésion au libre échange vivifie l’économie, la laïcisation du pays se poursuit au milieu d’orageuses polémiques.

Cavour, en associant le Piémont à la guerre de Crimée, associe ce petit pays (5.168.000 habitants en 1858), à la grande politique européenne. La présence des troupes sardes à la bataille de Tchernaïa lui vaut de participer au Congrès de Paris début 1856 et de poser la question italienne à la face de l’Europe. Cavour obtiendra une Alliance Franco-Sarde, lors de l’entrevue secrète de Plombières (21 juillet 1858), lui assurant le soutien de Napoléon III dans la guerre contre l'Autriche. Cette dernière sera vaincue à Magenta (4 juin) et à Solférino (24 juin). Les révolutions nationales en Toscane, à Modène et à Parme, qui chasseront les souverains et les gouvernements provisoires, proclameront leur rattachement au Piémont. La France acceptera cette nouvelle géographie politique en Italie centrale, en échange de l'annexion de Nice et de la Savoie promise à Plombières (Traité de Turin, mars 1860). Les États du Pape et le Royaume de Naples entrent dans une confédération, sous la présidence honorifique du souverain pontife. Le 17 mars 1861 est proclamé à Turin alors capitale le premier Parlement italien. Vittorio Emanuele II est officiellement Roi d’Italie.

Si Giuseppe Mazzini, quant à lui, n'eut qu'une brève expérience du pouvoir en 1849, il restera en tout cas réfractaire à tout compromis, à la différence des trois artisans de l'unité italienne (Victor-Emmanuel, Cavour et Garibaldi), et s'opposera jusqu’au bout à la nouvelle autorité royale italienne comme il s'opposait au pouvoir de l'empire autrichien et à tout matérialisme, qu'il soit capitaliste ou communiste. Il continuera même de manière avant-gardiste à appeler à « l'élite européenne du parti de l'action ». Ainsi tente-t-il sans succès de soulever Mantoue (1852), Milan (1853), Gênes et Livourne (1857). Il condamne l'alliance franco-piémontaise (1858) et la cession de la Savoie et du comté de Nice à la France (1860). Élu député de Messine en 1865, il ne peut siéger, son élection ayant été invalidée. En 1868, il tente de fonder une Alliance républicaine universelle. En 1870, il débarque en Sicile dans le but de créer la république italienne (alors que le roi Victor-Emmanuel II vient de terminer l'unification de l'Italie). Arrêté, il est enfermé (août-octobre 1870) à Gaète puis amnistié pour éviter qu'un procès ne lui laisse une tribune. Il doit s'exiler en Suisse. En 1872, c'est sous un nom d'emprunt qu'il regagne l'Italie, pour mourir à Pise.



