Georges Cadoudal

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« Georges Cadoudal », gravure de Dumontier
Georges Cadoudal (1771-1804) est une figure emblématique de la chouannerie. Son nom est aussi synonyme en Bretagne de la résistance, jusqu’au martyre, au jacobinisme parisien. Son charisme et son intransigeance en font un personnage important de la contre-révolution soutenu indéfectiblement par sa conviction religieuse et sa foi en la cause royale.

Biographie

Georges Cadoudal est né le 1er janvier 1771 dans la ferme de ses parents près d'Auray (Morbihan). En breton, son nom signifie "guerrier retournant au combat". Une prédestination pour un tacticien des guerres d’embuscades. Il est le fils aîné de Louis Cadoudal, meunier, et de Marie-Jeanne Le Bayon.

Formé au collège Saint-Yves de Vannes, il est éduqué entre catholicisme et allégeance au Roi et se destine à la marine ou au sacerdoce. Lorsque, en 1788, éclate le conflit entre le roi et ses parlements, Georges prend ouvertement parti en faveur du parlement de Rennes. En 1791, le collège, en raison des événements, est fermé. Il devient alors clerc de notaire à Auray.

En mars 1793, des émeutes éclatent dans tout l'Ouest contre la levée de 300.000 hommes décrétée par la Convention, peu après l'exécution du roi, pour défendre les frontières de l'Est contre les armées d'Europe. Ces nouvelles lois sur la conscription sont en effet mal acceptées par la population de l'Ouest (le droit breton depuis le traité de 1532 garantissant l'exemption de tout service militaire en France). Le jeune Cadoudal s'engage dans la lutte et se trouve parmi les milliers de révoltés qui tentent de s'emparer d'Auray. L'insurrection bretonne est écrasée de manière sanglante. Son oncle est arrêté. Désireux d'obtenir sa libération, il se constitue prisonnier. Brièvement emprisonné à Auray, il est bientôt libéré sous la promesse de se tenir tranquille. Mais, c'était aller là contre tous les principes et le caractère de Georges Cadoudal qui, comme beaucoup d'autres, refuse de se soumettre à ce nouvel ordre imposé.

Le chef chouan intransigeant

Chouans
Il décide alors, avec cinq de ses camarades de l’école d'Auray (il est encore jeune), de rejoindre les rangs de la Grande Armée catholique et Royale partie de Vendée vers la Sarthe à la suite de la défaite de Cholet (octobre 1793). Cette armée, dirigée par des chefs nobles rompus au métier des armes, s'est engagée, après le passage de la Loire, vers le nord, dans une épopée que l'on nommera "la virée de galerne". Après quelques escarmouches contre les soldats bleus (républicains) et les gardes nationaux, Cadoudal se révèle un combattant vaillant, chargeant au sabre à la tête de sa petite équipe de cavaliers, bravant le feu de la mitraille crachée par les canons républicains. Il se lie à Mercier et ramène à Fougères une légion de volontaires bretons. Il participe à de nombreuses batailles et grâce à sa bravoure et remarqué pour sa force herculéenne et son sens tactique, il grimpe un à un les échelons de la hiérarchie. Ce colosse passe du grade de capitaine à chef d'escadron, commandant d'une division de cavalerie à Quiberon au sein du bataillon commandé par le major-général Stofflet.

L'équipée de cette armée se termine à Savenay (23 décembre 1793), près de la Loire, par le massacre d'une grande partie des insurgés. Le général Westermann, qui y dirige les troupes républicaines et a ordonné les massacres, sera d'ailleurs guillotiné quatre mois plus tard avec les dantonistes. À l'issue du combat, Georges et ses 300 Bretons réussissent à passer au travers des mailles du filet et se replient dans le Morbihan, pour y organiser la résistance aux bleus (hiver 1794).

Capturé et jeté en la prison du château à Brest, il s'évade et reprend l'insurrection. Il sert sous le comte Sébastien de La Haye de Silz, devient chef de légion, organise l'insurrection de la ville de Brest, qui échoue : il est à nouveau arrêté avec sa famille le 30 juin 1794 ; sa mère décède lors de la détention. Lors de sa seconde évasion, il entre en clandestinité et reçoit une estafilade au visage lors d'un combat à Florange (Lorraine).

