Knut Hamsun

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Knut Hamsun, né Knud Pedersen, né le 4 août 1859 à Vågå et mort le 19 février 1952 à Nørholm, près de Grimstad, est un écrivain norvégien, lauréat du prix Nobel de littérature en 1920.

Portrait de Knut Hamsun, par Alfredo Andersen

Biographie

Hamsun nait à Lom-Gudbrandsdalen, dans le Sud de la Norvège, mais passe son enfance et son adolescence à Hammarøy dans la province du Nordland, au large des Iles Lofoten et au-delà du Cercle Polaire Arctique, une patrie qu’il n’a jamais reniée et qui sera la toile de fond de toute son imagination romanesque. C’est une vie rurale, dans un paysage formidable, impressionnant, unique, avec des falaises gigantesques, des fjords grandioses et des lumières boréales; ce sera aussi l’influence négative d’un oncle piétiste qui conduira bien vite le jeune Knut à vivre une vie de vagabond sympathique, d’itinérant qui expérimente la vie sous toutes ses formes.

Knut Pedersen (c’est le vrai nom de Knut Hamsun) est le fils d’un paysan, Per Pedersen, qui, à quarante ans, décide de quitter la ferme qui appartenait à sa famille depuis plusieurs générations, pour aller se fixer à Hammarøy et y devenir tailleur. Ce changement, cette sortie hors de la tradition familiale, hors d’un contexte plusieurs fois centenaire, provoque la disette et la précarité dans cette famille ébranlée et le jeune Knut, à neuf ans, se voit confié à cet oncle sévère, dont je viens de parler, un oncle dur, puritain, qui hait les jeux, même ceux des enfants, et frappe dru pour se faire obéir. C’est donc à Vestfjord, chez cet oncle puritain, prédicateur, amateur de théologie moralisante, que Knut Hamsun rencontrera son destin de vagabond.

Pour échapper à la rudesse et à la brutalité de ce prédicateur évangélique qui cogne pour le bien de Dieu, qui brise les rires, lesquels, sans doute, ont à ses yeux l’avant-goût du péché, le jeune Knut se replie sur lui-même et a recours à la forêt du Grand Nord, si chiche, mais entourée de paysages tellement féériques… La dialectique hamsunienne du moi et de la nature prend corps aux rares moments où l’oncle ne fait pas trimer le garçonnet pour récupérer la dépense de quelques œufs et d’une tranche de pain noir.

La première œuvre: Mystères

Cette vie, entre la Bible et les calottes, Knut l’endurera cinq ans; à quatorze ans en effet il plie bagage et retourne à Lom, dans son Sud natal, où il devient employé de commerce. La vie itinérante commence: Hamsun acquiert son « propre », celui d’être un « vagabond ». De quinze à dix-sept ans, il errera dans le Nord et y vendra aux autochtones toutes sortes de marchandises, comme Edevart, personnage de son célèbre roman Les Vagabonds. A dix-sept ans, il apprend le métier de cordonnier et écrit son premier ouvrage: Mystères. Il devient une célébrité locale et passe au grade d’employé, puis d’instituteur. Un riche marchand le prend sous sa protection et lui procure une somme d’argent afin qu’il puisse continuer à écrire. Ainsi naît en 1879, une deuxième œuvre, Frida, que refusent les éditeurs. L’espoir de devenir écrivain s’évanouit, malgré une tentative d’entrer en contact avec Björnson…

Commence alors une nouvelle période de vagabondage: Hamsun est terrassier, chanteur des rues, contremaître dans une carrière, etc…, et ses seules joies sont celles des bals du samedi soir. En 1882, à 23 ans, il part en Amérique où la vie sera aussi difficile qu’en Norvège et où Hamsun sera tour à tour porcher, employé de commerce, aide-maçon et marchand de bois. A Minneapolis, il vivra des jours meilleurs dans un foyer de prédicateurs « unitariens », des Norvégiens, immigrés, comme lui, en Amérique. Cette position lui permet de donner régulièrement des conférences sur divers thèmes littéraires: là son style s’affirme et cet homme jeune, de belle allure, énergique et costaud, transforme ses déboires et ses rancœurs en sarcasmes et en un humour féroce, haut en couleurs, où pointe ce génie, qui ne sera reconnu que quelques années plus tard.

La faim dans une mansarde de jiCopenhague

Après un bref retour en Norvège, il revient en Amérique et vit à Chicago où il est receveur de tramway. Ce deuxième séjour américain ne dure qu’une bonne année et, c’est définitivement désillusionné qu’il rentre en Scandinavie. Il s’installe à Copenhague, dans une triste mansarde, avec la faim qui lui tenaille le ventre. Cette faim, cette misère qui lui collait à la peau, va le rendre célèbre en un tournemain. Amaigri, à moitié clochardisé, il présente une esquisse de roman, écrit dans sa mansarde danoise, à Edvard Brandes, le frère de Georg Brandes, ami danois et juif de Nietzsche, grand pourfendeur du christianisme paulinien, présenté comme ancêtre du communisme niveleur. Georg Brandes fait paraître cette esquisse anonymement dans la revue Ny Jord (Terre Nouvelle) et le public s’enthousiasme, les journaux réclament des textes de cet auteur inconnu et si fascinant.

