Lucien Rebatet

De Metapedia
Aller à : navigation, rechercher

Lucien Rebatet, né le 15 novembre 1903 à Moras-en-Valloire et décédé dans la même localité le 24 août 1972, était un écrivain, journaliste et critique musical et cinématographique français.

Lucien Rebatet

Venu de l'Action française, il évolue vers l'idée de l'élaboration d'un empire européen et devient l'une des grandes figures d'un « fascisme » journalistique et littéraire français.

Éléments biographiques

Lucien Rebatet naît le 15 novembre 1903. Son père est un pur dauphinois et exerce la profession de notaire, sa mère, née Tampucci, a des origines italienne, poitevine et parisienne. Lucien grandit aussi avec sa sœur Marguerite.

Il fait ses études secondaires chez les maristes à Saint-Chamond. Il en conservera un cruel souvenir: « années d’exil moral et physique dans un pays affreux » à côté desquelles le service militaire, la prison et les travaux forcés lui parurent « légers »! On en retrouve la trace dans le propre parcours de son double littéraire, Michel, dans son roman Les Deux Étendards. On peut donc dater là, dès l’adolescence, le début de l’antichristianisme rebatien. C’est une évidence.

Nouvellement reçu bachelier, Rebatet « monte » à Paris faire son Droit à la Sorbonne (il le commença à Lyon). Paris enchante le jeune étudiant, boulimique d’art (musées) et de musique (concerts). Désargenté, il est surveillant à l’École Bossuet, rue Guynemer. On découvre toute cette tranche de vie dans l’ouverture des Deux Étendards. Dès sa jeunesse, Rebatet manifeste des penchants fort peu démocrates. En 1924, il confie à un ami n’avoir « jamais eu dans les veines un seul globule de sang démocratique » et qu’il « aspire à la dictature, à un régime sévère et aristocratique ».

Avec l’AF et Maurras

En 1928, après avoir effectué son service militaire en Allemagne occupée (dans le Hesse-Nassau) au 150e régiment d’infanterie, Rebatet est alors plutôt germanophobe (l’impact de la guerre toute proche et le pangermanisme renaissant) mais déjà fasciné par le romantisme allemand et Nietzsche. Il commence à lire L’Action française, l’hebdomadaire alors tout puissant de Charles Maurras, admire Mussolini et participe à quelques chahuts des Camelots du Roi. Rebatet gagne alors sa maigre pitance dans les assurances.

En avril 1929, il fait ses grands débuts dans le journalisme grâce à un ami, à L’Action française, où il tient une petite rubrique musicale. Quelques mois plus tard, il y ajoute la critique cinématographique sous un pseudonyme promis à un bel avenir: François Vinneuil (en hommage au héros proustien Vinteuil). Puis, très vite, il assure le secrétariat de rédaction des pages littéraires où, de fait, il côtoie Maurras, mais aussi deux autres jeunes loups talentueux : Robert Brasillach et Thierry Maulnier. Côté cœur, en 1931, Rebatet rencontre au Quartier Latin une jeune étudiante roumaine, Véronique Popovici, qui deviendra sa femme jusqu’à sa mort.

Le début des années Je suis partout

L’AF ne suffisant pas à faire vivre son homme, Rebatet assure quelques piges à Radio Magazine, La Revue universelle, Le Jour ou Candide. Mais il débute surtout, en 1932, ce qui sera sa grande aventure de presse: Je suis partout. Rebatet s’éloigne déjà du maurrassisme et de sa germanophobie. Artistiquement européen et admirateur du romantisme allemand, il assiste avec saisissement (comme Brasillach – cf. Les Sept Couleurs) au redressement spectaculaire de l’Allemagne grâce à Hitler. Il opte sans hésiter pour le « fascisme immense et rouge » cher à Brasillach et regarde avec mépris l’arrivée de la diaspora pouilleuse des Juifs allemands. Il en livre le souvenir (daté de 1933) dans Les Décombres: « J’habitais une espèce d’atelier, rue JeanDolent, juste à côté de la Ligue des Droits de l’Homme. Les exclus du Reich y accouraient par trains entiers, comme à un vrai consulat, pour recevoir, par la grâce de Victor Basch et d’Émile Kahn, tous les sacrements et passe-partout républicains, toutes les libertés de proliférer et de nuire. J’avais eu tout loisir pour contempler pendant des mois ce défilé de cauchemar, la gueule crochue et verdâtre du socialisme international. »

Dégoût renforcé par la lecture des inouïs pamphlets céliniens (à commencer par le premier, véritable coup de canon, Bagatelles pour un massacre, en 1936).

Lucien Rebatet à la tribune du meeting "On n'est pas des dégonflés" organisé par Je suis partout le 15 janvier 1944

L’ennemi public n°1

Rebatet tient les juifs pour responsable de la montée vers la guerre. Furieux et désireux de se venger d’Hitler, ils entraînent le monde dans leur croisade anti-nazie. Rebatet a, d’évidence, été influencé par le style furibard et pamphlétaire de Louis-Ferdinand Céline. On en retrouve des témoignages drôlatiques dans Je suis partout ou dans son pamphlet sur le cinéma français: Les Tribus du cinéma français et du théâtre (Nouvelles Éditions Françaises, 1941). Il y explique la main mise des juifs sur le cinéma mondial puis leur arrivée dans le cinéma français.

Rebatet assiste également au tournage du Sexe faible de Robert Siodmak et en rend compte d’une manière assez unique :

« Du directeur de la production jusqu’à la script girl, l’état-major tout entier qui s’agitait autour de la caméra était juif. Ils étaient là vingtcinq ou trente, allant, venant, gesticulant, s’égosillant, menant dans leur affreux allemand des palabres interminables, absolument semblables aux youtres à cadenettes qui se revendent entre eux une peau de lapin au fond d’une sentine de Cracovie ou de Lemberg. »

L’arrivée (et pas que dans le cinéma) de tous ces heimatlos allemands (et des ghettos d’Europe centrale) lui inspire des descriptions quasi-naturalistes: « Leurs gueules offrent toutes les variétés de bassesse et de hideur: crochues, flasques, crépues, pelées, huileuses. Les yeux clignotants et éraillés derrière de glauques lunettes, ou globuleux parmi les chairs bouffies, ne révèlent que la ruse et l’outrecuidance. Parmi tous ces Achkenazims, on reconnaît la sous-espèce levantine, plus visqueuse encore, s’il se peut. Le sabir répond au yiddish, ce qui n’empêche pas de se comprendre. La plupart ne sont même pas capables de dire cinq mots de suite dans notre langue. »

