Rythme

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"Les seuls hommes vrais sont ceux qui peuvent pénétrer en eux-mêmes, les esprits cosmiques capables de descendre assez profond pour discerner leurs liens avec le grand rythme universel." Robert Musil
Par rythme on entend soit la reprise d'un élément au sein d'une structure soit le mouvement d'ensemble alternant temps forts et temps faibles. Impliqué dans les phénomènes naturels comme vitaux, dans les activités fabricatrices comme créatrices, il peut nous éveiller à l'inscription de notre être dans une dimension cosmique. C'est d'ailleurs pourquoi dans le paganisme, en raison d'une conception du temps cyclique, l'enracinement est évidemment dynamique car participant aux rythmes qui relient passé et avenir dans le présent. En tant que force plastique de tout agencement, le rythme peut aussi être ce qui nous apprend à rejouer toute historicité. La prise en compte de la santé dans les rythmes de travail ou de la nature dans le rythme de développement techno-scientifique en sont des exemples.


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Texte à l'appui


LA DIMENSION TEMPORELLE DU BEAU : LE RYTHME

Paul Chauchard et Taishen Deshimaru
Le docteur Paul Chauchard (1913-2003), éminent neurophysiologiste et par ailleurs homme de foi, auteur de plus de 80 livres, montre souvent une inspiration proche d'Alexis Carrel. Ce que ses textes manifestent, c'est non tant un point de vue normatif que le signalement de cette zone aveugle des comportements modernes concernant la santé et que la médecine aide à mieux cerner.


Dans un univers absurde et incohérent tel que l'imaginent quelques idéologues pessimistes, il ne saurait y avoir de beauté qu'accidentelle. En fait, un tel univers ne pourrait exister, car l'ordre et l'harmonie sont des conditions nécessaires de la survie du monde, et les désordres ne sont que des accidents locaux aux conséquences partielles. Ambiguïté du mot matière qui est opposé à esprit, alors que la matière n'est pas un produit brut à organiser, mais n'existe qu'organisée ou, pour reprendre le mot heureux de la philosophie réaliste, informée. À tous les niveaux, que l'observation soit commune ou scientifique, qu'il s'agisse d'infiniment petit, d'infiniment grand ou de ce troisième infini cher à Teilhard et le plus important, l'infiniment complexe, qu'il s'agisse de détail ou d'ensemble, la beauté est propriété fondamentale de la matière, de la matière inanimée dont l'apparente inertie cache un dynamisme énergétique prodigieux comme de cette matière dite vivante qui n'existe que sous forme d'organismes. C'est parce que nous sommes des êtres matériels organisés dont le bon fonctionnement est à base d'harmonie et de beauté que nous pouvons donner à la beauté sa dimension suprême, la conscience que nous en avons et la possibilité de créer artificiellement du beau. La beauté du monde devient conscience grâce à la beauté enregistrée dans notre cerveau, organisation matérielle la plus complexe où culmine l'harmonie et la beauté de la matière.

Le temps, autre dimension du réel

La beauté est organisation de l'espace. Mais dans un préjugé statique qui nous interdit de comprendre pleinement le monde et nous-mêmes, nous mettons l'idéal du beau dans ce qui est et reste beau, dans ce qu'on peut posséder, garder, avoir. Nous faisons de l'être un avoir permanent et nous nous désolons des modifications et des destructions qu'introduit le temps, cet ennemi qui nous conduit à la mort. Avec la science, il faut faire du temps le constituant essentiel de notre être. Il est une autre dimension du réel, et tout est envisagé aujourd'hui sous un aspect spatio-temporel. La beauté de la vie humaine, ce n'est pas l'adulte soi-disant équilibré et installé, c'est la succession dans l'individu et la collaboration sociale de ces états d'être tout aussi humains que sont les temps de la jeunesse et les âges de la vieillesse. Un homme n'est achevé et complet qu'au moment de disparaître naturellement en ayant profité de tous les moments de son cycle vital, cycle d'humanisation, de socialisation et de spiritualisation.

