Arnold Toynbee
Arnold Joseph Toynbee, né le 14 avril 1889 et mort le 22 octobre 1975 à Londres, était un historien et un sociologue britannique.
Auteur d'une monumentale A Study of History, en douze volumes, synthèse de l'histoire mondiale sous la forme d'une « métahistoire » basée sur les rythmes universels de la croissance, de l'épanouissement et du déclin, il est considéré comme un continuateur de l'œuvre d'Oswald Spengler. Pourtant, à la différence de Spengler, il refuse a priori toute analogie entre les civilisations et les organismes biologiques.
Sommaire
Biographie
Les concepts de Toynbee
par Robert Steuckers
Dans l’immense œuvre du philosophe britannique de l’histoire, Arnold Joseph Toynbee, nous avons retenu deux idées fondamentales : celle de “défi-et-réponse” (“Challenge-and-Response”) et celle de “retrait-et-retour” (“Withdrawal-and-Return”). Tout défi (“challenge”) entraine une réponse, pour Toynbee, ce qui implique que sa vision de l’histoire est dynamique, libre de tout déterminisme : le champ est toujours ouvert pour de nouvelles réponses, portées par des acteurs divers, hétérogènes, individuels ou collectifs. Toynbee parie sur les capacités créatrices de l’homme; il estime qu’elles finissent toujours par avoir le dessus. Tout groupe humain, juste avant qu’il ne crée une civilisation, subit des défis, issus de l’environnement social ou de l’environnement géographique. Si le défi est trop fort ou trop faible, nous n’assisterons pas à l’émergence d’une civilisation. Exemple : les Eskimos ne développent pas une civilisation, mais plus simplement une culture faite de simples stratégies de survie. Les cultures tropicales, sous leurs climats paradisiaques, ne développent pas davantage de civilisation, l’intensité du défi y étant trop faible. Les défis sont aussi, dans le langage de Toynbee, des “stimuli”. Ils sont de cinq ordres, dans la classification qu’il nous propose :
- 1) une géographie très âpre;
- 2) des terres vierges qu’il s’agit de rentabiliser;
- 3) des coups portés au groupe par des ennemis ou par la nature;
- 4) une pression extérieure permanente incitant à la vigilance, donc à l’organisation;
- 5) des pressions intérieures, entraînant la pénalisation d’un ou de plusieurs groupe(s) particulier(s) au sein d’une civilisation dont les principes de base sont autres; cette “pénalisation” entraîne l’émergence d’un mode de vie différent, permettant l’éclosion d’une culture en marge, à laquelle le pouvoir peut ou non attribuer des fonctions sociales ou économiques particulières; ce fut le cas des phanariotes grecs dans l’Empire ottoman; des juifs au Maroc et dans l’Espagne arabisée, puis dans l’Europe centrale germanophone; des Parsis en Inde; des Nestoriens entre la Mésopotamie et le Turkestan chinois. La spécificité de ces cultures procède d’un défi, celui qui les ostracise et les minorise; la spécificité culturelle des populations “pénalisées” constitue donc la réponse à ce type de défi. Pour Toynbee, les civilisations —ou l’efficacité des cultures “pénalisées”— s’instituent quand les conditions multiples de leur émergence concourent à un optimum, c’est-à-dire quand le degré de pénalisation n’est ni trop rude ni trop bénin.
