Maurice Maignen

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Maurice Maignen
Maurice Maignen (1822-1890) est un des pionniers chrétiens de l'action sociale auprès du monde ouvrier.

La Jeunesse

Maurice Maignen est né dans une famille de petite bourgeoisie. Son père, après avoir été militaire à la Garde royale de Louis XVIII, exerça le métier de peintre. Baptisé selon le souhait de sa mère et malgré les préventions de son père, un évènement, auquel sa mère l’a emmené, va le marquer profondément à l’âge de 8 ans, le 25 avril 1832 : la cérémonie de translation des reliques de St-Vincent de Paul traversant Paris de Notre-Dame à la Chapelle des Lazaristes, rue de Sèvres.

Il fait sa première communion en mai 1834, et après des études très moyennes, où il manque de perdre la foi en raison du milieu scolaire très incrédule, il s’initie à la peinture et au dessin, qu’il pratique pour faire vivre sa famille. En 1840 il obtient une place d’employé aux Chemins de fer de l’Ouest, puis en 1843 un poste de dessinateur au ministère de la Guerre, tandis que, cette même année, il perd son père et de ce fait se trouve en charge de famille.

Assailli par le doute, il ne sait pas s’il est encore chrétien. Mais sensible au discours de Charles Fourier, qui dénonce la misère des ouvriers, il est tenté un moment de le suivre. Mais ce qu’il cherche, c’est une association de charité pour améliorer le sort des malheureux. Ayant entendu parler des Conférences de St-Vincent de Paul, qui avaient été créées dix ans plus tôt sous l’inspiration d’Ozanam, le voilà amené à rencontrer Jean-Léon Le Prévost, qui animait la Conférence sur la paroisse St-Sulpice. Ce sera le début d’une amitié grandissante et surtout d’un retour complet à Dieu, qu’avec la fougue d’un néophyte il va faire partager à son frère, à ses amis et à sa mère qu’il emmènera à la Conférence de carême, prêchée à Notre-Dame par le Père Ravignan. "Imagine-toi, écrit-il à son frère, Notre-Dame pendant la nuit illuminée....Trois mille hommes pressés dans la nef, les bas-côtés de l’église, encombrés de gardes municipaux, d’hommes en blouses, de mauvais étudiants avec leurs donzelles... entonnant à pleine poitrine le chant si sombre du Miserere....et à la fin de la Semaine Sainte qui ont participé au plus saint des mystères : la communion a duré deux heures..."

L'engagement

La première lecture que M. Le Prévost donne à M. Maignen est un livre du comte de Mirville : Le Peuple ramené à la foi. L’auteur y développe que "puisque pour les ouvriers la religion est l’affaire des prêtres... il faut pour regagner les cœurs à J.-C. que les laïcs occupent le terrain" afin de rechristianiser les pauvres et les ouvriers. Le Prévost le fait entrer dans la Conférence et lui confie ses premières visites de familles. La découverte des œuvres de Le Prévost est décisive en cette année 1844 : il voit clairement la place des laïcs et renonce à l’idée de se faire prêtre. Ce sera déterminant dans l’orientation de sa vie.

Constatant que la Conférence de St-Vincent de Paul ne peut satisfaire toutes les misères, M. Le Prévost suscite la création d’autres œuvres : la Ste Famille, pour aider les familles pauvres et ouvrières. En 1846, il fonde une Caisse des loyers pour aider les pauvres à épargner ; en 1847, l’Asile des Vieillards ; en 1848 le Fourneau économique.

En septembre 1844 un évènement aura un grand retentissement dons la vie de M. Maignen : Le Prévost rencontre Clément Myionnet, futur "premier" frère de St-Vincent de Paul. Membre de la Conférence d’Angers, attiré par la vie religieuse, il est en recherche d’une congrégation qui serait pour les hommes ce que sont les sœurs de St-Vincent de Paul. C’est alors que naît l'idée d'une communauté de religieux laïcs voués aux œuvres de charité.