En 1795, Georges Cadoudal prend le commandement des chouans du Morbihan et refuse de se placer sous les ordres du Comte de Puisaye, ce dernier voulant réunir l'ensemble des chouans de la Bretagne sous son seul commandement. Au printemps de 1795, il rejette un cessez-le-feu conclu entre chefs royalistes et révolutionnaires à La Jaunaye et à La Prévalaye et intensifie la guérilla en dépit de la paix signée à La Mabilais le 23 avril 1795.

En juin de cette même année, 14.000 chouans, croyant encore au salut de la couronne, se rassemblent près de Quiberon afin de dégager les côtes et le 26 juin, 5.000 membres des forces royalistes débarquent en baie de Carnac. Ce contingent est bien mal commandé, et hésite à progresser rapidement dans les terres: le général républicain Hoche a tout le temps pour organiser sa défense devant Vannes où les royalistes sont stoppés. Les forces royalistes sont repoussées sur la presqu'île de Quiberon. Après les affrontements de Carnac, il reçoit un commandement dans l'armée "rouge" chargée de prendre Hoche à revers pour débloquer la presqu'île. Cadoudal furieux contre l'incompétence des chefs royalistes organise la retraite des chouans. Élu major général du Morbihan le 16 août 1795, il réunit sous son commandement l'armée chouanne et les troupes rescapées du désastreux débarquement qu'il soustrait à un retour offensif de Hoche tout en façonnant de nouvelles formes d'action. Il prend Sarzeau le 19 décembre 1795 et l'emporte à Locminé le 7 avril suivant. Mais en juin 1796, son armée en infériorité numérique face à Hoche est écrasée, la paix est signée le 16 juin 1796. Alors le chef chouan se consacre au relèvement du pays vannetais en désarmant les bandes armées incontrôlées (appelés chauffeurs). Il se rend en Angleterre où il rencontre le comte d'Artois (frère du Roi) et prépare la reprise des combats.

Avec le coup d'État du 18 Fructidor an V (4 septembre 1797), le Directoire succède à la Convention, ce qui relance la chouannerie et les mouvements contre-révolutionnaires avec l’aide financière et matérielle de la Grande-Bretagne. Cadoudal est maître de la Bretagne occidentale et réceptionne des armes venues de la Grande-Bretagne. En 1798, Louis XVIII lui confie officiellement le commandement en chef de l'armée de l'Ouest. Activement recherché par les Bleus, il demeure insaisissable, bénéficiant d'un réseau efficace et de caches introuvables. Aujourd'hui encore, certaines de ses caches portent toujours le nom de Cadoudal, par exemple dans la presqu'île de Locoal. Au bord de la rivière d'Etel, la "cache de Cadoudal" est l’illustration des souterrains, dissimulés entre deux talus, où se réfugiaient une dizaine de personnes pour échapper à l’ennemi. Il a mis sur pied une armée de 18.500 hommes et multiplié les liaisons avec les autres armées contre-révolutionnaires afin d'assurer une coordination des combats. Il refait son apparition le 17 avril 1799 en s'emparant de Sarzeau et il manqua de peu de s'emparer de Vannes en août 1799 mais son action est freinée par le coup d'état du 18 brumaire An VIII (9 novembre 1799).

Le conspirateur

Le général Jean-Charles Pichegru qui, comme Cadoudal, espérait une décentralisation du pouvoir avec le rétablissement de la royauté
En effet l'arrivée de Bonaparte au pouvoir oblige de nombreux chefs chouans à traiter avec le Premier Consul qui promet la liberté religieuse et la réouverture des églises, ayant bien compris que ce qui avait amené la protestation monarchique sur les lèvres des habitants des campagnes répondait avant tout à une protestation religieuse (c'était surtout pour la noblesse que la défense de l'autel entraînait celle du trône). Ils se soumettent les uns après les autres. De plus en plus isolé, Cadoudal continue le combat mais, encerclé par le maréchal Brune au Pont-du-Lac, il est contraint, le 14 février 1800, au château de Beauregard, à Saint-Avé (Morbihan), de signer une convention de paix avec le général Brune, prélude à une éventuelle réconciliation avec le régime. À cet effet, Bonaparte alors Premier consul, désireux de le rallier à lui, le convoque aux Tuileries en mars 1800, lui offrant la grâce et un grade de général assorti d'une rente en échange de sa reddition. La seconde entrevue est houleuse si l'on se réfère aux deux protagonistes. De Napoléon sur Georges : "L'exagération de ses principes prend sa source dans les nobles sentiments qui doivent lui donner beaucoup d'influence sur les siens. Il faudra pourtant en finir". De Georges sur Napoléon : "Quelle envie j'avais d'étouffer ce petit homme dans mes bras". "L'Hercule de la Contre-Révolution" refuse toutes les propositions de Bonaparte et passe clandestinement en Grande-Bretagne, où se trouvait le comte d'Artois, frère de Louis XVIII, qui lui confère le titre de Lieutenant général des armées du Roi et la décoration de Grand-Croix de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis.

