H. P. Lovecraft
Howard Phillips Lovecraft, le plus souvent abrégé H. P. Lovecraft, né le 20 août 1890 à Providence (Rhode Island) et mort le 15 mars 1937 dans la même ville, est un écrivain américain de littérature fantastique et considéré comme le créateur du genre de l'horreur.
Il est l'auteur de nombreuses nouvelles, d'essais, de poésies et de correspondances. Ses écrits sont à l'origine de beaucoup de légendes urbaines.
Sommaire
Biographie
Oeuvres
Textes à l'appui
La vision politique d'un antimoderne américain, par Kerry Bolton
Pour beaucoup de ses admirateurs, les choses les plus effrayantes que H. P. Lovecraft a écrites ne concernaient pas Cthulhu, mais la politique. Mais, comme j'espère le montrer, la politique de ce maître de l'horreur métaphysique, irrationnelle et menaçante est solidement ancrée dans la réalité et la raison.
Lovecraft, comme beaucoup de lettrés qui se sont tournés vers la politique de gauche ou de droite au début du XXe siècle, était préoccupé par l'impact du capitalisme et de la technologie sur la société et la culture. Le réductionnisme économique du capitalisme était simplement reflété par le marxisme, tous deux émanant du même Zeitgeist matérialiste moderne.
À partir de la fin du 19e siècle, un mécontentement généralisé à l'égard du matérialisme a conduit à la recherche d'une autre forme de société, y compris d'autres fondements pour le socialisme, qui a occupé les principaux esprits socialistes européens comme Georges Sorel. Ce qui a émergé au début du 20e siècle a été appelé diversement "néosocialisme" et "planisme", dont les représentants les plus éminents étaient Marcel Déat en France et Henri De Man en Belgique. Le néosocialisme a, à son tour, influencé la montée du fascisme[1].
Les néosocialistes craignaient principalement que l'abondance matérielle et les loisirs promis par le socialisme ne conduisent à la décadence et à la banalité s'ils ne sont pas associés à une vision hiérarchique de la culture et de l'éducation.
C'était, par exemple, le point central de L'âme de l'homme sous le socialisme d'Oscar Wilde, qui envisageait un socialisme individualiste qui libérait l'humanité de la nécessité économique pour lui permettre de s'épanouir et de poursuivre des activités culturelles et spirituelles supérieures, même si celles-ci ne consistaient en rien de plus que la contemplation tranquille du cosmos[2].
Ces préoccupations ne peuvent être rejetées comme un dandysme effacé. Elles étaient partagées, par exemple, par le célèbre politicien travailliste néo-zélandais John A. Lee, héros manchot de la Première Guerre mondiale, qui, plus que tout autre individu, a essayé de faire pression sur le gouvernement travailliste de 1935 pour qu'il tienne ses promesses électorales sur les banques et le crédit d'État :
Joe Savage ... voit le socialisme comme des piles de marchandises équitablement réparties et du travail équitablement réparti. Je suis sûr qu'il ne le voit jamais comme la possibilité de jouer au football, de se faire bronzer sur une plage, de danser le fox trot, de s'allonger sur le dos sous les arbres, de profiter de l'ivresse des vers, du parfum des fleurs, des joies d'un roman, du frisson de la musique[3].
Lee envisageait une forme de socialisme qui n'était pas orientée principalement vers "des piles de biens et de travail équitablement distribuées" comme une fin en soi, mais comme le moyen d'atteindre des niveaux d'existence plus élevés.
Ces préoccupations néosocialistes étaient également partagées par les fascistes et les nationaux-socialistes. Combattre les effets énervants et nivelants de la richesse et des loisirs, et édifier les caractères et les goûts des masses étaient les objectifs de Dopolavoro dans l'Italie fasciste et de La force par la joie dans l'Allemagne nationale-socialiste, aussi inquiétante que cette pensée puisse être pour les socialistes de gauche.
Bien qu'il semble peu probable que Lovecraft ait eu connaissance de ce tumulte idéologique dans le socialisme européen, il est arrivé à des conclusions similaires dans certains domaines clés.
