Chevaucher le tigre

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Chevaucher le tigre (titr. or. Cavalcare la Tigre) est un livre de Julius Evola, paru en 1961.

Plus tard, Evola déclarera que la position du « chevauchement du tigre » pouvait être résumée par la formule : « fais en sorte que ce sur quoi tu n'as pas prise, ne puisse avoir de prise sur toi »[1].

Un guide pour « l'homme différencié »

Suivant la préface, « Un viatique pour l'homme noble quand il n'y a plus rien à aimer », rédigée par Philippe Baillet, de la réédition française de 1982 de la traduction d'Isabelle Robinet :

« L’impasse du traditionalisme se résume à une attitude viscéralement passéiste, qui confond constamment l’attachement illégitime à des formes traditionnelles, par définition sujettes au devenir et à la mort puisque manifestées, et le rattachement légitime et indispensable au noyau interne, purement doctrinal, intangible et indestructible, de la Tradition. Cette confusion engendre à son tour une compréhension pessimiste de la doctrine des cycles – interprétée sur un plan exclusivement horizontal, temporel et historique -, qui débouche sur une sorte de « catastrophisme historique » totalement paralysant. De fait, il est peu de milieux aussi profondément désespérés que celui des traditionalistes dont nous parlons. Leur situation ressemble à celle d’un homme qui, voyant un ami très cher sur le point de se noyer, chercherait bien sûr à le sauver, mais sans disposer d’aucun moyen pour y parvenir. Les meilleurs d’entre eux sont voués, s’ils ont quelque talent, à jouer le seul rôle qui leur ait été assigné, semble-t-il : celui de Cassandre, et à rabâcher que tout va mal et que tout ira de plus en plus mal si on ne les écoute pas. Par la haine même qu’ils vouent au monde moderne, et qui est trop passionnelle chez eux pour ne pas receler un conditionnement, ils prouvent qu’ils lui accordent ce qu’il ne mérite pas du tout : une réalité absolue. Ils oublient ainsi au passage – ce qui est logique chez des gens qui passent en réalité plus de temps à suivre l’actualité qu’à lire des traités de métaphysique – l’enseignement de ceux qu’ils ont élus, un peu rapidement peut-être, leurs maîtres à penser. Le « point de vue » ultime, en effet, bannit toute crainte : « … si l’on veut aller jusqu’à la réalité de l’ordre le plus profond, on peut dire en toute rigueur que la « fin d’un monde » n’est jamais et ne peut jamais être autre chose que la fin d’une illusion » ; « … le destin du monde moderne n’est nullement différent ni plus tragique que l’événement sans importance d’un nuage qui s’élève, prend forme et disparaît sans que le libre ciel puisse s’en trouver altéré ». Ces virtuoses du dégoût – état qui n’est pas forcément mauvais en soi, mais qui n’est qu’une étape – ressemblent en fait étrangement à un personnage que Nietzsche avait imaginé : celui que le « peuple » avait appelé le « singe de Zarathoustra », car il avait dérobé à ce dernier « quelque chose du ton et du rythme de son discours ». Ce « fou écumant » se plaçait toujours aux portes de la Grand-Ville pour y faire entendre ses imprécations furieuses contre la pourriture environnante, mais Zarathoustra, le jour où il le rencontra, le fit taire et lui lança : « Pourquoi t’es-tu arrêté au bord du marécage jusqu’à devenir toi-même grenouille ou crapaud ? N’as-tu pas dans tes propres veines le sang putride et spumeux des marécages, pour avoir si bien appris à coasser et à blasphémer ? (…). Ton mépris, je le méprise ; et puisque tu m’as averti, que ne t’es-tu plutôt averti toi-même ? » Et en guise d’adieu, Zarathoustra lui laissa la maxime suivante, que bien des traditionalistes devraient méditer : « Où il n’y a plus rien à aimer, passe ton chemin ! »[2].

Dernier écrit important d'un iconoclaste sans passion, Chevaucher le tigre dresse une critique implacable des idoles, des structures, des théories et des illusions de notre époque de dissolution. Le marxisme et la démocratie bourgeoise, l'existentialisme et la connaissance scientifique, le « retour à la nature » et le phénomène de la drogue, le roman et le mythe de la patrie, le jazz et la « pop music », le mariage, la famille et l'émancipation de la femme sont tour à tour examinés à la lumière des enseignements internes, purement doctrinaux et indestructibles, de la Tradition. Il en va de même pour la philosophie de Nietzsche, soumise elle aussi à une longue analyse. Sans faire de concessions au spiritualisme humanitaire et à son ascétisme frileux, l'auteur trace la figure d'un type humain aristocratique capable de « chevaucher le tigre », c'est-à-dire de transformer en remède, en vue d'une libération intérieure, des processus extrêmes presque toujours destructeurs pour la majorité de nos contemporains. Aussi éloigné des crispations d'un traditionalisme viscéralement passéiste que de tout projet révolutionnaire naïvement utopique et optimiste, « l'homme différencié » ne compte que sur lui-même et n'a qu'un but : donner un sens absolu à sa vie dans un monde où il n'y a plus rien à aimer et à défendre.