La dernière carte à jouer pour les derniers chefs fidèles à la cause royaliste consiste à abattre le régime en neutralisant Bonaparte : ainsi, en 1801, Picot de Limoëlan tente de faire sauter le Premier Consul avec une "machine infernale". Le 24 décembre 1800, une bombe explose au passage du cortège qui mène Bonaparte à un récital à l'opéra de Paris, ce dernier échappe à la mort mais l'explosion fait 22 morts et une centaine de blessés.

Cadoudal suspecté d'être impliqué dans l'attentat de la rue Saint-Nicaise doit se réfugier en Angleterre de mai 1801 à août 1803. Durant cet exil, il doit se montrer prudent car l'Angleterre signe en 1802 la paix d'Amiens avec la France. Mais l'année suivante, la guerre reprend et Cadoudal conçoit le coup essentiel.

Cadoudal lassé des tergiversations des émigrés à Londres forme alors le projet d'enlever le Premier Consul et de l'amener en Angleterre afin de permettre au Comte d'Artois (frère cadet de feu Louis XVI) de devenir roi (il ne le sera que plus tard, en 1824, sous le nom de Charles X, après la mort de Louis XVIII). Avec l'aide du gouvernement anglais qui lui fournit fonds et armes, il débarque en secret au pied des falaises de Biville (gorge de Parfonval) le 21 août 1803.

Il s'est acquis la complicité du général Charles Pichegru qui débarque à son tour et tente d'entraîner dans le complot son camarade de combat, le général Moreau. Mais celui-ci refuse. La police a vent du complot. Mais l'arrestation du général Moreau, le vainqueur de Hohenlinden, suscite des rumeurs dans l'opinion publique. Chacun doute de la bonne foi du Premier Consul et le soupçonne de vouloir éliminer ses rivaux. Bonaparte, qui a retiré provisoirement à Joseph Fouché le ministère de la Police Générale, commence à le regretter. Enfin, la police arrête le général Pichegru puis les autres instigateurs du complot. Cadoudal est lui-même arrêté rue Monsieur-le-Prince, à Paris, dans des conditions tragiques (il tue deux agents avant de se rendre) le 9 mars 1804. L'opinion se retourne en faveur du Premier Consul. L'enquête policière révèle que les comploteurs attendaient l'arrivée d'un prince du sang (de la famille royale), vraisemblablement le comte d'Artois. Un plan d'insurrection plus ou moins fantaisiste, transmis par un agent double, Méhée de la Touche, dévoile les noms d'émigrés établis en pays de Bade, dont celui du jeune duc d'Enghien (32 ans).

Le 10 mars, Bonaparte réunit son conseil aux Tuileries. A l'instigation de Talleyrand, ministre des Relations Extérieures, et de Fouché, ministre de la police, il se laisse convaincre d'arrêter... le duc d'Enghien. Dans la nuit du 20 au 21 mars 1804, à deux heures du matin, le duc d'Enghien est fusillé dans les fossés du château de Vincennes. En exécutant le jeune duc d'Enghien, le Premier Consul a voulu terroriser l'opposition royaliste une bonne fois pour toutes en lui montrant qu'il n'était disposé à aucun accommodement avec elle. Il a aussi voulu prouver aux anciens jacobins et à tous ceux qui, à un titre ou un autre, ont tiré parti de la Révolution, qu'il était le meilleur rempart pour préserver les acquis de celle-ci et le retour de la prospérité.

