Ungern

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Illustration d'après une photo du baron Ungern prise en 1920, dans un uniforme improvisé, joignant à une tunique mongole un insigne militaire russe
Le baron Roman Fedorovitch von Ungern-Sternberg (en allemand Robert Friederich Nickolaus von Ungern-Sternberg, en cyrillique Роман Фёдорович Унгерн фон Штернберг), (22 janvier 1886, Graz en Autriche - 15 septembre 1921, Novossibirsk), appelé aussi Roman Ungern von Sternberg et surnommé le « Baron fou » ou le « Baron sanglant », combattit dans les armées blanches durant la guerre civile russe, avant de combattre pour son propre compte dans le but de créer un empire à l'est du lac Baïkal.

Parcours

Il est élevé en Estonie par son beau-père Oscar von Hoyningen-Huene. Diplômé de l'École militaire Pavlovsk, à Saint-Pétersbourg, il est envoyé dans une unité militaire en Sibérie, où il s'enthousiasme pour le mode de vie de peuples nomades comme les Mongols et les Bouriates. Pendant la Première Guerre mondiale, il combat en Galicie et acquiert une réputation de bravoure, mais aussi d'insouciance et d'instabilité. Dans ses Mémoires, le général Vrangel dit avoir hésité à le promouvoir au grade supérieur. Au moment des événements de 1917, il est général de l'armée tsariste.

Il est envoyé en Sibérie en février 1917 auprès de Grigory Mikhaïlovitch Semenov pour y établir une présence loyaliste. Après la révolution que déclenchent les Bolcheviks en octobre, Semenov et Ungern entrent en guerre contre eux. Lui et Semenov, même s'ils combattent les Bolcheviks, n'appartiennent pas aux armées blanches et refusent l'autorité de l'amiral Koltchak, commandant suprême des armées blanches. Ils obtiennent en revanche le soutien du Japon, qui envisage de créer un État fantoche dans l'Extrême-Orient russe, sous l'autorité de Semenov. Pour les chefs des armées blanches, qui croient en une Russie indivisible, c'est là un crime de haute trahison. L'armée d'Ungern von Sternberg est composée de troupes russes, de Cosaques et de Bouriates. En raison de la présence de Koltchak en Sibérie centrale, Semenov et Ungern combattent dans des régions plus à l'est, comme en Transbaïkalie.

En 1920, Ungern se sépare de Semenov et devient chef de guerre indépendant. Il considère la monarchie comme la seule forme de gouvernement susceptible de sauver la civilisation occidentale de la corruption et de l'auto-destruction. Il envisage de restaurer la dynastie Qing sur le trône de Chine, puis d'unir les nations d'Extrême-Orient sous une direction chinoise. Hostile au judaïsme, il proclame dans un manifeste, en 1918, son intention d'« exterminer tous les Juifs et les Commissaires politiques de Russie » et de remettre sur le trône de Russie le grand-duc Mikhaïl, frère cadet de Nicolas II.

En octobre 1920, reculant devant l'avancée des troupes bolcheviques, il passe en Mongolie autonome, avec une force composée de « gardes blancs » russes et allogènes (Tatars, Bachkirs, Bouriates et Mongols). S’étant emparé de la capitale Ourga (actuellement Oulan-Bator), il impose de février à juillet 1921, à la portion de la Mongolie qui lui est soumise, un régime de terreur qui lui a valu le surnom de « Baron sanglant ». Cela lui aliène rapidement la sympathie des Mongols, qui avaient d’abord cru découvrir en lui le sauveur destiné à les libérer des Chinois. Il est expulsé par une offensive conjointe de l’Armée rouge et de l’Armée populaire mongole et exécuté en septembre 1921 à Novonikolaevsk (actuellement Novossibirsk). Les dernières forces russes « blanches » en Mongolie sont décimées en décembre de la même année.

Selon le XIIIe Dalaï-Lama, Ungern von Sternberg était la réincarnation d'un Mahakala (divinité du bouddhisme).

En 2012, le Mouvement de la jeunesse eurasiste a décrété la date du 29 décembre comme journée de commémoration.

Citations

  • « La bourgeoisie n’est capable que de parasiter l’État et c’est elle qui a conduit le pays à ce qui lui arrive aujourd’hui. Le tsar doit s’appuyer sur l’aristocratie et la paysannerie. »

• « Mes jours sont comptés. Je ne peux pas mourir en général chinois. Mais tel que je suis : Junker balte, général russe et prince mongol. C'est déjà beaucoup pour un seul homme. Je ne suis pas un aventurier ou un mercenaire. Je suis l'homme d'un rêve. On ne change pas de rêve pas plus qu'on ne change de peau. »

• « Je crois que l'Europe n'interviendra plus. Elle contiendra tant bien que mal l'Armée Rouge aux frontières polonaises. Elle refuse de voir qu'une autre guerre a commencé en 1917. Si cela va trop mal sur le vieux continent, les patrons briseront les grèves et les généraux prendront le pouvoir. Mais ce sera pour recommencer les erreurs des bourgeois et des officiers de la Russie impériale. La Réaction ne peut à elle seule triompher de la Révolution. Il faut opposer à cette force une autre force, à cette idée une autre idée, à ce rêve un autre rêve. Tout se trouve en Asie. L'Europe devient sénile, incapable de vivre une grande aventure. Elle a eu sa chance au XVIIIe siècle et l'a perdue avec Napoléon. Elle est vouée à la balkanisation confortable. Le XIXe siècle a été celui de l'Amérique. Le XXe sera celui de l'Asie. Tout peut se jouer ici. L'Asie est jeune, violente, pure. Il faut créer deux bastions de résistance entre la subversion russe et le chaos chinois : la Mongolie et la Mandchourie. Deux peuples ressuscités prouveront à l'Internationale qu'il existe encore des patries. Ici doivent régner l'ordre, c'est-à-dire la différence et la hiérarchie. Puis nous rallierons les Bouriates et les Kirghiz, nous pousserons vers le Turkestan, le Tibet, la Corée, le Cachemire... Je vais sonner le grand réveil des peuples qui se joindront à nous pour rester libres, pour devenir eux-mêmes, pour conserver leur héritage et leur foi. Face à l'Internationale de Moscou, je veux fonder l'Internationale d'Ourga. » (9 avril 1921)

• « Mon nom est entouré de tant de haine et de terreur que nul ne peut distinguer le vrai du faux, l'histoire de la légende. »

• « La famille des Ungern von Sternberg est ancienne : elle est issue d'un mélange d'Allemands et de Hongrois, des Huns du temps d'Attila. Mes ancêtres guerriers prirent part à toutes les guerres européennes. On les vit aux croisades : un Ungern fut tué sous les murs de Jérusalem, où il combattait dans les troupes de Richard Cœur de Lion. La tragique croisade des enfants, elle-même, fut marquée par la mort de Raoul Ungern, à l'âge de onze ans. Quand au douzième siècle les plus hardis guerriers du pays furent envoyés sur les frontières orientales de l'empire germanique pour combattre les Slaves, mon ancêtre Arthur était avec eux : c'était le baron Halsa Ungern von Sternberg. Ces chevaliers des marches frontières formèrent l'ordre teutonique des Chevaliers moines qui, par le fer et par le feu, imposèrent le christianisme parmi les populations païennes : Lithuaniens, Esthoniens, Livoniens et Slaves. Depuis lors, l'ordre des Chevaliers teutoniques a toujours compté parmi ses membres des représentants de notre famille. Quand l'ordre teutonique disparut à Grunwald, sous les coups des troupes polonaises et lithuaniennes, deux barons Ungern von Sternberg furent tués dans la bataille. Notre famille alliait à l'esprit guerrier une tendance au mysticisme et à l'ascétisme. Au cours du seizième et du dix-septième siècles, plusieurs barons Ungern von Sternberg eurent leurs châteaux en Livonie et en Esthonie. Maintes légendes rapportent leurs exploits : Heinrich Ungern von Sternberg, qu'on appelait « la Hache » - était chevalier errant. Les tournois de France, d'Angleterre, d'Espagne et d'Italie connaissaient sa renommée et sa lance, qui remplissaient de terreur le cœur de ses adversaires. Il tomba à Cadix sous l'épée d'un chevalier qui lui fendit le crâne. Le baron Raoul Ungern von Sternberg était un chevalier-brigand qui opérait entre Riga et Reval. Le baron Pierre Ungern von Sternberg avait son château dans l'île de Dago, en pleine mer Baltique où il tenait à sa merci les marchands de son époque, grâce à ses exploits de corsaire. Au commencement du dix-huitième siècle, un fameux baron, Wilhelm Ungern von Sternberg, fut connu sous le nom de « frère de Satan » à cause de ses talents d'alchimiste. Mon propre grand-père devint corsaire dans l'océan Indien, imposant son tribut aux vaisseaux anglais marchands et échappant toujours à leurs navires de guerre. Finalement capturé, il fut livré au consul russe qui le fit condamner à la déportation en Transbaïkalie. Je suis, moi aussi, officier de marine, mais la guerre russo-japonaise m'a forcé à abandonner ma profession pour rejoindre les cosaques du Zabaïkal. Toute ma vie, je l'ai consacrée à la guerre, ou à l'étude du bouddhisme. Mon grand-père nous avait rapporté le bouddhisme des Indes : mon père et moi en sommes devenus des adeptes. En Transbaïkalie, j'ai essayé de former un ordre militaire bouddhiste pour organiser la lutte implacable contre la dépravation révolutionnaire. »