L’ère des vaches maigres est définitivement terminée pour Hamsun, âgé de 29 ans. La Faim décrit les expériences de l’auteur confronté avec la faim, les fantasmes qu’elle fait naître, les nervosités qu’elle suscite… Cet écrit d’introspection bouleverse les techniques littéraires en vogue. Il conjugue romantisme et réalisme. Et Hamsun écrit: « Ce qui m’intéresse, c’est l’infinie variété des mouvements de ma petite âme, l’étrangeté originale de ma vie mentale, le mystère des nerfs dans un corps affamé!…».

Quand La Faim paraît sous forme de livre en 1890, le public découvre une nouvelle jeunesse de l’écriture, un style tout aussi neuf, impulsif, capricieux, d’une finesse psychologique infinie, transmis par une écriture vive, agrémentée de tournures surprenantes où s’exprime l’humour sarcastique, vital, construit de paradoxes audacieux, qu’Hamsun avait déjà dévoilé dans ses premières conférences américaines.

Les originalités contre les routines

La Faim dévoile aussi un individualisme nouveau, juvénile et frais. Hamsun écrit que les livres doivent nous apprendre “les mondes secrets qui se font, hors du regard, dans les replis cachés de l’âme, … ces méandres de la pensées et du sentiment dans le bleu; ces allées et venues étranges et fugaces du cerveau et du cœur, les effets singuliers des nerfs, les morsures du sang, les prières de nos moelles, toute la vie inconsciente de l’âme”.

La fin du siècle doit laisser la place à l’individualité et à ses originalités, aux cas complexes qui ne correspondent pas aux sentiments et à l’âme de l’homme moderne. Cas complexes qui ne sont pas figés dans des habitudes pesantes, des routines bourgeoises mais vagabondent et voient, grâce à leur sécession complète, les choses dans leur nudité. Ce rapport direct aux choses, ce contournement des conventions et des institutions, permet l’audace et la liberté de s’accrocher à l’essentiel, aux grandes forces telluriques et interdit le recours aux petits plaisirs stéréotypés, au tourisme conventionnel. L’individu vagabondant entre son moi et la Terre omniprésente n’est pas l’individu-numéro, perdu dans une masse amorphe, privée de tous liens charnels avec les éléments. Dans La Faim, l’affamé se détache donc totalement de la communauté des hommes; son intériorité se replie sur elle-même comme celle de l’enfant Hamsun qui vagabondait dans la forêt, errait dans le cimetière ou se plantait au sommet d’une colline pour boire les beautés du paysage. L’affamé ne développe aucune rancœur ni revendication contre la communauté des hommes; il ne l’accuse pas. Il se borne à constater que le dialogue entre lui et cette communauté est devenu impossible et que seule l’introspection est enrichissante.

L'anthropologie de Hamsun

De ces impressions d’affamés, de l’impossibilité du dialogue individu/communauté, découle toute l’anthropologie que nous suggère Hamsun. Car il est sans doute inutile de passer en revue sa biographie, d’énumérer tous les livres qu’il a écrits, si l’on passe à côté de cette anthropologie implicite, présente partout dans son œuvre. Si on néglige d’en donner une esquisse, fût-elle furtive, on ne comprend rien à son message métapolitique ni à son engagement militant ultérieur aux côtés de Quisling.

La société urbaine, industrielle, mécanisée, pense et affirme Hamsun, a détruit l’homme total, l’homme entier, l’odalsbonde [1] de la tradition scandinave. Elle a détruit les liens qui unissent tout homme total aux éléments. Résultat: le paysan, arraché à sa glèbe et jeté dans les villes perd sa dimension cosmique, acquiert des manies stériles, ses nerfs ne sont plus en communion avec l’immanence cosmique et s’agitent stérilement. Si l’on parlait en langage heideggerien, on dirait que la déréliction urbaine, moderniste, culbute l’homme dans l'”inauthenticité”. Sur le plan social, la rupture des liens directs et immédiats, que l’homme resté entier entretient avec la nature, conduit à toutes sortes de comportements aberrants ou à l’errance, au vagabondage fébrile de l’affamé.

Isak, héros de L'Éveil de la glèbe

Les héros hamsuniens, Nagel de Mystères, surnommé l' « étranger de l’existence », et Glahn de Pan, sont des comètes, des étoiles arrachées à leur orbite. Glahn vit en communion avec la nature mais des lubies urbaines, incarnées dans l’image d’Edvarda, femme fatale, lui font perdre cette harmonie et le conduise au suicide, après un voyage aux Indes, quête aussi fébrile qu’inutile. Tous deux vivent le destin de ces vagabonds qui n’ont pas la force de retourner définitivement à la terre ou qui, par stupidité, quittent la forêt qui les avait accueillis, comme le fit Hamsun à l’époque de son bref rêve américain.