Le procès dure du 28 mai au 10 juin 1804. Cadoudal s'y montre toujours intraitable. Le général Pichegru se suicide (ou est suicidé) par étranglement peu après dans sa cellule, le 6 avril. Le général Moreau, qui a seulement eu le tort de ne pas dénoncer le complot, est condamné à deux ans de prison avant d'être exilé. Quant à Georges Cadoudal, condamné à mort pour complot contre la sûreté de l'Etat, il refuse farouchement, par principe, toute idée de demande de grâce, alors que tout laisse à penser que Bonaparte était en fait demandeur en la matière. "Nous voulions faire un roi, nous avons fait un empereur", a-t-il confié avec amertume dans sa prison, au Temple. Le cerveau de la conspiration est guillotiné avec onze complices le 25 juin 1804 en place de Grève. On rapporte que, placé sur le plateau de la guillotine, il aurait crié : "Mourons pour notre Dieu et notre Roi", reprenant ainsi la devise des insurgés vendéens.

On peut supposer que le Premier consul puis Empereur, qui avait espéré jusqu'au bout un "retournement" de Georges Cadoudal, conserva envers lui un certain ressentiment, puisqu'il ne s'opposa pas à ce que les restes du conspirateur, au lieu d'être ensevelis après la mise à mort, soient récupérés à des fins "médicales", le squelette étant exposé en faculté de médecine durant tout le Premier Empire : le chirurgien Larrey garde son squelette monté sur fil de fer, l'utilisant pour ses démonstrations d'ostéologie et de phrénologie.

La chute du régime napoléonien donna lieu à des funérailles solennelles pour Cadoudal, dont les restes furent inhumés à Auray, dans un mausolée construit à cet effet sur la colline de Kerléano ("le village des moines"), à proximité immédiate de sa maison natale, à quelques kilomètres du champ des Martyrs où furent fusillés 953 émigrés et chouans après l'Affaire de Quiberon, tandis que la monarchie restaurée l'élevait en 1814, à titre posthume, à la dignité de maréchal de France, et que l'un de ses neveux, désormais appelé Louis de Cadoudal, était anobli.

Anecdote

La statue de Cadoudal par André Jouannic.
Une association d’Auray pour le souvenir de Georges Cadoudal avait fait réaliser une statue en bronze, par le sculpteur André Jouannic. L'association comptait faire placer l'œuvre dans le parc attenant au mausolée et procéder à l'inauguration le 26 juin 2004, pour le bicentenaire de l'exécution. La mairie d'Auray a fait connaître son opposition formelle une quinzaine de jours avant la date prévue, contraignant l'association à se mettre en quête d'un autre lieu pour l'installation de la statue. L'énorme pierre en granit qui devait servir de promontoire à la statue ayant été déposée dans le parc avant l'opposition de la mairie, s'y trouve toujours ; son poids rend son enlèvement difficile.

Bibliographie

  • Georges Cadoudal et la chouannerie, G. de Cadoudal, Plon, 1887
  • Histoire des insurrections de l'Ouest, Léon Dubreuil, Rieder, 1929 (2 vol.)
  • Georges Cadoudal, G. Lenotre, Grasset 1929
  • La conspiration de Cadoudal, G. Lenotre, Flammarion, 1934
  • Cadoudal et les Chouans, Cdt H. Lachouque et J. Arna, Amiot-Dumont, 1951
  • Cadoudal, J. de La Varende, éd. françaises d'Amsterdam, 1952
  • La Conspiration de Cadoudal, Duc de Castries, éd. Del Duca, 1964
  • Georges Cadoudal ou la Liberté, J.-F. Chiappe, Perrin, 1971
  • La Chouannerie sur les pas de Cadoudal, J. Rieux, 1976 (rééd. Artra, 1985)
  • Les Grandes Heures de la chouannerie, A. Bernet, Perrin, 1993
  • Georges Cadoudal et les Chouans, P. Huchet, éd. Ouest-France, 1997
  • Histoire générale de la chouannerie, A. Bernet, Perrin, 2000
  • De Cadoudal à Frotté. La Chouannerie de 1792 à 1800, P. Roussel, éd. de la Seule France, 1968
  • Histoire de la Vendée militaire (t. IV, J. Crétineau-Joly, 1842)
  • Guerres des Vendées et des chouans contre la république française, 1824-1827, J-J Savary (6 vol.)
  • La Vendée militaire en 100 questions-réponses, S. Marcou, Dualpha, 2008