• « Dans les livres bouddhiques comme dans les vieux livres chrétiens, on lit de graves prophéties relatives à l'époque où devra commencer la guerre entre les bons et les mauvais esprits. Alors surviendra la malédiction inconnue qui, s'abattant sur le monde et balayant la civilisation, étouffera toute moralité et détruira les peuples. Son arme est la révolution. Dans toute révolution, l'intelligence créatrice qui se fonde sur l'expérience du passé est remplacée par la force jeune et brutale du destructeur. Celui-ci donnera la prééminence aux passions viles et aux bas instincts. L’homme s'éloignera du divin et du spirituel. La grande guerre a prouvé que l'humanité doit s'élever vers un idéal toujours plus haut, mais elle a marqué l'accomplissement de l'antique malédiction que pressentirent le Christ, l'apôtre saint Jean, Bouddha, les premiers martyrs chrétiens, Dante, Léonard de Vinci, Goethe, Dostoïevski… La malédiction a fait reculer le progrès, nous a barré la route vers le divin. La révolution est une maladie contagieuse; l'Europe, en traitant avec Moscou, s'est trompée elle-même comme elle a trompé les autres parties du monde. Le Grand Esprit a mis au seuil de notre vie le Karma, qui ne connaît ni la colère ni le pardon. Il règle nos comptes. Ce qui nous attend, c'est la famine, la destruction, la mort de la civilisation, de la gloire, de l'honneur, la mort des nations, la mort des peuples. Je vois déjà cette horreur, cette sombre et folle destruction de l'humanité ! »

  • « Je lutte contre le Mal absolu. Pour moi, il n’y a pas de choix : ou le triomphe des masses, ou celui de l’individu. Peu m’importent les doctrines. Le bolchevisme, c’est ce que d’autres en Europe nomment l’américanisme. Les commissaires et les marchands sont de la même race. Ils surgissent des ghettos d’Europe centrale pour partir à la conquête du monde. Par l’or ou par le sang. Les Protocoles des sages de Sion avaient depuis longtemps prévu tout cela. Même si ce document est un faux, fabriqué par la police tsariste, tout ce passe pourtant comme s’il existait quelque part un plan juif. L’ennemi, c’est Trotski. Avant Lénine. »
  • « Contre la révolution rouge qui veut transformer toute l’humanité en une masse indifférenciée — ce vieux rêve chrétien — nous rendrons à chacun sa personnalité. Jamais un Bouriate ne sera un Kalmouk, ni un Blanc un Jaune. Et pourtant ils peuvent se battre côte à côte, justement pour faire régner dans le monde la différence nécessaire entre les peuples et entre les hommes. C’est cela le sens de mon combat : la revanche de l’individu. Je hais l’égalité. C’est le mensonge des prophètes. Pas un peuple ne ressemble à un autre peuple. Pas un homme à un autre homme. J’aime les étrangers justement parce que ce sont des étrangers. »

Jugements appréciatifs

Division asiatique de cavalerie

• « À l’est de la Transbaïkalie et en Extrême-Orient, le baron était une figure légendaire. Par son caractère, ses manières et ses actes, cet homme ne rentrait dans aucun des cadres de la vie moderne. Il possédait de nombreuses qualités: une audace hors norme, de la droiture et un désintérêt complet pour les choses matérielles. Il était prêt à vivre et vécut comme le plus simple cosaque de sa division. Plus d’une fois, il fit montre d’attentions touchantes envers ses hommes. Mais, parfois, il était pris de démence, comme en proie à une cruauté impitoyable digne des hommes du Moyen-Âge. Il fait preuve d’une superstition extrême, là encore rappelant le Moyen-Âge. »

Témoignage de Dmitri Petrovic Persin (1861-1936)

• « Ungern-Sternberg était un fanatique, un mystique et un rêveur d'un type très rare en nos temps modernes, de plus soldat chevaleresque, un gentleman unafraid, dont l'image personnelle peut à peine être tachée par son régime sanglant. Dans l'imagination populaire, Ungern-Sternberg a laissé une très forte impression. En de nombreuses soirées passées chez des paysans de la Sibérie orientale, j'ai entendu des contes qui commençaient ainsi : "kak my na barona pochli…" (quand nous partions en campagne contre le baron…) et qui décrivaient quelques épisodes de la légende attachée à son nom. À Nowo-Nikolajewsk, je rencontrai plus tard un docteur qui avait été le témoin du procès et de l'exécution du baron et qui me décrivit l'impression que son attitude intrépide et sa personnalité fascinante avaient faite sur les juges rouges. Même dans les motifs de la condamnation, ils ne purent s'empêcher de prononcer quelques mots d'estime personnelle ressentie pour cet adversaire singulier. À l'exception de ses méthodes sanguinaires et l'impression qu'elles laissèrent en Asie centrale, lesquelles ont presque produit un grand bouleversement, on peut le considérer comme la réincarnation du plus grand idéaliste de la littérature mondiale, le noble chevalier Don Quichotte de la Manche. Mais ainsi il n'en fut qu'une figure purement de parodie. Néanmoins, il écrivit un des chapitres des plus effectifs et relativement des plus glorieux de la contre-révolution russe, qui dans l'ensemble est une histoire plutôt lamentable. »

Ruetger Essen (voyageur suédois), De la mer Baltique à l'océan Pacifique, Stockholm, 1924

• « Le baron Ungern était un homme extraordinaire, une nature très compliquée, aussi bien au point de vue psychologique qu'au point de vue politique. Pour donner d'une façon simple ses traits caractéristiques, on pourrait les formuler ainsi :

1° il était un adversaire acharné du bolchevisme, dans lequel il voyait un ennemi de l'humanité entière et de ses valeurs spirituelles ;

2° il méprisait les Russes, qui à ses yeux avaient trahi l'Entente, ayant rompu pendant la guerre leur serment de fidélité envers le tsar, puis envers deux gouvernements révolutionnaires, et ayant accepté ensuite le gouvernement bolchéviste ;

3° il ne tendait guère la main à aucun Russe et il fréquentait seulement les étrangers (et aussi les Polonais, qu'il estimait à cause de leur lutte contre la Russie) ; parmi les Russes, il préférait les gens simples aux intellectuels, comme étant moins démoralisés ;

4° c'était un mystique et un Bouddhiste ; il nourrissait la pensée de fonder un ordre de vengeance contre la guerre ;

5° il envisageait la fondation d'un grand empire asiatique pour la lutte contre la culture matérialiste de l’Europe et contre la Russie soviétique ;

6° il était en contact avec le Dalaï-lama, le « Bouddha vivant » et les représentants de l'Islam en Asie, et il avait le titre de prêtre et de Khan mongol ;

7° il était brutal et impitoyable comme seul un ascète et un sectaire peut l'être ; son manque de sensibilité dépassait tout ce qu'on peut imaginer, et semblerait ne pouvoir se rencontrer que chez un être incorporel, à l'âme froide comme la glace, ne connaissant ni la douleur, ni la pitié, ni la joie, ni la tristesse ;

8° il avait une intelligence supérieure et des connaissances étendues ; il n'y avait aucun sujet sur lequel il ne pût donner un avis judicieux ; d'un coup d'œil, il jugeait la valeur d'un homme qu'il rencontrait... Au début de juin 1918, un Lama prédit au baron Ungern qu'il serait blessé à la fin de ce même mois, et qu'il trouverait sa fin après que son armée serait entrée en Mongolie et que sa gloire se serait étendue sur le monde entier. Effectivement, à l'aube du 28 juin, les bolchévistes attaquèrent la station de Dauria... et le baron fut blessé d'une balle au côté gauche, au-dessus du cœur. En ce qui concerne sa mort également, la prédiction s'est réalisée : il mourut au moment où la gloire de sa victoire emplissait le monde entier ».

Major Antoni Alexandrowitz, officier-instructeur de l'artillerie mongole

Bibliographie

Ungern, le dieu de la guerre de Jean Mabire, illustré par Jacques Terpant, préface de Christopher Gérard, postface de Franck Buleux, Lohengrin, Lausanne, 2020.
  • Jean Mabire, Ungern, le baron fou, André Balland, 1964 [1]
  • Ferdynand Ossendowski, Bêtes, Hommes et Dieux, À travers la Mongolie interdite, 1920-1921, Phébus, 2000
  • Léonid Youzépovitch, Le Baron Ungern, Khan des steppes, Syrtes, 2001
  • Erik Sablé, Ungern, Pardès, coll. Qui suis-je, 2006
  • Dmitri Perchine, « Le baron Ungern, Ourga et Altan-Boulag : mémoires d’un témoin sur le temps des troubles en Mongolie-Extérieure (1919-1921) », in bulletin Anda n°45-46, 2002 et n°47-50, 2003

Bandes-dessinées :

  • Hugo Pratt, Corto Maltese en Sibérie, Casterman, 1979
  • Crisse, Ungern Kahn, Vents d'ouest, 1988

Liens externes

Ressources audiovisuelles

Texte à l'appui

Extraits du procès d'Ungern

Furent questionnés par téléphone les membres suivants du Bureau Politique : les camarades Lénine, Trotsky, Kamenev, Zinovev, Molotov, Staline (...)

Rapport : le 29 août (...) au sujet de la présentation devant un tribunal d'Ungern (télégramme du pdt du comité sibérien Smirnov, proposition du camarade Lénine).