Citations


  • « L'insurrection finit quand la révolution commence. » (Écrits politiques)
  • « Il est faux que la liberté et l'indépendance puissent être disjointes et revendiquées l'une après l'autre. » (Le Comte de Carmagnola)
  • « En politique, comme en toute autre chose, un principe entraîne inévitablement avec lui un système, une série de conséquences, une progression d'applications faciles à prévoir pour quiconque a du bon sens. » (République et Royauté en Italie)
  • « Nous sommes un peuple de vingt et un à vingt-deux millions d’hommes, désignés depuis un temps immémorial sous un même nom - celui du peuple italien - renfermés dans les limites naturelles les plus précises que Dieu ait jamais tracées, la mer et les montagnes les plus hautes d’Europe, parlant la même langue modifiée par des patois moins dissemblables que ne le sont l’écossais et l’anglais, ayant les mêmes croyances, les mêmes mœurs, les mêmes habitudes, avec des modifications moins grandes que celles qui séparent dans le pays le plus unitaire du monde, la France, les populations basques des populations bretonnes ; fiers du plus glorieux passé politique, scientifique, artistique qui soit connu dans l’histoire européenne, ayant donné deux fois à l’humanité un mot d’ordre d’unité, une fois par la Rome des empereurs, une autre quand les papes n’avaient pas trahi leur mission, par la Rome papale ; doués de facultés actives, promptes, brillantes (...) riches de toutes les sources du bien-être matériel qui, exploitées paternellement et librement, pourraient faire de nous une nation heureuse et ouvrir aux nations nos sœurs le plus beau marché du monde. Nous n’avons pas de drapeau, pas de nom politique, pas de rang parmi les nations européennes. Nous n’avons pas de centre commun, pas de pacte commun, pas de marché commun. Nous sommes démembrés en huit États : Lombardie, Parme, Toscane, Modène, Lucques [le duché de Lucques sera annexé à Parme en 1847], États du Pape, Piémont, royaume de Naples, tous indépendants les uns des autres, sans alliance, sans unité de but, sans liaison organisée entre eux. Un de ces États, comprenant à peu près le quart de la péninsule, appartient à l’Autriche ; les autres, quelques-uns par des liens de famille, tous par le sentiment de leur faiblesse, en subissent aveuglément l’influence. » (L’Italie, l’Autriche et le Pape, 1845).
  • « Je crains d’autant moins de faire connaître ici l’opinion que j’avais de Mazzini avec lequel j’étais alors en lutte ouverte, que, dans toute la suite de nos négociations, je n’ai eu qu’à me louer de sa loyauté et de la modération de son caractère qui lui ont mérité toute mon estime. (...) Aujourd’hui qu’il est tombé du pouvoir et qu’il cherche sans doute un asile en pays étranger, je dois rendre hommage à la noblesse de ses sentiments, à la conviction de ses principes, à sa haute capacité, à son intégrité et à son courage. » (Lesseps, Mémoire présenté au Conseil d'État).



Liens externes




Bibliographie




Texte à l'appui


LE SOCIALISME HÉROÏQUE DE MAZZINI



Mettre en doute l'idéologie des droits de l'homme, érigée en credo laïque, est aujourd'hui un de ces péchés que l'Église qualifiait naguère de mortel. Ce serait même, à en croire les nouveaux bien-pensants, le crime intellectuel absolu. Dans l'un des plateaux de la balance de la justice universelle, la fameuse Déclaration des droits. Dans l'autre, le sabre dégoulinant de sang d'un quelconque général de pronunciamento sud-américain. Comme c'est simple et personne n'a envie de se trouver du côté des salauds.

On étonnerait bien nos modernes thuriféraires des droits de l'homme en leur apprenant que cela n'a pas toujours été justement aussi simple que notre journal habituel voudrait nous le faire accroire. Prenons le siècle dernier où pourtant les écrivains socialisants usaient et abusaient des grands mots à majuscule, du style Humanité, Progrès ou Démocratie. Quand il s'agissait des fameux droits de l'homme, certains se montraient plus circonspects. Tenez, par exemple, Mazzini.

On connaît peu en France Mazzini, qui n'a pas, comme son camarade Garibaldi, sa rue dans la moindre de nos sous-préfecture. Pourtant, le personnage est intéressant, tant il révèle les rapports toujours fascinants d'un intellectuel avec la politique et même avec le terrorisme. Giuseppe Mazzini, donc, né à Gênes au début du siècle dernier et tôt affilié à la fameuse société secrète des Carbonari, passa quelques mois en prison à la suite des événements piémontais de 1830 et se vit forcé d'émigrer en France, où il croyait trouver en Louis-Philippe un ami de la liberté des peuples. Vite éclairé sur la médiocrité d'un roi qui se réclamait du « juste milieu » pour mieux instaurer la société marchande des boutiquiers, l'émigré fonda alors une société révolutionnaire, la Jeune Italie, qui devait peu après s'élargir en Jeune Europe. Avec quelques camarades, il rêvait de créer, contre la Sainte alliance des conservateurs et des réactionnaires, de véritables États-Unis d'Europe, dont le ciment aurait été une idéologie tout à la fois patriotique et populiste.