Lovecraft, comme d'autres écrivains qui ont rejeté le marxisme[4], a jugé la démocratie et le communisme "fallacieux pour la civilisation occidentale"[5] :
. ... une sorte de fascisme qui, tout en aidant les masses dangereuses aux dépens des riches inutiles, préserve néanmoins l'essentiel de la civilisation traditionnelle et laisse le pouvoir politique entre les mains d'une petite classe dirigeante cultivée (mais pas trop riche), en grande partie héréditaire, mais sujette à une augmentation progressive à mesure que d'autres individus s'élèvent à son niveau culturel[6].
Lovecraft craignait que le socialisme, comme le capitalisme, n'ouvre la voie à la prolétarisation universelle et au nivellement consécutif de la culture. Il proposait donc à la place le plein emploi et la réduction de la journée de travail par la mécanisation, sous la direction culturelle d'un régime aristocratique socialiste-fasciste.
Là encore, il s'agit probablement d'une intuition perspicace à laquelle Lovecraft est parvenu indépendamment, mais qui s'inscrit dans la nouvelle pensée économique de l'époque. En Angleterre, la revue fabiano-socialiste The New Age, éditée par le socialiste de la guilde A. R. Orage, est devenue un forum de discussion sur la théorie du "Crédit social" du major C. H. Douglas, qui était proposée comme une alternative au système financier de la dette, avec l'émission d'un "crédit social" à tous les citoyens par le biais d'un "Dividende national" permettant de consommer la pleine valeur de la production. Ils visaient également à favoriser la mécanisation pour diminuer les heures de travail et augmenter les loisirs, ce qui, selon eux, serait propice à l'épanouissement de la culture. (Ces idées sont de nouveau d'actualité alors que la journée de travail de huit heures, le gain obtenu de haute lutte par le premier mouvement ouvrier, devient une rareté).
Ezra Pound et le poète néo-zélandais Rex Fairburn étaient tous deux créditistes parce qu'ils jugeaient que c'était le meilleur système économique pour les arts et la culture.
Lovecraft était préoccupé par l'élimination des causes de la révolution sociale, et il préconisait la limitation de la vaste accumulation de richesses, tout en reconnaissant la nécessité de maintenir des disparités salariales fondées sur le mérite. Sa préoccupation était l'élimination des "oligarques commerciaux"[7], ce qui, en termes pratiques, était le but du Crédit Social et des néosocialistes.
Tout en considérant que le but premier d'une nation est le développement de normes esthétiques et intellectuelles élevées, Lovecraft reconnaît qu'une telle société doit être fondée sur l'organisation sociale traditionnelle de "l'ordre, du courage et de l'endurance", sa définition de la civilisation étant celle d'un organisme social consacré à "un but qualitatif élevé" maintenu par l'ethos susmentionné.
Lovecraft pensait que l'ordre social hiérarchique le mieux adapté aux aspects pratiques de la nouvelle ère des machines était un "ordre fasciste". Le "motif de l'offre et de la demande" remplacerait le motif du profit dans une économie dirigée par l'État qui réduirait les heures de travail tout en augmentant les heures de loisirs. Le citoyen pourrait alors s'élever culturellement et intellectuellement dans la mesure de ses capacités innées, "afin que ce loisir soit celui d'une personne civilisée plutôt que celui d'un clodo qui va au cinéma, fréquente les salles de danse et traîne dans les salles de billard".
Lovecraft ne voyait pas l'intérêt du suffrage universel. Il préconisait un type de néo-aristocratie ou de méritocratie, avec des droits de vote et l'exercice de fonctions publiques "hautement limités". Une civilisation technologique et spécialisée avait fait du suffrage universel "une moquerie et une plaisanterie". Il écrit que "les gens n'ont généralement pas la perspicacité nécessaire pour diriger efficacement une civilisation technologique." Lovecraft considérait que ce principe anti-démocratique était vrai quelle que soit la position sociale ou économique d'une personne, qu'elle soit ouvrière ou universitaire.
Le vote non informé sur lequel repose la démocratie, écrit Lovecraft, "est un sujet de rire cosmique hilarant". Le droit de vote universel signifie que les personnes non qualifiées, qui représentent généralement un "intérêt caché", accèdent au pouvoir sur la base de leur "langue bien pendue" et de leurs "mots d'ordre les plus rapides".