Statué : la proposition suivante est acceptée : « Accorder la plus extrême attention à cette affaire, confirmer la solidité des accusations, et dans le cas où les preuves seraient établies, ce dont on ne peut douter, organiser un procès public, l'instruire le plus vite possible, et le fusiller. »

(...)

Interrogatoire de Roman F. Ungern du 7 septembre 1921 [ville de Novonikolaevske (Novossibirsk ndlr)] sont présents : les camarades Tchoutskaev, Davidof, Afanassiev, Mouline, Bejanov, Belejev et Pavlounovsky.

(...)

Afanassiev : - Vous voulez dire que l'attaque de la Russie s'imposa d'elle-même ?

Bejanov : - Lors de l'attaque de Troiskossavsk, vos détachements et ceux de Rézoukhine agissaient-ils séparément ?

Ungern : - Non, mais j'avais de très mauvais chevaux et je suis parti au sud. Les plans étaient synchronisés mais les actions furent retardées.

Bejanov : - Et quand vous avez attaqué Troitskossavk, saviez-vous que des troupes de Rézoukhine s'en allaient ?

Ungern : - Non, je n'avais pas de renseignements. Je n'allais pas sur Troitskossavsk mais sur Kiarta.

Davidof : - Comment expliquez-vous que le contact fut perdu ?

Ungern : - En raison des distances immenses, les émissaires ne peuvent arriver à temps.

Bejanov : - Vous voulez dire que vous n'utilisiez que des courriers à cheval ?

Ungern : - Oui.

Bejanov : - Après l'attaque de Troitskossavsk vous étiez au courant que les Rouges se dirigeaient vers Ourga. Comment le saviez-vous ?

Ungern : - Quand on est contrarié, on agit.

(...)

Afanassiev : - Sur quoi se fondait une telle certitude ? Quand vous occupiez Ourga cela ne vous inquiétait pas, mais ensuite vous dites nous allons attaquer au plus vite ? Vous trouvez que nos troupes sont peu combattives mais affirmez que quand quelqu'un est contrarié il passe à l'action... D'où la question : Pourquoi abandonnez-vous Ourga malgré sa forte valeur symbolique ?

Ungern : - Certes, mais je ne me sentais pas ferme sur mes positions. De plus, Ourga avait perdu de son prestige politique. Si nous avions eu de grands succès en Russie soviétique, alors le pouvoir dans la ville se serait consolidé de lui-même. Mais là, je sentais qu'ils (les Mongols ndlr) allaient passer dans l'autre camp.

Bejanov : - Qu'est-ce à dire dans l'autre camp ?

Ungern : - Dans le camp soviétique.

Davidof : - Et comment expliquer cette perte d'autorité à Ourga ?

Ungern : - Les gens veulent manger, avant tout.

( ...)

Bejanov : - Quand vous êtes concentré dans la région de Baroun-Dzassaka et apprenez qu'Ourga est tombée, vous ne songez pas à y retourner ?

Ungern : - Non, je savais par avance qu'ils allaient passer à l'ennemi. C'était beaucoup plus avantageux pour eux...Tous les plans étaient par terre.

(...)

Davidof : - Disposiez-vous d'une radio ?

Ungern : - Oui.

Davidof : - Elle émettait ou c'était seulement un récepteur ?

Ungern : - Les deux.

(...)

Davidof : - Vous avez essayé d'émettre ?

Ungern : - J'aurais aimé, mais je ne l'ai pas fait.

Davidof : - Pourquoi ?

Ungern : - Parce que les conséquences sont désastreuses...Pas spécialement désastreuses en fait, mais nombreuses, tout le monde se met à commander.

Davidof : - Pourquoi n'avez-vous pas tenté de communiquer avec Tchita, ou Irkoutsk ?

Ungern : - Si je l'avais fait, les Mongols se seraient mis à discuter avec les Chinois, alors je l'ai cachée.

Davidof : - A qui appartenait-elle ?

Ungern : - La question ne se posait pas. Je la gardais.

(...)

Afanassiev : - Vous aviez dans vos rangs des Russes, des Mongols, des Bouriates. Qu'est-ce qui les faisait tenir tous ensemble ?

Ungern : - La discipline.

Afanassiev : - Vous avez déclaré qu'étaient représentées environ 16 "nationalités"; parmi eux des groupes aux caractéristiques très différentes dont seulement un petit noyau de Russes qui peut-être étaient motivés par une idée , mais qu'est-ce qui stimulait les autres ?

Ungern : - Leur psychologie n'est pas du tout la même que celle des blancs. Ils placent très haut la loyauté, la guerre est une histoire d'honneur et ils aiment le combat. Seulement de nos jours, ces 30 dernières années, on a imaginé pouvoir se battre au nom d'une idée. Obéir, c'est tout, et sans discussion.

Belejev : - On a l'impression que vous disposiez d'un encadrement. Pour les mesures punitives il y avait Sipailo. Rézoukhin était là aussi, et après il y a une masse où l'on se débauche, et encore les Mongols, et ces Japonais à la peau sombre... Y avait-il un noyau de personnes réunies par leur passé, ou bien par le fait qu'ils ne pouvaient plus sans risques se rendre sur le territoire soviétique ?

Ungern : - Les choses se passaient ainsi : je ne les différenciais pas de cette manière. Un type se présentait, alors on l'engageait et il pouvait monter en grade, etc... Mais ceci ne fonctionne qu'avec les Russes ; de tous les peuples le russe est le plus anti-militariste, et on ne peut le forcer à se battre que dans des situations sans issue, quand il lui faut bouffer.

(...)

Belejev : - Selon vos intentions et conformément à votre idéologie, sans que celle-ci ait jamais été, peut-être, clairement formulée, il était nécessaire de conquérir toute la Mongolie et même, cela paraît évident, un territoire dans les limites de l'empire de Gengis Khan. Kaigorodov, Kazantsev se sont ralliés à vous ; avec Bakitcha cela ne s'est pas fait. Que vont-il faire à présent, sur quoi peuvent-ils compter ?

Ungern : - Le sort en décidera. Les ordres sont des bouts de papier.

Belejev : - Vous ne croyez pas que le tour pris par votre destin va influer sur le leur ?

Ungern : - Moralement, oui.

Mouline : - Quel regard portiez-vous sur l'Armée Rouge avant de la connaître ?

Ungern : - Je la voyais pire que cela.

Mouline : - Et d'après vous, quelles sont les raisons de l'échec de l'attaque de Troitskossavsk ?

Ungern : - D'abord, je ne voulais pas attaquer Troitskossavsk.

Belejev : - Quelles indications fournissent les soldats de l'Armée Rouge ?

Ungern : - Au début aucunes, mais une fois qu'ils sont au milieu des leurs, ils se laissent aller.

Belejev : - Quel regard portez-vous sur les partisans de Sémionov ?

(...)

Ungern : - Sémionov a entrepris quelque chose d'authentique et il avait très bien débuté, mais après, tout un groupe de bons-à-rien s'est infiltré, des espèces de lâches se sont mis à l'entourer et à lui brouiller l'esprit. Parmi eux impossible de trouver un type correct.

Le procès est fixé à 12 heures le 15 septembre (1921) dans le parc Sosnovka.

Longtemps avant l'ouverture on se presse dans le parc. Le théâtre où doit se dérouler le procès est rempli. Une majorité d'hommes. Avant tout des ouvriers et des gardes rouges. Beaucoup d'agitation.

(...)

Début du procès :

Le tribunal révolutionnaire entre, tous se lèvent. Le président Oparin déclare la séance ouverte. Entre l'accusé. Ungern porte une tunique mongole jaune avec des épaulettes d'officier. Il est de grande taille, avec une barbe rousse et de grandes moustaches de cosaque. Il semble fatigué mais se tient bien droit. Il répond aux questions avec sincérité, parle doucement et brièvement.

Interrogatoire d'Ungern :

Le président du tribunal pose les questions :

- A quel parti appartenez-vous ?

- A aucun.

- Quel était votre rang avant-guerre ?

- Adjudant-chef.

- Quel grade avez-vous obtenu de Sémionov ?

- Général.

- Citoyen Ungern, vous reconnaissez-vous coupable des chefs d'accusation ?

- Oui, à l'exception d'un seul : celui de collaboration avec les Japonais.

Le procureur général mène ensuite les débats :

Procureur : - Accusé, pourriez-vous nous en dire plus sur vos origines et sur la lignée des barons Ungern von Sternberg, allemands et baltes.

Ungern : - Je ne sais rien de tout cela.

Procureur : - N'y a-t-il pas eu dans votre famille des personnages célèbres, en Estonie et sur la Baltique ?

Ungern : - En Estonie il y en eut.

Procureur : - A quand faites-vous remonter votre généalogie ?

Ungern : - A 1000 ans.

Procureur : - Comment vos aïeux se sont-ils illustrés au service de la Russie ?

Ungern : - 72 morts au combat !

Procureur : - Quand avez-vous servi chez Wrangel ?

Ungern : - Dans le premier régiment de Nertchinsk.

Procureur : - Savez-vous que dans certains documents il est écrit que vous souffrez du vice d'alcoolisme ? Avez-vous été condamné pour ivrognerie ?

Ungern : - Non.

Procureur : - Et pour quelles raisons vous a-t-on alors condamné ?

Ungern : - J'avais rossé l'adjudant-chef.

Procureur : - Pour quels motifs ?

Ungern : - Il ne s'était pas occupé du logement.

Procureur : - Vous avez souvent battu les gens ?

Ungern : - Rarement, mais cela est arrivé.