« Cette formule extrême-orientale signifie que si l'on réussit à chevaucher un tigre, on l'empêche de se jeter sur vous et, qu'en outre, si l'on ne descend pas, si l'on maintient la prise, il se peut que l'on ait, à la fin, raison de lui.

Rappelons pour ceux que ça intéresse, qu'un thème analogue se retrouve dans certaines écoles de sagesse traditionnelles, comme celle du zen japonais (les diverses situations de l'homme et du taureau) et que l'antiquité classique elle-même développe un thème parallèle (les épreuves de Mithra qui se laisse trainer par le taureau furieux sans lâcher prise, jusqu'à ce que l'animal s'arrête : alors Mithra le tue).

Ce symbolisme s'applique sur plusieurs plans. Il peut se référer à une ligne de conduite à suivre sur le plan de la vie personnelle intérieure, mais aussi à l'attitude qu'il convient d'adopter lorsque des situations critiques se manifestent sur le plan historique et collectif. »

L' Apoliteia

« L' « apoliteia », c'est l'irrévocable distance intérieure à l'égard de la société moderne et de ses « valeurs » ; c'est le refus de s'unir à celle-ci par le moindre lien spirituel ou moral »

« De même qu'a cessé d'exister l'État véritable, l'État hiérarchique et organique, de même il n'existe plus non plus à présent aucun parti ou mouvement auquel on puisse adhérer inconditionnellement et pour lequel on puisse se battre avec une conviction totale parce qu'il se présente comme le défenseur d'une idée supérieure. Malgré la variété des étiquettes, le monde actuel des partis se réduit à un régime de politicards jouant souvent le rôle d'hommes de paille au service d'intérêts financiers, industriels ou syndicaux. Par ailleurs, la situation générale est telle, désormais, qu'alors même qu'il existerait des partis ou des mouvements d'une autre sorte, ils n'auraient presque aucune audience dans les masses déracinés, ces masses ne réagissant positivement qu'en faveur de qui leur promet des avantages matériels et des quêtes sociales. Si ce ne sont pas là les seules cordes qui vibrent, l'unique prise que les masses offrent encore aujourd'hui ─ et même aujourd'hui plus que jamais ─ se situe sur le plan des forces passionnelles et sub-intellectuelles, forces qui, par leur nature même, sont dépourvues de toute stabilité. Ce sont sur ces forces que comptent les démagogues, les meneurs de peuple, les manipulateurs de mythes, les fabricants d' « opinion publique ». »

La famille

« (…) dans la grande majorité des cas, la famille des temps modernes est une institution de caractère petit-bourgeois, presque exclusivement déterminée par des facteurs naturalistes, utilitaires, routiniers, primitivement humains et, dans le meilleur des cas, sentimentaux. Surtout, son pivot essentiel a disparu, le pivot que constituait l’autorité, avant tout spirituelle, de son chef, du père, celle que l’on peut retrouver dans l'origine étymologique du mot pater : « seigneur », « souverain ». Ainsi, une des principales fins de la famille, la procréation, se réduit simplement et grossièrement à perpétuer le sang, perpétuation hybride, d’ailleurs, puisque, dans le cadre de l’individualisme moderne, les unions conjugales ne sont plus soumises aux limitations du lignage, de la caste, ou de la race et puisque, de toute façon, à la perpétuation du sang ne correspondrait plus la continuité la plus essentielle, c’est-à-dire la transmission, de génération en génération, d'une influence spirituelle, d’une tradition, d’un héritage idéal. Mais, d’autre part, comment pourrait-il en être autrement, et comment la famille pourrait-elle continuer d’avoir un centre solide qui la maintînt, si son chef naturel, le père, lui est aujourd’hui presque étranger, même physiquement, pris comme il l’est dans l’engrenage outrancièrement « pratique » de la vie matérielle, dans cette société dont nous avons montré l’absurdité foncière ? Quelle autorité peut bien revêtir le père, si, en particulier dans les « classes supérieures », il se réduit aujourd’hui, à peu de chose près, à être une machine à faire de l’argent ou un professionnel affairé ? Ceci s’applique souvent, en outre, aux deux parents, du fait de l'émancipation de la femme, de son entrée dans le monde des professionnels et des travailleurs, tandis que l’autre type de femme moderne, la « dame » qui s’adonne à une vie frivole et mondaine, est encore moins capable d’améliorer le climat intérieur de la famille et d’exercer une influence positive sur ses enfants. Les choses étant ainsi dans la majorité des cas, comment voir dans la famille moderne autre chose qu’un assemblage extrinsèque nécessairement exposé à des processus érosifs et dissolutifs, et comment ne pas compter parmi les mensonges hypocrites de notre société le caractère prétendument « sacré » de la famille ? »