Texte à l'appui

L'exécution de Georges Cadoudal et de ses compagnons

25 juin 1804 : exécution, à Paris, près de l'Hôtel de Ville, de Georges Cadoudal et de ses conjurés. Le chef demandera à monter le premier sur l'échafaud.
Les condamnés entendirent leur sentence sans manifester la moindre émotion. En rentrant à la Conciergerie, Georges Cadoudal y trouva M. Réal, conseiller d'État, avec lequel il eu un long entretien. Réal insinua au Vendéen (sic) que l'empereur serait disposé à lui accorder sa grâce s'il s'adressait à sa clémence. Georges résista à ces généreuses ouvertures et se montra décidé à partager le sort de ses camarades. M. de Rivière qui eut également une entrevue avec Réal, refusa comme Georges d'adresser une demande en grâce à l'Empereur. Mais il se trouvait, dans les familles des condamnés, des cœurs moins superbes qui ne crurent pas s'humilier en demandant au souverain la vie de ceux qu'ils aimaient. La sœur de M. de Rivière trouva dans l'Impératrice un tout-puissant intermédiaire ; d'autres interventions furent sollicitées et obtenues pour MM. De Polignac, Rochelle de Bercy, Bouvet de Lozier et Charles d'Hozier. Mademoiselle Lajolais se jeta aux genoux de l'Empereur et lui demanda la grâce de son père ; mademoiselle Gaillard sollicita celle de son frère, et le banquier Shérer celle de son beau-frère Rusillion. L'Empereur ne résista à aucune de ces intercessions, et le 6 messidor an XII, la Cour de justice criminelle entérina la lettre impériale qui commuait la peine capitale contre celle de la déportation, pour les condamnés Bouvet de Lozier, Rumillion, Rochelle, Armand de Polignac, d'Hozier, de Rivière, Lajolais et Gaillard.

Georges et ses chouans restaient seuls en face de l'échafaud. Ce n'était pas que les avocats lui eussent manqué pour plaider sa cause auprès de Napoléon. Il était à la cour un homme chevaleresque, auquel le courage indomptable, l'énergie, la rudesse du Vendéen (sic) devaient être sympathiques ; cet homme, c'était Murat. Le futur roi de Naples plaida chaleureusement la cause des condamnés auprès de l'Empereur, qui était assez disposé à se rendre à ses prières ; mais au fond de sa prison, Georges parlait encore comme au moment où son sabre le faisait roi des landes du Morbihan ; il voulait que la grâce s'étendit à tous ses complices, et la clémence impériale dut s'arrêter devant ces exigences. Il s'était pourvu en cassation pour prolonger de quelques jours la vie de ses compagnons. Le 4 messidor, la Cour rejeta le pourvoi, et, le 5, on ramena à la Conciergerie les condamnés, qui avaient été provisoirement transférés à Bicêtre. L'exécution avait été fixée au 6.

Les exécutions étaient, à cette époque, devenues assez peu fréquentes pour que mon père ne conservât que quatre aides. En raison du nombre des condamnés, il fut obligé de requérir des aides supplémentaires. On avait déjà repris l'habitude de permettre aux condamnés de se faire accompagner par un prêtre jusque sur le lieu du supplice ; en conséquence, le nombre des charrettes qui devaient transporter ce cortège funèbre fut élevé à trois. A neuf heures du matin, les voitures et les exécuteurs étaient à la porte de la Conciergerie. Les apprêts de la toilette se firent dans l'avant-greffe ; les condamnés y furent introduits tous ensembles ; ils priaient avec beaucoup de recueillement. Quelques instants auparavant, on avait, une fois encore, engagé Cadoudal à demander sa grâce : il avait montré plus de vivacité encore dans ses refus, et on l'avait entendu murmurer en sortant du greffe :

- "Ce b…..-là ! il n'est pas content de me couper la tête, il voudrait encore me déshonorer !"

En entrant dans la salle, Georges dit quelques mots à un guichetier nommé Eberle, qui l'accompagnait, et, après la réponse de celui-ci, il alla droit à mon père. Sa démarche était fière, son œil assuré, son teint aussi coloré que d'ordinaire, nulle émotion ne se manifestait ni dans ses traits, ni dans son accent.

- "Monsieur, dit-il, vous êtes l'exécuteur de Paris ?"