Républicain jusqu'au sectarisme et démocrate jusqu'à l'utopisme, Mazzini fut incontestablement, dans la sensibilité politique de son époque, un homme de gauche et même d’extrême-gauche, ami des révolutionnaires quarante-huitards, avant de leur reprocher l'abandon de la cause des peuples au bénéfice d'un chauvinisme petit-bourgeois qui devait rapidement conduire à la dictature du prince-président Louis Napoléon, ancien carbonaro lui aussi, hélas.

Exilé tantôt en Angleterre et tantôt en Suisse, Mazzini allait passer sa vie en complots avortés et malheureux. Il ne connut que quelques semaines euphoriques quand il devint triumvir de l’éphémère république romaine édifiée en 1849 sur les ruines assez pestilentielles des États de l'Église. Quand il mourut en 1872, l'Italie s'était faite, sans lui et sans le peuple, et portait désormais, à ses yeux, la tare originelle de la monarchie.

Ceci pour situer un personnage hors du commun, dont tous les petits Italiens apprennent par cœur des tirades entières dés l'école, mais dont peu d'intellectuels français, même socialistes, connaissent autre chose qu'un nom qui ne leur dit pas grand chose et qu'ils confondent généralement avec celui de son contemporain Manzoni, l'auteur des Fiancés, ce prodigieux roman historique du style Alexandre Dumas. Ce qui prouve en passant que l'Europe de la culture, par où tout devrait commencer sur notre continent, est encore plus illusoire que celle du pinard ou de la bidoche.

Dans son exil londonien, Mazzini fut confronté au terrible problème de la misère absolue que vivaient ses compatriotes émigrés. Entassés dans des faubourgs ignobles, déracinés et acculturés, sans cesse ballottés entre l'exploitation et le chômage, ils formaient une des couches les plus misérables du prolétariat industriel, qui reste la honte de la société européenne et particulièrement britannique au siècle dernier. Pendant que les patrons capitalistes fabriquaient ainsi à la chaîne des ouvriers communistes, Mazzini se lança, un des premiers en Europe, dans l'action ouvrière au service des exploités. Il créa à Londres, en 1847, un mouvement du nom de People's International League, qui s'inscrivait dans le sillage de la Jeune Europe et précédait de quelque vingt ans l'Internationale socialiste de Karl Marx. On verra que les rapports des deux « prophètes » furent exécrables et que mazziniens et marxistes devaient un jour se trouver, dans le Mezzogiorno et ailleurs, à couteaux tirés.

Pour ses compatriotes prolétaires exilés, Mazzini créa un journal, ouvrit des écoles, publia plusieurs livres, dont l'un au moins, Pensées sur la démocratie en Europe, mérite toujours de retenir notre attention et même notre sympathie. L'idée essentielle de cet essai est la lutte contre le matérialisme, qu'il soit capitaliste ou communiste, c'est-à-dire contre une conception économique de la société qui prétend l'organiser « selon la méthode des abeilles et des castors, sur un modèle fixe et immuable et une base d'égalité absolue ».

Mazzini, indiscutable démocrate, persécuté toute sa vie durant par les pouvoirs réactionnaires de l'empire d'Autriche puis du royaume d'Italie, s'y révèle farouchement anti-égalitaire. Il n'hésite pas à écrire, dans une optique d'ailleurs très prolétarienne : « L'établissement d'un système de récompense arithmétiquement égales équivaudrait à ne tenir aucun compte du mérite moral de chaque ouvrier ».