Le véritable modèle anthropologique de Hamsun, c’est Isak, le héros central de L’Eveil de la Glèbe: Isak demeure dans ses champs, pousse sa charrue, développe son exploitation, poursuit sa tâche, en dépit des élucubrations de son épouse, des sottises de son fils Eleseus qui végète en ville, se ruine, et disparaît en Amérique, de l’implantation temporaire d’une mine près de son domaine. Le monde des illusions modernes tourbillone autour d’Isak qui demeure imperturbable et gagne. Son imperméabilité naturelle, tellurique, à l’égard des manies modernes lui permet de léguer à son fils Sivert, le seul fils qui lui ressemble, une ferme bien gérée et porteuse d’avenir. Ni Isak ni Sivert ne sont “moraux” au sens puritain et religieux du terme. La nature qui leur donne force et épaisseur n’est pas une nature idéale, construite, à la mode de Rousseau, mais une âpre compagne; elle n’est pas un modèle éthique mais la source première vers laquelle retourne le vagabond que le modernisme a détaché de sa communauté et condamné à la faim dans les déserts urbains.

C’est donc dans le vagabondage, dans les expériences existentielles innombrables que le vagabond Hamsun a vécu entre ses 14 et ses 29 ans, dans la conscience que ce vagabondage a été causé par ces illusions modernistes qui hantent les cerveaux humains de l’âge moderne et les poussent sottement à construire des systèmes sociaux qui excluent sans merci les hommes originaux; c’est dans tout cela que s’est forgée l’anthropologie de Hamsun.

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Du vagabond au “vagabond qui joue en sourdine”

Avant de faire éditer La Faim, Hamsun avait publié un réquisitoire contre l’Amérique, pays de l’errance infructueuse, pays qui ne recèle aucune terre où retourner lorsque l’errance pèse. Cet anti-américanisme, étendu à une hostilité générale envers le monde anglo-saxon, demeurera une constante dans les sentiments para-politiques de Hamsun. Sa critique ultérieure du tourisme de masse, principalement anglo-américain, est un écho de ce sentiment, couplé à l’humiliation du fier Norvégien qui voit son peuple transformé en une population de femmes de chambre et de garçons de café.

Si ce pamphlet anti-américain, La Faim, Pan, Victoria, Sous l’étoile d’automne, Benoni, etc., sont les œuvres d’un premier Hamsun, du vagabond rebelle et impétueux, du déraciné malgré lui qui connait sa blessure intime, le roman Un vagabond joue en sourdine (1909), qui paraît quand Hamsun atteint l’âge de cinquante ans, marque une transition. La vagabond vieux d’un demi-siècle regarde son passé avec tendresse et résignation; il sait désormais que l’époque des sentiments enflammés est passée et adopte un style moins fulgurant et moins lyrique, plus posé, plus contemplatif. En revanche, le souffle épique et la dimension sociale acquièrent une importance plus grande. L’ambiance trouble de La Faim, le lyrisme de Pan cède la place à une critique sociale pointue, dépourvue de toute concession.

C’est aussi à 50 ans, en 1909, que Hamsun se marie pour la seconde fois (un premier mariage avait échoué) avec Marie Andersen, de 24 ans sa cadette, qui lui donnera de nombreux enfants et demeurera à ses côtés jusqu’à son dernier souffle. La vagabond devient sédentaire, redevient paysan (Hamsun achète plusieurs fermes, avant de se fixer définitivement à Nörholm), retrouve sa glèbe et s’y raccroche. L’événement biographique se répercute dans l’œuvre et l’innocence anarchique se dépouille de ses excès et pose son “idéal”, celui qu’incarne Isak. La trame de L’Eveil de la Glèbe, c’est la conjugaison du passé vagabond et de la réimbrication dans un terroir, la dialectique entre l’individualité errante et l’individualité qui fonde une communauté, entre l’individualité qui se laisse séduire par les chimères urbaines et modernes, par les artifices idéologiques et désincarnés, et l’individualité qui accomplit sa tâche, imperturbablement, sans quitter la Terre des yeux. La puissance de ces paradoxes, de ces oppositions, vaut à Hamsun le Prix Nobel de Littérature. L’Eveil de la Glèbe, avec son personnage central, le paysan Isak, constitue l’apothéose de la prose hamsunienne. On y retrouve cette volonté de retour à l’élémentaire que partageaient notamment un Friedrich-Georg Jünger et un Jean Giono.

Trois opinions politisables

La modèle anthropologique hamsunien correspond aussi à l’idéal paysan du “mouvement nordique” qui agitait l’Allemagne et les pays scandinaves depuis la fin du XIXème siècle et que, plus tard, les nationaux-socialistes Darré et Johann von Leers [2]incarneront dans la sphère politique.

Dans les années 20 s’affirment donc trois opinions politisables chez Hamsun:

1) son anti-américanisme et son anglophobie, 2) sa hargne à l’égard des journalistes, propagateurs des illusions modernistes (Cf. Le Rédacteur Lynge) et 3) son anthropologie implicite, représentée par Isak.