La rue du regard

Le 1er mars 1845 Maignen et Myionnet louent au nom de la Société de St Vincent de Paul une maison, située 16 rue du Regard, pour la réunion des apprentis et promettent à Dieu de former une communauté religieuse au service des pauvres. La maison est confiée à Myionnet seul pour la garder, Maignen ayant encore charge de famille. Ce n'est que le 1er mai 1846 que Le Prévost viendra y résider et se joindre à lui pour une vie communautaire, après avoir reçu de sa femme "toute liberté pour se consacrer à Dieu". Maignen n’y rentrera que le 2 septembre après avoir quitté ses parents.

Très vite se pose le problème de trouver un équilibre entre les nécessités de la vie spirituelle (prière et contemplation) et les activités temporelles, au risque de tomber dans l'activisme.

Chaque dimanche Maignen donne des cours de dessin aux jeunes apprentis et l'idée du patronage prend forme avec le souci d’en faire un modèle d’organisation hiérarchique. Mais s’il raisonne naturellement en termes de hiérarchie, il veut faire reposer la dignité humaine sur le métier. C’est le métier qui fait l'homme. Sa vision d’artiste établit un lien indissociable entre l’art et le métier. Dans le travailleur il voit plus l’artisan, et même l'artiste, que le manœuvre ou le prolétaire. Cette idée lui inspire la trame de son roman Les Sauveurs du peuple. Il insistera toujours pour que ses jeunes apprentis choisissent bien leur métier.

En semaine Le Prévost reçoit le matin les pauvres de la Ste Famille pour leur donner aide, conseil et encouragement, tandis que Maignen et Myionnet s'occupent des études et de la Maison. L'après-midi, c’est la visite aux apprentis et aux patrons dans les ateliers, ainsi qu’aux familles. Le grand jour c’est le dimanche, avec toutes les activités d’un patronage de 90 apprentis, des gamins de 12 à 16 ans qui envahissent les salles et la cour. Au programme : jeux, repas, messe, instruction religieuse, aidés par quelques confrères venus prêter main forte.

La semaine de la maison s’organise. Le lundi, c’est l’établissement des contrats d’apprentissage et la réception des parents. Le mardi et mercredi, visite des ateliers. Jeudi : préparation du dimanche. Vendredi: participation au conseil des patrons de Paris. Samedi : placement des enfants....Le dimanche est le plus "festif" possible. La place du jeu, qui sera pratiqué ensuite dans toutes les œuvres de jeunesse (scoutisme...), est alors inexistante. Ainsi le naturel et le surnaturel se compénètrent, le patron embrasse toute l’existence de l’apprenti. Maignen compose des pièces de théâtre, que montent les apprentis. La rue du Regard devient rapidement une sorte de modèle, comme une "école normale du patronage" où s’équilibrent bien le binôme : jouer et prier.. Car il sollicite aussi la générosité des apprentis qu'il engage à constituer des petites conférences de St-Vincent de Paul pour soutenir des familles pauvres.

La Maison des apprentis

L’apprenti d’alors n’a pas un statut professionnel très enviable (la loi Le Chapelier lui a supprimé toutes les garanties) : la fraternité avec les compagnons, l’affection, l’appui moral, l’attitude paternelle du patron lui font souvent défaut. La médiation corporative est remplacée par un contrat passé devant un commissaire de police. Le patron promet de coucher l’apprenti, le nourrir, lui apprendre le métier et l’élever dans la religion catholique... Rapidement les confrères découvrent les problèmes de ces adolescents, totalement abandonnés à la merci du patron capitaliste depuis la suppression des corporations. Ils constatent l’absence d’intervention de l'État. La loi du 2 mars 1841 interdisait le travail des enfants dans les manufactures. Armand de Melun inspirera la loi du 22 février 1851 imposant un contrat et un décret de 1852 ordonne aux commissaires de police de faire des procès verbaux aux patrons sur les abus épouvantables auxquels la liberté illimitée du travail leur donnait droit. Très vite son action va achopper sur le sujet tabou, celui de l’intervention de l'État, et Melun sera qualifié de socialiste. Maignen le sera aussi.