Le plus beau - ou le pire pour les adorateurs des droits de l'homme, ce fut qu'il voyait justement dans cette idéologie la source de tous les maux dont souffrait l'Europe de son temps. Il devait l'écrire avec force : les fameux droits de l'homme étaient pour lui des droits individuels, qui favorisaient l'individualisme et détruisaient toute communauté : « Faire de la théorie du bien-être le but de la transformation sociale, c'est déchaîner ces instincts de l'individu qui le poussent vers la jouissance, développer l’égoïsme dans les âmes et considérer les appétits matériels comme une chose saine. Une transformation basée sur de tels éléments ne peut pas être durable, et c'est contre ces éléments que nous dirigeons aujourd'hui tous nos efforts ».

Pour ce théoricien de la démocratie républicaine, il ne pouvait y avoir qu'une riposte aux droits de l'homme, c'était les devoirs... Aussi, une autre brochure destinée aux émigrés italiens portera-t-elle justement pour titre : Des devoirs de l'homme. Mazzini s'y révèle tout entier avec sa générosité et sa lucidité. La révolution française et son idéologie des droits appartenaient, pour lui, au passé. Ce qu'il voulait, c'était une révolution européenne où chacun serait conscient de ses devoirs envers sa communauté nationale comme envers la classe laborieuse. Il ne s'agissait pas de s'accrocher au siècle précédent, mais d'être résolument de son temps.

Dès le lendemain de la révolution avortée de 1830, Mazzini avait déjà écrit, dans un petit opuscule intitulé Foi et avenir : « Le droit, c'est la foi individuelle ; le devoir, c'est la foi commune. Le droit ne peut aboutir qu'à organiser la résistance ; il n'a mission que pour détruire ; il n'en a pas pour fonder : le devoir fonde et associe... La doctrine des droits ne renferme pas, comme nécessité, le progrès... Tout ceci, c'est le XVIIIe siècle : la servitude aux vieilles choses, s'entourant des prestiges de la jeunesse ».

Mazzini rompait ainsi avec la plupart des hommes politiques de son temps et même de son bord. Il se trouvait tragiquement seul, avec une poignée de fidèles dispersés à travers toute l'Europe, face à son grand rival Karl Marx. Il n'avait pas de mots trop durs pour dénoncer la doctrine qui commençait à germer sur le fumier de l'Europe libérale : « La tyrannie ! Elle est à la racine et au sommet du communisme, elle le sature en entier. Ainsi que la théorie froide, sèche et imparfaite des économistes, il fait de l'homme une machine productive. Son libre arbitre, son mérite individuel, ses aspirations incessantes vers de nouveaux modes de vie et de progrès disparaissent entièrement. Dans une société qui n'est qu'une forme pétrifiée, réglée dans tous ses détails, l'individualité n'a plus de place. L'homme devient chiffre, un, deux, trois. C'est la vie du couvent, sans la foi religieuse ; c'est l'esclavage du Moyen-Âge, sans espoir de se racheter, de s'émanciper par l'économie ». Et cela a été écrit dés 1847.

Contre un système qu'il qualifiait de « rêve barbare, absurde et immoral », Giuseppe Mazzini essayait avec la Jeune Europe de créer une secte politique qui ressemblait, trait pour trait, à un ordre religieux. On trouvait chez lui un culte de l’héroïsme dans le combat prolétarien qui annonçait l'esprit d'un homme aussi original que Georges Sorel. Tous deux allaient d'ailleurs se montrer sensibles, jusqu'à la hantise, au souvenir des guerriers grecs tombés aux Thermopyles et dont le sacrifice évoquait celui des militants ouvriers de leur temps, luttant pour un monde plus juste et plus noble.

Le visionnaire Mazzini aimait évoquer un avenir qui se trouve toujours devant nous : « Lorsqu'une grande ligue populaire réunira l'élite européenne du parti de l'action, les droits des peuples et des classes ouvrières ne pourront plus être traités avec mépris ». Ne serait-ce pas là un programme d'actualité pour une vraie nouvelle gauche ?

Jean Mabire, Éléments n°40, 1981.

Sources

Cité dans :