Sa référence aux "intérêts cachés" ne peut que renvoyer à sa compréhension de la nature oligarchique de la démocratie. Celle-ci devrait être remplacée par "un gouvernement fasciste rationnel", où la fonction exigerait un test préalable de connaissances en économie, histoire, sociologie et gestion d'entreprise, bien que tout le monde - à l'exception des étrangers inassimilables - aurait la possibilité de se qualifier[8].
Un an après la prise du pouvoir par Mussolini en 1922, Lovecraft écrivait que "la démocratie est une fausse idole - un simple mot d'ordre et une illusion des classes inférieures, des visionnaires et des civilisations mourantes." Il voyait dans l'Italie fasciste "le type de contrôle social et politique autoritaire qui seul produit les choses qui rendent la vie digne d'être vécue."
C'est aussi la raison pour laquelle Ezra Pound admirait l'Italie fasciste, écrivant "Mussolini a dit à son peuple que la poésie est une nécessité pour l'État"[9] et : "Je ne crois pas qu'une estimation de Mussolini sera valable si elle ne part pas de sa passion pour la construction. Traitez-le comme artifex et tous les détails se mettent en place. Prenez-le comme n'importe quoi d'autre que l'artiste et vous vous embrouillerez dans les contradictions"[10].
Des personnages tels que Pound, Marinetti et Lovecraft considéraient le fascisme comme un mouvement capable de subordonner avec succès la civilisation technologique moderne à l'art et à la culture de haut niveau, libérant ainsi les masses d'une culture populaire grossière et brutale.
Lovecraft pensait que le cosmos était indifférent à l'humanité et concluait que le seul sens de l'existence humaine était d'atteindre des niveaux toujours plus élevés de développement mental et esthétique. Ce que Sir Oswald Mosley appelait l'actualisation à des formes supérieures dans sa pensée d'après-guerre,[11] et ce que Nietzsche appelait le but de l'Homme supérieur et du Surhomme,[12] ne pouvait être atteint par "les normes culturelles basses d'une majorité sous-développée. Une telle civilisation où l'on se contente de travailler, de manger, de boire, de se reproduire et de flâner ou de jouer de façon puérile ne vaut pas la peine d'être maintenue." Il s'agit d'une forme de mort lente, particulièrement douloureuse pour l'élite culturelle.
Fortement influencé par Nietzsche et Oswald Spengler[13], Lovecraft reconnaissait la nature organique et cyclique de la naissance, de la jeunesse, de la maturité, de la sénilité et de la mort des cultures comme la base de l'histoire de la montée et de la chute des civilisations. Ainsi, la crise apportée à la civilisation occidentale par l'ère de la machine n'était pas unique. Lovecraft cite Le Déclin de l'Occident de Spengler pour appuyer son point de vue selon lequel la civilisation a atteint le cycle de la "sénilité".
Lovecraft voyait le déclin culturel comme un processus lent qui s'étend sur 500 à 1000 ans. Il cherchait un système capable de surmonter les lois cycliques de la décadence, ce qui était également la motivation du fascisme[14]. Lovecraft pensait qu'il était possible de rétablir un nouvel "équilibre" sur une période de 50 à 100 ans, déclarant : "Il n'y a pas lieu de s'inquiéter de la civilisation tant que la langue et la tradition artistique générale survivent." La tradition culturelle doit être maintenue au-delà des changements économiques[15].
En 1915, Lovecraft a créé son propre journal politique appelé The Conservative, qui a été publié pendant 13 numéros jusqu'en 1923. Le journal se concentrait sur la défense de normes culturelles élevées, en particulier dans le domaine des Lettres, mais il s'opposait également au pacifisme, à l'anarchisme et au socialisme et soutenait un " militarisme modéré et sain " et le " pan-saxonisme ", c'est-à-dire " la domination des races anglaises et apparentées sur les divisions inférieures de l'humanité "[16].