L'écrivain formateur

"L’ancienne législation, écrit le P. Corson, avait des dispositions sur l’apprentissage : chaque apprenti était placé par la corporation dont il relevait sous la protection d’un membre du syndicat, chargé de veiller sur ses intérêts. Mais elles tombèrent avec les corporations pour faire place au système de libre concurrence qui nous régit aujourd’hui." Cette faiblesse de l'enfant inspira M. Maignen dans le portrait saisissant qu’il fait du pauvre apprenti Moucheron, autre livre de sa composition : "tout enfant, écrit-il, est bon, il arrive à l'atelier avec une croyance. Il est confiant, il est aimant ; il a la conscience droite. L’atelier lui vole la foi, non seulement en Dieu, mais dans le prochain, dans l’humanité tout entière ; il le rend dur et cruel ; il le rend haineux, faux, méchant, ingrat ; il retourne sa conscience... plus il a l’audace dans le blasphème, l’insulte ou le vice, plus il est applaudi... voilà l'œuvre de l’atelier tel qu’il est." Le patronage va donc s’occuper exclusivement des apprentis et intervenir entre le maître et l’apprenti, dont les confrères constituent les protecteurs. Un opuscule est rédigé sur la manière de rédiger un contrat d’apprentissage et les clauses à y inscrire. Il commençait par un bref rappel historique : "Avant la Révolution, il n’y avait pas de société de patronage, et il n’en était pas besoin, puisque les apprentis avaient pour patrons les jurés de ta corporation." La seule solution, que Maignen réclamera, sera, à l’échelon de l'État, une organisation du travail. Sur des fiches, il donne des indications pour organiser la visite sérieuse des ateliers, que les confrères se partagent. Il établit un registre des visites. Car "c’est dans la visite que consiste essentiellement l'œuvre des patronages, elle ne doit pas avoir la forme d’une enquête, ne point cacher ses principes religieux, n'avoir pas l'air confit en dévotion, enfin aimer véritablement les enfants..."

Maignen consacre une bonne partie de ses nuits à rédiger des articles, des brochures, des chroniques sur le choix d'un métier, la condition de l’apprenti, l’exercice du métier. Il écrit des ouvrages sur la condition ouvrière,compose des romans historiques, comme Les frères cordonniers. Un manuscrit intitulé Les Économistes est une tirade cinglante contre les propos d’un ministre de l'Intérieur : le célèbre propos de Guizot le 1er avril 1848 : "La réforme sociale qui a pour but l’amélioration des conditions des ouvriers en Angleterre n’est pas nécessaire chez nous".

Pour contrecarrer les almanachs qui véhiculent des idées anticléricales et républicaines, Maignen se consacre aussi à la réalisation d’almanachs, agrémentés de vies de saints, d’histoires, de gravures, de jeux, de chansons.


Grenelle

Le 1er mai 1847 une maison leur est offerte au 75 rue du Commerce, dans le quartier de Grenelle, où résident essentiellement des familles ouvrières. Elle deviendra un second patronage, grâce à la jouissance gratuite, offerte par le Maire, d’un hangar d'une manufacture abandonnée et d'une salle voisine. Maignen va alors inaugurer pour la première fois dans un patronage un divertissement totalement méconnu dans les œuvres : la gymnastique, qui sera un puissant attrait pour les enfants. C’est en effet l’Espagnol Francisco Amoros qui en 1818 avait introduit la gymnastique en France.

Tant bien que mal la communauté traverse les événements de 1848. Maignen et Myonnet ont dû s’enrôler quelques mois dans la garde nationale, pendant que Le Prévost continue de s’occuper de "leurs toutes petites œuvres". La guerre civile leur a révélé l'immensité du mal, qu’engendre non pas l’industrie en elle-même, mais, comme il l’écrit, l’industrie "produit d’une concurrence jalouse, des prétentions égoïstes des uns, des exigences injustes des autres. Il faut que le christianisme relève le défi de spiritualiser et de vivifier l’industrie moderne. La misère n’existe réellement que là où fleurit l’industrie. L'ouvrier est placé dans des conditions qui lui font oublier Dieu, le fruit de son labeur n’est plus que l’argent, il manque à la gloire du christianisme d’avoir spiritualisé et ennobli l’industrie moderne."

