Le Déclin de l'Occident

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Le Déclin de l'Occident est un ouvrage de philosophie de l'histoire d'Oswald Spengler, paru pour la première fois en 1922 en deux volumes.

Le livre est sous-titré « Esquisse d'une morphologie de l'histoire universelle ». Le premier volume est intitulé « Forme et réalité », le second « Perspectives de l'histoire universelle ».

Textes à l'appui


Réception du Déclin

Le Déclin de l'Occident est un livre dont on parle plus qu'on ne le lit. Il n'en a pas toujours été ainsi. Au cours des dix dernières années qui suivirent la Première Guerre mondiale, l'ouvrage principal de Spengler était lu et discuté par les intellectuels les plus éminents d'Allemagne, de Grande-Bretagne et d'Amérique. Aujourd'hui, une nouvelle génération de lecteurs découvre à son tour l'homme et l'œuvre qui captivèrent l'imagination de l'intelligentsia entre 1918 et 1928. (...)

Le Déclin de l'Occident n'est pas une œuvre de recherche historique ; c'est une philosophie spéculative de l’histoire. La cible principale des attaques de Spengler est la prétendue conception linéaire de l'histoire, interprétation qui, à son avis, donne une place privilégiée à la culture de l'Europe occidentale et de l'Amérique. Les partisans de cette conception soutiennent que l'histoire de l'humanité est l'histoire d'un progrès continu, aboutissant à l'élimination de la pauvreté et de la maladie grâce aux techniques scientifiques, et à la résolution de l’instabilité politique par la démocratie mondiale. C'est une conception de l'histoire qu'acceptent sans mot dire la plupart des Américains et nombre d'Européens. Mais, pour Spengler, cette conception est à la fois "provinciale" et erronée.

Il lui substitue donc une conception cyclique de l'histoire, dans laquelle les unités historiques individuelles sont des cultures séparées et distinctes, possédant chacune un cycle de vie spécifique, semblable aux cycles biologiques des organismes vivants, et dont aucune n'est sur aucun plan supérieure aux autres. Chaque culture connaît une période de naissance, de croissance, de maturité et de déclin, ou, si l'on préfère, un printemps, un été, un automne et un hiver. Parvenue à maturité, chaque culture a une "âme » ou caractère particulier, qui se manifeste aussi bien dans l'art, la littérature, la philosophie, la politique ou la science. Chaque culture apparaît indépendamment et se développe dans un isolement total par rapport aux autres cultures. Chaque culture, à sa naissance, se voit assigner une période de temps bien précise avant sa mort.

Toutes les cultures sont identiques du point de vue morphologique, exactement comme les organismes humains sont morphologiquement les mêmes ; à chaque phase, par exemple, de la culture classique grecque et romaine correspond une phase de la culture américaine et ouest-européenne. Et c'est parce que nous savons quelles sont les phases du développement de la culture classique grecque et romaine que nous pouvons aussi savoir où notre propre culture en est aujourd'hui, et que nous pouvons prévoir avec une certaine exactitude où elle en sera d'ici à une centaine d'années, voire à quel moment elle mourra. Spengler, pour sa part, pense que l'Occident se meurt déjà. Quoique certaines précisions devraient encore être apportées, voilà pour l'essentiel le thème de l'interprétation faite par Spengler de l'histoire du monde.

Spengler était complètement inconnu au moment où fut publié le premier volume du Déclin de l'Occident, c'est-à-dire en 1918. Pourtant, la 1ère édition fut presque épuisée du jour au lendemain. I1 y en eut une seconde, puis une troisième. Dans les dix années qui suivirent plus de 100.000 exemplaires furent vendus. L'ouvrage fut traduit en français, en espagnol, en italien, en russe, en arabe et en anglais. À elles seules, les ventes de la traduction anglaise atteignirent plus de 25.000 exemplaires dans la période qui précéda la Seconde Guerre mondiale, et l'on en est aujourd'hui à la 5ème édition. Ce succès remporté par un obscur professeur d'école supérieure allemande ne manque pas d'intriguer.

Il faut évidemment distinguer les réactions du grand public et celles des historiens et des philosophes de profession. Bien des lecteurs "ordinaires" furent attirés par le livre de Spengler pour des raisons psychologiques plus que pour des raisons logiques. Certains furent tout simplement heureux d’être au fait d'une découverte nouvelle et excitante. Certains furent favorablement impressionnés par l’atmosphère de mystère qui s'ajoutait à la difficulté de lire et de comprendre ce professeur de philosophie allemand qui semblait avoir résolu les énigmes de l'histoire du monde. D'autres voulaient savoir ce que l'avenir leur réservait. D'autres encore espéraient trouver l'explication du grand conflit qui venait de déchirer le monde occidental tout entier ; les Allemands, en particulier, voyaient dans l'ouvrage de Spengler une explication rationnelle de la défaite qu'ils avaient subie, et prenaient comme une consolation le fait que tous les peuples européens fussent ensemble sur le même bateau en perdition. Et puis il y avait le pessimisme de l'auteur. Certains étaient fascinés par ce qu'ils pensaient être le pessimisme général de sa conception de la vie. En fait, de tels thèmes ne sont pas ceux qui comptent le plus dans l'œuvre de Spengler, mais, à l'époque, le grand public en était rarement conscient.

