Julien Freund

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Julien Freund
Julien Freund (1921-1993), philosophe, politologue et sociologue français.

Biographie

Il est né à Henridorff (Moselle) le 8 janvier 1921, d’une mère paysanne et d’un père ouvrier socialiste. Aîné de six enfants, il a dû interrompre prématurément ses études après la mort de son père et était devenu instituteur dès l’âge de dix-sept ans.

La Résistance

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il participa activement à la Résistance. Pris en otage par les Allemands en juillet 1940, il parvint à passer en zone libre et, dès janvier 1941, milita à Clermont-Ferrand (où s’était repliée l’université de Strasbourg) dans le mouvement Libération d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie, puis dans les Groupes-francs de Combat animés par Henri Frenay, tout en achevant une licence de philosophie.

Arrêté en juin 1942 à Clermont-Ferrand, puis en septembre à Lyon, il fut avec Emmanuel Mounier l’un des accusés du procès Combat. Incarcéré à la prison centrale d’Eysses, puis à la forteresse de Sisteron, il parvint à s’évader le 8 juin 1944 et rejoignit jusqu’à la Libération les maquis FTP des Basses-Alpes et de la Drôme. Rentré à Strasbourg en novembre 1944, il se consacra quelque temps au journalisme et à l’action politique, expériences qui furent pour lui une source de déception en même temps que le point de départ d’une longue réflexion. Il fut en 1945-46 responsable départemental du Mouvement de libération nationale (MLN) de la Moselle, et quelque temps secrétaire académique du SNES.

Carrière académique

Ayant postulé dès 1946 un poste de professeur de philosophie, il avait passé son agrégation, puis enseigné successivement au collège de Sarrebourg (1946-49), au lycée de Metz (1949-53) et au lycée Fustel de Coulanges de Strasbourg (1953-60). De 1960 à 1965, il avait été maître de recherche au CNRS, spécialisé dans les études d’analyse politique. En 1965, année de la soutenance de sa thèse de doctorat à la Sorbonne, il avait été élu professeur de sociologie à l’université de Strasbourg, où il fut le principal fondateur, puis le directeur de la faculté des sciences sociales. Proche de Gaston Bouthoul, il créa en 1970 l’Institut de polémologie de Strasbourg. On lui doit aussi la fondation en 1967 d’un Centre de recherches et d’études en sciences sociales, en 1972 de la Revue des sciences sociales de la France de l’Est, et en 1973 d’un Centre de recherche en sociologie régionale. Il a également enseigné en 1973-75 au Collège de l’Europe de Bruges, puis en 1975 à l’université de Montréal. Nommé en 1979 président de l’Association internationale de philosophie politique, il avait pris peu de temps après une retraite très anticipée pour ne plus cautionner un enseignement et une administration universitaires qu’il réprouvait. Depuis, retiré à Villé, il se consacrait entièrement à ses livres. Une soirée en son honneur a été organisée en décembre 1993 par le conseil de l’université des sciences humaines de Strasbourg.

Un philosophe de la politique

Julien Freund s’est fait connaître par sa thèse de philosophie, préparée sous la direction de Raymond Aron et intitulée L’Essence du politique (1965). Il y tient le conflit pour l’une des données fondamentales de la vie sociale et politique.

Freund débouche sur une définition générale de la politique, vue «comme l'activité sociale qui se propose d'assurer par la force, généralement fondée sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde intérieure d'une unité politique particulière, en garantissant l'ordre en dépit des luttes qui naissent de la diversité et des divergences d'opinion et d'intérêts ».

Dans un livre largement autobiographique, publié sous la forme d'un entretien (L'aventure du politique, 1991), Freund exprime son pessimisme sur le destin de l'Occident désormais en proie à une décadence irrémédiable, due à des causes internes qu'il avait étudiées dans les page d'un autre de ses ouvrages magistraux, La décadence (1984). Défenseur d'une organisation fédéraliste de l'Europe, il avait exprimé son point de vue sur cette question cruciale dans La fin de la renaissance (1980). Julien Freund est mort avant d'avoir mis la toute dernière main à un essai sur l'essence de l'économique.

Julien Freund décède le 10 septembre 1993.