Comme les néosocialistes en Europe, Lovecraft s'opposait à la conception matérialiste de l'histoire comme étant également bourgeoise et marxiste. Il considérait que le communisme "détruisait le goût de la vie" au nom d'une théorie[17]. Rejetant le déterminisme économique comme motif principal de l'histoire, il voyait des "aristocrates naturels" issus de tous les secteurs de la population, indépendamment de leur statut économique. Le but d'une société était de substituer "l'excellence personnelle à celle de la position économique"[18] ce qui est, malgré l'opposition déclarée de Lovecraft au "socialisme", néanmoins essentiellement le même que le "socialisme éthique" proposé par Henri De Man, Marcel Déat et al. Lovecraft voyait le fascisme comme la tentative de réaliser cette forme d'aristocratie dans le contexte de la société industrielle et technologique moderne.
Lovecraft considérait la poursuite de l'"égalité" comme un raisonnement destructeur pour "une révolte atavique" contre la civilisation par ceux qui sont mal à l'aise avec la culture. Le même motif était à l'origine du bolchevisme, de la Révolution française, du culte du "retour à la nature" de Rousseau, et des rationalistes du 18ème siècle. Lovecraft a vu que la même révolte était reprise par les "races arriérées" sous la direction des bolcheviks</ref>Selected Letters, vol. V, p. 245.</ref>.
Ces vues sont clairement nietzschéennes, mais elles ressemblent encore plus spécifiquement à celles de La révolte contre la civilisation : The Menace of the Underman [19] de l'auteur alors populaire Lothrop Stoddard, dont l'œuvre aurait certainement attiré Lovecraft, avec son souci du maintien et de la renaissance de la civilisation et son rejet des croyances niveleuses.
Bien que Lovecraft rejette l'égalitarisme, il ne préconise pas une tyrannie qui réprime les masses au profit d'une minorité. Il considérait plutôt la domination de l'élite comme un moyen nécessaire pour atteindre les objectifs supérieurs de l'actualisation culturelle. Lovecraft souhaitait voir l'élévation du plus grand nombre possible[20]. Lovecraft rejetait également les divisions de classe comme "vicieuses", qu'elles émanent du prolétariat ou de l'aristocratie. "Les classes sont quelque chose dont il faut se débarrasser ou qu'il faut minimiser - et non pas reconnaître officiellement". Lovecraft proposait de remplacer la lutte des classes par un État intégral qui refléterait le "courant culturel général". Entre l'individu et l'Etat existerait une loyauté à double sens.
Lovecraft considérait le pacifisme comme "une évasion et un air chaud idéaliste". Il déclarait que l'internationalisme était "une illusion et un mythe"[21] et considérait la Société des Nations comme un "opéra comique"[22]. La guerre est une constante de l'histoire et il faut s'y préparer par la conscription universelle[23]. Historiquement, la guerre avait renforcé la "fibre nationale", mais la guerre mécanisée a annulé ce processus ; en fait, la destruction technologique massive de la Première Guerre mondiale a été largement reconnue comme dysgénique. Néanmoins, l'Européen, et plus particulièrement l'Anglo-Saxon, doit maintenir sa suprématie par la puissance de feu, car "la balle d'un ennemi est plus douce que le fouet d'un maître"[24]. Cependant, comme on peut s'y attendre de la part d'un antimatérialiste, Lovecraft rejette la cause moderne typique de la guerre, celle de la lutte pour la suprématie mercantile, "la défense de sa propre terre et de sa propre race [étant] l'objet approprié de l'armement"[25].
Lovecraft considérait que la représentation juive dans les arts était responsable de ce que Francis Parker Yockey appellerait la "distorsion de la culture". La ville de New York avait été "complètement sémitisée" et perdue pour le "tissu national". L'influence sémite dans la littérature, le théâtre, la finance et la publicité créait une culture et une idéologie artificielles "radicalement hostiles à l'attitude virile américaine." Comme Yockey, Lovecraft voyait la question juive comme une question de "culture-tradition antagoniste" plutôt que comme une différence de race. Ainsi, les Juifs pouvaient théoriquement s'assimiler à une tradition culturelle américaine. Le problème des Noirs, en revanche, était d'ordre biologique et devait être reconnu en maintenant "une ligne de couleur absolue"[26].