Comme Céline, Rebatet assiste, impuissant et dépité, à ce qu'il appelle l’enjuivement du peuple français: « Ce peuple va au mensonge juif comme le chien à l’étron. » (Les Décombres)

Rebatet opte pour une solution qu’avait un instant entrevue Goebbels (qui voulait envoyer les Juifs vivre sur l’île de Madagascar), isolés, libres, en Sibérie ou en Afrique. Et pour les réfractaires: « Après cent cinquante années d’émancipation judaïque, ces bêtes malfaisantes, impures, portant sur elles les germes de tous les fléaux, doivent réintégrer les prisons où la sagesse séculaire les tenait enfermées. »

La Drôle de Guerre

Malgré lui, malgré ses camarades pacifistes de Je suis partout, la guerre finit par éclater. Et Rebatet d’être mobilisé dans son régiment d’infanterie. Il y observe la Drôle de Guerre, l’impréparation ubuesque de l’armée française (qui a une guerre de retard, maintenant une stratégie de position – l’attentisme derrière la ligne Maginot – face au blitzkrieg allemand de Guderian), le moral en saindoux de ses compatriotes (à opposer à l’esprit wagnéro-revanchard des fridolins). Il noircit des pages entières des Décombres sur le sujet, décrivant une armée mal équipée: « Mais nous ne possédons presque rien. Nos fusils sont de trois modèles, dont pour la moitié de ridicules Gras. Les fûts sont fendus, les guidons tordus, les canons branlants. Avec un pareil matériel, on manquerait une porte cochère à trente mètres. » Et l’attitude très Gaietés de l’escadron de ses concitoyens en uniforme: « Nos cantonnements sont peuplés de déchets alcooliques, de nabots dégénérés, déjetés, ravinés, parmi lesquels comptent par hasard nos deux seuls Marseillais, deux ignobles guenilles humaines. Ces misérables, cuits déjà dans le ventre de leur mère, sont à ce point imbibés et ravagés qu’au troisième quart de vin, ils chancellent hagards. Et pourtant, ils entonnent leurs huit et dix litres par jour. Sur leurs culottes fangeuses, leur vomi d’hier rejoint en traînées violâtres, celui de l’avant-veille. Sur leurs faces de gnomes hébétés, la sanie s’agglutine en croûtes à la boue des ruisseaux où on les a ramassés. »

On comprend aisément pourquoi, avec de pareilles recrues, l’armée française s’est fait ainsi bousculer par l'armée allemande.

L’impotence réac

Nous l’avons vu, Rebatet s’est, comme beaucoup d’autres anciens de L’Action française (seul Brasillach gardera une clémence attendrie pour son maître Maurras – bien qu’il ne le suive pas politiquement), rapidement éloigné du maître de Martigues. Un chapitre entier des Décombres s’intitule même « Au sein de l’Inaction française ». Il lui reproche sa germanophobie délirante, qui le rapproche de ses pires ennemis:

« Il faut la perversion mentale, l’humeur détraquée d’un Maurras ou d’un certain nombre de ses disciples gouvernementaux [Rebatet parle alors des ministres de Vichy] pour prétendre qu’une France antidémocratique surgirait après l’effondrement des dictateurs, dans l’apothéose d’Israël et de toutes les Républiques. » (Les Décombres)

Pour lui, Maurras se trompe gravement en faisant d’Hitler l’ennemi numéro un, ce qui le rapproche une fois encore de Céline qui lance au Beethoven de l’AF: « Maurras, vous êtes avec les juifs! » Enthousiaste au début sur la « divine surprise » vichyssoise, Rebatet part à Vichy, « ridicule capitale hépatique », où il déchante très rapidement: « J’avais quitté Vichy au bout de deux mois, à l’automne précédent, écœuré par les intrigues de cette cour, ridiculeusement balnéaire, par le gaullisme qu’y affichaient en toute impunité maints hauts personnages, par les inspecteurs des finances et les gens du Comité des Forges aussitôt installés aux postes de commande pour bloquer toute velléité de révolution. Le contraste était encore plus exaspérant maintenant entre les gigantesques événements de l’Est et les petitesses de cette pseudo-capitale, les méandres mesquins de son double jeu, son cléricalisme, les bricolages futiles (…) Bref le tableau complet de la pire réaction. » (Mémoires d’un fasciste, Pauvert, 1976)

Le double jeu de Vichy insupporte Rebatet comme son ami et frère en Je suis partout PAC (Pierre-Antoine Cousteau, le frère aîné du célèbre futur commandant au bonnet rouge) qui constate lucidement: « La Révolution Nationale a été faite par des gens qu’on appelait M. le Ministre ou M. le Président, pas par des gens qu’on traitait de fascistes assassins. Et ça explique tout. » Rebatet, lui, pointe que « Vichy a consommé en deux ans plus de ministres que la République en cinq années. » (Les Décombres)

Le poison chrétien

« Antichrétien et anticlérical de toujours », voilà comment se définit Lucien Rebatet. Et ce n’est pas le spectacle de Vichy, des milieux maurrassiens et de la droite chrétienne qui va le faire changer d’avis. Ainsi d’un François Veuillot: « M. François Veuillot proclamait orgueilleusement que la France s’était malgré tout battue pour la civilisation chrétienne contre le paganisme. » (Les Décombres) Ou du ponte de l’Action française Henri Massis: « Après avoir joué pendant vingt ans les conducteurs de la jeunesse française, il venait de marier son fils unique à une youtrissime et richissime demoiselle Oppenheim. On pouvait apercevoir en ville, au bras de l’heureux époux, cette jeune personne, dont le ventre s’arrondissait du futur petit Juif Massis. Cependant, M. Massis l’aryen m’avait toujours témoigné jusque-là une grande affabilité. Mais il venait de me toucher la main pour la dernière fois. J’étais de cette radio qui se permettait des traits sur Churchill, la juiverie, Dunkerque et Mers-el-Kebir. Pouah! On ne connaissait plus ces domestiques d’Allemands. » (Les Décombres)

Pour Rebatet, Vichy crève de son christianisme politiquement: « La foi chrétienne jouait son rôle dans l’anglicanisme de la plupart des éminents Vichyssois, mais pour favoriser une attente intrépide du miracle, d’un prodige biblique, où la trompette de Churchill, flanqué de douze grands rabbins et des soixante-dix cardinaux, terrasserait de son souffle divin les armées du Führer antéchrist. » Il déteste tout autant un Jacques Maritain, ancien compagnon de route de l’AF marié à une juive, et son « thomisme de synagogue », « coupant des poils de rabbin en quatre au nom du SacréCœur, qui mobilisait toute la théologie et toute la métaphysique pour innocenter Israël, voire pour nous le proposer en modèle ». (Les Décombres)