Sous des apparences statiques, tout bouge et se transforme dans la matière. Les préjugés de notre esprit résistent à intégrer ce dynamisme. Nous parlons de notre corps comme s'il était, sauf pathologie, une réalité matérielle inchangée. Or, à part certaines cellules complexes comme les neurones qui meurent sans se renouveler, sans arrêt des cellules meurent et sont remplacées par d'autres semblables. Et dans ces cellules le propre de la vie n'est pas la beauté de structures immuables, mais un dynamisme perpétuel de structurations fluctuantes. Des molécules sont éliminées, mais sous le contrôle des acides nucléiques remplacées par d'autres semblables. Ce qui dure, c'est l'organisation, la forme, une harmonie dynamique spatiotemporelle. Un grossier matérialisme scientifique avait voulu faire de la pensée une sécrétion matérielle des cellules cérébrales. On sait aujourd'hui que la pensée est inséparable du fonctionnement du cerveau, une mosaïque fluctuante d'états d'excitation et d'inhibition qu'on qualifie de schèmes spatio-temporels. L'arrêt de ce dynamisme supprime toute pensée et toute conscience même si, le cerveau n'étant que stoppé, subsiste une possibilité de reprise.

Ce dynamisme que nous trouvons en nous, il est la condition même de l'existence et de l'harmonie de la matière. Tout se transforme, tout évolue. Le cosmos a une histoire, une origine et un destin. L'harmonie que nous constatons est le résultat d'une harmonisation, d'un progrès d'harmonie. Sans évoquer l'évolution des éléments des atomes simples aux complexes ou l'évolution cosmique à partir de l'explosion d'un atome primitif, on sait comment sur notre terre l'homme est le résultat de l'histoire de la vie née par complexification naturelle de la matière et qui est passée des êtres simples aux êtres complexes, une évolution qui à travers les hasards, les catastrophes, les incohérences, les ratés et les horreurs de la lutte pour la vie, n'en, est pas moins incontestablement un progrès d'organisation, donc d'harmonie et de beauté, dans la mesure où l'homme ne s'y oppose pas.

Un monde rythmique

Dans le cadre de ce cosmos que nous connaissons et dont il est difficile de dire si son début et sa fin correspondent à des absolus ou ne sont que le début et la fin d'une phase évolutive précédée et suivie d'autres phases, tout se renouvelle cycliquement : les individus, les espèces comme aussi les étoiles naissent et meurent. Un aspect important de la chronologie du monde comme de nous-mêmes, un des constituants essentiels de la beauté contemplée comme de l'art se trouve précisément ici dans ce qu'on nomme le rythme, une notion plus difficile à préciser que ne le pense le sens commun puisque P. Valéry en imaginait vingt définitions. Avec Platon, on peut dire que le rythme est « l'ordre dans le mouvement ». Ainsi, comme l'énonce P. Mounier-Kuhn dans l'introduction du colloque de Lyon de 1967 [1] qui regroupait artistes et scientifiques autour de la notion de rythme, « se caractérise et se précise ce double élément du rythme : l'écoulement dans le temps et la structure, c'est-à-dire périodicité et structure, un élément temporel et un élément spatial ». Pour J.-C. Lafon, il existe une différence essentielle entre la simple cadence et le rythme : « la cadence déroule ses temps régulièrement, le rythme est de plus une image des temps écoulés qui suppose la prise de conscience d'un complexe ou d'un ensemble temporel, s'effectuant à un instant donné, impliquant donc une abstraction. Il ne s'agit plus de percevoir des durées égales ou inégales, mais de les ordonner les unes par rapport aux autres en une figure qui prend forme de signe. Le rythme suppose une organisation... Le rythme répète l'organisation du temps. Alors qu'en termes d'information la répétition est une redondance qui lui fait perdre sa valeur informative, dans le rythme elle est le signe nouveau d'une organisation complexe constituant un ensemble signifiant ».

Le monde où nous vivons est un monde rythmique, celui de la succession des jours et des nuits, celui des saisons, etc., et ce caractère rythmique des processus matériels se retrouve dans notre organisme. Évidence du rythme du cœur ou de la respiration, du rythme de la marche, mais plus secrètement l'analyse scientifique découvre que tout est rythme : pulsations des ondes électriques du cerveau, messages sensoriels et ordres moteurs assurés par des pulsations rythmées d'ondes d'influx nerveux.