A cela s’ajoute une phrase, tirée des vagabonds: “Aucun homme sur cette terre ne vit des banques et de l’industrie. Aucun. Les hommes vivent de trois choses et de rien de plus: du blé qui pousse dans les champs, du poisson qui vit dans la mer et des animaux et oiseaux qui croissent dans la forêt. De ces trois choses”. Le parallèle est facile à tracer ici avec Ezra Pound et son maître, l’économiste anarchisant Silvio Gesell [3], en ce qui concerne l’hostilité à l’encontre des banques. La haine à l’endroit du mécanicisme industriel, nous la retrouvons chez Friedrich Georg Jünger[4]. Et Hamsun n’anticipe-t-il pas Baudrillard en stigmatisant les “simulacres”, constituant le propre de nos sociétés de consommation?

Devant cette offensive du modernisme, il faut, écrit Hamsun à 77 ans, dans La boucle se referme (1936), demeurer en marge, être une énigme constante pour ceux qui adhèrent aux séductions du monde marchand.

Militant du “Nasjonal Samling” de Quisling

Les quatre thèmes récurrents du discours hamsunien et la présence bien ancrée dans la pensée norvégienne des mythes romantiques et nationalistes du paysan et du viking, conduisent Hamsun à adhérer au Nasjonal Samling de Vidkun Quisling, le leader populiste norvégien. Celui-ci opte en 1940 pour une alliance avec le Reich qui occupe le pays à la vitesse de l’éclair lors de la campagne d’avril, parce que la France et l’Angleterre étaient sur le point de débarquer à Narvik et de violer simultanément la neutralité norvégienne afin de couper la route du fer suédois. Pendant toute la guerre, Quisling veut former un gouvernement norvégien indépendant, inclus dans une confédération grande-germanique, alliée à une Russie débarrassée du soviétisme, au sein d’une Europe où l’Angleterre et les Etats-Unis n’auront plus aucun droit d’intervention.

La « collaboration » de Hamsun a consisté à défendre par la plume cette politique, cette version-là du nationalisme norvégien, et à expliquer son engagement lors d’un congrès d’écrivains européens à Vienne en 1943. Hamsun sera arrêté en 1945, interné dans un asile d’aliénés, puis dans un hospice de vieillards et enfin traduit en justice. Pendant cette période pénible, Hamsun, nonagénaire, rédigera son dernier ouvrage, Sur les sentiers où l’herbe repousse (1946). Une lettre de Hamsun au Procureur Général du Royaume mérite encore notre attention car le ton qu’il y adopte est hautain, moqueur, condescendant: preuve que l’esprit, les lettres, le génie littéraire, transcendent, même dans la pire adversité, le travail méprisable et médiocre de l’inquisiteur.

Hamsun le Rebelle, vieux et prisonnier, refusait encore de courber l’échine devant un Bourgeois, fût-il le magistrat suprême du royaume[5].

Textes à l'appui

Un Prix Nobel dans l'oubli : Knut Hamsun, du pays des aigles et des loups, par Jean Mabire

En 1890, un livre obtient dans toute l'Europe un succès fulgurant. Il s'appelle Faim; il est signé : Knut Hamsun. Trente ans plus tard l'écrivain norvégien, né Knut Pedersen, obtient le Prix Nobel de littérature. La publication en traduction française de son dernier roman, Le cercle s'est refermé, le rappelle à notre mémoire. Et permet d'aborder les rapports entre l'engagement politique et l'œuvre littéraire.

On sait que le Prix Nobel se lança dans J'aventure, en croyant dur comme fer à cette histoire d'une grande com­munauté des peuples germaniques de la Norvège de Vidkun Quisling à la « Bourgogne » de Léon Degrelle. Sous hégémonie alle­mande, lui dira-t-on. Dialogue de sourds. De toute façon, vieillard obstiné, il n'était pas homme à faire les choses à moitié. Alors que son fils Arhild s'engageait dans les Waffen SS et combattait devant Leningrad, où il ramassait une Croix de fer que les correspondants du magazine Signal trouvèrent très photogé­nique, son vieux père écrivait en juin 1943 qu'Adolf Hitler était « un croisé et un réformateur » et qu'il voulait « créer une nouvelle époque et une nouvelle vie pour tous les pays, une unité durable entre les peuples pour le bien de chacun ».

Internement psychiatrique

Tandis que Céline errait d'un château l'autre dans une Alle­magne à l'agonie, avec pour objec­tif la frontière du Danemark, Hamsun, encore un peu plus au nord, écrivait dans le journal Aftenposten du 7 mai 1945, une certaine notice nécrologique qui lui sera à jamais reprochée et qui explique pourquoi il devait avoir par la suite de sérieux ennuis :

« Je ne suis pas digne de parler à voix haute d'Adolf Hitler, écrit-il, et sa vie et ses actes n'invitent à aucun attendrissement sentimen­tal. Ce fut un guerrier, qui fit la guerre pour l'humanité, et un annonciateur de l'évangile de jus­tice pour toute les nations. Ce fut un réformateur du plus haut rang, et son destin historique fut tel qu'il vécut dans une époque d'une cruauté sans exemple, qui finale­ment l'abattit. C'est ainsi que les Européens de l'Ouest doivent voir Adolf Hitler, et nous autres, disciples, nous courbons maintenant la tête devant sa mort. »

Encombrés de ce scandaleux vieillard têtu, qui restait, qu'on le veuille ou non, le plus grand écrivain norvégien et même scandinave de son siècle, ses compatriotes eurent l'idée de l'interner dans un asile psychiatrique, selon une méthode qui devait faire fortune où l'on sait.

