Louis Rougier

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Louis Rougier, né à Lyon le 10 avril 1889 et mort à Paris le 14 octobre 1982, est un philosophe français.

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Il est l'un des auteurs qui ont le plus travaillé sur la filiation entre le christianisme et les idéologies de la modernité.

Biographie

Agrégé de philosophie en 1915, il est professeur aux lycées de Gap, du Puy-en-Velay, d'Aix-en-Provence. Il enseigne la philosophie et les mathématiques au lycée d'Alger à partir de 1917 ; en 1920, il publie sa thèse de doctorat sous le titre La philosophie géométrique de Poincaré. Il y joint une thèse complémentaire, Les paralogismes du rationalisme.

Il exerce ensuite au lycée français Chateaubriand de Rome de 1921 à 1925. Il est nommé en qualité de professeur de philosophie à la faculté des lettres de l'université de Besançon en 1924 ; il y reste jusqu'en 1948. Il achève sa carrière à l'université de Caen en 1959. Au milieu des années 1920, il dirige une collection, « Civilisation et Christianisme », chez André Delpeuch.

Dans Les Paralogismes du rationalisme. Essai sur la théorie de la connaissance, il effectue une critique en profondeur du Rationalisme, qu'il distingue de la démarche scientifique. Il met en cause l'égalitarisme, les Lumières, la Révolution française, le socialisme. Sa conviction est que la Révolution constitue « une tentative, plus ou moins lucide, justifiée, cohérente et heureuse, en vue de réaliser les conséquences morales, politiques, sociales que comporte le Rationalisme ». La science positive dont se réclame Rougier, et qu’il ne faut pas confondre avec le « Rationalisme », aurait définitivement condamné « l’ontologie » sur laquelle se fondent les dogmes, typiques du « Rationalisme », de « l’égalité naturelle », des « droits innés », de « la souveraineté nationale » s’exprimant par le suffrage universel.

Spécialiste de philosophie des sciences et de logique, marqué par la pensée de Henri Poincaré auquel il consacre sa thèse, Rougier participe en 1934 au Cercle de Vienne, dont il est le seul membre français, avant d’organiser à la Sorbonne, en 1935, le premier Congrès international de philosophie scientifique, où figurent notamment Rudolf Carnap, Bertrand Russell, Alfred Tarski, Moritz Schlick.

Un refondateur libéral

Rougier est au croisement de deux courants d'idées importants des années 1930. Il est proche des idées du Cercle de Vienne et du positivisme logique et de l’empirisme logique, Les membres du Cercle, dont Philipp Franck, appréciaient son ouvrage Les paralogismes du rationalisme.

Par ailleurs, il se veut un défenseur d'une certaine forme de libéralisme, différent du laissez-faire. Il organise un colloque à l’Institut international de la coopération intellectuelle de Paris, du 26 au 30 août 1938, dit Colloque Walter Lippmann, en raison de la présence de l'économiste dont le livre The Good Society vient d'être traduit et publié en français. Pour Rougier et Lippmann, il ne s'agit pas d'abandonner le libéralisme, alors très violemment critiqué, mais de le refonder. Le colloque réunit une trentaine d'intellectuels « libéraux » soucieux de défendre le libéralisme en le rénovant. Parmi eux, on dénombre Louis Marlio, Louis Baudin, Auguste Detœuf, Robert Marjolin, Raymond Aron, Friedrich Hayek, Ludwig von Mises, Wilhelm Röpke, Alexander Rüstow, Michael Polanyi. Au cours de son intervention, Rougier expose une distinction entre une « bonne » démocratie, la démocratie libérale, et une « mauvaise » démocratie, qu’il appelle « démocratie socialisante », qu'il décrit comme une démocratie de la souveraineté populaire absolue, du jacobinisme et du dirigisme économique qui en résultent.

Les travaux du colloque aboutissent à affirmer que seul le mécanisme des prix fonctionnant sur les marchés libres permet de faire le meilleur usage des moyens de production et de conduire à la satisfaction maximale les désirs de chacun. Mais il ajoute que les positions d’équilibre qui s’établissent sur les marchés sont affectées par le cadre juridique dans lequel se déroule la vie économique. Loin d’être naturel ou spontané, ce cadre est une « création toujours réversible » du législateur. Enfin, les participants admettent la nécessité et la légitimité d’affecter à des fins d’ordre collectif et social – défense nationale, assurances sociales, services sociaux, enseignement, recherche scientifique – une partie du revenu national, si besoin conséquente, grâce à des prélèvements fiscaux, mais dans un budget en équilibre.