Cet accueil enthousiaste contraste avec l'hostilité presque unanime manifestée par les universitaires. À propos de William James, on a dit que les psychologues le considéraient comme un bon philosophe tandis que les philosophes le prenaient pour un bon psychologue. Que ce soit exact ou non, il n'est pas exagéré de dire, en ce qui concerne Spengler, que la plupart des historiens et des philosophes le considéraient à la fois comme un mauvais historien et comme un mauvais philosophe. On lui reprocha d'avoir voulu chercher dans l'histoire de fausses analogies biologiques. On lui reprocha d'avoir énoncé des faits erronés à propos de presque toutes les cultures dont il avait traité. On lui reprocha de donner dans le spéculatif et l'irrationnel, c'est-à-dire de ne pas être un "scientifique". Il fut aussi attaqué pour son déterminisme historique, doctrine que rejetaient pratiquement tous les philosophes de son temps.

Spengler, bien entendu, était en mesure de réfuter ces objections et ne manqua pas de se défendre. Si les cultures se comportent comme des organismes, ce n'est certainement pas abuser de la comparaison que de les considérer effectivement comme tels ; c'est au contraire, tout simplement, décrire les cultures telles qu'elles sont. Quant à l'accusation que certaines de ses données étaient inexactes, Spengler la traita par le mépris. Quelle est l'œuvre historique ou philosophique qui n'a pas fait l'objet de telles critiques ? Se tromper sur tel ou tel détail n'invalide en rien, de toute façon, le genre d'interprétation générale de l'histoire présentée dans le livre. Spengler se rendit aussi volontiers à l'accusation qu'on lui faisait de n’être pas "scientifique". Il entendait faire sienne la raison spéculative et intuitive du métaphysicien, non la raison inductive et discursive de l'historien scientiste ou positiviste (ce que même un critique aussi attentif que R. G. Collingwood n'a pas réalisé). Enfin, en ce qui concerne le déterminisme, Spengler insista sur le fait que le cycle de vie de chaque culture était déterminé, mais que l'action de tel ou tel individu ne l'était pas.

Comme H. Stuart Hughes l'a fait remarquer dans un excellent petit ouvrage sur Spengler, l'année 1919 fut "l'année de Spengler". En l'espace de quelques années, l’intérêt manifesté par le grand public commença à décroître. Vers 1924, la controverse universitaire était pratiquement éteinte. Le déclin de Spengler fut aussi rapide que son ascension l'avait été. Il n'en publia pas moins plusieurs autres livres, mais aucun ne fut accueilli avec la même attention que Le déclin de l'Occident. Parmi les plus importants, il faut mentionner un recueil d'essais comprenant Prussianisme et socialisme (1919), La reconstruction de l'empire allemand (1924), L'homme et la technique (1931) et Années décisives (1933). Ce dernier essai fut le plus controversé des quatre et entraîna la censure officielle de Spengler par les nazis. Spengler publia encore une série de courts articles historiques dans un journal académique, Le monde en tant qu'histoire. L'édition allemande de ses pensées (Gedanken) fut publiée après sa mort, en 1941, par le Dr Hildegard Kornhardt, nièce et exécuteur testamentaire de Spengler. Elle comprend des extraits de la plupart des œuvres parues à ce jour, y compris Le déclin de l'Occident, et quelques citations extraites de textes inédits.

  • William Debbins (professeur au Cornell College, États-Unis), préface à l'édition américaine des pensées de Spengler (Aphorisms, GH Regnery Co., Chicago, 1967), tr. fr. A. de Benoist in Nouvelle Ecole n°33 (été 1979).


La notion de civilisation chez Spengler

La triple opposition culture-âme-vie/civilisation-intellect-raison rebondit chez Oswald Spengler (Le Déclin de l'Occident, 1918-1922). Celui-ci traite en effet de la culture aussi bien que des cultures. En outre, il pose, entre "culture" et "civilisation", un rapport non plus seulement conceptuel, mais de filiation (c'est-à-dire génétique) et même de finalité. Entre les grandes cultures historiques (il en distingue huit), Spengler constate, non de superficielles analogies, mais bien des "homologies" au sens biologique du terme. Il affirme : « Les cultures sont des organismes ; l'histoire universelle est leur biographie générale  ».