Le procès, où sa défense, assurée par lui-même sans avocat, ressemblait à la chanson Je ne regrette rien, se termina par une amende calculée pour le ruiner intégralement. Il s'en vengea en publiant - à quatre-vingt-dix ans ! - son plus beau livre, une sorte de méditation sur soi : Sur les sentiers où l' herbe repousse, qui évoque par bien des aspects le Récit secret de son compatriote normand Drieu La Rochelle.

Décédé en 1952, dans la solitude de de sa maison de Norholm, sur la côte méridionale de la Norvège dont il avait jadis rêvé de faire sorte de ferme modèle, Knut Hamsun a traversé victorieusement l'épreuve du temps et de la haine.

Devenu antichrétien

Paradoxalement, c'est toujours le mot de jeunesse qui revient quand on cherche à comprendre qui était vraiment ce très étrange Knud Pedersen. Toujours remonter à l'enfance. Il fut un enfant pauvre, fils d'un misérable tailleur de bourgade, devenu fermier encore plus misérable dans l'inhospitalier Nordland. On le confie à un oncle piétiste dont l'éducation rigoriste, Bible en main, eut l'effet de faire de lui un antichrétien ou plutôt un « achrétien » définitif, plus intrinsèquement païen que le vieux borgne Odin.

Knud vécut son enfance donc sur l'île de Hamaroy, près du hameau de Hamsund, dont il tirera son nom de plume. Il faut y aller voir. Quelques maisons de bois, que l'on doit sans cesse repeindre après la morsure de la neige, sem­blent écrasées par des montagnes chaotiques. Un énorme piton inso­lite, d'un noir d'encre, désigne comme un doigt la cavalcade des nuages gris se poursuivant au gré d'un vent violent, sur le rythme échevelé de la Chasse sauvage. Au-delà d'une mer frémissante, les sommets encore encapuchonnés de neige des Lofoten.

Même en plein cœur d'un prin­temps d'herbe et de fleurs, un froid humide étreint le voyageur dans ce bout du monde. Les hommes d'ici, immergés dans ce paysage déme­suré, ne peuvent qu'être familiers des géants. Pays des nuits de vingt-quatre heures, du brouillard dévorant les barques téméraires, de la solitude et du labeur aux doigts gercés.

Tel fut le décor - que l'on qua­lifierait volontiers de dantesque ou de wagnérien - qui façonna l'enfant Knud, entre ses parents pauvres et son oncle pieux. A qua­torze ans, le gamin doit gagner son pain. Il sera commis de boutique, docker, cordonnier, mercier ambu­lant. Chez moi cela se dit : « Douze métiers et treize misères ». Le travail. La solitude. Et le froid et la nuit. Immenses. Que I' on y songe : il y a plus loin à vol de mouette de cette Norvège du Nord à la Norvège du Sud que de Paris à Oslo ...

Le dollar-roi

Il faut fuir. Le Hardanger et Kristiana d'abord. Puis l'Amé­rique. Hamsun y séjournera deux fois et y fera toutes les besognes, y compris celles de conducteur de tramway et de conférencier.

Il en reviendra tuberculeux et surtout marqué jusqu'au tréfonds de sa chair par une américanopho­bie incurable. Qui n'a pas lu son pamphlet - le seul et unique de sa vie, et il date de 1889 : De la vie intellectuelle dans l'Amérique moderne, ne peut rien saisir de ses attitudes politiques ultérieures. C'est une condamnation absolue l' American way of life et de sa civilisation marchande. La haine de l'immigré norvégien pour le modernisme, pour la bigoterie et pour le racisme yankee y apparaît­ totale.

Avant tout autre Européen, Hamsun dénonce le dernier des monarques absolus : le dollar-roi. Ecœuré par la bonne conscience des bien-pensants d'outre-Atlan­tique, ces banquiers dévots et incultes, il revient chez lui, quitte à y crever de faim. Il se veut alors barbare. C'est-à-dire le contraire même du bourgeois. Être écrivain sera pour lui la meilleure manière de régler son compte à cette civili­sation moderne, « progressiste », dont il mesure déjà les futurs ravages.

On le taxera de romantisme, comme une insulte. Peu lui impor­te. Il n'est d'aucune école. Il est lui-même. Fou d'orgueil. Ne nous y trompons pas. Ce qui est pour les uns le péché le plus mortel, l'orgueil, est, pour lui, la vertu la plus vitale, la seule qui lui permet­tra jusqu'à sa mort de se tenir étrangement droit, vieillard à la longue barbe blanche qui rejette la tête en arrière dans un dernier défi. « J'ai été celui que j'ai voulu », pourrait-il affirmer. De son enfance impécunieuse, il conserve la seule fierté d'avoir raison contre tout le monde. Indomptable Hamsun.