Œuvre

Julien Freund en compagnie de Carl Schmitt

Marqué par la pensée de Max Weber, de Georg Simmel, de Vilfredo Pareto et de Carl Schmitt, auteurs qu’il contribua à mieux faire connaître en France, Julien Freund s’était imposé d’emblée avec son livre sur L’essence du politique, issu de la thèse de doctorat qu’il avait soutenue le 26 juin 1965 sous la direction de Raymond Aron (le philosophe Jean Hyppolite ayant préféré se récuser pour n’avoir à patronner ses thèses). Sur la nature du politique, sur les présupposés de cette catégorie (la triple relation entre obéissance et commandement, ami et ennemi, public et privé), sur les notions de valeur, de conflit, d’ordre, etc., il y multipliait les vues originales et novatrices. Il ne cessera d’ailleurs, par la suite, de s’intéresser aux invariants de l’esprit humain, qu’il s’agisse de l’esthétique, de l’éthique, de l’économique ou du religieux.

Freund soumet à une critique serrée l'interprétation marxiste du politique, qui voit ce dernier comme la simple expression des dynamiques économiques à l'œuvre dans la société. Freund, pour sa part, tient au contraire à en souligner la spécificité, une spécificité irréductible à tout autre critère. Le politique, dans son optique, est « un art de la décision », fondé sur trois types de relations: la relation entre commandement et obéissance, le rapport public/privé et, enfin, l'opposition ami/ennemi. Ce dernier dispositif bipolaire constitue l'essence même du politique: elle légitimise l'usage de la force de la part de l'Etat et détermine l'exercice de la souveraineté. Sans force, l'Etat n'est plus souverain; sans souveraineté, l'Etat n'est plus l'Etat[1].

Tenu à l’écart par les coteries parisiennes, qu’il surclassait sans peine par l’ampleur de ses connaissances et la profondeur de ses analyses, Julien Freund était en revanche réputé dans le monde entier pour la qualité de ses travaux. Lutteur-né, auteur au savoir immense, remarquable conférencier, il était avant tout un esprit parfaitement libre qui, à maintes reprises, avait refusé de quitter son Alsace natale pour venir s’installer dans la capitale. « Kant vivait à Königsberg et non à Berlin », répondait-il à ceux qui s’en étonnaient. Mais il était aussi un homme truculent, fidèle à ses amitiés, courageux à l’extrême et d’une malicieuse rigueur. Amateur de peinture - il avait épousé en 1948 la fille du peintre alsacien René Kuder (1882-1962) - et de gastronomie régionale, il appartenait à l’espèce rare des pessimistes joyeux. Indifférent aux étiquettes et aux modes, il avait manifesté à la revue du GRECE Nouvelle École une sympathie active qui ne s’est jamais démentie pendant vingt ans. Plusieurs de ses essais y ont paru : Vilfredo Pareto et le pouvoir (n° 29, printemps-été 1976, pp. 35-45), Une interprétation de Georges Sorel (n°35, hiver 1979-80, pp. 21-31), Que veut dire : prendre une décision ? (n°41, automne 1984, pp. 50-58), Les lignes de force de la pensée de Carl Schmitt (n°44, printemps 1987, pp. 11-27), Le conflit dans la société industrielle (n°45, hiver 1988-89, pp. 104-115).

Julien Freund nous a quittés le 10 septembre 1993 à Strasbourg, à l'âge de 72 ans, laissant une œuvre riche et variée portant tout à la fois sur le droit, la politique, l’économie, la religion, l’épistémologie des sciences sociales, la polémologie, la pédagogie ou l’esthétique. Mais il s’est surtout attaché à élucider ce que Paul Ricœur appelait les paradoxes de la politique. Marqué avant la guerre par une conception idéaliste de la politique, Freund a perdu ses illusions durant ses années de Résistance et pendant son engagement politique et syndical qui a suivi la Libération. Ce sont les déceptions causées par les réalités de la pratique politique qui l’ont amené à étudier ce qu’est réellement la politique, c'est-à-dire à découvrir ce qui se cache derrière le voile hypocrite de certaines conceptions moralisantes. C’est de cette volonté de rechercher et décrire la véritable nature du politique, au-delà des contingences historiques et idéologiques, qu’est né L’essence du politique, son opus magnum publié en 1965 et tout récemment réédité avec une postface de Pierre-André Taguieff.