Cette brève esquisse est suffisante, je pense, pour montrer que H. P. Lovecraft appartient à une liste illustre de génies créatifs du 20ème siècle - y compris W. B. Yeats, Ezra Pound, David Herbert Lawrence, Knut Hamsun, Henry Williamson, Wyndam Lewis, et Yukio Mishima - dont le rejet du matérialisme, de l'égalitarisme et de la décadence culturelle les a poussés à rechercher une alternative vitale et hiérarchique au capitalisme et au communisme, une recherche qui les a conduits à entretenir et à embrasser des idées proto-fascistes, fascistes ou nationales-socialistes.
Kerry Bolton, « Lovecraft’s Politics », Counter-Currents, 23.8.2010.
Lovecraft, écrivain fasciste, par Bernard Alapetite
Lovecraft (1890-1937) s'impose comme le seul grand maître du Fantastique au XXème siècle. Méconnu de son vivant, encore peu lu aujourd'hui dans son pays malgré les efforts déployés par son ami, l'écrivain August Derleth, il connaît un juste mais ambigu succès en France.
Lovecraft n'est pas seulement le prodigieux conteur d'abominations fascinantes, le démiurge d'un peuple de dieux impies. Lovecraft est un écrivain politique, Un exemple rare de parfaite transposition artistique de profondes convictions politiques. Ecrivain politique volontairement ignoré par une critique aveuglée par son sectarisme, essayant de faire de Lovecraft un auteur, phare d'une fumeuse contre-culture aux forts relents crypto-marxistes. Cette même chapelle qui règne depuis trente ans en une dictature sans partage sur la « république » stalinienne de nos lettres, de moins en moins françaises, ne transforme-t-elle pas Jack London, écrivain de l'individualisme et du dépassement, en un écrivain égalitariste et proudhonien méconnaissant ou bien plutôt, feignant de méconnaître, une phrase comme celle-ci : « Quant aux peaux brunes, aux métis, aux sangs mêlés, depuis des milliers d'années de générations et des centaines de siècles, elles étaient uniquement créées, n'est-ce pas Seigneur ? Pour que nous leur marchions sur le visage, les contraignant à travailler pour nous. » (Jack London : Les mutins de l'Elseneur.)
Mais peut-on demander à certains critiques d'avoir lu les auteurs dont ils parlent et, odieux parasites, dont ils vivent ? Un mince mais salubre livre, « Lettres d'Arkham » — choix malheureusement trop partiel dans l'immense correspondance de Lovecraft, effectué par un excellent spécialiste du Fantastique, François Rivière, chez un éditeur d'une rare probité dans les domaines qu'il a choisi d'explorer, le fait est trop rare pour n'être pas cité — démystifie l'écrivain.
Le héros lovecraftien-type est un homme cultivé, souvent universitaire, dépositaire et héritier d'une culture élitique. L'auteur nie la démocratie, « fausse idole », « un mot passe-partout, une illusion des classes inférieures, des utopistes et des civilisations mourantes », exècre le nivellement culturel[27], « l'égalité est une plaisanterie, mais un prieuré couvert de mousse ou une cathédrale sont une poignante réalité. » Goût de l'élitisme en parfaite continuité avec les propos de son maître Edgar A. Poe : « Chez un peuple sans aristocratie le culte du beau ne peut que se corrompre, s'amoindrir et disparaître » (Edgar Poe, sa vie et ses œuvres, Charles Baudelaire, p. 1032, édition de la Pléiade des œuvres en prose d'Edgar Poe). L'art de Lovecraft s'enracine profondément dans le folklore de la Nouvelle Angleterre, en ligne directe avec les vieux mythes indo-européens. « II n'est pas d'autre endroit pour moi. Providence est mon univers. »
Seules les terres de tradition — la Nouvelle Angleterre : Lovecraft, Henry James ; le vieux Sud : Truman Capote — nourrissent le Fantastique américain.
Ce créateur d'une horde de dieux abominables, un des seuls exemples de création littéraire d'une « religion » imaginaire et cohérente, profane et impie, d'un mythe totalement original : le mythe de Cthulhu — aujourd'hui encore, prolongé par de nombreux fantastiques — était profondément incroyant et irréligieux. Lovecraft ne vivait pas son œuvre fantastique comme les auteurs du genre au XIXème siècle, épris de sociétés secrètes, de cultes extravagants, de spiritualisme et autres pratiques mystico-scientifiques, comme le furent Machen, Bram Stocker... et Victor Hugo ; il la rêvait et l'écrivait... par delà le mur du sommeil.