La nostalgie d'une Norvège héroïque

Sa carrière commencée en 1890, à l'aube du siècle, va se ter­miner à la veille de la guerre. Deux fois vingt ans et une vingtaine de romans, formant souvent diptyque ou trilogie, selon le goût scandina­ve pour les histoires interminables - on a le temps pendant les longues soirées d'hiver.

Ecrivain, certes, et des plus grands. Mais aussi fermier, maître sur sa terre, tout entier adonné à la « faisance-valoir ». On devine où le mène sa haine de l'argent, du « progrès », de la ville. Le voici, bien avant d'autres, emporté par tous les mythes du sang et du sol. Mais sans jamais tomber dans quelque esthétisme politique à la Barrès. On songerait plutôt à Giono. Mais Giono souffre d'une génération de retard et la Provence n'est pas le Nordland. Hamsun reste d'un pays d'aigles et de loups.

Créateur de tout un univers romanesque, ou s'exprime, sans phraséologie, la constante nostal­gie d'une Norvège héroïque, Ham­sun apparaît comme véritablement hanté par ce qu'on pourrait appeler la vertu du Nord.

On aurait pourtant tort de faire de lui le romancier du seul héros enraciné. Si le personnage central de l'Eveil de la Glèbe reste obsti­nément accroché au lopin de terre qu'il fait fructifier, la plupart des hommes dont il nous raconte l'his­toire sont au contraire des déraci­nés, des vagabonds, des voya­geurs. Les anciennes valeurs, tout autant que chez les manants, s'incarnent pour lui chez les errants. Conception fort nietz­schéenne qui l'ancre dans un mépris fondamental de tous ceux qui se réclament de la morale du troupeau.

Pauvre, fils de pauvre, mort ruiné et honni, Hamsun n'a jamais été sensible à l'idée démocra­tique, nuée funeste à ses yeux, « américaine » eût-il dit. Indivi­dualiste comme tout grand artiste, il apparaît comme un monstre d'égoïsme, fort parmi les forts. S'il devint dans les années 30 hit­lérien, c'est qu'il soupçonnait qu'Adolf Hitler était un personna­ge hamsunien.

D'abord l'indifférence

Ceux qui sur la foi d'un éloge funèbre intempestif croiraient trou­ver dans l'œuvre de Knut Hamsun je ne sais quelle littérature nationa­le-socialiste seraient bien déçus. Aucun de ses livres n'est de propagande ni même de morale. Ce sont des œuvres d'art.

La marque infernale de son engagement n'est point dans sa peinture, mais dans son personna­ge. D'où l'ironie et même la dis­tance qui surprendront plus d'un de ses lecteurs. Ainsi Le cercle s'est refermé, qu'il voulut, une quinzaine d'années avant le silence définitif de la mort, son dernier roman.

Abel Brodersen, fils d'un gar­dien de phare, est un héros hamsu­nien typique. C'est un homme qui va et qui vient, sans jamais s'attacher. Totalement indifférent à l'argent, aux convenances, à la situation. Il croise au moins trois femmes sur sa route. Lili, Olga et Lolla. Aucune ne le retiendra. Mais rien ni personne ne le retient. Le fond de son caractère est l'indifférence - le terme revient à d'innombrables reprises dans le roman.

Après une première partie un peu languissante, longue mise en place des personnages pour cette histoire qui s'écoule pratiquement sur le rythme d'une vie entière, une seconde partie plus enlevée nous montre Abel devenu capitai­ne d'un étrange « bateau-laitier », Le moineau qui va de port en port dans un pays où les habitants des fjords ne peuvent correspondre que par voie d'eau. Mais cette accélé­ration du récit n'est qu'artifice. Le héros ne tarde pas à revenir à cette sorte de « non-action » qui reste une des caractéristiques essen­tielles de l'univers de ce très étran­ge activiste Knut Hamsun. L' affir­mation de soi-même poussée jusqu'à l'inertie absolue. Abel est l'homme d'une paresse nordique que les Normands - ces faux laborieux comme ce sont de faux avares - comprennent mieux que nuls autres.

Sacré vieux viking qui dévoile nos secrets ![6]