Mais l’antichristianisme de Rebatet est plus profond, remontant même à l’essence même de cette philosophie anti-vie: « C’est à ces fumiers-là que nous devons ça! On avait le choix entre plusieurs milliers de dieux, à peu près tous bitologiques. Il a fallu que l’humanité se décidât pour le Dieu anti-couilles. Voici bien encore une preuve de l’universelle imbécillité. Quand on pense qu’il y avait, avant leur Jésus, des mystères où la première communion des petits gars c’était leur dépucelage en musique par des pin-up prêtresses qui, non seulement étaient belles, mais aimaient ça, prenaient leur pied. Ah ! malheur! Je n’ai jamais donné dans les hommages des agnostiques au génie de Jésus Christ, parce que le Christ, génie ou non, est celui qui a appris aux hommes la haine de la chair, comme ils disent dans la secte (…) Le Christ était un pisse-froid, c’est une des rares certitudes que l’on ait sur lui. Un pisse-froid probablement coloré d’un peu de pédale, le genre pédale qui attire les pépées mais n’y touche jamais. Et après le Christ, il y a eu Paul, Paul le vrai patron, pire en tout que l’initiateur, l’ennemi systématique des femmes, le premier légiste de la queue, sans douter parce qu’il connaissait bien la Bible avec toutes ses histoires d’enculeurs de chameaux, d’empapaouteurs de bourriques, qui grimpaient leurs pères et mères depuis la Génèse … » (Dialogues de vaincus, Berg, 1999)

L’espérance est fasciste

Rebatet voit en Allemagne ce qu’il attend en France: « J’ai sans doute plus d’opinions communes avec ces ennemis qu’avec un abbé démocrate populaire ou qu’un socialiste juif de Paris. » (Je suis partout, 3 juin 1938)

Il s’en explique de manière nietzschéenne dans ses Décombres :

« Mon sentiment le plus net était une admiration grandissante pour Hitler. Du nouveau hourvari, le Führer seul sortait encore vainqueur, assis sur une conquête positive et solide, affirmant devant un monde de larves la vigueur de ses muscles et de sa volonté. » Ajoutant: « Je ne voulais plus douter que Hitler ne poursuivit une gigantesque nazification du continent. C’était bien la lutte de deux conceptions du monde. Non, je haïssais trop l’Occident enjuivé, son christianisme putréfié… »

Rebatet rejoint ici encore Céline qui, dans L’École des cadavres (Denoël, 1938), faisait au même moment un choix identique: « Moi, je veux qu’on fasse une alliance avec l’Allemagne et tout de suite, et pas une petite alliance, précaire, pour rire, fragile, palliative! quelque pis-aller!... Une vraie alliance solide, colossale, à chaux et à sable… Je trouve que sans cette alliance, on est rétamés, on est morts, que c’est la seule solution».

Dans le cadre des nombreux reportages internationaux pour Je suis partout, Rebatet a, comme Brasillach, été en Allemagne nationale-socialiste. Et le spectacle l’a impressionné comme il en témoigne, toujours dans Les Décombres:

« Toutes les gares saxonnes grouillaient de cohortes nocturnes en marche pour le Congrès de Nuremberg: des tambours de douze ans aux épaulettes rouges, sérieux comme les grenadiers du vieux Frédéric, des bataillons de fillettes en tenue de campagne, la guitare en bandoulière entre leurs longues tresses, les gaillards de l’Arbeitdienst, étudiants, paysans et ouvriers confondus, aux épaules herculéennes et aux joues d’enfants. Derrière cette armée d’écoliers en uniforme, pas une seule de ces blafardes ou hargneuses figures des gens qui chez nous ‘s’occupaient de la jeunesse’, pions, curés-clairons, célibataires rancis, âcres et antiques vierges. »

Lucien Rebatet affiche aussi un anti-capitalisme typiquement fasciste. On le perçoit quand il salue le rexisme (comme son confrère et ami Brasillach, auteur de Léon Degrelle ou l’avenir de Rex en 1936) dans les colonnes de Je suis partout le 24 octobre 1936: « Le rexisme procède, au fond, du même besoin qui pousse toute la jeunesse d’après-guerre, les adolescents comme les hommes faits, vers les piscines, la mer, les montagnes, sur les routes que l’on arpente sac au dos. Nous sommes les premiers à souffrir d’une civilisation à forme d’esclavage mécanique, qui ne nous assure même plus, comme à nos pères, quelque confort. Nous voulons y échapper à tout prix, physiquement, moralement… » Dans Les Décombres, Rebatet regrette aussi que le socialisme européen ait été confisqué par le marxisme juif : « Nous comprenons toujours mieux que, sans les Juifs, nous eussions fait entre nous, avec les moindres dégâts, cette révolution du socialisme autoritaire devenue nécessaire à notre siècle, et dont les vieux doctrinaires français, tels que Proudhon, s’honorent d’avoir été les précurseurs. La barbarie marxiste a été la contrefaçon juive, folle et mortelle de ce socialisme aryen qui s’en est dégagé douloureusement, dans des flots de sang blanc. »

Pour lui, le bolchevisme est une « création juive » et il réalise que la plupart des commissaires politiques comme des dirigeants soviétiques sont juifs. Bien après ces temps kaliyuguesques et l’épreuve de la prison, Pierre-Antoine Cousteau devait bien résumer l’absence de regrets et la certitude d’avoir eu raison malgré tout dans le choix du vaincu: « L’Allemagne représentait à l’époque, avec tous ses crimes, la dernière chance de l’homme blanc alors que les démocrates, avec tous leurs crimes, représentaient la fin de l’homme blanc. » (En ce temps-là, La Librairie Française, 1959)

L’Occupation à Je suis partout

Sous l’Occupation, Lucien Rebatet mène le combat dans les colonnes de Je suis partout, l’hebdomadaire politique le plus en pointe dans le combat fasciste, touchant 300000 lecteurs par semaine à partir de 1943. Et le seul à appartenir à ceux qui le font, touchant soviet qui « était certainement le seul journal de France qui fut sans directeurs, sans fonds appréciables, sans la moindre servitude, conduit et possédé par la petite bande qui l’écrivait » (Les Décombres).