« C’est une question de savoir si le retour à une économie libérale est parmi les éventualités possibles. Ce qui est sûr, c’est que les nations soucieuses de sauvegarder l’indépendance spirituelle de l’individu et le goût de l’initiative, sans lesquels il n’est pas de culture proprement humaine, n’y parviendront que pour autant qu’elles feront retour au libéralisme mieux compris. Ce libéralisme là, appelé libéralisme constructeur, ne se confond pas avec la théorie du laisser faire, laisser passer, qui aboutit à la suppression de la liberté par l’excès même de la liberté. Il ne se confond pas, non plus, avec n’importe quelle forme de capitalisme. »

Le « libéralisme constructeur » que Rougier appelle de ses vœux n’aura rien à voir avec l’idée de « socialisme libéral », sorte de synthèse ou de compromis entre socialisme et libéralisme. De ce point de vue, Rougier veut prendre ses distances avec cette formule intermédiaire qu’on trouve chez quelques socialistes et républicains. S’il faut réhabiliter un certain interventionnisme, il ne s’agit pas de promouvoir le dirigisme, qui est pour lui une mauvaise réponse à la crise du libéralisme.

Rougier souligne qu’une économie libérale requiert une intervention de l’État qui diffère cependant totalement de celle propre aux États « ploutocratiques » ou « démagogiques » qui n’agissent que sous la pression des intérêts particuliers ou sous la poussée des revendications des masses. Cette intervention libérale pourra répondre à une demande sociale, mais elle devra s’effectuer selon une vision globale du fonctionnement de l’économie de marché, selon des choix politiques ou stratégiques bien pesés et des objectifs sociaux ouvertement affichés – par exemple, la protection de certains secteurs socio-économiques jugés essentiels pour la nation ou son équilibre sociologique, comme la paysannerie, etc.

Après la Deuxième guerre mondiale, Rougier demande à participer aux colloques de la Mont Pèlerin Society (MPS), dont le premier est annoncé pour avril 1947. Sous le prétexte de liens qu'il aurait entretenu avec la Révolution nationale, certains dirigeants du MPS mettent leur veto. Ce n'est que dix ans plus tard, lors de la réunion de Sankt-Moritz et avec l’aide de Friedrich Hayek, que le philosophe français peut adhérer à l'association.

Un maître de la critique du christianisme

Profondément anti-chrétien, il écrira beaucoup contre le christianisme. Dans Celse ou le conflit de la civilisation antique et du christianisme primitif, il propose une reconstitution, une traduction et une édition critique du Discours véritable du philosophe païen Celse (iie siècle apr. J.-C.), réponse au christianisme naissant. Louis Rougier met particulièrement en avant « l'intransigeance antipatriotique et subversive des communautés, qui tendaient à devenir un État dans l'État ». Rougier oppose mentalité antique et mentalité chrétienne et maintient que l' Hellène trouve que l'existence mérite être d'être vécue, ce qui n'est pas le cas chez le Chrétien et le Juif. La nouvelle échelle de valeurs imposée par le christianisme est incompatible avec la vie païenne. Face à la question de l'existence d'un Occident chrétien, Rougier affirme que, malgré une indéniable influence du christianisme, l'homme occidental est prométhéen, faustien et donc essentiellement non-chrétien.

Rougier et tout particulièrement sa critique du christianisme vont influencer profondément la Droite radicale française. Dès 1963, ses travaux sont cités comme des références incontournables par les rénovateurs du nationalisme d'Europe-Action. Le mouvement animé par Dominique Venner se reconnaît totalement dans les thèse de Rougier, selon lequel le génie européen serait le seul ouvert sur le progrès, capable d'innovation et d'adaptation. De même, l'opposition transcendante entre la rationalité européenne et les idéaux orientaux contemplatifs faite par Rougier correspond tout à fait à la doctrine d'EA.

Rougier devient ensuite un actif compagnon de route du Groupement de recherches et d'études pour la civilisation européenne, qui reprend l'entreprise doctrinale lancée par Europe-Action. Il fait partie du comité de patronage de Nouvelle École et fournira plusieurs entretiens et articles pour la revue Éléments.

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Citations

« Le mot de démocratie renferme une terrible équivoque. Il y a deux conceptions de la démocratie. La première est l’idée de la démocratie libérale fondée sur la limitation des pouvoirs de l’État, le respect des droits de l’individu et du citoyen, la subordination du pouvoir législatif et exécutif à une instance juridique supérieure. La seconde est l’idée de la démocratie socialisante fondée sur la notion de la souveraineté populaire. La première procède des théoriciens du droit des gens, des publicistes protestants, des déclarations américaines et françaises et affirme le principe de la souveraineté de l’individu ; la seconde procède de Rousseau et affirme le principe de la souveraineté de la masse. La seconde est la négation de la première. Elle aboutit fatalement à la démagogie, et, par la démagogie, à l’État totalitaire. Lorsque les masses, grâce à l’instruction obligatoire, ont compris que, par le mécanisme du suffrage universel, fondé sur la loi du nombre, elles peuvent, étant le nombre, s’emparer du pouvoir de l’État, elles se donnent au parti qui les mène à l’assaut des pouvoirs publics et elles substituent, au problème de la production des richesses, l’exigence de leur distribution immédiate entre les classes les moins pourvues. L’État sombre dans l’appauvrissement et l’anarchie, et on ne peut l’en tirer en apparence qu’en recourant à un gouvernement dictatorial. Les meilleurs pourvoyeurs des États totalitaires, ce sont les démagogues socialistes. »