Œuvres

Romans et nouvelles

  • Den Gaadefulde (1877)
  • Bjørger (1878)
  • Sult (1890); publié en français sous le titre La Faim, traduit (version tronquée) par Edmond Bayle, Paris/Leipzig, éd. Langen, 1895 ; traduit (version tronquée) par Georges Sautreau, Paris, éd. Rieder, 1926 ; traduit par Régis Boyer, Paris, P.U.F., 1994; réédition dans le volume Knut Hamsun. Romans, Paris, Le Livre de poche, La Pochothèque, 1999
  • Mysterier (1892); publié en français sous le titre Mystères, traduit (version tronquée) par Georges Sautreau, Paris, éd. Rieder, 1937 ; traduit par Ingunn Guilhon, avec la collaboration de Alain-Pierre Guilhon, Paris, Calmann-Lévy, 1975; réédition dans le volume Knut Hamsun. Romans, Paris, Le Livre de poche, La Pochothèque, 1999
  • Redaktør Lynge (1893)
  • Ny jord (1893)
  • Pan (1894); publié en français sous le titre Pan : d'après les papiers du lieutenant Thomas Glahn, traduit par Mme R. Rémusat, Paris, éd. de La Revue blanche, 1901 ; traduit par Georges Sautreau, Paris, éd. Rieder, 1932 , et rééd. Pris, Calman-Levy, 1997 ; traduit par Régis Boyer, dans le volume Knut Hamsun. Romans, Paris, La Pochothèque, 1999
  • Victoria (1898); publié en français sous le titre Victoria, traduit par Sigrid R. Peyronnet, Paris, éd. Rieder, 1920 ; traduit par Ingunn Guilhon, Paris, Calmann-Lévy, 1977; réédition, Paris, LGF, Le Livre de poche, n° 5418, 1980
  • Sværmere (1904); publié en français sous le titre Rêveurs, traduit par Georges Sautreau, Paris, éd. Kra, 1927 ; traduit par Régis Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1988; réédition, Paris, Points, Édition spéciale Prix Nobel, 2008
  • Under Høststjærnen (1906); publié en français sous le titre Sous l'étoile d'automne, traduit par Georges Sautreau, Paris, éd. Rieder, 1928 ; traduit par Régis Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1978; réédition, dans le volume Knut Hamsun. Romans, Paris, Le Livre de poche, La Pochothèque, 1999
  • Benoni (1908); publié en français sous le titre Benoni, traduit par Georges Sautreau, Paris, éd. Rieder, 1930 ; traduit par Régis Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1980; réédition, Paris, Gallimard, Folio n° 2648, 1994
  • Rosa (1908); publié en français sous le titre Rosa, traduit par Georges Sautreau, Paris, éd. Rieder, 1930 ; traduit par Régis Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1980; réédition, Paris, Gallimard, Folio, n° 2694, 1995
  • En Vandrer spiller med Sordin (1909); publié en français sous le titre Un vagabond joue en sourdine, traduit (version tronquée) par Georges Sautreau, Paris, éd. Rieder, 1924 ; traduit par Régis Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1979; réédition dans le volume Knut Hamsun. Romans, Paris, Le Livre de poche, La Pochothèque, 1999
  • Den siste Glæde (1912); publié en français sous le titre La Dernière Joie, traduit par Régis Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1979; réédition, Paris, Gallimard, Folio n° 2649, 1994 ; réédition dans le volume Knut Hamsun. Romans, Paris, Le Livre de poche, La Pochothèque, 1999
  • Børn av Tiden (1913); publié en français sous le titre Enfants de l'époque, traduit par Georges Sautreau, Paris, PUF, 1944 ; réédition, Paris, Sillage, 2023; sous le titre Enfants de leur temps, traduit par Régis Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1983
  • Segelfoss by (1915); publié en français sous le titre La Ville de Segelfoss, traduit par Régis Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1984; réédition, Paris, Le Livre de Poche, n° 3258, 1996
  • Markens Grøde (1917); publié en français sous le titre L'Éveil de la glèbe, traduit par Jean Petithuguenin, Paris, Flammarion, 1937 ; rééd. Paris, Calmann-Lévy, 1992
  • Konerne ved Vandposten (1920); publié en français sous le titre Femmes à la fontaine, traduit par Régis Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1982
  • Siste Kapitel (1923); publié en français sous le titre Le Dernier Chapitre, traduit par Ingunn Guilhon, avec la collaboration de Alain-Pierre Guilhon, Paris, Calmann-Lévy, 1976; réédition, Paris, LGF, Le Livre de poche n° 5585, 1981 ; réédition sous le titre Un air si pur (Le Dernier Chapitre), Paris, Le Livre de Poche n° 14359, 1997
  • Ringen sluttet (1936); publié en français sous le titre Le cercle s'est refermé, traduit par Régis Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1989
  • Paa gjengrodde Stier (1949); publié en français sous le titre Sur les sentiers où l'herbe repousse, traduit par Régis Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1981

Trilogie romanesque

  • Landstrykere (1927); publié en français sous le titre Vagabonds, traduit par Jean Petithuguenin, Paris, Grasset, Livre de poche, n° 743-744, 1961 ; réédition, Lausanne, Éditions Rencontre, 1969 ; réédition, Paris, Grasset, Les Cahiers rouges, 53, 1985; réédition dans le volume Knut Hamsun. Romans, Paris, Le Livre de poche, La Pochohèque, 1999
  • August Weltumsegler (1930); publié en français sous le titre Auguste le marin, traduit par Marguerite Gay et Gerd de Mautort, Paris, Le Club du livre français, 1953 ; réédition, Paris, Calmann-Lévy, 1991 ; réédition, Paris, Le Livre de poche, n° 3250, 1995; réédition dans le volume Knut Hamsun. Romans, Paris, Le Livre de poche, La Pochohèque, 1999
  • Men Livet lever (1933); publié en français sous le titre Mais la vie continue, traduit par Régis Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1993; réédition dans le volume Knut Hamsun. Romans, Paris, Le Livre de poche, La Pochohèque, 1999; réédition, Paris, Le Livre de poche, n° 3340, 2000