Procureur : - Pourquoi l'avez-vous battu, pas seulement à cause du logement ?

Ungern : - Je ne sais plus, il faisait nuit.

Nous apprenons ensuite qu'Ungern fut envoyé en 1917 à Vladivostok, puis à nouveau se rendit sur le front avec un régiment du Caucase, et qu'en octobre 1917 il se trouve à nouveau dans la région de Transbaïkalie où Sémionov organise à ce moment ses détachements de Bouriates.

(...)

Au moment de la formation du pouvoir soviétique Ungern se trouvait à Tchita, commençant dès le mois de décembre à mettre sur pied des régiments pour lutter contre le pouvoir révolutionnaire et en faveur de la monarchie.

Procureur :- Y a-t-il des points communs et des divergences entre votre démarche et celle de Sémionov ?

Ungern : - Oui. J'ai constitué une troupe pour défendre la monarchie, et Sémionov pour défendre l'Assemblée Constituante. J'étais persuadé que l'Assemblée Constituante amènerait la monarchie.

A la question du procureur : "Que vouliez-vous instituer, quel état ?", Ungern répond qu'il envisageait une dictature militaire.

Procureur : - Qu'entendez-vous par dictature militaire ? "

Ungern : - Un commandement unique, et ce type de commandement débouche sur la monarchie.

L'accusé affirme par la suite qu'il servait Sémionov, et celui-ci Koltchak. Il considérait Sémionov comme son "chef", son supérieur hiérarchique.

(...)

Procureur : - Avez-vous ordonné d'incendier des villages ?

Ungern : - Oui, les troupes agissaient selon mes ordres.

Procureur : - Quand vous vous dirigiez vers Menzou en détruisant villages et hameaux, étiez-vous au courant que l'on jetait les gens dans les roues, dans les puits, et que, de manière générale, ils subissaient des cruautés de caractère bestial ?

Ungern : - C'est faux.

(...)

Plus loin il apparaît qu'Ungern, selon ses dires, n'incendiait que les villages de bolchéviques. Il assure que ces villages étaient inhabités, vides.

Procureur : - Où étaient passés les villageois ?

Ungern : - Ils s'étaient enfuis.

Procureur :- Ne croyez-vous pas que votre seul nom suffisait à les remplir d'effroi, et qu'ainsi ils s'enfuyaient à votre approche ?

Ungern : - C'est vraisemblable.

Procureur : - Quand Ourga fut prise, y eut-il des meurtres, des pillages ?

Ungern : - Oui. Au début les soldats affrontaient les soldats, mais après les Mongols s'en prirent aux Chinois.

Procureur : - Avez-vous donné l'ordre d'arrêter toutes les perquisitions, sauf celles concernant les juifs ?

Ungern : - Oui, j'ai déclaré tous les juifs hors-la-loi.

Procureur : - Qui a ordonné de fusiller les membres du Central-Soyouz ?

Ungern : - Moi.

Procureur : - Pourquoi ?

Ungern : - Ils servaient le pouvoir soviétique.

Ensuite viennent des témoignages sur les exécutions en Mongolie et en Russie (...) Ungern déclare avoir autorisé l'exécution du prêtre Parniakov car celui-ci était le représentant d'un comité quelconque. A la question du procureur : "De quel comité ?", Ungern ne sut répondre précisément.

Procureur : - Saviez-vous que Sipailo spoliait et torturait les habitants, les battait avec un bambou jusqu'à les écorcher ?

Ungern :- J'étais au courant.

Procureur : - N'étiez-vous pas au courant qu'il s'emparait des biens et de l'argent de ceux qui lui tombaient entre les mains ?

Ungern : - Non.

Procureur : - Vous deviez l'être, car il volait pour remplir les caisses, et il fallait subvenir aux besoins de la troupe.

Ungern : - Possible.

Procureur : - Quelles peines autorisiez-vous ?

Ungern : - Exécution par balles et pendaison.

Procureur : - Et le bâton ?

Ungern : - Avec la population non, avec les soldats oui.

Procureur : - Jusqu'à combien de coups, et sur quelles parties du corps : sur les jambes ou bien sur tout le corps ?

Ungern : - Sur tout le corps, jusqu'à 100 coups de bâton.

Procureur : - Immobilisiez-vous les gens sur la glace ?

Ungern : - Oui, quand nous étions en expédition.

Procureur : - Et la population aussi ?

Ungern : - Non, seulement les soldats, ceux mis aux arrêts.

Procureur : - Et avec les femmes ?

Ungern : - Non.

Le procureur propose de lire une déposition d'Ungern quand celui-ci se rappelle qu'une femme avait été assise sur le feu.

Procureur : - Vous l'avez attachée sur le couvercle chauffé au rouge ?

Ungern : - Oui.

Procureur : - Ces mesures étaient-elles comme des punitions ou bien des tortures ?

Ungern : - Des punitions.

(...)

Plus loin il apparaît qu'Ungern avait même établi un contact avec les Khounkhouz, leur proposant une action commune, selon ses mots, contre la Chine révolutionnaire. Il considère que la légende selon laquelle un "baron Ivan" viendrait libérer la Mongolie, le désigne.

(...)

Procureur : - Vous avez écrit que l'internationale communiste a pris naissance il y a 3000 ans à Babylone, croyez-vous à cela ?

Ungern : - Toute l'Histoire le prouve.

(...)

Procureur : - Ne trouvez-vous pas que votre "croisade" illustre de manière exemplaire le destin de toutes les aventures récentes menées au nom des mêmes idées, et n'estimez-vous pas que ce fut la dernière d'entre elles ?

Ungern : - Oui, la dernière. Je suppose que c'était la dernière.

L'interrogatoire du procureur s'achève ici. A la question du tribunal, "A-t-il donné l'ordre d'éliminer tous les Rouges ainsi que tous ceux soupçonnés de sympathie envers eux ?", Ungern répond par l'affirmative.

(...)

Paru dans "la Russie soviétique" (Novonikolaevsk), №200 (560), 17 septembre 1921. C.4.

La légende d'Ungern, le dernier général blanc

Vignette de la BD de Hugo Pratt
Wrangel (célèbre général de l'armée blanche, commandant en chef des armées du Sud), qui l'eut sous ses ordres durant la Guerre mondiale, a dit de lui : « Les hommes de sa trempe sont inappréciables en temps de guerre et impossibles en temps de paix ». Pour le baron Ungern, c'est toujours la guerre. Cadet du tsar, mercenaire en Mongolie, officier de cosaques en compagnie du futur ataman (chef des cosaques) Séménov en 1914, petit, malingre, il possède une santé de fer et une énergie farouche, mais son style n'est pas celui d'un officier traditionnel. « Débraillé, sale, dit Wrangel, il dort sur le plancher parmi les cosaques, mange à la gamelle. Des contrastes singuliers se rencontraient en lui : un esprit original, perspicace, et, en même temps, un manque étonnant de culture, un horizon borné à l'extrême, une timidité sauvage, une furie sans frein, une prodigalité sans bornes et un manque de besoins exceptionnel ».

Avec un tel tempérament, une belle carrière s'offrait à lui dans la première Armée rouge. Pourtant, quelque chose l'a retenu. Le hasard peut-être. À moins que ce ne soit son indépendance, rebelle à tout carcan. [...] De surcroît, contrairement à un Toukhatchevski (bien qu'étant issu d'une famille noble, ce militaire a adhéré au parti bolchévique), Ungern n'est pas en révolte contre sa caste. Il est crasseux et débraillé, mais il tient à son titre de baron. C'est d'ailleurs ainsi que ses hommes l'appellent « le baron ». Ce marginal est une bête de guerre, ennemi des conventions, mais fidèle à lui-même et à son passé. Son biographe, Jean Mabire, place dans sa bouche ces paroles qui résument son choix : « Le désespoir est aussi menteur que l'espérance. Il n'y qu'une chose qui compte : devenir ce que l'on est et faire ce que l'on doit ».

Cet homme porte au front le signe de la légende, Wrangel l'avait noté : « C'est un véritable héros de romans de Mayne-Reid ». Mais avant de devenir un héros de fictions et même de bandes dessinées, il avait inspiré plus d'une histoire folle que l'on colportait déjà sur lui, en Sibérie ou en Mandchourie, au temps de ses aventures.

