Estado Novo

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L’Estado Novo (en français : « État nouveau ») qualifie le régime corporatiste autoritaire de la Deuxième République portugaise, en place du 19 mars 1933 au 25 avril 1974. La figure centrale de ce régime est António de Oliveira Salazar.

Histoire

Une contre-révolution tranquille

Pays pauvre, sous-développé, replié sur luimême, en périphérie des grands axes de développement continentaux, vivant largement de la nostalgie de sa grandeur impériale passée, le Portugal des années 20 et 30 va connaître un nouvel épisode de gloire et d’affirmation identitaire, source de régénération politique et de développement économique : l’Estado Novo.

Un pays en crise permanente

La monarchie a été renversée en 1910 et une Première République instaurée. Le pays vit sous un régime parlementaire marqué par les luttes permanentes entre progressistes et conservateurs.

Quoiqu’ayant participé à la Première Guerre mondiale aux côtés des Alliés[1], et donc fasse partie du camp des vainqueurs, le Portugal vit ensuite une situation de crise (identitaire, politique et sociale) permanente, qu’aggrave la crise économique mondiale, elle-même source d’inflation, de chômage et de déroute des finances publiques. Aussi, le 26 mai 1926, pour faire face à l’anarchie et aux grèves révolutionnaires, une junte militaire tente de redresser le pays, au travers d’une Ditadura nacional, la «  Dictature nationale  », qui met fin à la Premier République portugaise. Mais ses efforts ne produisent finalement que résultats mitigés. Le pays attend alors un sauveur, un homme intègre aux valeurs morales indiscutables, prêt à imposer des changements sociétaux structurels.

L'homme providentiel

Né le 28 avril 1889 au sein d’une famille pauvre, Antonio de Oliveira Salazar est alors professeur d’économie politique et de finances publiques à l’Université de Coimbra. Ce n’est pas son charisme personnel, mais ses valeurs morales et spirituelles, ainsi que sa probité et son sens de l’honneur, qui font de lui un homme d’exception. Comme Sauveur, il incarne plutôt la figure de «  Solon, le législateur  », décrite par Raoul Girardet dans son ouvrage Mythes et mythologies politiques. Nommé en avril 1928 ministre de l’économie par le Premier ministre Carmona, Salazar rétablit les finances publiques de l’État et stabilise la monnaie en seulement un an, avec une politique novatrice, axée sur la rigueur budgétaire. Fort de ce succès, il crée le 30 juillet 1930 son propre parti, l’Union nationale, pour soutenir son action. Il devient ensuite Premier ministre le 25 juin 1932 et se voit octroyer les pleins pouvoirs. Pour faire entrer son pays dans la modernité et inventer un nouveau projet collectif historique pour son peuple, comme une forme de résurrection nationale, Salazar met alors en œuvre à partir de mars 1933 une « contre-révolution tranquille », le « salazarisme », une Révolution nationale et spirituelle qui exalte la lusitanité (la langue et la culture portugaises) et la vocation impériale civilisatrice de la puissance maritime en Outre-Mer.

Ainsi, naît l’Estado Novo (l’« État nouveau »), un régime autoritaire (mais non totalitaire, même si des tendances totalitaires s’expriment en son sein) inspiré par des principes politiques traditionalistes: nationalisme, anticommunisme, militarisme, catholicisme conservateur, corporatisme et économie dirigée, syndicats verticaux intégrés sous la direction de l’État, valorisation morale de l’enseignement du génie national et de ses réalisations.

La Deuxième République portugaise Novo, un ordre nouveau au Portugal

Cet Estado Novo, qui naît comme « Deuxième République portugaise » après la nouvelle Constitution de mars 1933 (approuvée par référendum et fortement inspirée du corporatisme mussolinien), s’appuie sur l’Union nationale, devenu parti unique et constitue en fait une version locale et édulcorée du fascisme, une sorte de « fascisme ibérique », jailli du génie national portugais, aux marges du « fascisme-cœur » et du « fascisme-principe » évolien. Le « fascisme » en tant que concept (et comme esthétique) peut s’incarner de façon protéiforme, adaptée au génie de chaque peuple. Le nom même du parti unique portugais (qui démultiplie son action auprès des masses et encadre le pays dans toutes ses sphères d’activité, au travers de son bras armé, la Légion portugaise, créée en septembre 1936 sur le modèle des Chemises noires italiennes), l’Union nationale, est éloigné du « fascisme-cœur », incarné par les termes de « Parti », de « Mouvement », de « Légion » ou de « Phalange », largement inspirés des formations militaires ou combattantes.