Citations

  • « [...] vous pensez que c'est vous qui désignez l'ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d'ennemi, nous n'en aurons pas, raisonnez-vous. Or, c'est l'ennemi qui vous désigne. Et s'il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire vos plus belles protestations d'amitié. Du moment qu'il veut que vous soyez son ennemi, vous l'êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin ».
  • « On a beau ironiser sur le concept de patrie et concevoir l'humanité sur le mode anarchique et abstrait comme composée uniquement d'individus isolés aspirant à une seule liberté personnelle, il n'empêche que la patrie est une réalité sociale concrète, introduisant l'homogénéité et le sens de la collaboration entre les hommes. Elle est même une des sources essentielles du dynamisme collectif, de la stabilité et de la continuité d'une unité politique dans le temps. Sans elle, il n'y a ni puissance ni grandeur ni gloire, mais non plus de solidarité entre ceux qui vivent sur un même territoire. On ne saurait donc dire avec Voltaire, à l'article Patrie de son Dictionnaire philosophique que "souhaiter la grandeur de son pays, c'est souhaiter du mal à ses voisins". En effet, si le patriotisme est un sentiment normal de l'être humain au même titre que la piété familiale, tout homme raisonnable comprend aisément que l'étranger puisse éprouver le même sentiment. Pas plus que l'on ne saurait conclure de la persistance de crimes passionnels à l'inanité de l'amour, on ne saurait prendre prétexte de certains abus du chauvinisme pour dénigrer le patriotisme. Il est même une forme de la justice morale. C'est avec raison qu'A. Comte a vu dans la patrie la médiation entre la forme la plus immédiate du groupement, la famille et la forme le plus universelle de la collectivité, l'humanité. Elle a pour raison le particularisme qui est inhérent au politique. Dans la mesure où la patrie cesse d'être une réalité vivante, la société se délabre non pas comme le croient les uns au profit de la liberté de l'individu ni non plus comme le croient d'autres à celui de l'humanité; une collectivité politique qui n'est plus une patrie pour ses membres cesse d'être défendue pour tomber plus ou moins rapidement sous la dépendance d'une autre unité politique. Là où il n'y a pas de patrie, les mercenaires ou l'étranger deviennent les maitres. Sans doute devons-nous notre patrie au hasard de la naissance, mais il s'agit d'un hasard qui nous délivre d'autres ». in : L'essence du Politique (1965)
  • « Le politique est une essence, dans un double sens: d'une part, c'est l'une des catégories fondamentales, constantes et non éradicables, de la nature et de l'existence humaines et, d'autre part, une réalité qui reste identique à elle-même malgré les variations du pouvoir et des régimes et malgré le changement des frontières sur la surface de la terre. Pour le dire en d'autres termes: l'homme n'a pas inventé le politique et encore moins la société et, d'un autre côté, en tous temps, le politique restera ce qu'il a toujours été, selon la même logique pour laquelle il ne pourrait exister une autre science, spécifiquement différente de celle que nous connaissons depuis toujours. Il est en effet absurde de penser qu'il pourrait exister deux essences différentes de la science, c'est-à-dire deux sciences qui auraient des présupposés diamétralement opposés; autrement, la science serait en contradiction avec elle-même ». ibidem
  • « La politique est une activité circonstancielle, causale et variable dans ses formes et dans son orientation, au service d'une organisation pratique et de la cohésion de la société [...]. Le politique, au contraire, n'obéit pas aux désirs et aux fantaisies de l'homme, qui ne peut pas ne rien faire car, dans ce cas, il n'existerait pas ou serait autre chose que ce qu'il est. On ne peut supprimer le politique - à moins que l'homme lui-même, sans se supprimer, deviendrait une autre personne ».
  • « Il est impossible d'exprimer une volonté réellement politique si l'on renonce d'avance à utiliser les moyens normaux de la politique, ce qui signifie la puissance, la coercition et, dans certains cas exceptionnels, la violence. Agir politiquement signifie exercer l'autorité, manifester la puissance. Autrement, l'on risque d'être anéanti par une puissance rivale qui, elle, voudra agir pleinement du point de vue politique. Pour le dire en d'autres termes, toute politique implique la puissance. Celle-ci constitue l'un de ses impératifs. En conséquence, c'est proprement agir contre la loi même de la politique que d'exclure dès le départ l'exercice de la puissance, en faisant, par exemple, d'un gouvernement un lieu de discussions ou une instance d'arbitrage à la façon d'un tribunal civil. La logique même de la puissance veut que celle-ci soit réellement puissance et non impuissance. Ensuite, par son mode propre d'existence, la politique exige la puissance, toute politique qui y renonce par faiblesse ou par une observation trop scrupuleuse du droit, cesse derechef d'être réellement politique; elle cesse d'assumer sa fonction normale par le fait qu'elle devient incapable de protéger les membres de la collectivité dont elle a la charge. Pour un pays, en conséquence, le problème n'est pas d'avoir une constitution juridiquement parfaite ou de partir à la recherche d'une démocratie idéale, mais de se donner un régime capable d'affronter les difficultés concrètes, de maintenir l'ordre, en suscitant un consensus favorable aux innovations susceptibles de résoudre les conflits qui surviennent inévitablement dans toute société ».
  • « Je suis sûr de pouvoir dire que la politique est par sa nature conflictuelle, par le fait même qu'il n'y a pas de politique s'il n'y a pas d'ennemi ».