« Il arrivait au baron Unger-Stenberg de faire boire ses officiers et d'abattre ceux qui, ne pouvant supporter la même dose d'alcool que lui, tombaient ivres », rapporte le Dr Georges Montandon, à l'époque sympathisant bolchévique et délégué de la Croix-Rouge française en Sibérie. Fable qui valut au médecin-mémorialiste une cinglante réplique d'un correspondant de guerre français, présent en Sibérie à la même époque :

« À moins que M. Montandon, par impossible, ne nous donne des preuves irréfutables de ce qu'il avance, je maintiens qu'il a enregistré ici, comme d'ailleurs si souvent dans son livre, une des ridicules inventions qu'on colportait en Sibérie. Quiconque a fréquenté les milieux des officiers gardes blanches en Sibérie en conviendra. Ceux-ci se conduisent souvent envers les civils avec un scandaleux manque de scrupules, mais leurs relations mutuelles étaient généralement empreintes de camaraderie et même d'honneur. Ce trait leur est d'ailleurs commun avec les pires bandes blanches de brigands. Quand, en décembre 1919, Séménov fit exécuter, pour la première fois, quelques officiers pour indiscipline, la surprise et la fureur furent générales. Plusieurs Séménovsty me dirent "que l’ataman devait prendre garde, et qu'on pourrait bien lui préférer un chef plus important et qui, en toutes circonstances, protégeait ses subordonnés". Ce fut von Ungern-Sternberg, officier d'ancien régime, brave, dur, mais équitable envers ses troupes. Et c'est de ce général, vivant parmi ses officiers, partageant avec eux les mœurs et habitudes héritées de l'ancien régime, que M. Montandon veut nous faire croire qu'il a pu impunément tuer des camarades pour la seule raison d'avoir succombé à l'ivresse, c'est-à-dire pour une faiblesse que tous ces officiers étaient habitués à considérer plutôt comme la conclusion naturelle d'une orgie, que comme une inconvenance ? »

Un tempérament frugal et aventureux

Roman Feodorovitch von Ungern-Sternberg est né, pense-t-on, à Reval, en Estonie, le 29 décembre 1885, dans l'une des quatre familles baltes que l'on appelait les « Quatre de la Main réunie », les Ungern, les Uxkull, les Tisenhausen et les Rosen. Le nom des Ungern remonte au moins au XIIIe siècle quand les chevaliers teutoniques viennent se fixer en Courlande. Un des généraux de la Grande Catherine était un Ungern-Sternberg. Beaucoup d'autres hommes de guerre ont illustré cette lignée.

Accepté au corps des Cadets de Saint-Pétersbourg en 1903, le jeune Roman veut s'engager quand éclate l'année suivante la guerre de Mandchourie (nom d'un vaste territoire au nord-est de l'Asie, dont la plus vaste extension couvre le nord-est de la Chine et l'est de la Russie sur l'océan Pacifique) au Japon. Le règlement des Cadets l'interdit, mais il se fait exclure et peut ainsi se joindre au 91e Régiment d'infanterie. Il découvre l'excitation d'une guerre qui n'est pourtant ni fraîche ni joyeuse. Il découvre aussi les sortilèges de l'Asie. Il ne cessera plus d'en rêver. Admis à l'École d'officiers d'infanterie Paul Ier, il en sort en 1909 avec son brevet en poche. Il s'ennuie en garnison, part en Sibérie avec un régiment de cosaques, se querelle après avoir bu avec un autre officier, ce qui lui vaut un coup de sabre sur la tête. Les mauvaises langues disent qu'il ne s'en est jamais tout à fait remis.

Voulant retourner en Russie, il se décide à faire le trajet Vladivostock-Kharbine à cheval. Il plaque son régiment, se met en selle, siffle son chien et part, un fusil de chasse pour tout bagage. Se nourrissant du produit de la chasse, couchant à la belle étoile, il met une année entière pour parvenir à Kharbine. Autant dire qu'il a pris le chemin des écoliers aventureux. Sur place, il apprend qu'une guerre a éclaté entre les Chinois et les Mongols. Il remonte à cheval, pénètre en Mongolie et offre ses services. « Et le voilà chef de toute la cavalerie mongole ». C'est du moins ce qu'assure Wrangel dans son portrait coloré du baron, ce qui semble fort douteux.

En 1913, Ungern est bien en Mongolie, mais pas en qualité de chef de la cavalerie. Il loue ses services à un ethnologue russe, Burdukov, qui parle de lui dans ses souvenirs : « Il avait le regard glacé d'un maniaque ». Peut-être, mais quel talent pour se retrouver dans les dangers de la steppe ! Partant d'Ourga (auj. Oulan-Bator), ils ont voyagé à cheval toute la nuit. Leur guide les égare. Ungern commence par le rosser à coups de fouet, puis il prend la tête de la colonne pour traverser le marais. Avec une adresse incroyable, il repère dans l'obscurité un passage permettant aux chevaux d'avancer. Ayant atteint l'autre rive, Ungern hume l'air à la manière d'un chien de chasse. Un peu plus tard, humant toujours, il parvient à un campement de nomades qui leur donnent l'hospitalité.

Vient la guerre mondiale. Il rejoint le régiment Nertchinsk des cosaques de l'Oussouri, que commandera Wrangel en 1916. Il y fait la connaissance de Séménov, un peu plus jeune que lui. Plusieurs fois blessé, décoré de la croix de Saint-Georges, il est, à la fin de 1914, capitaine en premier et commande un escadron.

En 1917, le régiment se trouve en Transbaïkalie (région montagneuse à l'est du lac Baïkal). Il y est surpris par la révolution d'Octobre. Séménov prend le maquis en Mandchourie avec une partie de ses cosaques. Ungern le suit comme chef d'état-major. La grande aventure commence. Raids sur Mandchouria d'où sont chassés les bolchéviks, coup de main sur Karinskaïa, création du « gouvernement provisoire de Transbaïkalie » à Tchita. Soutien discret mais très efficace des Japonais, nous avons déjà raconté cela.

Division de cavalerie asiatique et Grande Mongolie

Le 28 février 1919, Ungern participe à une conférence entre les atamans cosaques, les Japonais, des autonomistes bouriates et des nationalistes mongols. Dans les fumées de la vodka, l'idée est lancée de créer une Grande Mongolie, du lac Baïkal au Tibet. S'intéressant à cette idée qui pouvait permettre de contrer l'influence chinoise, les Japonais vont lui apporter leur soutien. Un illustre bouddha de Mongolie inférieure est mis à la tête de l'État en création et Ungern est nommé chef de la « Division de cavalerie asiatique ».

Le gouvernement de Pékin et celui de l'amiral Koltchak (chef suprême des armées blanches de novembre 1918 à sa mort en 1920, qui instaura un gouvernement militaire en Sibérie) sont hostiles à cette initiative et font pression sur le bogd (prince royal) d'Ourga qui finit par se récuser. En novembre 1919, un seigneur de la guerre chinois, le général Hsü, arrive à Ourga avec 10.000 hommes comme « pacificateur de la Mongolie ». Il abolit l'autonomie mongole et signifie aux indigènes qu'ils sont désormais soumis à l'autorité de Pékin. Ce coup de force déchaîne par réaction un grand mouvement de nationalisme mongol. Quelques jeunes gens dirigés par un certain Soukhé Bator, qui ont constitué une société secrète, prennent contact avec les bolchéviks qui les assurent de leur appui.

Entre-temps, la Sibérie blanche de l'amiral Koltchak s'est effondrée sous les coups de l'armée rouge et de ses propres contradictions. Ignominieusement abandonné par les Alliés (principalement les Français et les Britanniques), l'amiral est fusillé le 7 février 1920. Les rescapés de son armée se sont dispersés en Mandchourie. Certains rejoindront Vladivostok et l'Europe, d'autres resteront en Mandchourie et iront même en Chine. Quelques-uns se joindront aux bandes de Séménov.

Placée sous l'attention vigilante des Japonais, la Transbaïkalie échappe en partie à l'autorité de Moscou qui accepte en avril 1920 la création d'un « État-tampon », la République d'extrême-Orient. Les Japonais tentent de mettre Séménov à sa tête. Mais les partisans rouges qui forment des bandes puissantes passent à l'offensive. L’ataman est contraint de fuir Tchita vers la Mandchourie à l'automne 1920.

C'est à ce moment qu'Ungern, prévoyant que son camarade ne pourra tenir face aux Rouges, a pris le parti de s'enfoncer en direction de la Mongolie à la tête de ses troupes personnelles, cette « Division de cavalerie asiatique » initialement créée avec l'appui des Japonais. On lui impute d'avoir exterminé en cours de route la population de plusieurs villages réputés "rouges". Mais les confins de la Sibérie, à cette époque, ne sont pas à un massacre près. En mars 1920, par exemple, la garnison japonaise de Nikolaevsk, à l'embouchure de l'Amour, et une bonne partie des civils ont été massacrés par les partisans rouges. Il y eut 700 morts parmi les Japonais et plus de 6.000 hommes, femmes et enfants parmi les civils, abattus sur ordre de Triapitsyne, le chef des partisans.

« L'un de ses ordres prescrivait de tuer tous les enfants de plus de cinq ans, qui, autrement, pourraient garder des souvenirs et nourrir des idées de vengeance. Le chef d'état-major de Triapitsyne, qui était aussi sa maîtresse, Nina Lebedeva, une communiste de vingt-cinq ans, était censée veiller à ce que les partisans de Nikolaevsk agissent conformément à la politique soviétique ; caracolant sur son cheval, armée jusqu'aux dents et généralement habillée de cuir rouge, c'était un personnage de mélodrame. Quand une expédition punitive japonaise apparut sur les lieux, Triapitsyne rasa Nikolaevsk et se retira à l'intérieur du pays, où ses partisans, écœurés, bien qu'un peu tard, par ses cruautés, l'arrêtèrent. Lui, Nina et quelques-uns de ses acolytes les plus vils furent exécutés, après un jugement sommaire ».

Dès qu'ils apprennent qu'Ungern est entré en Mongolie, les bolchéviks accentuent leur soutien aux jeunes révolutionnaires mongols de Soukhé Bator (le « petit Staline ») qui reçoivent une instruction politique et militaire à Irkoutsk. Ils seront bientôt envoyés à la frontière mongole avec des armes et des conseillers soviétiques.

Ungern lui-même est accueilli en libérateur. De nombreux princes mongols voient en lui celui qui peut libérer le pays de l'occupation chinoise. L'un d'eux, Tsevenn, devient même le commandant en chef des troupes mongoles d'Ungern. Celui-ci semble être partout. On signale sa présence simultanément en plusieurs points éloignés du territoire.