Sexe, féminité et virilité

« Là où le sexe est mis en relief, il est naturel que la femme, sa dispensatrice et son objet, prenne le pas, et c'est ce que l'on constate, à bien des égards, aujourd'hui : à cette sorte de "démonie", d'intoxication sexuelle chronique qui est le propre de l'époque actuelle et se manifeste de mille façons dans la vie publique et dans les mœurs, répond une gynocratie virtuelle, une tendance, sexuellement orientée, à la prééminence de la femme, prééminence qui, à son tour, est en relation directe avec l'involution matérialiste et utilitaire du sexe masculin ; il en résulte que le phénomène est surtout manifeste dans les pays où, comme aux États-Unis, cette involution est particulièrement poussée, grâce au "progrès". Ayant, à maintes reprises, traité de cette question, nous ne nous y arrêterons pas ici et nous bornerons à signaler le caractère collectif et, en un certain sens, abstrait, de l'érotisme et du genre de fascination qui se concentre aujourd'hui sur les idoles féminines les plus récentes, dans une atmosphère alimentée par mille moyens : cinéma, revues illustrées, télévision, spectacles, concours de beauté et ainsi de suite. Ici la personne réelle de la femme est souvent une sorte de support presque entièrement dépourvu d'âme, un centre de cristallisation de cette atmosphère de sexualité diffuse, si bien que la plupart des étoiles aux traits fascinants, "vamps" et femmes "fatales", ont, en pratique, en tant que personnes, des qualités sexuelles fort quelconques, leur fond existentiel étant plus ou moins celui de filles ordinaires et de mères de famille dévoyées. Quelqu'un s'est fort justement servi, à ce propos, de l'image des méduses, aux magnifiques couleurs irisées, qui se réduisent à une masse gélatineuse et s'évaporent, si on les met au soleil, hors de l'eau. L'eau correspondrait ici à l'atmosphère de sexualité diffuse et collective. [ C'est la contrepartie, chez la femme, de la virilité très primitive des nombreux hommes qui se distinguent aujourd'hui par leur force et leur masculinité purement athlétique ou sportive, comme des "durs", des "mecs", etc...] »

Table des matières

Préface

« Un viatique pour l'homme noble quand il n'y a plus rien à aimer », par Philippe Baillet

Introduction

Orientation

1. Le monde moderne et les hommes de la Tradition
2. Fin d'un cycle. « Chevaucher le tigre »

Dans le monde où Dieu est mort

3. Le nihilisme européen. Dissolution de la morale
4. Des précurseurs à la « jeunesse perdue »
5. Couverture du nihilisme européen. Le mythe économico-social
6. Le nihilisme actif. Nietzsche
7. « Être soi-même »
8. La dimension de la transcendance. « Vie » et plus-que-vie.
9. Au-delà du théisme et de l'athéisme
10. Invulnérabilité. Apollon et Dionysos
11. L'action sans désir. La loi causale

L'impasse de l'existentialisme

12. Être et existence inauthentique
13. Sartre : la prison sans murs
14. L'existence, « projet jeté dans le monde »
15. Heidegger : fuite en avant et « être-pour-la-mort ». Débâcle de l'existentialisme

Dissolution de l'individu

16. Double aspect de l'anonymat
17. Destructions et libéralisation dans le nouveau réalisme
18. L'« idéal animal ». Le sentiment de la nature

Dissolution de la connaissance

19. Les processus de la science moderne
20. Couverture de la nature. La « phénoménologie »

Le domaine de l'art, de la musique « physique » aux stupéfiants

21. La maladie de la culture européenne
22. La dissolution dans l'art moderne
23. Musique moderne et jazz
24. Parenthèse sur les drogues

La dissolution du domaine social

25. États et partis. L'apoliteia
26. La société. La crise du sentiment de la patrie
27. Mariage et famille
28. Les relations entre les sexes

Le problème spirituel

29. La deuxième « régionalité »
30. La mort. Le droit sur la vie

Editions françaises

Notes et références

  1. Entretien avec Gianfranco De Turris, in: Il Conciliatore, 15 janvier 1970.
  2. Philippe Baillet, préface « Un viatique pour l’homme noble quand il n’y a plus rien à aimer ».