Son antisémitisme : « Pour que le Juif soit assimilé sans danger dans une société de type aryen, il faut qu'il consente à se dépouiller de son lourd héritage culturel et religieux pour revêtir l'homme nouveau », son culte de la force rayonnante, lui faisaient haïr le christianisme — « Ces ignominieux Juifs responsables de la corruption spirituelle du pays, eux qui ont donné au monde ce fou crucifié alors qu'il ferait si bon hurler et rire à l'adresse de Thor et Odin. »
La philosophie lovecraftienne est le fruit de la curieuse synthèse des philosophes mécanistes antiques, du pessimisme allemand, du matérialisme positiviste et de la philosophie nietzschéenne, conceptions en totale opposition avec l'œuvre. Œuvre exutoire de ses haines et non transcription directe de ses croyances[28].
Le credo politique et philosophique de Lovecraft s'appuie sur deux piliers : la supériorité de la race aryenne et le nécessaire enracinement de l'individu dans son passé et son terroir. Lovecraft se veut politiquement tory, czariste, Junker, patricien, fasciste, oligarchiste, nationaliste et militariste. Il rêve d'un nouvel empire, réunissant l'Amérique du Nord à l'Angleterre, union comblant son désir de pureté raciale et sa quête d'une légitimité des traditions malgré tout, encore jeunes de la Nouvelle Angleterre. Empire qui devrait bientôt conquérir l'univers. Empire mythique que les démocrates ne surent construire et dont l'ébauche, comme le confiait récemment George Wallace, se trompa d'ennemi, préférant écraser l'ordre nouveau plutôt que de combattre l'éternelle barbarie mongole. Opinion qui, soyons-en sûrs, aurait comblé Lovecraft. Peut-être par l'absence d'un nouvel Alexandre, l'esquisse de cet empire se dissout à Yalta.
Lovecraft prône le pansaxonisme : la domination des inférieurs de l'humanité par la race anglaise et les races parentes. Il condamne l'indépendance des Etats-Unis, ce qu'il appelle la sédition yankee. Il considère la Nouvelle Angleterre comme une province de sa Majesté. Les certitudes politiques de Lovecraft ne vont pas sans quelques contradictions et sans doute quelques déchirements ; admirateur de la force brutale germanique et pourtant nourri de culture hellénique. Mais la Grèce de Lovecraft est la Grèce de Sparte. Enfant, il élevait des autels en l'honneur des dieux latins, adulte, il veut rire à Odin et boire le sang chaud de ses ennemis dans leur veule crâne. Il se sent fils d'Odin, frère de Hangist et d'Hora.
Lovecraft connaîtra toujours une profonde contradiction entre ses convictions positivistes et d'un nihilisme désespéré — « la vie est creuse et futile et nous allons à la dérive sur une mer dont nul n'a jamais su dresser la carte » — et sa passion sensuelle pour les dieux virils et solaires. La constance, dans les contes, d'hommes hurlant à la lune des mots à horrible phonétique, appel aux entités innombrables exhumées du temps et des ténèbres, n'est-elle pas l'exorcisme par son négatif d'un culte solaire que la raison de l'auteur condamne et que ses sens appellent. Opposition entre l'évidente sensualité de ses espérances politiques, de son rêve d'un monde peuplé de géants blonds aux yeux d'azur, et le héros lovecraftien, jamais décrit, mais suggéré comme un reflet de l'auteur, presque une caricature du portrait convenu de l'intellectuel. A l'inverse de ses opinions politiques et philosophiques, Lovecraft n'a pas su transcender son puritanisme et c'est là l'évidente faiblesse de sa démarche intellectuelle, par ailleurs parfaitement cohérente. Il ne suivit pas le conseil de son ami Kleiner, qui souhaitait voir mêlés dans ses contes érotisme et fantastique. Lovecraft se dresse contre l'érotisme parce que toute culture et toute race le considère avec répugnance, affirmation totalement erronée, surprenante de la part d'un homme aussi cultivé ; méconnaissait-il, entre autres, la civilisation de l'Inde et les fresques romaines de Pompéi ? Parce que l'acte sexuel est en relation étroite avec des phénomènes bassement organiques — là encore opposition entre le désir d'être un pur esprit oublieux de la chair, voué à la connaissance, et son admiration pour les beaux corps musclés des Vikings. Parce qu'il y a un rapport patent entre la sexualité et la décadence des nations.