En juillet 1942, sort chez Denoël le best seller de l’Occupation, Les Décombres. Plus de 65000 exemplaires vendus. Dans ses souvenirs (Mes arches de Noé, La Table Ronde, 1985), Michel Déon, pourtant maurrassien (il fut même alors le secrétaire de Maurras), témoigne de l’impact de ce maelström littéraire: « Les Décombres m’avaient secoué, bien que de nombreuses pages me parussent alors sacrilèges, mais il en était aussi de trop vraies et de puissantes qui annonçaient le Rebatet des Deux Étendards. Et puis Rebatet parlait du cinéma et des musées d’Europe comme personne. »

Rebatet raconte lui aussi le succès incroyable de son livre dans Les Décombres : « En rentrant à Neuilly, fin septembre, je trouvai la loge de ma concierge submergée par le courrier de mes lecteurs, un millier de lettres! Sur le tas, une dizaine d’injures au plus, et anonymes. Et pour ainsi dire, pas une lettre de fous, alors que les déments sont les correspondants les plus assidus des journalistes. Dans toutes les autres, des félicitations, des louanges, des hyperboles à vous faire vaciller, des protestations magnifiques de solidarité. ‘Tu pourrais fonder un parti!’ me disait Brasillach. ‘En un mois, tu aurais plus d’adhérents que Doriot et Déat réunis!’ » Anecdote amusante, Rebatet raconte dans ses Mémoires d’un fasciste qu’« un imbécile devait beaucoup plus tard me demander s’il était vrai que Doriot avait écrit Les Décombres et que j’avais volé le manuscrit dans son bureau pour le publier sous mon nom. Et me faire condamner à mort pour soutenir une imposture! »

Les années de guerre passant, contrairement à Brasillach (qui n’y croit plus et qui quitte le journal pour rejoindre Révolution nationale de Lucien Combelle), Rebatet et ses amis de Je suis partout soutiennent jusqu’au bout la croisade européenne nationale-socialiste. Le 15 janvier 1944, l’hebdomadaire organise même un meeting à la salle Wagram sous le thème « Nous ne sommes pas des dégonflés ». Rebatet y conclut son intervention par un retentissant et sans ambiguïté: « Mort aux Juifs! Vive la révolution nationale-socialiste! Vive la France! »

Les fers aux pieds

Son dernier article, le 28 juillet 1944, s'intitule : « Fidélité au National-socialisme ». Mais le vent a tourné, il doit prendre le chemin de l'exil vers l'Allemagne où il séjourne à Sigmaringen, suivant en cela son clone littéraire Céline. Il ne se mêle pas aux pathétiques agitations politico-collaborationnistes picrocholines (bien dépeintes par Céline dans D’un château l’autre) et se consacre plutôt à l’écriture de son roman Les Deux Étendards.

L’armistice venu, le 8 mai 1945, lui et sa femme se livrent en Autriche. Transféré à Fresnes, son procès tarde à venir, en dépit des protestations du juge Zousmann qui veut que l’on fusille Rebatet sans tarder! Ce fut, en un sens, la chance de Rebatet, et pas celle d’un Brasillach ou d’un Chack. Rebatet n’est jugé que le 18 novembre 1946, dans ce qu’on a appelé le « procès de Je suis partout » car furent en même temps jugés Pierre-Antoine Cousteau et Claude Jeantet. Rebatet y déclare: « Mon sort m’est indifférent. Je suis désormais un prisonnier. Mais je ne suis pas un traître. Je défends ici mon honneur. »

Lui et son ami Cousteau sont condamnés à mort le 23 novembre. Commence alors quatre mois et demi de fers, avec pantalon mexicain (boutonné le long de la jambe pour pouvoir être enlevé les chaînes au pied) et lumière constamment allumée de jour comme de nuit. Rebatet l’évoquera dans ses Mémoires d’un fasciste et dans son célèbre article « On ne fusille pas le dimanche » (paru dans Le Crapouillot en 1953). Mais, comme pour Brasillach, une pétition d’écrivains prend sa défense pour qu’on ne le fusille pas: Albert Camus, François Mauriac, Jean Paulhan, Paul Claudel, avec lesquels il n’avait pourtant pas toujours été tendre! Le président Vincent Auriol le gracie, ainsi que Cousteau, le 12 avril 1947, et commue leur peine en travaux forcés à perpétuité. Sur le mur de sa cellule de condamné à mort, Rebatet inscrit les fameuses paroles de Mathilde de la Mole dans Le Rouge et le Noir: « Je ne vois que la condamnation à mort qui distingue un homme. C’est la seule chose qu’on ne s’achète pas. »

Rebatet n’est libéré que le 16 juillet 1952, après plus de sept ans de prison, passées notamment à terminer son épais roman Les Deux Étendards (qui s’est d’abord appelé La Théologie lyonnaise).

Le romancier

Une fois sorti de prison, la vie ne redevient pas rose et ouatée pour Lucien Rebatet et son épouse Véronique. Comme il le reconnaît lui-même, il mène « une existence demi-misérable avec sa femme dans un pavillon de Montmorency ». Son incroyable roman symphonique, Les Deux Étendards, a été accueilli par une conspiration du silence. Pourtant, de nombreux critiques un peu libres saluent ce roman qui, sans nul doute, peut être placé dans la short list des grands romans du XXe siècle : Nimier, Etiemble, Bernard de Fallois, Blondin, Pol Vandromme ou, plus tard, Marc-Edouard Nabe ou Jean Dutourd applaudissent et crient au génie.

Lucien Rebatet reprend son identité de François Vinneuil pour gagner sa vie, notamment à Dimanche Matin, L’Auto-Journal (sous le pseudonyme de Jean Capel) et, plus tard, au Spectacle du Monde et à Valeurs actuelles (sous le pseudo de Jean Limousin). Politiquement, il réécrit à partir de 1958 dans Écrits de Paris et Rivarol.

Mais Rebatet est désormais éloigné du politique, et pense davantage au versant littéraire de son œuvre. Après ses Deux Étendards, il allonge durant l’été 1953 ce qui devait une nouvelle demandée par Paulhan pour La NRF. Et ce sera son roman musical, Les Épis mûrs. S’il n’est pas un roman majeur (contrairement aux Deux Étendards), l’histoire de ce jeune génie du piano, fauché comme un épi mûr (le titre est emprunté à un vers de Charles Péguy, lui aussi tué dans les premiers mois de la Grande Guerre), vaut par le conflit familial opposant ce jeune virtuose à son obtus boutiquier de père (Rebatet disait que c’était assez autobiographique), et l’intelligence de l’auteur pour la musique et son processus de création. Chose assez inouïe, Rebatet écrivait ce roman après huit années sans musique et sans avoir même de phono chez lui.