À la fin du mois d'octobre 1920, il lance une première offensive sur Ourga pour en chasser les Chinois. Il dispose alors, semble-t-il, de 2.000 hommes de toutes origines, dont 800 cosaques. Les forces chinoises sont cinq fois plus nombreuses et l'attaque est repoussée. Mettant l'hiver à profit pour renforcer ses troupes, il s'empare aussi de la personne du bogd, par un coup d'audace, et l'emmène sous bonne escorte au monastère de la Montagne Sacrée.

La deuxième offensive d'Ungern, en janvier 1921, prend les Chinois par surprise. Après quelques jours de combat, Ourga est prise le 2 février dans une orgie de sang. Tout ceux qui sont soupçonnés de sympathies bolchéviques sont exécutés. Le baron rétablit le bogd sur son trône, et se fait accorder les pleins pouvoirs. D'autorité, il recrute les Russes antibolchéviques réfugiés à Ourga dans son armée. Un peu inquiet des débordements de son protecteur, le bogd finira par demander à Pékin d'être libéré du « baron fou ».

Mort du dernier général Blanc

De leur côté, les bolchéviks tentent d'obtenir une intervention chinoise contre Ungern. Un rapport du capitaine japonais Sassaki explique l'inquiétude des bolchéviks :

« Bien que les troupes d'Ungern soient insuffisantes pour renverser la République d'extrême-Orient, leur présence obligerait cette dernière à déployer constamment toute son armée le long de la frontière mongole. Par ailleurs, si un important mouvement antibolchévique venait à naître en Extrême-Orient, Ungern, avec ses troupes, pourrait créer la secousse initiale qui préluderait à l'écroulement de la République et à l'ébranlement des fondations de la Russie soviétique ».

C'est bien ce que craignent Lénine et les dirigeants bolchéviques qui décident d'intervenir en force. Au printemps 1921, les partisans de Soukhé Bator sont moins de 500. C'est suffisant pour s'emparer de Khiagt, une bourgade où ils fondent aussitôt un « gouvernement populaire provisoire de Mongolie ». Suivant un schéma déjà utilisé plusieurs fois en Ukraine et dans les Pays Baltes, ce « gouvernement » fait appel au grand frère soviétique qui expédie ses forces armées sous une apparence légale.

Le 21 mai, Ungern quitte Ourga à la tête de son armée. Son intention est de passer à l'offensive vers le nord en direction de la Transbaïkalie. Il escompte un soulèvement antibolchévique dans l'Oussouri. On signale en effet plusieurs guérillas antibolchéviques dans les provinces maritimes. L'armée réunie par Ungern compte semble-t-il 10.000 hommes. Se lancer à l'assaut de la Sibérie rouge avec une telle force relève pour le moins de la témérité.

Le 12 juin, Ungern attaque Troitskosavsk que défendent des troupes soviétiques beaucoup plus nombreuses. À la suite d'une journée indécise, le baron se replie en Mongolie, ayant essuyé de lourdes pertes. Les troupes soviétiques pénètrent en Mongolie pour lui faire la chasse. L'armée rouge d'Extrême-Orient compte 78.000 hommes. Les troupes d'intervention sont commandées par Rokossovski, un excellent chef militaire. Ungern disperse ses troupes en petits détachements et fait le vide devant l'envahisseur, ne cherchant pas à défendre Ourga qui est occupée par l'armée rouge le 11 juillet. Par un vaste mouvement tournant, il vient attaquer les arrières des Rouges. Le 24 juillet, il pénètre en territoire soviétique. Ayant subi un nouveau revers en août, il se retire vers le sud, échappant par miracle à l'encerclement, pendant que ses poursuivants s'entretuent...

Il reste insaisissable, toujours bouillonnant d'idées. Mais son escorte est fourbue. Ses hommes sont démoralisés. Une nuit, ses propres cosaques attaquent sa tente. Profitant de l'obscurité, il saute sur un cheval et parvient à fuir. Cette fois, il est seul, ce qui ne l'effraie pas. Il en a vu d'autres. D'ailleurs les Rouges ont perdu sa trace.

Un prince mongol, Sundui, qui lui est resté apparemment fidèle, le rejoint. Le baron est toujours sur ses gardes, la main sur le révolver. Un jour, profitant d'un instant de distraction, les hommes de Sundui le jettent à bas de son cheval et parviennent à le ligoter. Peu après, Sundui le livrera à Rokossovski.

Sous bonne garde, Ungern est conduit à Novonikolaïevsk (future Novossibirsk). Condamné d'avance. Au cours de la séance du Politburo du 27 août 1921, Lénine fit une proposition aussitôt acceptée : « Mener un procès public à une vitesse maximum et le fusiller aussitôt ». Il est fusillé le 17 septembre 1921. Ainsi disparaît le dernier général blanc, ce « baron fou » qui croyait à un axe entre l'Extrême-Orient et l'Extrême-Occident. Ce qui montre que, dans sa "folie", l'audacieux baron était en avance sur son temps.

Source : Les Blancs et les Rouges : histoire de la guerre civile russe, 1917-1921, Dominique Venner, Pygmalion, Collection rouge et blanche, Paris, 1997, p. 314-3 20.

Le baron von Ungern vénéré dans les temples mongols

Depuis peu, on ne cesse d’écrire sur une figure qui, malgré sa stature extraordinaire, était passée presque inaperçue dans le tumulte consécutif à la précédente guerre : celle du baron Ungern-Sternberg. Ossendovski avait été le premier à s’intéresser à lui, à grands renforts d’effets dramatiques, dans son célèbre et très controversé Bêtes, hommes et dieux. Il a été suivi par une vie « romancée » du baron von Ungern, publiée par Vladimir Pozner sous le titre de La Mort aux dents ; puis, par une seconde vie romancée, de B. Krauthoff : Ich befehle : Kampf und Tragödie des Barons Ungern-Sternberg.

Ces livres semblent toutefois donner une image inadéquate du baron von Ungern, dont la figure, la vie et l’activité sont susceptibles de laisser une grande latitude à la fantaisie en raison de leurs aspects complexes et énigmatiques. René Guénon, le célèbre écrivain traditionaliste, contribua à mieux faire connaître le baron en publiant des passages de lettres écrites en 1924 par le major Alexandrovitch, qui avait commandé l’artillerie mongole en 1918 et en 1919 sous les ordres directs de von Ungern ; et ces données, d’une authenticité incontestable, laissent à penser que les auteurs de ces vies romancées se sont souvent appuyés sur des informations inexactes, même en ce qui concerne la fin du baron.

Descendant d’une vieille famille balte, von Ungern peut être considéré comme le dernier adversaire acharné de la révolution bolchevique, qu’il combattit avec une haine implacable et inextinguible. Ses principaux faits d’armes se déroulèrent dans une atmosphère saturée de surnaturel et de magie, au cœur de l'Asie, sous le règne du dalaï-lama, le « Bouddha vivant ». Ses ennemis l’appelaient « le baron sanguinaire » ; ses disciples, le « petit père sévère » (c’est le tsar que l’on appelait « petit père »). Quant aux Mongols et aux Tibétains, ils le considéraient comme une manifestation de la force invincible du dieu de la guerre, de la même force surnaturelle que celle de laquelle, selon la légende, serait « né » Gengis Khan, le grand conquérant mongol. Ils ne croient pas à la mort de von Ungern - il semble que, dans divers temples, ils en conservent encore l’image, symbole de sa « présence ».

Lorsqu’éclata la révolution bolchevique, von Ungern, fonctionnaire russe, leva en Orient une petite armée, la « Division asiatique de cavalerie », qui fut la dernière à tenir tête aux troupes russes après la défaite de Wrangel et de Kolchak et accomplit des exploits presque légendaires. Avec ces troupes, von Ungern libéra la Mongolie, occupée alors par des troupes chinoises soutenues par Moscou ; après qu’il eut fait évader, par un coup de main extrêmement audacieux, le dalaï-lama, celui-ci le fit premier prince et régent de la Mongolie et lui donna le titre de prêtre. Von Ungern devait entrer en relation, non seulement avec le dalaï-lama, mais aussi avec des représentants asiatiques de l’islam et des personnalités de la Chine traditionnelle et du Japon. Il semble qu’il ait caressé l’idée de créer un grand empire asiatique fondé sur une idée transcendante et traditionnelle, pour lutter, non seulement contre le bolchevisme, mais aussi contre toute la civilisation matérialiste moderne, dont le bolchevisme, pour lui, était la conséquence extrême. Et tout laisse à penser que von Ungern, à cet égard, ne suivit pas une simple initiative individuelle, mais agit dans le sens voulu par quelqu’un qui était, pour ainsi dire, dans les coulisses.