Misogyne, les femmes sont quasiment absentes de son œuvre. Les seules femmes que l'on y rencontre sont des sorcières ou des filles mères accouchant de monstres engendrés par la copulation avec des entités repoussantes (les hommes sauriens dans « Le cauchemar d'Innsmouth »). Chez le monstre lovecraftien, l'anormal se situe souvent sous la ceinture : un enchevêtrement de tentacules — dégoût pour la forme même du sexe mâle ?
Les convictions de Lovecraft ont pour source son culte de l'esthétisme. Son racisme naît du dégoût qu'il éprouve pour la forme, l'aspect de l'homme brun, symbole de l'Orient — femme face à l'homme blond, symbole de l'Occident — mâle. Dans ses contes, les serviteurs des dieux impies sont toujours des Latins, des Sémites, des gens de couleur naturellement laids, cherchant à souiller le héros blanc[29]. La pire des abominations est le fruit de la femme, la femme naît coupable, et d'une divinité immonde, condamnation sans appel du métissage. Par des propos d'une violence inouïe, Lovecraft sublime son racisme. « Ces choses organiques, ces italo-sémitico-mongoloïdes, ne peuvent quelque soit l'effort d'imagination que l'on fasse, mériter le nom d'humains. Ce sont des composés monstrueux et nébuleux du pithécanthrope et de l'amibe, vaguement pétris dans la boue visqueuse que produit la corruption de la terre » : description des bas quartiers de New York comme Chinatown, où vivent « ces chimpanzés graisseux », ces entités flasques, odorantes, grimaçantes qui lui soulèvent le cœur : « Ils me firent penser à des rangées de tonneaux cyclopéens et pestilentiels pleins jusqu'à en donner la nausée de pourritures gangreneuses. » Le noir est laid, Lovecraft ne peut en supporter la vue. Il l'exècre : « La seule chose qui rende la vie supportable où sont les noirs, c'est le principe de Jim Crow. Ecartons-les de notre vue ou massacrons-les de telle sorte qu'un blanc puisse se promener dans ces rues sans être pris de nausée. »
Lovecraft admire le guerrier en sa force, l'armée en son ordre — non une armée de conscription issue du peuple mais une armée de chevaliers nés pour d'éternelles croisades : « Une armure gagnée à la croisade vaut bien mille rumeurs de la racaille vociférante » ; la guerre, en sa communion virile. Il vomit les pacifistes : « La couardise décadente est responsable de la propagation des idéaux pacifistes. La paix me semble bien être l'idéal d'une nation mourante, d'une race sur son déclin. »[30]
La résonance politique de l'œuvre de Lovecraft est bien étrangère à notre monde où l'idée même d'élite est suspecte, où le meilleur est traqué, où le mot race est tabou.
Lovecraft, le plus grand auteur fantastique du XXème siècle, nous fait entendre parmi les mille « rumeurs de la racaille » une grande voix d'Occident.
Bernard Alapetite, « Lovecraft, écrivain fasciste » , Défense de l’Occident. Septembre-Octobre 1977.
Citations
- « C’est une des raisons pour lesquelles je suis si chaud pour le fascisme. Tout ce qui peut mettre fin aux pleurnicheries, à l’esprit de profit rampant et à la psychologie calculatrice d’un peuple, contribue à élever ce peuple dans l’échelle des valeurs humaines absolues. Lorsque les gens ne se gaspilleront plus en « individualisme sauvage » dans la simple industrie, ils seront mûrs pour un individualisme plus vrai, rationnel et esthétique. Vive Mussolini ! Que Dieu accélère l’avènement d’un État planifié aristocratique avant que les choses ne se transforment en l’État planifié prolétarien. »
- H. P. Lovecraft à James F. Morton, 31 oct. 1933.