En 1954, Rebatet commence Margot l’enragée (titre inspiré de Brueghel l’Ancien), un roman sur la fin de la guerre et l’Europe sous les tapis de bombes, dans une ambiance crépusculaire, et un roman plus politique encore, La Lutte finale. Malheureusement, il ne finira aucun des deux car le quotidien journalistique, une traduction de L’Histoire de la musique espagnole de Walter Starkie et sa monumentale et propre Histoire de la musique (terminée en 1969) l’en détournent.

Le grand critique

Une des grandes passions de Rebatet fut, toute sa vie durant, la musique. N’oublions pas d’ailleurs que ce fut la critique musicale qui le lança en journalisme. En témoigne aujourd’hui sa remarquable Histoire de la musique (Laffont, 1969), sans cesse rééditée depuis, qui expose avec une rare clarté et de manière brillante les ors musicaux, des premières flûtes aurignaciennes aux orages wagnériens, de Guillaume de Machaut à Boulez (car Rebatet était totalement ouvert et sensible aux mutations les plus modernes de cet art, appréciant Stockhausen, Boulez, Xenakis). Un autre grand historien, Jacques Benoist-Méchin a témoigné de son talent de critique musical: « Dès avant la guerre, j’avais été frappé par la qualité des articles qu’il lui consacrait dans L’Action française sous le pseudonyme de François Vinneuil. Ses critiques ne me séduisirent pas seulement par l’étendue de leurs connaissances et la justesse de leurs jugements. J’y décelai une passion profonde et frémissante pour la musique à laquelle son esprit semblait accordé, ce qui lui permettait d’en pénétrer l’essence d’une façon directe et aisée. Pas de trace, chez lui, de ces extrapolations littéraires auxquelles recourent trop souvent les critiques musicaux. »

En matière artistique, Rebatet n’a pas d’œillères et apprécie des musiciens (Horowitz, Menuhin, Schoenberg), peintres (Chagall, Soutine) ou cinéastes juifs (Marx Brothers, Lubitsch, Lang, Preminger, Wilder, Sirk). Et Marcel Proust était probablement son écrivain préféré. En cinéma, sous le masque de son alter ego Vinneuil, Rebatet aura aussi révolutionné la critique de ce genre, comme le reconnait même le fondateur de la Cinémathèque Française, Henri Langlois, peu suspect de sympathie fasciste: « Je n’ai connu que deux critiques: François Vinneuil et François Truffaut. » Truffaut qui fut justement l’ami et l’émule de Rebatet dans les années 50 avant, bien plus tard, de l’assassiner de manière ingrate dans son film Le Dernier Métro (1981). Lucien Rebatet fut également l’ami de Jacques Becker (dont il fut le premier à saluer les débuts, en même temps que ceux des débutants Bresson ou Autant-Lara). Il était là aussi tout sauf académique puisqu’il appréciait davantage le cinéma américain et son « incomparable technique » (notamment chez Ford, Hawks, Garnett, Vidor ou… Walt Disney) que le cinéma français et européen.

Ses romans en témoignent, Les Deux Étendards en tête, Rebatet était aussi un fameux amateur d’art, et il avait projeté d’écrire là encore Une histoire de la peinture, lui qui avait, de son propre aveu, « quinze mille tableaux dans la tête ». Mais il n’en eut pas le temps, puisqu’il mourut le 24 août 1972, emporté par un infarctus, à seulement 69 ans[1].

Texte à l'appui

Lucien Rebatet : « Je me sens d’abord européen ».

Pour commémorer le 35e anniversaire de la disparition de Lucien Rebatet, Rivarol publia des extraits d'un entretien du polémiste et romancier, réalisé par Jacques Chancel, que nous reprenons ci-dessous.

Il y aura trente-cinq ans le 30 août, Lucien Rebatet était terrassé par une crise cardiaque dans sa maison de Moras-en-Valloire où il séjournait avec son épouse roumaine, Véronique, qui nous avertit aussitôt. Au chagrin de voir disparaître aussi brutalement un ami très proche, particulièrement accessible aux jeunes – dont je faisais alors partie –, se mêlait le sentiment d’une perte immense. « Loucien » comme disait Véronique, n’avait pas été seulement le plus grand polémiste du XXe siècle avec Les Décombres et l’un des plus grands écrivains contemporains comme en témoigne Les Deux étendards. Il était aussi un puits de culture, fasciné par les peintres autant que par les musiciens – que l’on relise sa monumentale Histoire de la musique… ou ses articles dans Ecrits de Paris dont il tint vingt ans durant la chronique musicale. Enfin, c’était l’un des piliers de Rivarol, où il signait chaque semaine un article éblouissant, souvent écrit dans notre imprimerie « gutenbergeoise » des Marais. Il écrivait en péripatéticien et « au gueuloir », ne s’arrêtant de marcher – lui que torturaient les rhumatismes articulaires hérités de la prison de Clairvaux – que pour écrire, debout de sa belle écriture généreuse et régulière, la phrase dont il venait de trouver la sonorité parfaite. Ce vrai professionnel, qui aurait pu se fier à sa seule facilité, ne commençait un « papier » que quand il estimait avoir réuni et absorbé toute la documentation nécessaire. Et nul n’était plus ponctuel que lui à remettre sa copie. Quel magnifique exemple de rigueur pour la journaliste stagiaire que j’étais ! Et à laquelle il ne ménageait pas conseils et parfois critiques. Mais avec tant de jovialité, d’amitié que les secondes sonnaient comme des encouragements. Rebatet ne croyait pas au Ciel. Où qu’il soit, qu’il sache qu’on ne l'a pas oublié ici-bas. Pour ce 35e anniversaire nous avons choisi de reproduire de larges extraits de sa « Radioscopie » par Jacques Chancel sur France Inter.

Camille-Marie Gallic.

Jacques Chancel : Lucien Rebatet, vous avez choisi Hitler, ce qui, pour les Français, était une trahison. Vous avez été condamné à mort, et peut-être vous êtes-vous renié. Vous avez été gracié et peut-être avez-vous été surpris. Ma première question va peut-être vous surprendre : avez-vous honte de tout ce qui s’est passé ?

Lucien Rebatet : Ah ! pas le moins du monde ! Si j’avais honte, je ne serais pas à ce micro. Je me suis battu pour la cause que je croyais bonne [...] A partir de 1934, j’ai vu les choses tourner très mal. A tort ou à raison, je n’en sais rien. Enfin, plus exactement, les événements de 1940 m’ont donné raison à bien des titres.