C'est une grave cause de déséquilibre nerveux que la méconnaissance et l'irrespect des rythmes naturels dans la vie moderne grâce aux techniques qui permettent de vivre activement de nuit ou aux climatisations qui nous font perdre contact avec les saisons dans un univers de béton où disparaîtrait toute végétation. Un tel univers mené par l'intelligence technique oublieuse de la chair et visant à asservir la nature sans la respecter est de conception essentiellement masculine. Il est facile à l'homme d'oublier le rythme. C'est au contraire impossible à la femme profondément marquée, de la puberté à la ménopause, par son cycle génital avec ses deux phases folliculinique et progestative et les deux crises générales du milieu du cycle (ovulation) et du moment des règles. Dénaturée par l'intellectualisme masculin, la femme soucieuse d'une fausse égalité-identité, y voit souvent une infériorité de nature, dont certains gynécologues voudraient la délivrer en bloquant son cycle plus totalement que par la pilule actuelle qu'on arrête mensuellement pour provoquer une hémorragie de privation qui fait croire à la femme à de vraies règles, nécessaires à son équilibre psychologique. Bien au contraire, cette conscience d'être cyclique est une supériorité féminine, et la femme est là pour rappeler à l'homme que s'il ne l'est pas dans son activité génitale, il n'en est pas moins un organisme charnel qui ne peut s'équilibrer dans le mépris du rythme.

Une horloge biologique

Fort heureusement, la préoccupation du rythme cesse d'être l'apanage des artistes pour devenir un objet de recherche important de la psychophysiologie actuelle. Il a fallu en effet expliquer la fatigue nerveuse qui résulte du travail de nuit surtout s'il n'est effectué qu'à certaines périodes limitées, qui provient également du décalage horaire rapide des déplacements en avion, avec la perspective de rechercher les meilleures conditions d'équilibre dans les séjours cosmiques où n'existera pas l'alternance terrestre des jours et des nuits.

Nous avons besoin de dormir pour reposer notre cerveau, et aussi, on le sait maintenant, pour avoir une quantité suffisante de rêves, mais l'alternance veille-sommeil sur 24 heures en rapport avec la succession jour-nuit est-elle une nécessité vitale ou une simple habitude issue de la vie primitive où, l'obscurité de la nuit obligeant à l'inactivité, il était logique de la consacrer au sommeil ? Le sommeil ne concerne pas que notre cerveau et notre psychisme, il marque déjà l'ensemble de notre corps par la perte du tonus musculaire qui nous oblige à nous allonger, mais si les fonctions viscérales, y compris l'automatisme respiratoire, subsistent, elles n'en sont pas moins modifiées dans le sens d'un ralentissement qui dépend de façon générale d'une prépondérance dans le sommeil du parasympathique sur l'orthosympathique : constriction de la pupille, ralentissement du cœur... Ce rythme qu'on disait nycthéméral paraissait dépendre du sommeil lui-même. En fait c'est un rythme organique indépendant du sommeil, et celui qui au repos ne dort pas la nuit possède le même ralentissement viscéral. Ce ralentissement est favorable au sommeil et défavorable à l'activité, d'où l'inconvénient du travail nocturne. Cependant, au bout de quelques semaines d'activité nocturne et de repos diurne, le rythme finit par s'inverser. De ce point de vue, il vaudrait donc mieux un travail permanent de nuit qu'une alternance, si ceci n'entraînait pas des conséquences sociales encore plus déséquilibrantes. Ceci montre donc que l'activité de notre organisme est rythmique, mais que ce rythme propre peut être modulé par les circonstances et en particulier l'est naturellement par la succession des jours et des nuits. Une horloge interne nous guide pour le sommeil, l'éveil, les repas, et c'est le décalage entre cette horloge interne réglée sur l'horaire de départ et les nouvelles conditions horaires de vie qui fatigue celui qui s'est rapidement déplacé en avion d'est en ouest ou inversement. Problème biologique général, car des abeilles transportées en avion mettent du temps à s'adapter au nouvel horaire et sont tentées de sortir butiner suivant l'ancien horaire, donc par exemple de nuit.