La communauté se partage alors entre la rue du Regard, Grenelle et la rue de l’Arbalète où s’est constitué un autre centre, pendant que se développent un peu partout à Paris et en province des patronages sous des formes variées.

Patronner

C’est alors que l’abbé Timon-Davio, qui avait créé à Marseille "l’œuvre de la jeunesse pour la classe ouvrière", rend visite à la rue du Regard, sur laquelle il donne un avis très défavorable : "Ce ne sont pas les savantes organisations qui font les œuvres. C’est la grâce de Dieu par la prière et les sacrements". Il leur montra le rôle essentiel d’une élite spirituelle dans un patronage. Peu à peu Paris va introduire des pratiques expérimentées à Marseille et les aumôniers de patronage constitueront des petites congrégations mariales. C’est alors que s’élabore un règlement de l'Œuvre des patronages. Il contient deux principes : l'esprit de piété et la participation des apprentis aux Conseils et aux charges des maisons : maître des jeux, portier, sacristain, bibliothécaire, etc., qu'on qualifia de "dignités". Au Congrès des directeurs d'œuvres à Angers, fin 1858, on échange les expériences. On s’interroge : les directeurs doivent-ils être des prêtres ou des laïcs ? Les débats amènent aussi les congressistes à préciser leurs objectifs : prier et jouer. Maignen, soucieux du suivi des apprentis, pour veiller à ce qu’ils apprennent bien un métier, fait ajouter : patronner par l’assistance professionnelle. C’est une idée-maîtresse qu’on retrouvera dans son Manuel du Patronage de 1862 : "On déplore que les enfants qui travaillent en usine deviennent des enfants-machines et qu’ils ne puissent apprendre un métier ". Ainsi les patronages auront deux objectifs : le développement de l’esprit de piété et la vocation sociale, c’est-à-dire la recherche d’une philosophie du travail par l’amour du métier.

Maignen va continuer sur cette voie : l’ouvrier tire toute sa dignité de son métier. Et dès lors se dessina en filigrane sa vision organique d’une société qui transmet les valeurs par le métier.

Le 25 mai 1856 il organise une première exposition des travaux de 230 apprentis avec distribution de médailles, qui prélude à une exposition universelle de tous les patrons de France l’année suivante. Tous ses écrits témoignent de cette mise en valeur de tout ce qui touche le métier : l’outillage, l’ordre des outils, économie de temps... "le bon et le mauvais apprentissage", "la réhabilitation du travail manuel“, "le droit au métier", autant de sujets qu’il développe. Il en vient à identifier l’ouvrier et l’artisan, détruits par l’industrie : "Aujourd’hui avec les procédés mécaniques appliqués à tous les travaux industriels, l’originalité est morte, la pensée de l’ouvrier est absente. Comment l’ouvrier d’aujourd’hui peut-il aimer son métier comme l’aimait autrefois l’ouvrier artiste et créateur ?"

"La Révolution a tué l’artisan" écrit-il. "Nous n’avons plus d’ouvriers, nous n'avons plus de style national. Autrefois, dans un simple flambeau de cheminée, on sentait un caractère et une époque, la personnalité et l’originalité de l’ouvrier... De plus ces vieux ouvriers, nos pères, avaient la foi." En 1872 il inaugurera un Musée du Travail. En même temps il dresse une série de portraits d'artisans et inventeurs : Gutenberg, Palissy, etc. Il réalise même un journal : Le jeune ouvrier, puis le Moniteur de l‘ouvrier.

Car Maignen écrit toujours beaucoup. Il laisse une œuvre très importante, grâce à un talent assez exceptionnel d’écrivain populaire. Toutefois il évitera dans ses publications d’y faire paraître des offres d’emploi - même par des patrons chrétiens - pour ne pas faciliter l’émigration des ouvriers des campagnes vers les grands centres.

Enfin il travaillera à la grande œuvre de sa vie : la vie du fondateur, J.-L. Le Prévost, qui après le décès de son épouse le 6 novembre 1859 est ordonné prêtre le 22 novembre 1860.

Après avoir bien accompli sa tâche, il sent venir l'heure du grand repos, le dimanche 7 décembre 1890.