Publications

Recueil de textes édités par La Nouvelle Librairie en 2021.

Monographies

  • L’essence du politique (Sirey, 1965).
  • Max Weber (PUF, 1966 et 1983).
  • Europa ohne Schminke (Drückerei Winkelhagen, Goslar 1967).
  • Qu’est-ce que la politique ? (Seuil, 1968 et 1978).
  • Max Weber (PUF, 1969).
  • Le nouvel âge. Éléments pour la théorie de la démocratie et de la paix (Marcel Rivière, 1970).
  • Le droit d’aujourd’hui (PUF, 1972).
  • Les théories des sciences humaines (PUF, 1973).
  • Pareto. La théorie de l’équilibre, Seghers, 1974.
  • en collaboration avec Maurice Bardèche, Gottfried Eisermann, Enzo Erra, A. James Gregor et « un témoin anonyme » [pseudonyme de Giovanni Volpe], Sei risposte a Renzo De Felice, Roma, Giovanni Volpe Editore, 1976
  • Georges Sorel. Eine geistige Biographie (Siemens-Stiftung, Munich 1977).
  • Les problèmes nouveaux posés à la politique de nos jours (Université européenne des affaires, 1977),
  • Utopie et violence (Marcel Rivière, 1978).
  • Il luogo della violenza (Cappelli, Bologna 1979).
  • La fin de la Renaissance (PUF, 1980).
  • La crisis del Estado y otros estudios (Instituto de Ciencia política, Santiago de Chile 1982).
  • Idées et expériences. Les activités sociales: regards d’un sociologue (Institut des Sciences Politiques et Sociales de l’U.C.L., Louvain-la-Neuve 1983).
  • Sociologie du conflit (PUF, 1983).
  • Idées et expériences (Institut de sociologie de l’UCL, Louvain-la-Neuve 1983).
  • La décadence. Histoire sociologique et philosophique d’une catégorie de l’expérience humaine, Sirey, 1984; rééd. Éditions du Cerf, Préf. de Jéronimo Molina Cano, 2023, 588 p.
  • Philosophie et sociologie (Cabay, Louvain-la-Neuve 1984).
  • Politique et impolitique (Sirey, 1987).
  • Philosophie philosophique (Découverte, 1990).
  • Études sur Max Weber (Droz, Genève 1990).
  • Essais de sociologie économique et politique (Faculté catholique Saint-Louis, Bruxelles 1990).
  • L’aventure du politique. Entretiens avec Charles Blanchet (Critérion, 1991).
  • D’Auguste Comte à Max Weber (Economica, 1992).
  • L’essence de l’économique (Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg 1993).
  • Diritto e Politica. Saggi di filosofia giuridica (Edizioni Scientifiche Italiane, Napoli 1994).
  • Il Terzo, il nemico, il conflitto. Materiali per una teoria del Politico (Giuffrè, Milano 1995).
  • Warfare in the modern world: a short but critical analysis (Plutarch Press, Washington D.C. 1996).
  • Voci di teoria politica, Antonio Pellicani Editore, Roma, 2001.
  • Vista de conjunto sobre la obra de Carl Schmitt, Struhart & Cía., Buenos Aires, 2002.

Travaux de traduction

Articles

Son œuvre comprend aussi un nombre très important d’articles, d’essais, de préfaces et de communications. On en trouvera la liste dans La bibliographie de Julien Freund dressée par Piet Tommissen dans le numéro spécial de la Revue européenne des sciences sociales (n°54-55, 1981, pp. 49-70) offert à Freund pour son 60ème anniversaire. Une autre bibliographie, prolongée jusqu’en 1984 et également établie par Piet Tommissen, figure en annexe de Philosophie et sociologie (Cabay, Louvain-la-Neuve 1984, pp. 415-456 : Julien Freund, une esquisse biobibliographique).

Bibliographie

  • Revue européenne des sciences sociales, "Critique des théories du social et épistémologie des sciences humaines: études en l’honneur de Julien Freund", 19, nº54-55, Droz, Genève 1981.
  • Revue des sciences sociales de la France de l’Est, "Région et conflits. Hommage à Julien Freund" (Strasbourg), nº10.
  • Bibliographie générale des droites françaises (vol. 1), A. de Benoist, éd. Dualpha.

Liens externes

  • « Julien Freund, penseur du politique », Conférence du Cercle Péguy, 27 septembre 2016 : [1]

Notes et références

  1. Alessandra Colla, « En souvenir de Julien Freund », in: Orion, n° 108, sept. 1993.