Appartenant à l’Action française, j’avais toujours été, non pas antigermain, mais hostile au pangermanisme. La preuve ? Je me suis abonné à L’Action française en 1927 pendant que je faisais mon service en Rhénanie. Là, j’étais en contact avec l’Allemagne et je voyais renaître le pangermanisme ; je voyais les affiches du père Hindenburg dans toutes les gares, dans toutes les rues, et je trouvais cela très dangereux.

J’étais à ce moment-là, partisan de casser la figure à Hitler.

J. .C. : Vous avez vite changé après !

L. R. : Ce n’est pas que j’ai changé… Non pas du tout. J’étais partisan de lui casser la figure. Mes amis de gauche, à ce moment-là d’ailleurs, se moquaient de moi ; ils me disaient : « Cela va être un phénomène extrêmement passager. Le peuple allemand le balaiera rapidement ». Moi, j’allais en Allemagne et je rapportais les images, dans mes reportages, d’un peuple qui était tout à fait, tout entier derrière son Führer. Alors, cela irritait déjà les gens. Raconter la réalité passait pour une sorte de nazisme.

J. .C. : Vous êtes l’auteur de deux livres très importants, le premier aux responsabilités illimitées : Les Décombres et Les Deux étendards… Parlons des Décombres. Vous vous voulez pamphlétaire, vous êtes souvent excessif, toujours horrible, parfois juste […] Vous rendez-vous compte que vous avez mis en marche une mécanique dangereuse… aux retombées dramatiques ?

L. R. : Je me rends très bien compte de l’importance que j’ai pu avoir. J’ai toujours protesté contre les écrivains… contre les opinions politiques qu’ils peuvent défendre dans leurs livres sans les engager, en quelque sorte. La thèse de libéralisme dans ces opinions me paraît absurde. J’ai été condamné à mort, j’ai trouvé que c’était normal.

J. .C. : Trouvez-vous normal d’avoir été gracié ?

L. R. : Oui, étant donné que les fabricants du mur de l’Atlantique avaient quatre ans de prison. Tout devenait anormal au niveau des journalistes… et des policiers qui, ayant travaillé avec les mandats des juges, repassaient devant ces mêmes juges qui les condamnaient à mort. Ce sont les deux catégories de Français qui ont payé le plus cher. Mais oublions les journalistes. Nous sommes dans certains cas des combattants. Il faut savoir payer le bonheur d’écrire ce que l’on pense… C’était normal. Pour les policiers ce fut ignoble… Ces gens-là n’avaient fait qu’obéir aux ordres.

J. .C. : J’ai relu Les Décombres, Lucien Rebatet. Votre mitraillette a couché bas une importante catégorie de Français. Je vais vous rappeler quelques-uns de vos phrases…

L. R. : Allez-y !

J. .C. : « L’espérance, pour moi, est fasciste… »

L. R. : Je ne peux pas dire que j’aie tellement changé à ce point de vue-là. Il va falloir que nous montions très haut dans les digressions… Allons-y. Je ne suis pas du tout, en principe, hostile à la démocratie, moi. Au fond, je suis républicain. Mais il y a une question de latitude, vous comprenez… Cela marche très bien en Suède, pays ascétique, protestant, puritain, enfin… puritain autrefois ! Mais en dessous d’une certaine latitude, cela ne marche plus… Un Américain m’a dit un jour cette chose qui m’a beaucoup frappé : « En France, vous n’avez jamais compris que la démocratie se mérite ! […] Il est évident que les gens qui sont les plus proches de nous… jusqu’à un certain point, s’appellent communistes. Pourquoi ? Parce que ce sont nos ennemis mortels."

J. .C. : Je ne suis pas communiste, mais j’ai des amis… disons des camarades dans le Parti…

L. R. : Moi je n’en ai pas.

J. .C. : Manque de libéralisme ?

L. R. : Il n’est pas question de libéralisme quand il s’agit de communistes. Avec eux, vous savez ce qu’est un délit d’opinion. Le délit d’opinion, c’est la « bave de la vipère lubrique »… Alors avec ces gens-là, on ne discute pas.

J. .C. : C’est votre affaire… Voici une autre phrase que vous avez écrite : « Les bras tendus à vous, mes camarades SS de toutes les nations… »

L. R. : Oui, là évidemment, c’est beaucoup plus difficile à expliquer. Il y a eu des SS qui se sont déshonorés. Les gardiens des camps, le S.D. surtout qui était un épouvantable appareil policier. Tout ce qui entourait Himmler n’était pas beau. Mais la Waffen SS a eu de bons soldats. Ils ont été peut-être très durs au combat, mais reconnaissez aujourd’hui, on les imite un peu partout !

J. .C. : Lucien Rebatet, comment peut-on être encore raciste, de nos jours ?

L. R. : Personnellement je ne suis pas raciste. Je trouve que toutes les races ont leurs qualités. Mais c’est le monde qui est raciste… On est là à dire : « Enfin, c’est invraisemblable qu’il y ait encore des racistes dans le monde… » Soyons sincères… Comment se comporte la moitié de l’univers ? Vous croyez que les Chinois ne sont pas racistes ? J’irai même jusqu’à dire que les Flamands, à l’heure actuelle, les Flamands, dans leur querelle avec les Wallons le sont également.

C’est évidemment idiot d’appeler cela du racisme, puisque nous sommes tous de la même race blanche. Mais si vous voulez, c’est la lutte entre le Nord et le Sud… Les Tyroliens du Tessin ne veulent absolument pas cohabiter avec les Napolitains. Comment appelez-vous cela ? Disons alors que c’est de la xénophobie pour ce qui concerne les frictions entre les races blanches… Mais ailleurs le racisme est intense. Vous ne croyez pas ?

J. .C. : Regrettez-vous toutes les phrases que vous avez pu prononcer ?

L. R. : Il y a des phrases que je ne récrirais certainement pas aujourd’hui, mais j’étais au combat… Quand on se bat – nous nous sommes battus –, on tire. Et si on tue l’adversaire, il est rare qu’on le regrette.