Une culture se définit comme l'ensemble des manifestations humaines à une série de moments donnés dans l'histoire (à cet égard, Spengler n'est pas très éloigné de la définition moderne du couple culture/nature). Cette conception est à la fois diachronique et synchronique. Diachronique : toute culture passe par les mêmes étapes, à la façon d'un organisme qui naît, grandit, atteint sa maturité, décline et meurt. Synchronique : on constate d'une culture à l'autre, et, au sein d'une même culture, entre ses différentes formes (artistiques, guerrières, scientifiques, étatiques, etc.), une « affinité profonde entre les figures politiques et artistiques, entre les intuitions religieuses et techniques, entre la mathématique, la musique et la plastique, entre les formes économiques et celles de la connaissance ».

« J'appelle contemporains, écrit Spengler, deux faits historiques qui, chacun dans sa culture, se manifestent exactement dans la même situation relative et qui ont par conséquent un sens exactement correspondant ». Et de signaler « la profonde interdépendance psychique entre les théories physico-chimiques les plus modernes et les représentations mythologiques ancestrales des Germains ; la concordance parfaite entre le style de la tragédie, la technique dynamique et la circulation monétaire de nos jours ; l'identité d'abord bizarre, puis évidente, entre la perspective de la peinture à l'huile, l'imprimerie, le système de crédit, les armes à feu, la musique contrapontique, et d'autre part, entre la statue nue, la polis, la monnaie grecque d'argent, en tant qu'expressions diverses d'un seul et même principe psychique... »

Dans une telle perspective, les civilisations ne sont que les formes ultimes, décadentes, des cultures ; elles n'en sont que le dernier moment, celui qui précède la fin. « La civilisation est le destin inéluctable de toute culture" écrit Spengler. M. Tazerout précise : « La culture a pour fin la civilisation et la civilisation ne possède pas d'autre finalité que la mort, qui était impliquée dans sa naissance puisque chaque civilisation tue sa culture comme le ver à soie ronge son cocon avant d'en sortir" (op. cit.). L'opposition entre les deux notions n'est donc pas seulement "spatiale" mais aussi "temporelle". L'évolution de l'humanité n'a pas de sens ni de but : c'est seulement au sein des cultures particulières que des buts peuvent être distingués et appréciés. Les périodes de plus haute culture (de véritable culture) sont celles de la naissance, de la croissance et de la maturité. À ce moment-là, la sève de l'invention et de l'innovation à l'intérieur de la tradition initiale se manifeste avec une irrésistible énergie.

Au contraire, le nom de "civilisation" doit être réservé à la période finale, au moment où, par déperdition de l'énergie d'origine, l'entropie commence à gagner l'organisme, où le progrès scientifique et technologique prend le pas sur les créations spirituelles, où ces créations elles-mêmes disparaissent peu à peu, où les arts et la littérature deviennent des passe-temps ou des excitants sociaux (panem et circenses), où les artistes se perdent en subtiles variations dans le déjà-vu sans jamais retrouver de nouvelles sources d'inspiration, où la mode sécrète les nostalgies les plus baroques, les fantaisies les plus exotiques, où se produisent les pseudomorphoses, c'est-à-dire les mélanges de culture, où seules les valeurs marchandes, quantifiables, sont partout reconnues, où l'argent symbole abstrait de l'interchangeable, comme le disait Simmel, domine toutes choses, où la morale de l'« efficacité » devient pur alibi, facilite toutes les trahisons (sans même, à terme, être efficace), où le souci de sécurité prime toute autre préoccupation, où les structures s’effondrent, où les autorités sont remises en cause, où le plus grand nombre aspire à l'homogénéité sociale et à la réduction des différences, où la société perd son caractère organique et sa « souplesse », tandis que disparaît tout ce que les ancêtres ont créé de vigoureux et de grand, que tout se matérialise et se pétrifie, et que, bientôt, tout éclate et se dissout.

Spengler oppose donc la notion organique de "culture" à l’abstraction de la "civilisation", la seconde étant comme la cristallisation (au sens de matérialisation) de la première. La culture est alors la manifestation originale/originelle, libre et spirituelle, d'une communauté historique de vie ; la civilisation, la manifestation d'ordre intellectuel et impersonnel qui aboutit au machinisme et à la mécanisation totale de la vie humaine. Entre les cultures, il y a à la fois discontinuité (principe spatial inter-culturel) et irréversibilité (principe temporel intra-culturel).

« Une culture, explique Spengler, naît au moment où une grande âme se réveille, se détache de l'état psychique primaire d'éternelle enfance humaine (...) Une culture meurt quand l'âme a réalisé la somme entière de ses possibilités sous la forme de peuples, de langues, de doctrines religieuses, d'arts, d'États, de sciences, et qu'elle retourne à l'état psychique primaire... Quand le but est atteint et l'idée achevée, que la quantité totale des possibilités intérieures s'est réalisée au-dehors, la culture se fige brusquement, elle meurt, son sang coule, ses forces se brisent : elle devient civilisation ».

Editions

  • Le Déclin de l'Occident , 2 tomes 1918-1922, traduction par Mohand Tazerout, NRF-Gallimard, Bibliothèque des idées, 1931-1933; rééd. 1948, rééd. 2000, 888 p.