Fondations culturelles

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"Liberté", illustration de la revue satirique L'Assiette au beurre : Le règne de la marchandise recycle tout à son usage, fût-ce de nos jours... la culture.
Créées par voie de donations ou de legs, les fondations culturelles sont des établissements d'intérêt public ou d'utilité sociale. Les plus importantes se trouvent aux États-Unis, telles les fondations Ford, Rockefeller, Carnegie dont les moyens sont respectivement de l'ordre de $ 3 milliards, $ 632 millions, $ 268 millions [1].

Quels que soient leurs buts humanitaires et désintéressés, elles ont pour origine les grandes entreprises qui les alimentent et dont elles portent généralement le nom. Ce n'est pas dire qu'elles financent étroitement, comme on les en accuse, les seuls objectifs des maisons mères [2]. Bénéficiant de nombreux privilèges, dont le principal est l'exonération d'impôts, elles répartissent leurs fonds à l'éducation, aux sciences, aux beaux-arts, aux humanités, au bien-être, à la santé, etc. Il est néanmoins significatif que l'éducation occupe la première place. Sans aller jusqu'à prétendre, avec L'idiot international, que les « fondations jouent un rôle déterminant dans la concentration capitaliste », qu'elles « servent donc schématiquement les entreprises de la façon suivante » :

  • 1. Pour accumuler les profits sans payer d'impôts.
  • 2. Comme « holding » pour effectuer les concentrations et l'élimination des concurrents.
  • 3. Pour faire les recherches en sciences fondamentales et appliquées, les études de marché, les transactions financières pour les « Corporations » à l'intérieur et à l'étranger.
  • 4. Comme service de « public relations » avec la masse des consommateurs et des producteurs [3], il est légitime de s'interroger sur les raisons de cette priorité.

Sans aller jusqu'à conclure, à la façon de L'idiot international, que les fondations « contrôlent par-là politiquement les masses par des organisations réformistes » [4], qu'« en réalisant des programmes philanthropiques, elles cachent leur vrai visage et celui de l'impérialisme [5], enfin qu'au service de la CIA et du Pentagone, elles contrôlent les systèmes éducatifs : écoles, universités, institutions, instituts de recherche, instituts de diffusion des connaissances, etc., on ne peut tout à fait écarter une réflexion de ce genre : « Cet effort dans le domaine de l'éducation, est un élément important de la régulation du système. Il permet le contrôle direct sur les individus avec leur consentement. Transmettre ses propres représentations devient déterminant, car elles deviennent celles de ceux que l'on domine » [6].

Réflexion qui, même si elle s'inspire de l'activité des fondations spécialement orientées vers l'étranger, rejoint curieusement le rapport de travail du Commissariat au Plan français qui affirme, sous la responsabilité de son président, Bertrand de Jouvenel, que c'est dans la définition même de la culture à laquelle on se réfère qu' « il faut chercher l'une des causes principales des hiérarchies sociales traditionnelles. Cette culture continue, malgré les efforts entrepris, à valoriser un type aristocratique de relation entre l'homme et la connaissance, privilégie un langage d'accès et de participation au savoir qui est par ailleurs celui des catégories sociales prépondérantes. Ce fait a une série de conséquences sur le rôle exclusif reconnu à l'école, sur les méthodes de formation, sur les relations entre enseignants et enseignés, sur la dichotomie entre travail intellectuel et travail manuel... » Conclusion : « Ouvrir l'école à tous, c'est assurer la domination d'un modèle culturel actuellement dominant, de sorte que, dans des structures fortement inégalitaires, l'égalité de droit devant l'enseignement a toutes chances de produire un effet de conservation plutôt que de changement social » [7].

Il serait consolant d'imaginer que les paradoxes s'annulent, tout au moins se neutralisent. Il est plus raisonnable de penser qu'ils s'ajoutent et se combinent. A la manière des mélanges instables qui soudain explosent ! Est-il encore temps, entre l'abdication ou la trahison dont on accuse les systèmes éducatifs et la prétention de l'Entreprise à s'instituer maître à penser, est-il encore temps de réfléchir ? Oui, à condition de considérer que la culture n'est plus désormais le champ exigu qu'on nous a légué. C'est dans le monde nouveau, avec les idées, les hommes et les machines qui y sont ensemble à l'ouvre, qu'elle peut et doit se définir. Non pas que les « week-ends de toutes les couleurs » remplacent la liberté, que les ordinateurs tiennent lieu de providence, ou que l'avenir se mesure à la durée de la vie des matières synthétiques... Mais le confort d'un certain humanisme est désormais caduc.

René Berger, La Mutation des signes, ch. XV, 1972. source (copyleft)

Notes et références

  1. Michel Pomey, Les fondations en France et aux États-Unis, Fondation Royaumont, Paris, Michel Pomey, 1966, p. 13.
  2. L'idiot international, avril 1970, n°5, qui contient un dossier consacré aux fondations culturelles.
  3. Ibidem, p. 30
  4. Ibidem, p. 30
  5. Ibidem, p. 32
  6. Ibidem, p. 34. C'est moi qui souligne
  7. Voir Le Monde du 7 avril 1970

Liens externes