Mon père répondit affirmativement.

- "En ce cas, répliqua Georges, vous saurez que je veux être exécuté le premier. C'est à moi à donner à mes camarades l'exemple du courage et de la résignation ; d'ailleurs, je ne veux pas que l'un d'eux s'en aille de ce monde avec l'idée que je pourrais lui survivre."

Mon père lui fit observer que l'ordre d'exécution avait été réglé, et que, suivant cet ordre, il devait mourir le dernier.

- "Bah ! répliqua Georges, on a mis assez d'insistance à m'offrir une grâce entière pour qu'il ne soit pas possible de me refuser la seule que je sollicite."

Dans l'espoir de pouvoir obtempérer à ce désir, mon père profita de la longueur des apprêts occasionnés par un si grand nombre de condamnés, pour faire transmettre la demande de Georges au grand juge par le greffe qui était venu lire l'arrêt et devait dresser le procès-verbal de l'exécution. Ce dernier ne rapporta qu'un refus ; on ne permit pas à celui à qui on avait offert la vie de choisir le moment de sa mort. Le rude chef de partisans dut se résigner. Pendant qu'on lui attachait les mains, il dit à ses compagnons :

- "Nous avions assez souvent battu les bleus pour avoir droit à la mort de soldats ; mais nous ne devons rien regretter, en nous rappelant que l'échafaud sur lequel nous allons monter a été consacré par le martyre de notre roi !"

Avant de quitter la Conciergerie, il dit encore à ses camarades de l'embrasser. Tous obéirent ; ces rudes visages s'adoucirent dans ce suprême adieu à leur chef bien-aimé ; quelques yeux devinrent humides. Quand ce fut terminé, il leur dit :

- "Et maintenant, il s'agit de montrer aux Parisiens comment meurent des chrétiens, des royalistes et des Bretons."

Il fit signe à son confesseur de lui donner le bras, et, sans attendre l'ordre de l'exécuteur, il commanda : "Marche !" avec autant de vivacité et d'élan que s'il se fût agi d'enlever une redoute.

Il était dans la première charrette avec son cousin, Pierre Cadoudal ; Picot, son domestique, et Coster Saint-Victor ; Roger, Soyant, Burban et Lemercier étaient dans la seconde ; Lelan, Mérille et Deville étaient dans la troisième. Coster Saint-Victor n'excitait pas moins de curiosité que son chef. Sa beauté ; sa haute mine, son élégance, les bonnes fortunes qu'on lui attribuait, en avaient fait le lion du procès. Le public avait fini par se passionner pour le conspirateur, et, sur le passage du cortège, on entendit à plusieurs reprises des paroles de compassion s'élever de la foule.

Pendant le trajet, Georges, devenu sombre et taciturne depuis qu'on lui avait refusé la faveur qu'il avait sollicitée, n'avait cessé de répéter ses prières. Il vit descendre sans mot dire tous ses compagnons, même Coster Saint-Victor, qui, étant le dernier à le précéder sur l'échafaud, voulut l'embrasser encore, et lui dit, dans ce baiser suprême :

- "Adieu, mon général !"

Georges, en se laissant faire, haussa les épaules comme devant un acte de faiblesse ou de puérilité. Puis, quand la belle tête de son jeune complice fut tombée, il monta d'un pas très lent, mais très ferme, les marches de l'échafaud, et lorsqu'il fut arrivé sur la plate-forme, il s'écria d'une voie retentissante :

- "Camarades, je vous rejoins ! Vive le roi !"

Après cette dernière victime, il y eut un moment de confusion. En présence de cette exécution multiple, les précautions avaient été mal prises. Lorsque la tête de Cadoudal tomba, les paniers apportés étaient pleins. Le cadavre colossal de l'assassin-chevalier, qui devait faire souche de gentilshommes, resta plus d'un quart d'heure sur l'échafaud, jusqu'à ce que mon père eût le temps d'envoyer acheter de la toile pour lui faire un linceul à part. Cette dernière marque de respect n'était peut-être point usurpée par l'homme qui a occupé une place si exceptionnelle entre les conventionnels régicides et les pâles assassins du Consulat, de la Restauration, de la monarchie de Juillet et du Second Empire.


  • Mémoires des Sanson, Sept générations d'exécuteurs, Henry-Clément Sanson.