Retrait et retour, yin et yang
L’Europe et notre civilisation en général, la Russie, notre espace idéologique “pénalisé”, subissent des défis. Ces défis “pénalisants” ou ces pressions extérieures (américaines) ne sont nullement définitifs. En tant qu’espace idéologique “pénalisé”, nous devons acquérir une discipline plus grande, accumuler un savoir pratique, historique, stratégique, et finalement instrumentalisable, supérieur à celui des formations (im)politiques au pouvoir. Nous devons agir comme un “shadow cabinet” perpétuel qui suggère des alternatives politiques crédibles, clairement rédigées et bien charpentées dans leur argumentation. Pour Toynbee, la Cité idéale correspondait à l’idée augustinienne de “Civitas Dei”, soit une réalité transcendantale appelée à s’incarner, comme le Christ s’était incarné dans le monde pour le redresser après sa “chute”. Quand la Cité ne correspond plus à son modèle transcendantal (et ce modèle ne doit pas être nécessairement “augustinien” pour nous... il pourrait être tout simplement grec ou romain), elle sombre dans le “mondain” ou le “profane”, dans le “péché” ou plus simplement, pour Spengler comme pour nous, dans la décadence, voire dans la déchéance. Pour Toynbee, un mouvement ou un espace idéologique qui se contenterait de pleurnicher sur la disparition du temps d’avant la déchéance, qui cultiverait les archaïsmes, serait un mouvement “résigné”, passéiste et passif. L’homme d’action (celui de Blondel?), l’homme animé par l’esprit de service ou de chevalerie, l’homme qui entend œuvrer pour la Cité, se mettre au service de sa communauté charnelle, puise dans le passé les leçons pour l’avenir qu’il va forger par son action vigoureuse. Il n’est pas résigné mais volontaire et futuriste. Il transfigure le réel après un “retrait” (withdrawal), un détachement vis-à-vis de la mondanité déchue, amorphe, qui se complait dans sa déchéance. Ce recul est simultanément un plongeon dans la mémoire (la plus longue...), mais ce recul ne saurait être définitf : il postule un “retour” (return). Le visionnaire devient activiste, prospectif, il donne l’assaut pour remodeler la Cité selon le modèle transcendantal qui lui avait donné son lustre jadis. L’acteur de la “transfiguration” se met donc en retrait du monde, du présent (du présentisme), sans pour autant vouloir le quitter définitivement; son retrait est provisoire et ne peut s’assimiler au refus du monde que cultivaient certains gnostiques du Bas-Empire; il reste lié au temps et à l’espace; il a un but positif.
Toynbee utilise aussi les concepts chinois de “yin” et de “yang”. Dès que la Cité trouve ou retrouve une harmonie, une plénitude qui risque de sombrer dans une quiétude délétère, matrice de toutes les déviances, de tous les vices. La phase de “yang” est alors une phase d’effervescence nécessaire et positive, une phase de tumulte fécond qui vise l’avènement d’un “yin” plus parfait encore. Toynbee évoque notamment le risque d’une rigidification des institutions, où celles-ci, vermoulues, sont idolâtrées par les tenants du pouvoir en place, incapables d’arrêter le flot du déclin. Une phase de “yang” est alors nécessaire, portée par des forces nouvelles, qui ont effectué un “retrait” pour mieux revenir aux affaires.
La tâche de la métapolitique, l’objet de la “guerre cognitive” en cours est justement de générer à terme ce que Toynbee entendait par “transfiguration” ou par “yang”. A nous d’être les acteurs de cette transfiguration, de nous joindre aux forces porteuses du “yang” à venir, des forces encore dispersées, disparates, mais qu’il faudra unir en une phalange invincible ![1]
Publications
Essais
- Les Massacres des Arméniens. Le Meurtre d'une nation (1915-1916), Lausanne-Paris, Payot, 1916 ; nouv. éd. augmentée, Payot, 2004 [1re édit : The Armenian Atrocities: The Murder of a Nation, préf. de James Bryce, Londres, Hodder & Stoughton, 1915]
- Nationality and the War, Londres, J. M. Dent & co, 1915
- The New Europe: Some Essays in Reconstruction, préface d'Evelyn Baring, J. M. Dent & co, 1915
- La Destruction systématique de la Pologne, quelques mots sur la méthode allemande, Londres, Darling & Son, 1916, 47 p.; 'The Destruction of Poland: A Study in German Efficiency, Londres, T. Fisher Unwin, 1916
- The Belgian Deportations, with a statement by Viscount Bryce, Londres, T. Fisher Unwin, 1917
- The German Terror in Belgium: An Historical Record, Hodder & Stoughton, 1917