La véritable contribution salazariste à l’émergence d’un fascisme européen (à la fois comme « Ordre nouveau » et comme « Internationale nationaliste ») consistera plutôt dans l’aide sans faille que Salazar apportera au général Franco, l’autre grande figure du fascisme ibérique, dès juillet 1936, en ouvrant ses frontières et en envoyant 8000 volontaires, les Viriatos (issus de la Légion portugaise), qui combattent les armes à la main le communisme international, aux côtés des nationalistes (certains de ces Viriatos finiront d’ailleurs par s’engager dans la « Division Azul » sur le front de l’Est en 1942, comme le futur général – alors capitaine – António Ribeiro de Spínola).

Dès les débuts du régime, une attention toute particulière est portée à la sécurité intérieure de l’État et la PVDE (la Police de Vigilance et de Défense de l’État), une police politique chargée de mettre hors d’état de nuire les ennemis intérieurs du régime (y compris lorsqu’ils se sont fixés à l’étranger) est fondée en 1933, sur le modèle de l’OVRA italienne. Elle deviendra ensuite la PIDE (Police Internationale de Défense de l’État) en 1945, puis la DGS (Direction Générale de la Sécurité) en 1969, parallèlement aux évolutions et aux réorientations/réalignements stratégiques (internes et externes) du régime.

Cependant, concernant le Portugal salazariste, « édulcofasciste » ne veut pas forcément dire en politique étrangère pro-italien ou encore moins pronazi. Malgré de profondes tendances profascistes au sein de la vieille garde historique du Parti, le Portugal mène une politique d’équilibre entre puissances et reste neutre durant la Seconde Guerre mondiale en refusant toute dépendance (politique et/ou économique) envers l’Axe. De même, le pays n’édictera aucune loi antisémite, la proportion des Juifs dans la population nationale étant infime. Durant la Deuxième guerre mondiale, Salazar s'efforce de maintenir la vieille amitié diplomatique entre le Portugal et la Grande Bretagne. Après avoir proclamé la neutralité du pays en 1939, Salazar permettra aux Alliés, à partir de 1943, d'utiliser comme base militaire les Açores. Dans le même temps, il continuera durant le le conflit à fournir l'Allemagne en métaux rares, notamment en tungstène. A l'annonce de la mort d'Adolf Hitler, tous les drapeaux portugais seront mis en berne.

Récompensé par les États-Unis pour sa neutralité durant la Seconde Guerre mondiale, le Portugal devient donc un pays fondateur de l’OTAN dès avril 1949 et s’intègre sans difficulté aux structures politico-militaires antisoviétiques et anticommunistes occidentales (notamment grâce à la position géostratégique de ses colonies en Afrique), malgré son système autoritaire. Salazar tente aussi d'élaborer avec l'Espagne une communauté ibérique de défense, indépendante de l'OTAN, mais ce projet échouera.

Le nouveau régime donne à son pays la stabilité nécessaire et le fait sortir de sa longue décadence. Les premières vingt années ont vu le pays se stabiliser, panser ses plaies, rétablir un système politique et économique sur des bases plus saines. Dans un deuxième temps de la Révolution nationale, à partir de la seconde moitié des années 50, s’ouvre une deuxième phase. La vieille garde idéologique du Parti est alors progressivement remplacée aux commandes de l’appareil d’État par des technocrates, souvent formés dans des universités étrangères. Avec eux, les investissements massifs de l’autorité publique dans les infrastructures économiques structurantes, telles que routes, autoroutes, aéroports, ports, hôpitaux, réseaux de télécommunication et d’énergie, permettent un miracle économique portugais à partir de deuxième plan sexennal (1959-1964). Ainsi, entre 1961 et 1973, l’économie portugaise, euphorique, est en pleine croissance: le PIB s’accroît de 120 % en 12 ans, soit une moyenne de 6,8 % annuels réels. Logiquement, le Portugal devient une économie occidentale moderne, parallèlement à son voisin espagnol préparant déjà le pays à l’intégration au sein de la Communauté économique européenne, qui se réalisera en 1986. De même, les investissements dans le système éducatif ont pour conséquence dans les années 60 la poursuite d’études supérieures par une frange de plus en plus large de la jeunesse portugaise, une jeunesse nombreuse car issue elle aussi d’un baby-boom commun à l’ensemble des peuples de l’Ouest de l’Europe.