Le mépris de von Ungern pour la mort dépassait toutes les limites et avait pour contrepartie une invulnérabilité légendaire. Chef, guerrier et stratège, le « baron sanguinaire » était doté en même temps d’une intelligence supérieure et d’une vaste culture et, de surcroît, d'une sorte de clairvoyance : par exemple, il avait la faculté de juger infailliblement tous ceux qu’il fixait du regard et de reconnaître en eux, au premier coup d’œil, l'espion, le traître ou l’homme le plus qualifié pour un poste donné ou une fonction donnée. Pour ce qui est de son caractère, voici ce qu’écrit son compagnon d'armes, Alexandrovitch : « Il était brutal et impitoyable comme seul un ascète peut l’être. Son insensibilité dépassait tout ce que l’on peut imaginer et semblait ne pouvoir se rencontrer que chez un être incorporel, à l'âme froide comme la glace, ne connaissant ni la douleur, ni la pitié, ni la joie, ni la tristesse. » Il nous paraît ridicule d’essayer, comme l’a fait Krauthoff, d’attribuer ces qualités au contrecoup occasionné par la mort tragique d’une femme qu’aurait aimée von Ungern. C’est toujours la même histoire : les biographes et les romanciers modernes n’ont point de cesse qu’ils n’aient introduit partout le thème obligatoire de l’amour et de la femme, même là où il est le moins justifié. Même si l’on tient compte du fait que von Ungern était bouddhiste par tradition familiale (c’était la religion à laquelle s’était converti un de ses ancêtres, qui était allé faire la guerre en Orient), tout laisse à penser que les qualités indiquées par Alexandrovitch se rapportent au contraire à une supériorité réelle et qu’elles sont celles qui apparaissent dans tous ceux qui sont en contact avec un plan vraiment transcendant, supra-humain, auquel ne peuvent plus s’appliquer les normes ordinaires, les notions communes du bien et du mal et les limitations de la sentimentalité, mais où règne la loi de l’action absolue et inexorable. Le baron von Ungern aurait probablement pu devenir un « homme du destin », si les circonstances lui avaient été favorables. Il n’en fut rien et c’est ainsi que son existence fut semblable à la lueur fugace et tragique d’un météore.

Après avoir libéré la Mongolie, von Ungern marche sur la Sibérie, prenant tout seul l’initiative de l’attaque contre les troupes du « Napoléon rouge », le général bolchevique Blücher. Il devient la terreur des bolcheviques, qu’il combat impitoyablement, jusqu’au bout, même s’il comprend que son combat est sans espoir. Il obtient d’importants succès, occupe plusieurs villes. Finalement, à Verchnevdiusk, attaqué par des forces bolcheviques plus de dix fois supérieures aux siennes et décidées à en finir avec leur dernier antagoniste, il est contraint de se replier après un long et âpre combat.

À partir de ce moment, on ne sait plus rien de précis sur le sort de von Ungern. D’après les deux auteurs de sa biographie « romancée », Pozner et Krauthoff, il aurait été trahi par une partie de son armée, serait tombé dans un état de prostration et de démoralisation et, fait prisonnier, il aurait été fusillé par les rouges. Krauthoff imagine même une entrevue dramatique entre le « Napoléon rouge » et von Ungern, au cours de laquelle celui-ci aurait refusé la proposition que celui-là lui aurait faite de lui laisser la vie sauve s’il servait la cause des rouges comme général soviétique. Il semble toutefois que tout cela ne soit que pure invention : d’après les informations publiées par Guénon et auxquelles nous avons fait allusion plus haut, von Ungern n’aurait nullement été fait prisonnier, mais serait mort de mort naturelle près de la frontière tibétaine.

Cependant, les diverses versions concordent singulièrement sur un détail, c’est-à-dire sur le fait que von Ungern aurait connu avec exactitude le jour de sa mort. D’ailleurs, un lama lui avait prédit qu’il aurait été blessé - au cours de l'attaque des troupes rouges à la station de Dauria. Et ce ne sont pas là les seuls éléments qui rendent suggestive l’étrange figure du « baron sanguinaire ». Voici un curieux témoignage sur les effets que, à certains moments, son regard produisait sur ceux qu’il fixait : « Il éprouva une sensation inconnue, inexplicable, de terreur : une sorte de son emplit sa poitrine, semblable à celui d’un cercle d’acier qui se resserre de plus en plus. » Le fait est que, pour ceux qui étaient proches de lui, son prestige et le caractère irrésistible de sa force de commandement revêtaient quelque chose de surnaturel et le distinguaient ainsi d’un simple chef militaire.

Encore un fait singulier : d’après ce que rapporte Guénon, des phénomènes énigmatiques, de nature « psychique », se sont produits ces derniers temps dans le château de von Ungern, comme si la force et la haine de celui qui fut considéré au Tibet comme une manifestation du « dieu de la guerre » brandie contre la subversion rouge avait survécu à sa mort, sous forme de résidus agités de cette figure tragique, qui a, sous plus d’un aspect, les traits d’un symbole.

Source : Julius Evola, I Testi de La Stampa; Padoue, Edizioni di Ar, 2004).

La chevauchée du baron "fou"

La Mongolie n’a pas oublié le baron von Ungern-Sternberg. Alors que, il y a quatre-vingt-dix ans, commençait son extraordinaire épopée, ce reître de légende y est toujours considéré comme un héros national.

Voici quatre-vingt-dix ans, en août 1920 précisément, Roman von Ungern-Sternberg, baron balte et colonel de l’armée Blanche, regroupa les troupes de « sa » division asiatique à proximité de la frontière mongole. Les Rouges avaient remporté bataille sur bataille au cours des mois précédents. Les survivants de l’armée de l’amiral Koltchak, ayant perdu leur chef, se repliaient en désordre sur Vladivostok. Le chef direct d’Ungern, l’ataman (chef politique et militaire cosaque) Grigori Semenov, avait fui à bord de son avion en Mandchourie, où il entendait se placer sous la protection des Japonais qui, depuis la chute de la maison impériale chinoise, dominaient de fait le nord-est de la Chine.

Tandis que les Blancs tentaient maladroitement d’éviter que l’inéluctable défaite ne tourne au désastre, Ungern se saisit de l’occasion pour réaliser le rêve qu’il entretenait depuis de longues années. La conquête de la Mongolie, qui venait d’être envahie par l’armée républicaine chinoise, allait lui fournir la base territoriale indispensable à la réalisation d’une « union des peuples d’Asie, chinois, mongol, tibétain, tatar, turkmène, bouriate, kirghize, kalmouk ». C’est ce qu’il confia à un visiteur, le Polonais Ferdinand Ossendowski, qui allait devenir son premier biographe.

Ungern était hanté par l’idée que la race blanche, sous l’influence des juifs notamment, avait perdu toutes ses qualités originelles, et convaincu que seuls les peuples nomades, qu’il entendait lancer à la conquête de l’immense continent eurasiatique, pourraient rendre à l’humanité ses vertus viriles et guerrières. Lui-même s’imaginait en commandant en chef d’une armée innombrable qui, telles les hordes de Gengis Khan, déferlerait jusqu’à Moscou pour y rétablir le régime tsariste après avoir fait remonter sur leur trône de la Cité interdite les empereurs Qing.

Au cours des années précédentes, ce projet gigantesque et invraisemblable n’avait cessé de l’occuper. Au sortir de l’école militaire, il avait été affecté à une division cosaque de Sibérie au sein de laquelle il avait commandé des soldats bouriates, une population nomade établie sur les bords du lac Baïkal. Durant la Première Guerre mondiale, il avait brièvement combattu en Galicie où il avait fait la connaissance de Semenov. Celui-ci, mettant en avant sa filiation bouriate, se prétendait descendant de Gengis Khan et envisageait de fonder un État qui engloberait la Mongolie et une partie de l’Extrême-Orient russe. Les deux hommes étaient faits pour s’entendre. Ils entretenaient des rêves sinon semblables du moins marqués par la prédominance de la race jaune et, s’ils étaient, l’un et l’autre, farouchement anticommunistes, ni le baron balte, ni le cosaque aux ascendances bouriates n’étaient des patriotes russes.

Dès qu’éclata la guerre civile, tous deux prirent le chemin de l’Extrême-Orient et établirent leurs postes de commandement le long du chemin de fer transsibérien à proximité de la frontière mongole, Semenov à Tchita, Ungern à Daouria, deux villes situées très en arrière du front.

Leur alliance ne fut pourtant qu’épisodique. A Tchita, Semenov prit ses quartiers au Select, le seul hôtel de luxe que comptait la ville. Sa maîtresse, une ancienne danseuse de cabaret de Saint-Pétersbourg, y donnait des fêtes somptueuses, tandis que l’ataman accumulait une fortune qu’il plaçait dans des banques de Mandchourie et de Nagasaki, sous la protection des Japonais. « A Daouria, l’ambiance était plus sérieuse et plus terrible, écrit Léonid Youzéfovitch, auteur de la biographie la plus détaillée du baron. Les punitions corporelles étaient la norme et l’on pouvait battre quelqu’un à mort pour manquement au règlement… »

C’est à Daouria qu’Ungern commença la formation de sa division asiatique, dont la troupe fut d’abord composée essentiellement de Bouriates et de Mongols commandés par des officiers russes et cosaques. Au gré des événements, il vint s’y adjoindre des soldats japonais et des Chinois qui, faits prisonniers, préféraient changer de camp plutôt que d’être exécutés par une petite unité spéciale chargée de ce genre de tâche. Un officier russe sadique et syphilitique, Sipaïlov, la commandait, assisté de bourreaux de plusieurs nationalités, dont des Chinois jamais à court d’inventivité pour les supplices les plus atroces.

A la différence de Semenov, Ungern était totalement indifférent au confort et à l’argent. Il couchait souvent à même le sol en compagnie de ses soldats mongols et bouriates, ne vivant que pour l’accomplissement de son grand projet.

Au mois d’août 1919, le baron balte, pour sceller son alliance avec les peuples d’Asie, épousa une princesse mandchoue issue de la famille impériale et se vit décerner le titre de « van » (prince) du second degré. Mais Ungern ne rêvait que de conquêtes et il abandonna assez rapidement sa femme en Mandchourie pour retourner auprès de ses troupes.