- The German Terror in France: An Historical Record, Hodder & Stoughton, 1917
- Turkey: A Past and a Future, Hodder & Stoughton, 1917
- The Western Question in Greece and Turkey: A Study in the Contact of Civilizations, Constable, 1922
- The World after the Peace Conference, Being an Epilogue to the “History of the Peace Conference of Paris” and a Prologue to the “Survey of International Affairs, 1920-1923”, Oxford University Press/Royal Institute of International Affairs, 1925
- avec Kenneth P. Kirkwood, Turkey, Benn, 1926, coll. « Modern Nations » (s/dir. d'H. A. L. Fisher)
- The Conduct of British Empire Foreign Relations since the Peace Settlement, Oxford University Press/Royal Institute of International Affairs, 1928
- A Journey to China, or Things Which Are Seen, Constable, 1931
- (s/dir.) British Commonwealth Relations, Proceedings of the First Unofficial Conference at Toronto, 11-21 September 1933, préface de Robert L. Borden, Oxford University Press/Royal Institute of International Affairs/Canadian Institute of International Affairs, 1934
- A Study of History, Oxford University Press, 1934 [tomes 1-3], 1939 [tomes 4-6], 1954 [tomes 7-10], 1959 [tome 11], 1961 [tome 12]
- Tome I : Introduction. The Geneses of Civilizations
- Tome II : The Geneses of Civilizations
- Tome III : The Growths of Civilizations
- Tome IV : The Breakdowns of Civilizations
- Tome V : The Disintegrations of Civilizations
- Tome VI : The Disintegrations of Civilizations 2e partie
- Tome VII : Universal States. Universal Churches
- Tome VIII : Heroic Ages. Contacts between Civilizations in Space
- Tome IX : Contacts between Civilizations in Time. Law and Freedom in History. The Prospects of the Western Civilization
- Tome X : The Inspirations of Historians. A Note on Chronology
- Tome XI : Historical Atlas and Gazetteer (avec Edward D. Myers, 1959)
- Tome XII : Reconsiderations
- (s/dir. avec J. A. K. Thomson), Essays in Honour of Gilbert Murray, George Allen & Unwin, 1936
- A Study of History: Abridgement of Vols I-VI par D. C. Somervell, préface d'A. J. Toynbee, Oxford University Press, 1946; L'Histoire, un essai d'interprétation, coll. « Bibliothèque des idées », Paris, Gallimard, 1951
- Civilization on Trial, Oxford University Press, 1948; La civilisation à l'épreuve, coll. « Bibliothèque des idées », Paris, Gallimard, 1951
- The Prospects of Western Civilization, New York, Columbia University Press, 1949
- The World and the West, Oxford University Press, 1953 (tiré des Reith Lectures de 1952); Le monde et l'Occident, Paris, Desclée de Brouwer, 1953 ; rééd. Denoël, 1964 avec une préface de Jacques Madaul
- An Historian's Approach to Religion, Oxford University Press, 1956; La religion vue par un historien, coll. « Bibliothèque des idées », Paris, Gallimard, 1963
- Christianity among the Religions of the World, New York, Scribner, 1957 (tiré des Hewett Lectures, 1956); Le christianisme et les religions du monde, Paris, Éditions universitaires, 1959
- Democracy in the Atomic Age, Melbourne, Oxford University Press/Australian Institute of International Affairs, 1957 (tiré des Dyason Lectures, 1956)
- East to West: A Journey round the World, Oxford University Press, 1958
- Hellenism: The History of a Civilization, Oxford University Press, 1959
- A Study of History: Abridgement of Vols I-X in one volume, version abrégée par D. C. Somervell, nouvelle préface de Toynbee, Oxford University Press, 1960
- Between Oxus and Jumna, Oxford University Press, 1961
- America and the World Revolution, Oxford University Press, 1962 (tiré des conférences à l'université de Pennsylvanie, printemps 1961)
- The Economy of the Western Hemisphere, Oxford University Press, 1962 (tiré des conférences à la Weatherhead Foundation/Université de Puerto Rico, février 1962)
- The Present-Day Experiment in Western Civilization, Oxford University Press, 1962 (tiré des conférences du Beatty Memorial à McGill University, Montréal, 1961)
- Guerre et civilisations, extrait par A. F. Fowler de A Study of History, coll.« Idées », Paris, Gallimard, 1962
- Universal States, New York, Oxford University Press, 1963 (tiré à part du tome VII de A Study of History)
- Universal Churches, New York, Oxford University Press, 1963 (tiré à part du tome VII de A Study of History)
- avec Philip Toynbee, Comparing Notes: A Dialogue across a Generation, Weidenfeld & Nicolson, 1963