J. .C. : Vous êtes reconnaissant et fidèle, tenace et rancunier…

L. R. : Rancunier ? Non… non… mais j’aime que tout le monde fasse son mea culpa. La guerre est une chose abominable en soi ; nous avons tous notre part de responsabilité énorme dans ces horreurs… Aujourd’hui, je passe pour un pro-américain. Cela ne m’empêche pas de reconnaître bien des erreurs de l’Amérique. Pendant la guerre, on me prenait pour un horrible hitlérien… Parce que je protestais contre les épouvantables bombardements américains sur l’Allemagne, sur des villes sans défense comme Dresde…

J. .C. : Oui, mais vous avez vanté les « grandes qualités », le « côté épanoui d’Hitler » et vous l’avez dit à différentes reprises… Vous étiez vraiment l’homme de cet homme…

L. R. : Je ne dis pas que le personnage ne m’ait pas impressionné à partir d’un certain moment… Comprenez-moi : j’avais su sa réussite en Allemagne, sa réussite sur le plan intérieur… Si Hitler n’avait pas fait la gaffe monstrueuse, pangermanique et stupidement raciale, de considérer les Slaves comme un peuple inférieur, il aurait été reçu en libérateur. La Russie venait d’attraper dix années de stalinisme… Tout le monde sait très bien – des quantités de soldats allemands me l’ont dit – qu’en Ukraine par exemple, ils étaient accueillis en libérateurs. Hélas ! quarante-huit heures après, ce bon peuple était mis aux travaux forcés. Alors naturellement, c’était fichu.

J. .C. : Si vous n’aviez pas été amené au fascisme, si vous n’étiez pas devenu par la force des événements, le héraut de cette conduite à droite… vous auriez pu être le champion de la gauche. Simple question de vent dans les révolutions… Pourriez-vous être gauchiste aujourd’hui ?

L. R. : Je ne crois pas. Finalement, toutes les révolutions sont idiotes. Elles arrivent toujours au bout d’un certain temps à regrouper les profiteurs et à tuer les pauvres bougres qui ont fait le travail. Mes expériences me démontrent la faillite de toutes les révolutions, quelles qu’elles soient.

J. .C. : Lucien Rebatet, vous m’avez dit renier certaines phrases. J’ai compris que vous ne reniez pas du tout votre vie. Nous sommes en 1970… vous reste-t-il beaucoup d’amis ?

L. R. : Des amis… il m’en reste beaucoup, naturellement… Comme tous les gens qui ont été engagés dans un combat difficile. Et j’en ai d’un peu tous les bords. Les hommes avec lesquels je ne m’entends plus, ce sont les renégats…

J. .C. : Qu’appelez-vous « renégats » ?

L. R. : Claude Roy, par exemple… Il était notre chouchou. Il nous léchait les pieds – il faut bien employer les expressions réelles. Nous l’avons sauvé des camps des prisonniers allemands en 1940, nous l’avons fait passer en zone libre. Il a travaillé pendant trois ans à la radio de Vichy. A la Libération, on le retrouve communiste et le voilà qui refuse de signer pour la grâce de Brasillach… J’appelle cet homme-là un renégat.

J. .C. : On a le droit de changer d’idées !

L. R. : A ce point-là, non !

En revanche, il y a des résistants, tout à fait authentiques, des gens qui se sont battus, avec lesquels je suis très bien. Pour eux, j’ai beaucoup d’estime et ils me le rendent… Je crois.

J. .C. : Vous vous dispersez un peu !

L. R. : C’est vrai. Je suis un dilettante, en toutes choses. Aujourd’hui, nous sommes à l’ère des professeurs et des pédants. Moi je vais des Décombres à la musique…

J. .C. : Si vous aviez écrit vos Décombres en période gaulliste, quel en aurait été le thème principal ?

L. R. : J’aurais tracé le même tableau, qui me paraît très véridique, des prodromes de la guerre et de notre défaite de 1940. Bien entendu, j’aurais remplacé la dernière partie par une sévère description de l’imposture gaulliste, de ses méfaits (décolonisation ratée, abandon stupide et lâche de l’Algérie, chimère de l’Europe jusqu’à l’Oural, détérioration de la monnaie) camouflés sous la politique dite de grandeur.

J. .C. : Vous n’êtes pas athée, mais vous êtes mécréant, cela vous l’avez dit. Et pourtant, Dieu existe…

L. R. : J’ignore totalement s’il existe un être suprême. Je suis agnostique. C’est l’humilité qui convient, me semble-t-il, à notre nature humaine, et qui entraîne bien entendu un refus de toutes les religions, avec leurs systèmes et leurs dogmes présomptueux. Dans mon ignorance métaphysique, ce dont je suis sûr, c’est de l’inanité de ces systèmes et de ces dogmes qui, s’il existe un au-delà, sont l’obstacle millénaire à notre connaissance de cet au-delà.

J. .C. : Comment voyez-vous demain ? Comment réagissez-vous par rapport à vos idées ?

L. R. : Pour ma part, je suis au-delà du nationalisme. Je me sens d’abord européen, comme je l’étais à vingt ans, avant ma crise maurrassienne. Je suis persuadé que c’est dans l’Europe fédérée que la France jouera son meilleur rôle et atteindra la vraie prospérité. Je regrette que le grand peuple russe, qui a tant donné à l’Europe durant le XIXe siècle, ne puisse actuellement prendre sa place dans cette fédération. S’il trouvait en lui-même la force de rejeter le système soviétique, ce serait le plus beau jour de ma vie.

Propos recueillis par Jacques Chancel en 1970 et publiés dans le recueil Radioscopie – édition Robert Laffont, 1970 – où figurent également des interviews de Henry de Montherlant, d’Arthur Rubinstein, du cardinal Daniélou, de Roger Garaudy, etc.

Citations

« Mais c'est tout de même une spécialité française que celle des légendes burlesques de la glorification des assassins et du dénigrement des actes honorables. » Dialogue de « vaincus »

« Que sont les Evangiles ? Des récits rédigés avec un décalage d’une quarantaine d’années par des personnages obscurs dont le souci de propagande est évident. Et tout l’édifice de la chrétienté repose sur ces témoignages-là. C’est extravagant… De toutes les questions religieuses, c’est sans doute cette affaire de textes que je connais sans doute le moins mal. C’est encore plus extravagant que tu ne l’imagines. Suppose l’histoire d’un rabbin miraculeux de la Russie subcarpathique mort entre 1900 et 1910, et cette histoire rédigée par des savetiers polacks de la rue des Rosiers, en franco-yiddish, d’après les récits qu’on psalmodiait dans leur patelin le soir du Shabbat. Suppose que cette rédaction est traduite dans une autre langue, mettons l’anglais, par des Juifs qui savent l’anglais approximativement. Suppose que ces Juifs ont sur le rabbin des idées personnelles qui les conduisent à donner partout des coups de pouce, à corriger, à raturer les paroles du saint. Suppose enfin que ces textes sont copiés par des scribes particulièrement distraits : voilà le Nouveau Testament !»