« La théorie fonctionnelle de la connaissance ne prétend à aucune autre objectivité que celle qui consiste à être intersubjectivement valable pour tous les esprits humains placés dans les mêmes conditions d'observation, et se servant du même langage. Elle ne fait appel à aucun monde transcendant, à aucune vision angélique, à aucune illumination surnaturelle, à aucune réalité nouménale. Cessant d'être faite pour les dieux, elle est à la mesure de l'homme et à son seul usage ». Traité de la connaissance

« Il y a des civilisations caractérisées par une fuite devant le réel, par l'évasion mystique fondée sur le détachement des biens de ce monde, l'illusion de l'individualité, l'effort pour échapper par le Nirvana à la roue des renaissances en vue de se résorber dans le grand Tout : telles furent les civilisations de l'Inde. Ce qui caractérise la civilisation occidentale, c'est qu'elle ne s'est jamais dérobée aux défis qui la menaçaient ».

Publications

  • En marge de Curie, de Carnot et d'Einstein : études de philosophie scientifique, Chiron, 1921
  • La matière et l'énergie selon la théorie de la relativité et la théorie des quanta, Gauthier-Villars, 1921
  • La Structure des théories déductives. Théorie nouvelle de la déduction, Collection « Bibliothèque de Philosophie Comtemporaine », Librairie Félix Alcan, 1921
  • La scolastique et le thomisme, Gauthier-Villars, 1925
  • Celse ou le conflit de la civilisation Antique et du Christianisme primitif, Collection « Civilisation et Christianisme », André Delpeuch, Éditions du siècle, 1925 * La Mystique démocratique, ses origines, ses illusions, Flammarion, Bibliothèque de philosophie scientifique, 1929
  • Créance morale de la France, Montréal, Lucien Parizeau & Compagnie, 1945 * Mission secrète à Londres, les accords Pétain-Churchill, 1e éd., A l'Enseigne du cheval ailé, 1946
  • Créance morale de la France, Collection « Hommes et mouvements », Éditions France-Empire, 1946
  • Le bilan du Gaullisme, S.l., 1946
  • La Défaite des vainqueurs, A l'Enseigne du Cheval Ailé, 1947
  • La France jacobine, A l'Enseigne du Cheval Ailé, 1947
  • La France en marbre blanc
  • Ce que le monde doit à la France, Collection « Bibliothèque du Cheval Ailé », Genève, Constant Bourquin, 1947
  • De Gaulle contre De Gaulle, Collection « La Pensée Libre », Éditions du Triolet, 1948
  • Les Mystiques économiques, Éditions Medicis, 1949
  • La France à la recherche d'une constitution, Sirey, 1952
  • Les accords secrets franco-britanniques - Histoire et imposture, Grasset, 1954, — La Religion astrale des Pythagoriciens, Collection « Mythes et religions », Presses Universitaires de France, 1959 — La métaphysique et le langage, Collection « Bibliothèque de philosophie scientifique », Flammarion, 1960
  • L'erreur de la démocratie française, L'Esprit Nouveau, 1963
  • Celse contre les chrétiens, Jean-Jacques Pauvert, 1965
  • Histoire d'une faillite philosophique : la Scolastique, Collection « Libertés » dirigée par J.-F. Revel, Jean-Jacques Pauvert, 1966
  • Le Génie de l'Occident, Robert Laffont, 1969
  • La genèse des dogmes chrétiens, Albin Michel, 1972
  • Le conflit du christianisme primitif et de la civilisation antique, Grèce, 1974
  • Celse contre les chrétiens, la réaction paienne sous l'Empire romain, Collection « Théoriques », Copernic, 1977
  • Du paradis à l'utopie, Copernic, 1979
  • Astronomie et Religion en Occident, Presses Universitaires de France, 1980.

Bibliographie

  • Claudia Berndt et Mathieu Marion, « Vie et œuvre d’un rationaliste engagé : Louis Rougier (1889-1982) », Philosophia Scientiæ, vol. 10, no 2, 2006, p. 11-90.