- Between Niger and Nile, Oxford University, Press 1965
- Hannibal's Legacy: The Hannibalic War's Effects on Roman Life, Oxford University Press, 1965
- Tome I : Rome and Her Neighbours before Hannibal's Entry
- Tome II : Rome and Her Neighbours after Hannibal's Exit
- Change and Habit: The Challenge of Our Time, Oxford University Press, 1966 (tiré des conférences données à l'université de Denver en 1964, au New College de Sarasota (Floride) et à l'University of the South (Sewanee, Tennessee) en 1965); Trad. par L.-J. Calvet sous le titre Le changement et la tradition. Le défi de notre temps, Paris, Payot, 1969
- Acquaintances, Oxford University Press, 1967
- Between Maule and Amazon, Oxford University Press, 1967
- Discours, Paris, Institut de France/Académie des sciences morales et politiques, discours prononcés avec Édouard Bonnefous, 1er avril 1968
- Experiences, Oxford University Press, 1969
- Some Problems of Greek History, Oxford University Press, 1969
- Cities on the Move, Oxford University Press, 1970; Les villes dans l'histoire. Cités en mouvement, coll. « Le regard de l'histoire », Paris, Payot, 1972
- Surviving the Future, Oxford University Press, 1971 (dialogue avec Kei Wakaizumi de la Kyoto Sangyo University)
- avec Jane Caplan, A Study of History, nouvelle édition abrégée, révisée et illustrée, Thames & Hudson, 1972; L'Histoire, trad. en français par J. Potin et P. Buisseret, Paris-Bruxelles, Elsevier Séquoia, 1978 (préface de Raymond Aron)
- Afrique arabe. Afrique noire, coll. « La bibliothèque arabe, collection l'actuel », Paris, Sindbad, 1972
- Constantine Porphyrogenitus and His World, Oxford University Press, 1973
- Toynbee on Toynbee: A Conversation between Arnold J. Toynbee and G. R. Urban, New York, Oxford University Press, 1974
Publications posthumes
- Mankind and Mother Earth: A Narrative History of the World, Oxford University Press, 1976; trad. La Grande aventure de l'humanité, Paris ; Bruxelles : Elsevier Séquoia, 1977 ; puis Paris : Bordas, 1982 ; Paris : Payot, 1994
- avec Daisaku Ikeda, Choose Life: A Dialogue, Oxford University Press, 1976. Choisis la vie – Un dialogue, Paris, 1981, Albin Michel ; puis Paris, 2009, L'Harmattan.
- Richard L. Gage (s/dir.), The Toynbee-Ikeda Dialogue: Man Himself Must Choose, Oxford University Press, 1976
- E. W. F. Tomlin (s/dir.), Arnold Toynbee: A Selection from His Works, Oxford University Press, 1978 (inluant des extraits de The Greeks and Their Heritages)
- The Greeks and Their Heritages, Oxford University Press, 1981
- Christian B. Peper (s/dir.), An Historian's Conscience: The Correspondence of Arnold J. Toynbee and Columba Cary-Elwes, Monk of Ampleforth, préface de Lawrence L. Toynbee, Oxford University Press/Beacon Press, Boston, 1987
Contributions diverses
- collectif, art. "Greece", in The Balkans: A History of Bulgaria, Serbia, Greece, Rumania, Turkey, Oxford, Clarendon Press, 1915
- (s/dir.) The Treatment of Armenians in the Ottoman Empire, 1915-1916: Documents Presented to Viscount Grey of Fallodon by Viscount Bryce, Hodder & Stoughton and His Majesty's Stationery Office, 1916
- "The Non-Arab Territories of the Ottoman Empire since the Armistice of the 30th October, 1918" in H. W. V. Temperley (s/dir.), A History of the Peace Conference of Paris, vol. VI, Oxford University Press/British Institute of International Affairs, 1924)
Préfaces, traductions, travaux d'édition
- Greek Civilization and Character: The Self-Revelation of Ancient Greek Society, Dent, 1924
- Greek Historical Thought from Homer to the Age of Heraclius, with two pieces newly translated by Gilbert Murray, Dent, 1924
- Albert Vann Fowler (s/dir.), War and Civilization, Selections from A Study of History, New York, Oxford University Press, 1950
- Twelve Men of Action in Greco-Roman History, Boston, Beacon Press 1952 - extraits de Thucydide, Xénophon, Plutarque et Polybe
- Cities of Destiny, Thames & Hudson, 1967
- Man's Concern with Death, Hodder & Stoughton, 1968
- The Crucible of Christianity: Judaism, Hellenism and the Historical Background to the Christian Faith, Thames & Hudson 1969
- Half the World: The History and Culture of China and Japan, Thames & Hudson, 1973
Bibliographie
- William H. McNeill, Arnold Toynbee : Une vie (1989)
- Béatrice Poignonec, Arnold Toynbee : une interprétation de l'histoire (2011)
Notes et références
- ↑ Robert Steuckers, Forest-Flotzenberg, novembre 2003.