La nouvelle psychophysiologie des rythmes doit beaucoup à l'américain Halberg. C'est lui qui, en 1959, a proposé de remplacer l'expression nycthéméral qui mettait l'accent sur le seul rythme extérieur par la dénomination circadien, rythme interne d'à peu près 24 heures (entre 20 et 28 heures). Des rythmes ultradiens ont une période inférieure et des rythmes infradiens ont une période supérieure (circaseptidienne pour environ la semaine, circatrigintidienne pour le mois et circannienne pour l'année). Les études de Michel Siffre sur la rythmicité dans la vie dans les gouffres en dehors de la succession jour-nuit et de l'utilisation d'horloges ou de calendriers ont été précieuses pour préciser qu' « en dehors du temps » [2] l'homme continue à apprécier le temps de par la succession circadienne de son sommeil, mais son appréciation n'étant plus synchronisée extérieurement il se produit un décalage qui fait que le moment venu prévu pour la sortie, le sujet est décalé sur le temps réel et croit avoir encore d'autres jours à passer sous terre. Cette rythmicité organique synchronisée par les rythmes externes se retrouve dans tous les domaines, par ex. celui de la sensibilité aux médicaments ; on s'explique ainsi l'horaire de certaines crises pathologique [3]. Le caractère biologique de notre rythmicité explique que notre sens du rythme varie avec la rapidité de nos processus biologiques : en élevant la température du corps, on fait que des abeilles conditionnées à venir chercher leur nourriture à une certaine heure sont en avance au rendez-vous ; de même, qui a la fièvre a tendance à accélérer quand on lui dit de battre un certain rythme. C'est aussi pour cela, à cause de cette subjectivité du temps, que les jeunes et les vieux ne sont pas dans le même temps, car la vitesse biologique, notamment la cicatrisation des plaies (Lecomte du Noüy) est plus grande chez les jeunes pour qui le temps passe plus lentement car il a un contenu plus grand. De même les fatigués en dépression ont l'impression que le temps s'arrête ou passe plus lentement.

On connaît encore mal le siège de notre horloge biologique, mais la centralisation de notre rythmicité dépend certainement de l'hypothalamus régulateur du cycle vital en commandant par l'hypophyse la croissance et la puberté. D'où la gravité de s'attaquer de façon technocratique irréfléchie à l'hypothalamus comme le fait la pilule féminine contraceptive. Vivant dans un monde rythmique et étant un être de rythme qui se synchronise sur le monde extérieur, l'homme a besoin de rythme. Le rythme fait partie de son harmonie, donc de son équilibre et de sa santé. Il doit en prendre conscience. Et c'est ici encore que l'art prend son vrai sens humain et humaniste. Il ne surajoute pas une activité rythmique de luxe et de jeu, mais il nous aide à reprendre conscience de nos rythmes, à les respecter, à rerythmer les intellectuels techniciens désincarnés que nous devenons. Contemplation des rythmes naturels, de ces changements qui sont l'essentiel de la beauté de la nature, utilisation des rythmes artificiels de l'art qui est essentiellement rythme, qu'il s'agisse de poésie, de danse, de musique, qui l'est plus encore quand il s'agit de pratique active de ces arts qui nous fait vivre et sentir le rythme comme Mme Aucher l'a montré à propos des psaumes à vivre [4] avec toute son expression corporelle et qui, de la pratique esthétique du chant, a passé à l'équilibre par le chant, la psychophonie. La musique n'est plus simple plaisir, mais ce plaisir nous rythme et nous harmonise, source de musicothérapie ou de pédagogie d'expression et de contrôle de son équilibre. Même les plus apparemment statiques des arts font intervenir le rythme, car un tableau n'est pas statique une fois fait, mais est fait pour être exploré du regard, ce qui donne un rythme à l'harmonie apparemment statique des formes et des couleurs.


  • Médecine et beauté, physiologie esthétique, Paul Chauchard (éd. Épi, Paris, 1973, p. 21-27)


Notes :

  1. Les rythmes, SIMEP, Lyon, 1968.
  2. Expériences hors du temps, Michel Siffre, Fayard, 1972.
  3. Les rythmes biologiques, Reinberg et Ghata, PUF, 1964.
  4. Les plans d'expression, Marie-Louise Aucher, Mame, 1968.