Les deux écueils majeurs de l'Etat nouveau

Mais dans le même temps, le pays doit faire face à deux écueils majeurs. Tout d’abord, la persistance du problème démographique, réglé traditionnellement et en partie par l’émigration de pauvres vers le Brésil et l’Europe de l’Ouest, notamment la France et la Belgique. Pour un gouvernement nationaliste, l’émigration vers l’étranger constitue une perte d’une partie de la substance vive de la Nation. Aussi, le gouvernement portugais tente à partir du début des années 50 de réorienter l’émigration des classes pauvres en surnombre vers les colonies africaines. Ce véritable flux d’immigration de peuplement colonial s’accélère rapidement: entre 1951 et 1975 la population européenne passe ainsi de 80000 à 410000 personnes en Angola et de 35 000 à 200000 au Mozambique.

Ensuite, et ce deuxième écueil est lié au premier, le problème colonial. La volonté impériale de maintenir des colonies outre-mer, dans un contexte changeant, où souffle le vent de la décolonisation, se heurte désormais aux aspirations indépendantistes des cinq colonies africaines[2]. Là-bas, les partis nationalistes noirs sont dirigés par des leaders formés dans des universités portugaises ou françaises, où ils ont découvert le communisme et l’anticolonialisme.

À partir de 1961, éclatent les guerres coloniales qui entraînent une dégradation progressive des finances publiques, ainsi qu’une hausse de l’inflation, mais surtout une militarisation de plus en plus forte de la société, tournée vers des objectifs de guerre, mais également, comme contre-coup, une contestation de plus en plus massive venue de partis interdits de gauche ou d’extrême gauche. Ainsi, la politisation de jeunesse, de plus en plus opposée aux guerres coloniales par le refus de la conscription, s’incarne dans le mythe romantique du « capitaine », le soldat politique aux aspirations sociales et révolutionnaires, ancien étudiant contestataire aux sensibilités politiques de gauche formé par le système universitaire et enrôlé dans le cadre d’un service militaire obligatoire porté à 4 ans en 1968 : le Mai 68 portugais commence dans les bivouacs africains. Ces guerres coloniales affaiblissent également le régime en le rendant vraiment impopulaire et le rôle joué par l’armée dans l’évolution de celui-ci devient de plus en plus important.

Le marcelinisme, dernière étape de l'Estado Novo

Marcelo Caetano (professeur de droit à l’Université de Lisbonne) succède à Salazar, malade, le 27 septembre 1968, et devient donc Premier ministre, tandis que Salazar, après une longue agonie, décède le 27 juillet 1970 à l’âge de 81 ans. Son arrivée au pouvoir ouvre l’ère du « marcelinisme », une troisième et dernière période de l’Estado Novo, qui s’étend de 1968 à 1974, une époque de délitement progressif, qui voit le régime se libéraliser, se ramollir et s’ouvrir largement aux influences démocratiques étrangères. Caetano tente ainsi de rallier les libéraux et les intellectuels, mais se coupe alors d’une partie de l’Union nationale, tandis que son incapacité à résoudre le problème colonial et le développement progressif de la corruption morale au sein des élites dirigeantes accroît la défiance de franges de plus en plus nombreuses de la population.

Le ramollissement du régime et son impopularité grandissante aboutissent alors logiquement à sa chute: la Révolution des Œillets est menée le 25 avril 1974 par de jeunes officiers de gauche regroupés au sein d’un Mouvement des Forces Armées (MFA), illégal et clandestin, mais encouragé en sous-main par le Haut État-Major dirigé par le général António Ribeiro de Spínola. Ce putsch réussi renverse le régime et porte au pouvoir une Junte de Salut National, sous la direction de Spínola lui-même. La Junte engage alors un mouvement de transition politique vers un système démocratique, qui met fin aux guerres coloniales qui ont causé la mort de 8000 soldats portugais, et légalise les partis d’opposition de gauche. La décolonisation est brutale, négociée aux forceps avec les partis indépendantistes marxistes noirs, alliés idéologiques du MFA et l’Empire colonial est liquidé en 19 mois, entraînant l’exode vers la Métropole de 400000 Retornados (les « pieds-noirs » portugais) mais aussi le départ de 200000 autres vers l’Afrique du Sud de l’Apartheid. La fuite pitoyable de Caetano, destitué par la Junte le 25 avril 1974, et qui s’exile au Brésil, illustre la fin pathétique d’un régime gangréné de l’intérieur depuis une demi-douzaine d’années par le ramollissement idéologique et la corruption morale de ses dirigeants, un régime devenu pourri qui s’effondre de lui-même.