Recueils de nouvelles

  • Siesta (1897)
  • Kratskog, (1903)
  • Stridende Liv (1905); paru en français sous le titre Fragments de vie, traduit par Jacqueline Le Bras, Arles, Actes Sud, 1990
  • Kjærlighetens slaver : og andre noveller (1985), anthologie posthume; publié en français sous le titre Esclaves de l'amour, traduit par Régis Boyer, Paris, Calmann Lévy, 1986; réédition, Presse pocket n° 3327, 1989 ; réédition, Paris, Le Livre de poche, n° 3103, 1991

Théâtre

Trilogie théâtrale

  • Ved Rigets Port (1895)
  • Livets Spil (1896)
  • Aftenrøde (1898); publication des trois pièces en un volume sous le titre La Trilogie : Aux portes du royaume, Le Jeu de la vie et Crépuscule, Arles, Actes Sud, Actes Sud-Papiers, 2001

Autres pièces

  • Munken Vendt (1902)
  • Dronning Tamara (1903)
  • Livet ivold (1910)

Poésie

  • Et Gjensyn (1878)
  • Det vilde Kor (1904)

Récits de voyage

  • I Æventyrland (1903); paru en français sous le titre Au pays des contes, traduit par Sigrid R. Peyronnet, Paris, F. Reider et Cie éditeurs, 1923 ; réédition, Paris, Grasset, Les cahiers rouges, n° 301, 2000

Autres publications

  • Fra det moderne Amerikas Aandsliv (1889); paru en français sous le titre La Vie culturelle de l'Amérique, traduit par Denise Bernard-Folliot et Alain-Pierre Guihlon, préface de Gilles Lapouge, Langres, CAFE CLIMA EDITEUR, 1985
  • Sproget i Fare (1918), pamphlet

Bibliographie

  • Michel d'Urance, Hamsun, col. Qui suis-je ?, Pardès, 2008, 128 p.

Notes et références

  1. À propos de la figure de l'odelsbonde ou odalsbonde, Régis Boyer écrit : « Si le Nord, si la Norvège furent grands, disons jusqu'au XIVe siècle, c'est parce qu'ils avaient su édifier une société qui vivait en parfaite symbiose avec la nature et la terre, où régnait ce "paysan de franc alleu", l'odelsbonde, le bóndi des sagas islandaises, que l'on vient d'évoquer, homme libre, apte à tous les travaux et capable de tous les arts, chef de famille et agriculteur, pêcheur, chasseur, marin, forgeron, médecin, guerrier : le Viking n'était pas autre chose. C'était lui l'âme de la "vieille société" (det gamle samfunnet) qui hante K. Hamsun avec sa hiérarchie fondée en religion et ses structures nettes, reconnues, ses fortes valeurs éthiques, son sens du destin… Si le capitalisme et l'industrialisation doivent culbuter ces fondations sacrées, il n'est plus de modernisme acceptable… Là résidait l'essence de son patriotisme [de Hamsun], chez le grand odelsbonde de Norvège… » (« Pour l'amour du viking », in : Hexil n°6/7, 1976, p. 67). La figure de l'odelsbonde est donc figure de liberté, d'indépendance sociale complète, d'accomplissement total.
  2. Si Darré a chanté la figure du paysan libre dans le cadre du national-socialisme allemand et a rédigé plusieurs livres techniques sur le problème paysan, Johann von Leers, qui fut ministre des cultes, a théorisé la question et a esquissé avec davantage de précision une vision alternative de l'histoire européenne, où le paysan libre (l'odelsbonde de Hamsun) constitue l'idéal aliéné depuis la christianisation. Pour saisir cette problématique, mal comprise dans la sphère francophone, lire : 1) Anna Bramwell, Blood and Soil, Walther Darré and Hitler's "Green Party", Kensal Press, Abbotsbrook, 1985, 290 p. 2) Johann von Leers, Der deutschen Bauern : 1000jähriger Kampf um deutsche Art und deutsches Recht, Blut & Boden, Goslar, 1935. 3) J. v. Leers, Odal, das Lebensgesetz eines ewigen Deutschland, Blut & Boden, Goslar 1936.
  3. L'économiste socialo-anarchiste Silvio Gesell, membre du gouvernement rouge de Bavière en 1919, a théorisé également l'idée du "sol franc", outre ses études sur la monnaie qui ont inspiré Ezra Pound. On lira sa démonstration dans : Silvio Gesell, L'ordre économique naturel, Issautier/Vromant, Paris/Bruxelles, 1948.
  4. Cf. Robert Steuckers, « L'itinéraire philosophique et poétique de Friedrich-Georg Jünger », in Vouloir n°45/46, pp. 10 à 12. Cf. Friedrich-Georg Jünger, Die Perfektion der Technik, V. Klostermann, Frankfurt/M., 1968 (fünfte Auflage).
  5. Robert Steuckers, Vouloir, n°142/145, 1998.
  6. Jean Mabire, « Un Prix Nobel dans l'oubli : Knut Hamsun, du pays des aigles et des loups », art. paru in : Le Choc du Mois, no 28, mars 1990.