Quelques semaines après ce mariage, l’armée chinoise (républicaine), profitant de la guerre civile qui se déroulait au nord de la frontière, avait, en effet, envahi la Mongolie et mis un terme à l’indépendance du pays.

A la fin de l’été 1920, Ungern, sentant la pression des unités de l’armée Rouge sur ses arrières, n’avait d’autre choix que d’entrer en Mongolie pour reprendre le pays aux Chinois et rétablir sur le trône le « pontife éclairé » Bogdo Gegen, dieu vivant des bouddhistes mongols, l’équivalent dans cette « Lhassa du nord » du dalaï-lama tibétain. La défaite des Blancs servait son projet. A partir d’Ourga, la capitale mongole, aujourd’hui nommée Oulan-Bator, il pourrait enfin, tel un nouveau Gengis Khan, lancer les peuples nomades à la conquête du monde.

Ses forces ne comptaient guère plus que quelques centaines d’hommes et quatre canons, ce qui ne l’empêcha pas de livrer un assaut frontal aux milliers de militaires chinois qui occupaient la ville. Le 4 novembre 1920, après trois jours de combats acharnés au cours desquels il se battit furieusement en première ligne, provoquant l’admiration de ses soldats, il dut se résigner à donner l’ordre de repli. Sa division asiatique avait perdu la moitié de ses effectifs et ne comptait plus que trois cents hommes affamés et à court de munitions.

Pourtant, Ungern croyait à sa mission et disposait d’une énergie indomptable. Avec les rescapés de sa division, il se dirigea vers l’est du pays, où il obtint le soutien de princes mongols, et mena une guérilla impitoyable contre les Chinois avec une telle ardeur qu’il fut surnommé par ses alliés le « dieu de la guerre ». Une légende mongole voulait, en effet, qu’un invincible bator (héros guerrier mongol) blanc viendrait un jour restaurer le khanat mongol. Dès lors, il prit une dimension mythique aux yeux des princes mongols. La dureté et la cruauté avec lesquelles il traitait sa troupe le firent comparer à la réincarnation de Mahagala, la divinité guerrière qui, incapable d’atteindre le nirvana, combat perpétuellement contre ceux qui font obstacle à la propagation du bouddhisme.

C’est vers cette époque que le baron, qui était en relations épistolaires avec Lhassa, reçut le renfort d’une unité de sept cents combattants tibétains envoyée par le dalaï-lama. Le rêve de Roman von Ungern-Sternberg prenait corps.

En janvier 1921, ses douze cents hommes installèrent leur campement sur les hauteurs qui dominaient Ourga, laquelle était occupée et défendue par douze mille Chinois. Ungern ne donna pas immédiatement l’assaut, mais mena deux actions destinées à saper le moral de ses adversaires. Un jour, il descendit seul jusqu’à la résidence du commandant de la place, se permit de réprimander la sentinelle qui ne l’avait pas vu venir et repartit sans être inquiété, gagnant au passage sa réputation d’invulnérabilité. Quelque temps plus tard, le 31 janvier, ses hommes déguisés en lamas s’introduisirent dans le palais où le « Bouddha vivant » était retenu prisonnier par les troupes d’occupation, et l’emmenèrent avec eux jusqu’au camp du baron. Ce coup d’éclat affecta si profondément les Chinois que le lendemain, le général Guo Songli, commandant de la place, évacua Ourga avec une partie de son armée. Au cours des quarante-huit heures qui suivirent, Ungern enleva d’abord la position avancée de Maïmatchen, où il s’empara de quinze canons, puis la capitale elle-même que les derniers combattants chinois avaient préféré fuir.

Ourga fut mise à sac par la division asiatique. La majorité des juifs fut massacrée, les autres torturés ou emprisonnés. Beaucoup de commerçants chinois subirent le même sort. Bogdo Gegen, le chef spirituel et temporel, fut reconduit à son palais où il promut aussitôt les officiers russes à des titres nobiliaires. Ungern fut fait prince du premier degré avec le droit de porter un manteau de soie, des bottes jaunes et de se déplacer en palanquin vert. Dès lors, le baron n’apparut plus jamais que vêtu d’un manteau mongol auquel il avait ajouté des épaulettes de général russe et la croix de Saint-Georges.

Enfin, le 26 février, il organisa la cérémonie de couronnement de Bogdo Gegen avec un faste inouï qu’avait rendu possible l’argent rançonné aux commerçants juifs et chinois. Ce jour-là, selon l’expression de Youzéfovitch, il eut le sentiment que, sous son impulsion, « l’histoire s’était mise à tourner à rebours ».

Indifférent à l’évolution des opérations militaires en Russie, il entreprit de mettre sur pied une gigantesque machine de guerre qu’il avait l’intention de lancer à la conquête de l’Asie. Il fit tourner les ateliers de confection pour fabriquer des milliers d’uniformes, curieux mélange de costume mongol et de tenue militaire russe. Selon le voyageur russe Aliochine, « d’innombrables amulettes et talismans mongols pendant sur sa poitrine donnaient au baron l’allure d’une créature préhistorique ». Pour entretenir sa troupe, il réquisitionna des milliers de bêtes. Un début de famine toucha le pays. Du coup, les uns après les autres, les princes qui s’étaient joints à lui rejoignirent le gouvernement « rouge » qui se constituait à l’ouest du pays.

Au mois de mai 1921, sentant qu’à Ourga la population supportait de plus en plus mal les exactions auxquelles se livrait sa division asiatique, il décida, à l’appel de Semenov, de reprendre l’offensive vers le nord dans l’espoir de couper la voie ferrée du transsibérien.

Dans son ordre du jour numéro 15, il édictait que le but de la campagne était « d’exterminer tous les communistes et les juifs », ajoutant que « le temps était venu de la justice et de la cruauté les plus impitoyables » car « la prostitution absolue des corps et des âmes ne nous permettent pas de nous en tenir aux anciennes valeurs ».

Malgré quelques victoires dues à son audace et à sa connaissance du terrain, son armée fut dispersée et, au mois de juin, les Rouges entrèrent à Ourga.

Ungern ne trouva d’autre issue que de se diriger vers le sud, dans l’espoir d’atteindre le Tibet où il comptait que le dalaï-lama l’accueillerait et lui fournirait une base pour lancer l’opération de conquête de l’Asie, opération à laquelle, envers et contre tout, il n’avait pas renoncé.

Ce projet était fou car la traversée du désert du Gobi en plein été était suicidaire. Dans le courant du mois d’août, ses officiers montèrent un complot pour l’éliminer, mais la crainte qu’il leur inspirait était telle qu’ils commirent toutes sortes de maladresses et que le baron, évitant les balles, parvint à s’enfuir à cheval. Précédé d’une réputation renforcée d’invulnérabilité, il revint, à la nuit tombée, au campement que les Russes avaient abandonné.

Il retourna dormir sous sa tente comme si rien ne s’était passé. Mais, dans la nuit, ce furent les Mongols qui se décidèrent à passer à l’action. Ils parvinrent à le ligoter, mais ne purent se résoudre à tuer ce personnage à l’égard duquel ils entretenaient une véritable vénération. Au matin, avant de l’abandonner, ils allèrent se prosterner devant lui en le suppliant de leur pardonner.

Le « baron fou » fut découvert un peu plus tard par une petite unité Rouge dont les hommes éprouvèrent, dans un premier temps, quelques difficultés à croire en leur bonne fortune bien qu’il ait immédiatement, sans hésiter et avec fierté, décliné son identité.

Roman von Ungern-Sternberg fut emmené en Sibérie, où il comparut devant un tribunal révolutionnaire le 15 septembre 1921, et fut exécuté le jour même. A la nouvelle de sa mort, Bogdo Gegen, « le Bouddha vivant », bien qu’il fût tombé sous la coupe des soviets, fit dire des prières pour lui dans tout le pays.

Le régime communiste s’employa pendant des décennies à ne retenir de sa fantastique épopée que les massacres et les tortures dont ses sicaires se rendirent coupables, mais sa légende survécut en Mongolie. Léonid Youzéfovitch raconte que, jeune officier d’une armée Rouge qui campait à la frontière chinoise, il rencontra un berger qui lui affirma que le baron – qui portait une amulette au moment de son exécution – avait échappé aux balles et s’était réfugié en Amérique d’où il n’allait pas tarder à revenir. Personnellement, j’ai un jour entendu, il y a six ans, au cours d’un raid entre Bordeaux et Shanghai, des bergers chanter une mélopée où il était question d’un brave guerrier venu libérer les Mongols, qui avait été trahi, mais qui reviendrait un jour restaurer l’empire de Gengis Khan.

Aujourd’hui, à l’université d’Etat d’Oulan-Bator, le professeur Boldbaatar enseigne l’histoire de Roman von Ungern-Sternberg en notant les deux faces de son entreprise, la libération et les massacres. Baabar, dans son History of Mongolia, le livre qui fait autorité sur toute l’histoire du pays, lui consacre un chapitre entier. Un film est en préparation dans lequel, si les promoteurs franchissent tous les obstacles de la production, le baron sera présenté comme un héros national. Quant aux touristes qui visitent le Musée national d’Oulan- Bator, ils se demandent peut-être pourquoi une botte en cuir éculée y est exposée. Avec une photo jaunie, c’est la seule relique qui subsiste des aventures du « baron fou ».

Source : Dominique Bromberger, Le Spectacle du monde, juillet 2010.