« Est-ce que tu ne trouves pas dégoûtante cette notion d’un Dieu qui joue à cache-cache avec les humains, qui combine ses miracles pour qu’ils n’aient pas trop l’air de miracles, et qu’il puisse encore nous foutre à la chaudière ? »

« La dégénérescence des religions chrétiennes expliquait la maladie du monde, s’épuisant par d’ineptes tueries, privés du contrepoids divin et tombant dans la barbarie du bolchevisme, de la machine, de l’argent. L’Eglise seule serait capable de sauver ce monde hagard, une Eglise militante, dressée sur une doctrine restaurée, étincelant de toutes les armes spirituelles et temporelles. Elle ranimerait la règle morte, elle ramènerait à elle les grands mâles corps et de pensée, au lieu de battre le rappel des fausses couches, des rétrécis, des cuistres, des trembleurs et des cornichons insexués. Ce ne serait plus la gérante cauteleuse et décrépite d’un gigantesque patrimoine, mais une bâtisseuse robuste et fière. Elle ne se paierait plus de faux-semblants burlesques, comme son apostolat chez les Négritos. Elle se fixerait cette tâche obligatoire, mais devenue démesurée pour ses membres et sa tête débile : la réconciliation, le rassemblement de la chrétienté blanche. »

« J’ai aperçu les individus de sa secte : la démocratie est leur raison d’être, ils y collent comme la sangsue, ils en promènent sur eux les relents nauséabonds. Il suffit d’ailleurs de dire catholique pour dire : démocratie. Qui a trempé dans la fange du fraternalisme évangélique et n’a pas éprouvé le besoin de s’en laver à grands sceaux dès l’âge de raison, celui-là se fait citoyen de l’universelle démocrassouille : entendons par là, le gigantesque parti des intestins, des boy-scouts, de Lourdes, de Wilson-les-couilles gelées, des séminaristes à béret, des quakeresses du Kansas. La démocratie, c’est la barbarie au sens romain du mot. »

« D’essence fondamentalement juive, le christianisme est le dernier réceptacle des droits de l’homme et du citoyen. Le carburant du dogme, les distinctions du bien et du mal, les principes de charité et de justice se sont profondément identifiés avec les articles de la loi égalitaire. »

« Ce contre-raciste [le pape], préférait donner des gages aux athées des droits de l’homme et au Sanhédrin en promouvant des évêques nègres et jaunes. Le vœu le plus ardent de ce rabbin d’honneur eut été certainement de cardinaliser cinq ou six Juifs. »

Œuvres

Publications de son vivant

  • Une contribution à l'histoire des Ballets russes, Paris, [éd. non indiqué], 1930 (Brochure extraite de L'Action française du 26 déc. 1930).
  • Le Bolchévisme contre la civilisation, Paris, Nouvelles études françaises, [1940] ; 1941.
  • sous le pseudonyme de François Vinneuil, Les Tribus du cinéma et du théâtre, Paris, Nouvelles éditions françaises, 1941.
  • Les Décombres, Denoël, 1942 ; L'Homme libre, 2006.
  • Les Deux Étendards, roman, 2 vol., Paris, Gallimard, 1951 ; 1971 ; 1977 ; 1991.
  • Les Épis mûrs, roman, Paris, Gallimard, 1954.
  • « Préface » à Pierre-Antoine Cousteau, Mines de rien ou les Grandes mystifications du demi-siècle, illustrations de Ralph Soupault, Paris, Éditions Éthéel, 1955 ; Coulommiers, Déterna, 2004.
  • Marcel Aymé. L'« Épuration » et le délit d'opinion, suivi d'un article nécrologique de Pierre-Jean Vaillard, Liège, Éditions Dynamo, « Bimborions », 1968 ; 1969.
  • À Jean Paulhan, Liège, Éditions Dynamo, « Bimborions », 1968.
  • Une Histoire de la musique, Paris, Robert Laffont et Raymond Bourgine, 1969 ; 1979 ; 1995 ; 1998.

Publications posthumes

  • Les Mémoires d'un fasciste, 2 vol. (1. Les Décombres, 1938-1940 ; 2. 1941-1947), préface de Jean-Jacques Pauvert, Paris, Pauvert, 1976.
  • 11 novembre 1918, armistice, avant-propos de Robert Poulet, Liège, Éditions Nationales, 1982.
  • « Lettre à Jean-André au sujet de l'"affaire Céline" », Van Bagaden, Céliniana, n°18, 1989 (Texte initialement paru le 1er septembre 1957 dans Dimanche-Matin).
  • Lettres de prison adressées à Roland Cailleux (1945-1952), édition établie, présentée et annotée par Remi Perrin, Paris, Le Dilettante, 1993.
  • avec Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue de vaincus, prison de Clairvaux, janvier-décembre 1950, texte inédit présenté et annoté par Robert Belot, Paris, Berg international, « Histoire des idées », 1999.
  • « Préface » (posthume, éd.) à Pierre-Antoine Cousteau, En ce temps-là, édition établie par Arina et Marc Laudelout, Coulommiers, Déterna, 2004.
  • Journal d'un fasciste, Editions de l'Homme libre, 2006, 5 vol.:
vol. I Les Décombres - 1938-1940,
vol. II : Les Décombres - 1941-1947,
vol. III : Mémoires d'un Fasciste III - 1952-1958, 384 p.
vol. IV : Mémoires d'un Fasciste IV - 1959-1962, 416 p.
vol. V : Mémoires d'un Fasciste V - 1963-1972, 528 p.

Bibliographie

  • Robert Belot, « Les lecteurs des Décombres : un témoignage inédit du sentiment fasciste sous l'Occupation », Revue des guerres mondiales et des conflits contemporains, n°163, juillet 1991.
  • Id., Lucien Rebatet. Un itinéraire fasciste, éd. du Seuil, coll. « XXe siècle », 1994 (ouvrage issu d'une thèse de doctorat de troisième cyle en histoire)
  • Pol Vandromme, Rebatet, Paris, Éditions universitaires, 1968.
  • Pascal Ifri, Le Dossier d'un chef-d'œuvre maudit : « Les Deux étendards », Genève, L'âge d'homme, 2001
  • Pascal Ifri, Rebatet, col. « Qui suis-je ? », Pardès, Puiseaux, 2004, 128 p.

Lien externe

  • Site de l'association littéraire des Etudes rebatiennes : [1].

Notes et références

  1. Pierre Gillieth, « Lucien Rebatet - La massue et la lyre », in: Réfléchir et agir, HS no 1, 2014, p. 20-26.