Bibliographie

  • Manuel Themudo Barata, « Le Portugal et Les Conflits de La Décolonisation: 1961-1974 », Guerres Mondiales et Conflits Contemporains, no. 178, 1995, pp. 63–89.
  • J. Benjamin, « La stratégie politique du Portugal dans ses territoires africains », Études internationales, 1973, 4(4), 552–559.
  • Albert Buisson, « Le corporatisme d'aujourd'hui », Revue Des Deux Mondes (1829-1971), vol. 35, no. 3, 1936, pp. 621–34.
  • Olivier Dard et Ana Sardinha-Desvignes, Célébrer Salazar en France (1930–1974) - Du philosalazarisme au salazarisme français, Bruxelles, Peter Lang, 2018, 334 p.
  • James Duffy, « La Présence Portugaise En Angola (1483-1960) », Présence Africaine, no. 41, 1962, pp. 75–90.
  • Oscar Ferreira, Un jumeau régaliste de la loi de 1905 : la loi portugaise de séparation des Eglises et de l’État de 1911, Droit et religions. Annuaire, Presses Universitaires d'Aix-Marseille, 2014, p. 211-248
  • Christine Garnier, Vacances avec Salazar, Grasset, Paris, 1952.
  • Alvaro Garrido, « Le Corporatisme de l’État Nouveau Portugais. Un débat sur l’institutionnalisation économique de la Nation », STORICAMENTE.ORG Laboratorio di Storia, Numero 11 - 2015, pp. 1-22.
  • Michel Gerac, Portugal, années 70, Editions TD Paris, Paris 1969, 1964 (1re édition).
  • Alexander Keese, « Early Limits of Local Decolonization in São Tomé and Príncipe: From Colonial Abuses to Postcolonial Disappointment, 1945—1976  », The International Journal of African Historical Studies, vol. 44, no. 3, 2011, pp. 373–92.
  • Klaas Malan, « Salazar et l'Estado Novo », in Réfléchir et agir, HS no 3, 2018, pp. 25-30[3].
  • Jacques Marcade, Le Portugal au XXe siècle, Presses Universitaires de France, Paris, 1988.
  • Paul Mousset, « Difficultés portugaises », Revue Des Deux Mondes (1829-1971), 1961, pp. 85–98.
  • Victor Pereira, « Les Réseaux de l’émigration Clandestine Portugaise Vers La France Entre 1957 et 1974 », Journal of Modern European History / Zeitschrift Für Moderne Europäische Geschichte / Revue d’histoire Européenne Contemporaine, vol. 12, no. 1, 2014, pp. 107–25.
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  • Jacques Ploncard d'Assac, L'État corporatif. L'expérience portugaise, doctrine et législation, Paris, La Librairie française, 1960.
  • Jacques Ploncard d'Assac, Salazar, Paris, La Table ronde, 1967 ; 2e éd. augmentée, Dominique Martin Morin, 1983; rééd. DMM, 2015 (3e édition).
  • Jean-Claude Rolinat, Salazar le regretté, Les bouquins de Synthèse Nationale, 2012, 180 p.
  • Christian Rudel, Salazar, Mercure de France, Paris, 1969.
  • Oliveira Salazar, Le Portugal et la crise européenne, Flammarion, Paris, 1940.
  • Gerhard Seibert, Lusotopie 1997, pp. 173-192

Liens externes

  • série de trois vidéos consacrées à Salazar et à l'Estado Novo : [1]

Notes et références

  1. On ignore souvent que le Portugal a participé à la Première Guerre mondiale du côté des forces de l’Entente. Politiquement instable depuis la proclamation de la République en 1910, le pays s’inquiétait des menaces élevées d’invasion allemande de ses colonies africaines. En juillet 1916, le gouvernement décide de former un corps expéditionnaire de 56 000 fantassins commandé par Tamagnini de Abreu. Débarqués à Brest en février 1917, les soldats portugais découvrent les tranchées de Flandres et participent dès le mois suivant à la sanglante bataille de la Lys au cours de laquelle les Allemands feront des milliers de prisonniers. À la fois dépités par cette cuisante défaite et par le désintérêt manifesté depuis Lisbonne par le nouveau gouvernement, plutôt germanophile, de Sidonio Pais, les Portugais perdent leur esprit combattif. Finalement placé sous le commandement direct britannique, leur unité comptera environ 2100 morts, 5200 blessés et plus de 7000 prisonniers. Des monuments aux morts rappellent encore aujourd’hui cet engagement.
  2. Les cinq colonies africaines du Portugal sont alors l'Angola, le Mozambique, la Guinée-Bissau, Sao Tomé-et-Principe et le Cap-Vert. Les autres colonies portugaises sont Goa, Daman, Diu et les îles Anjidiv, qui ont été annexées par l'Inde en décembre 1961. Le Timor oriental déclare également son indépendance en 1975, mais est aussitôt annexé par l'Indonésie. Macao restera longtemps sous un statut spécial de Territoire chinois sous administration portugaise, avant d'intégrer complètement la Chine en 1999.
  3. Le travail de Klaas Malan a servi de base à cet article.