Bibliographie
- Wilfried Grimwald, Fascisme et racisme, la face cachée d’H.P. Lovecraft, Ars Magna, 36 p.
Notes et références
- ↑ Zeev Sternhell, Neither Left Nor Right: Fascist Ideology in France (Princeton: Princeton University Press, 1986).
- ↑ Oscar Wilde, The Soul of Man Under Socialism, 1891.
- ↑ Erik Olssen, John A. Lee (Dunedin, New Zealand: University of Otago Press, 1977), p. 66.
- ↑ K. R. Bolton, Thinkers of the Right (Luton: Luton Publications, 2003).
- ↑ H. P. Lovecraft: Selected Letters, ed. August Derleth and James Turner (Wisconsin: Arkham House, 1976), Vol. IV, p. 93.
- ↑ Selected Letters, vol. IV, p. 93.
- ↑ Selected Letters, vol. V, p. 162.
- ↑ Selected Letters, vol. IV, pp. 105–108.
- ↑ cf E. Fuller Torrey, The Roots of Treason (London: Sidgwick and Jackson, 1984), p. 138.
- ↑ Ezra Pound, Jefferson and/or Mussolini, 1935 (New York: Liveright, 1970), pp. 33–34.
- ↑ Oswald Mosley, Europe: Faith and Plan (London: Euphorion, 1958), “The Doctrine of Higher forms,” pp. 143–47.
- ↑ Friedrich Nietzsche, Thus Spoke Zarathustra (Middlesex: Penguin Books, 1975), “The Higher Man,” pp. 296–305. A glimpse of Nietzschean philosophy is alluded to in Lovecraft’s “Through the Gates of the Silver Key” where Carter discerns words from beyond the normal ken: “‘The Man of Truth is beyond good and evil,’ intoned a voice. ‘The Man of Truth has ridden to All-Is-One…’” (Lovecraft, The Dream Quest of Unknown Kadath [New York: Ballantine Books, 1982], “Through the Gates of the Silver Key,” p. 189).
- ↑ Oswald Spengler, The Decline of The West, 1928 (London: George Allen and Unwin, 1971).
- ↑ “Fascism . . . was a movement to secure national renaissance by people who felt themselves threatened with decline into decadence and death and were determined to live, and to live greatly.” Sir Oswald Mosley, My Life (London: Nelson, 1968), p. 287.
- ↑ Selected Letters, vol. IV, p. 323.
- ↑ H. P. Lovecraft, “Editorial”, The Conservative, vol. I, July 1915.
- ↑ Selected Letters, vol. IV, p. 133.
- ↑ Selected Letters, vol. V, pp. 330–33.
- ↑ Lothrop Stoddard, The Revolt of Against Civilization: The Menace of the Underman (London: Chapman and Hall, 1922).
- ↑ Selected Letters, vol. IV, pp. 104–105.
- ↑ Selected Letters, vol. V, pp. 311–12.
- ↑ Selected Letters, vol. IV, pp. 15–16.
- ↑ Selected Letters, vol. IV, p. 22.
- ↑ Selected Letters, vol. IV, pp. 311–12.
- ↑ Selected Letters, vol. IV, p. 31.
- ↑ Lettres choisies, vol. IV, pp. 193–95.
- ↑ « Un homme de bon goût doit préférer être apprécié des gens évolués plutôt que du troupeau. Ce ne sont que des animaux grossiers tandis que tout ce qui est admirable dans l'homme est le produit artificiel d'une éducation spéciale. »
- ↑ II se dépasse par l'intermédiaire d'aspirations idéologiques assez proches de celles exprimées sur le mode satirique dans le roman de Norman Spéinrad, « Rêve de fer », ou, sur le mode sadique dans « Le bonheur nazi », de Michel Rachline.
- ↑ « Je plaide pour la préservation des conditions favorables à l'épanouissement des choses belles, les beaux édifices, la littérature raffinée, un art et une musique élaborés, et un type humain résultant d'une sélection physique, laquelle ne peut être obtenu que par une race absolument pur et saine. »
- ↑ N. B. : Les citations entre guillemets non attribuées sont extraites de l'œuvre de Lovecraft.